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« Choisir Sa Contraception » : les surprenantes données de l’INPES

Comment choisir en bonne intelligence sa contraception ? Préservatifs ? Pillule ? DIU (dispositif intra utérin) ? Et les autres ? Pour permettre un choix éclairé, l’INPES a créé un site plutôt bien fait, qui montre les avantages / inconvénients des différentes méthodes : « Choisir sa Contraception« . Les propos sont sensés et mesurés et toutes les solutions sont passées au peigne fin. En particulier, il y est proposé un tableau récapitulatif de l’efficacité des différentes méthodes de contraception, dont je vous propose une copie d’écran ici :

Il y a sur le site 16 méthodes de contraception depuis les stérilisations jusqu'aux spermicides. Le classement par défaut correspond à l'efficacité pratique

Il y a sur le site 16 méthodes de contraception depuis les stérilisations jusqu’aux spermicides. Le classement par défaut correspond à l’efficacité pratique

 

Ce tableau est très complet, très pratique… Mais les chiffres annoncés sur l’efficacité sont parfois … surprenant.

Les méthodes « sans manipulation » ou définitive sont les plus efficaces, ce qui paraît logique. Ainsi, l’implant, les DIU (Dispositifs intra-utérins, appelés aussi stérilet), ou encore les stérilisations définitives ont des efficacités « pratiques » identiques aux efficacités « théoriques », de plus de 99 %. C’est plutôt pour les autres dispositifs contraceptifs que les chiffres paraissent bizarres… Par exemple, le préservatif, avec ses 85 % d’efficacité pratique, ne semble pas meilleur que la cape cervicale, et moins efficace que le diaphragme. Le préservatif féminin, dont l’efficacité est souvent vantée comme identique à celle de son homologue masculin, se retrouve à 79 % d’efficacité, soit… quasi-identique à la méthode de retrait, qui, d’expérience, a une efficacité… faible (pour mon plus grand bonheur aujourd’hui, je dois l’avouer). Il est aussi surprenant, pour moi, que les méthodes d’abstinences périodiques soient encore moins fiables que celle du retrait, et d’ordre de grandeur comparable à l’utilisation de spermicides…

Peut-être relèverez-vous d’autres éléments surprenants dans ce tableau (et n’hésitez pas à les partager en commentaires), mais ces chiffres, et leur organisation méritent maintenant une explication plus fine.

Provenance des données

Ces valeurs « d’efficacité » proviennent d’un rapport de la Haute Autorité de la Santé de 2013, qui les tire de l’OMS, qui elle-même les a extraites d’un article de J Trussell paru en 2011 (accès gratuit) dans le journal Contraception. Les chiffres français ont été tirés d’un article de C. Moreau, J. Trussel et leurs collaborateurs de 2007 (accès gratuit),

Que signifie réellement « efficacité » ?

Une efficacité de 75 % signifie que le risque de déclarer une grossesse dans l’année est de 100-75 = 25 %. A titre de comparaison, le risque de déclarer une grossesse en absence de toute contraception est de 85 %.

Mais ce terme n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Ces statistiques, et cela n’est pas clairement dit, correspondent uniquement à une première année d’utilisation. Cela permet sans doute d’expliquer les écarts importants entre les méthodes où il n’y a pas d’intervention des personnes concernées (implants, DIU, …), qui apparaissent très sures, et les méthodes où il y a intervention (pilule, préservatifs, etc…). Il est aisément concevable que ces écarts se resserrent lorsque les couples deviennent « experts » en l’utilisation de leur contraception, et c’est ce qui est observé dans l’étude française.

Que signifie « pratique » ou « théorique » ?

L’efficacité théorique correspond à une utilisation rigoureuse de la contraception. Le mot « théorique » n’est pas très approprié : cette efficacité peut très bien être atteinte !! Par exemple, pour la pilule, il « suffit » de la prendre à heure fixe, sans oubli, et d’être très rigoureux sur les aliments et les médicaments qui pourraient diminuer son action pour atteindre son « efficacité théorique ».

L’efficacité pratique correspond aux résultats obtenus par sondage auprès de femmes ayant utilisé ce moyen de contraception, en comptant le nombre de grossesse survenue dans l’année. Ainsi, l’efficacité pratique d’un moyen de contraception va correspondre au nombre de femmes qui ont déclarées avoir utilisé ce moyen et qui sont tombées enceintes. Pour le préservatif masculin, par exemple, vont être concernés de la même façon des couples très rigoureux et précautionneux, et des couples qui n’utilisent le préservatif de façon qu’occasionnelle.

Chiffres français ou chiffres américains ?

Hum… Là, l’affaire se corse un peu plus. Les chiffres d’efficacité donnés sont exclusivement tirés de la publication de Trussel. Si les chiffres français apparaissent dans le document de la HAS (sans être commentés pour autant), ils n’apparaissent plus du tout sur le site choisirsacontraception.fr. La raison pour laquelle ils n’ont sans doute pas été conservés réside en leur manque d’exhaustivité. Pas de traces « d’efficacité théorique », pas de distinction entre DIU hormonal et DIU au cuivre, et de nombreuses méthodes contraceptives dont l’efficacité n’a pas été chiffrée (implants, anneaux vaginaux, préservatifs féminins, …).

