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[Flash Info Chimie] #29 Détecter les métaux polluants dans l’eau avec de l’ADN

Les cours d’eau sont (trop) souvent pollués par des métaux lourds, issus d’extractions minières ou d’installations industrielles. La détection, et l’identification de ces métaux, souvent toxiques même à l’état de traces, est un enjeu important de la recherche en chimie analytique.

Il y a quelques semaines, je parlais de l’utilisation de protéines pour extraire de l’uranium de l’eau de mer, méthode qui pourrait s’appliquer à d’autres métaux. Aujourd’hui, c’est une publication qui propose l’