Cependant, les statistiques américaines et les statistiques françaises qui restent peuvent parfois présenter de très grosses différences. Un exemple est particulièrement saillant : aux USA, l’efficacité pratique du préservatif masculin est de 85 %. En France, elle est de 96,7 % ! De quoi modifier profondément le classement des méthodes contraceptives !

Voici un extrait du tableau du rapport de la HAS, montrant les différences les plus flagrantes…

tableauHAS

Ces valeurs correspondent aux taux de grossesse la première utilisation de la méthode. La note qui correspond à la ligne « DIU » précise en réalité que l’étude française ne distingue pas les DIU au cuivre des DIU hormonaux (au lévonorgestrel). Extrait du rapport de la HAS « Etats des lieux des pratiques de contraceptives et des freins à l’accès et au choix d’une contraception adaptée« 

 

 Comment expliquer de tels écarts ?

Comment peut-on passer de 15 % à 3,3 % d’échec à la contraception avec le préservatif masculin, ou de 9 % à 2,4 % avec la pilule ? Il paraît difficile à imaginer qu’une telle différence peut exister entre deux pays à première vue similaire, d’un point de vue démographique. De façon globale, les échecs à la contraception s’élèvent à 2,9 % en France, contre 13 % aux USA.

Les réponses à cette question sont discutées dans l’étude française :

  • Il existe une importante sous-déclaration des avortements, tant aux USA qu’en France. Et de plus le taux de sous-déclaration varie d’une méthode contraceptive à l’autre : par exemple, aux Etats-Unis, la sous-déclaration est beaucoup plus importante en cas d’utilisation de contraception locale (préservatif, diaphragme, …) ou « naturelle » (retrait, …) qu’en cas d’utilisation de contraception hormonale… Il semble plus avouable de tomber enceinte involontairement avec une contraception censée être fiable et régulière (on n’y est VRAIMENT pour rien, on a fait tout ce qu’il fallait), plutôt qu’avec une contraception plus ponctuelle, à l’efficacité paraissant plus aléatoire… Moreau et ses collègues annoncent qu’ils n’ont pas corrigé leurs données, contrairement à l’étude américaine. Il faut donc comparer les 2,9% d’échecs en France aux 10 % américains et non 13. Cela fait tout de même une efficacité trois fois moindre aux USA !
  • Les études françaises et américaines diffèrent sur un point assez important : aux USA, toutes les grossesses sous contraception ont été considérées comme des échecs à la contraception. Or un tiers de ces grossesses sont en fait voulues. L’étude française exclue ces dernières des statistiques. Les 2,9 % d’échecs français doivent donc être comparées à 6,7 % aux USA… Ça se rapproche…
  • Un autre biais est aussi relevé : compte-tenu de la méthodologie adoptée, les périodes d’abstinence dans l’étude française sont sans doute sous-estimées

Cependant, les auteurs affirment que ces différents points ne peuvent pas expliquer la totalité des écarts observés. D’autres raisons (Culturelles ? Éducatives ? De pratiques sexuelles?) doivent être évaluées. Les auteurs rappellent par exemple, qu’une étude sur 5 pays européens a montré que l’oubli d’une pilule durant le cycle précédent concerne de 12 à 25 % des femmes, suivant le pays concerné…

D’autres part, les pratiques contraceptives sont très différentes entre les USA et la France :

  • Outre-atlantique, la pilule contraceptive arrive en tête avec 27,5 % d’utilisatrices, suivie de la stérilisation féminine (26,6 %), puis du préservatif masculin (16,3 %), de la vasectomie (stérilisation masculine, 10 %), et enfin des DIU (5,6 %) (source : GuttMacher Institute )
  • En France, la pilule arrive aussi en tête, (45 % + 4,6 % qui utilisent aussi le préservatif), suivie des DIU (20,7 %) et des préservatifs (12,2 %). La stérilisation ne concerne que 4,2 % des femmes… (source : INED)

L’édition des chiffres français, corrigés, est indispensable

Peut-on réellement se baser sur les chiffres américains dans ces conditions ? S’il est évident que les méthode définitives (stérilisations), et les méthodes sans intervention sont les plus fiables, les autres ne sont pas aussi catastrophiques qu’annoncés sur le site « Choisir Sa Contraception ». L’INPES, par l’intermédiaire de cette plateforme web, répond aujourd’hui à l’urgence de la publication de données claires pour un choix personnel et éclairé sur les différentes méthodes, mais l’utilisation des statistiques des USA pose le problème de la fiabilité des données, et surtout de leur transposition dans un contexte où les pratiques diffèrent largement, d’autant que les statistiques françaises, quoique incomplètes, n’apparaissent pas du tout sur le site. Pour « choisir sa contraception » en bonne intelligence, il me paraît urgent que les chiffres présentés soient complétés, et modifiés par les résultats de l’étude française.

 

N.B. Il reste, de plus, d’autres sources d’erreur et de confusion sur le tableau, concernant par exemple les méthodes dites « naturelles », qui peuvent correspondre à des pratiques très sécuritaires, comme d’autres beaucoup plus laxistes. D’après l’article de Trussel, l’efficacité théorique s’échelonne entre 99,6 % pour la méthode sympto-thermique à 95,2 % pour la « Standard Days Method ». Il y aurait aussi à redire sur l’efficacité de la cape cervicale, très différente entre les nullipares et les femmes qui ont déjà eu une grossesse…

N.B.2 : N’oublions pas aussi de souligner l’importance de la colonne « protège contre les IST » dans le tableau du site…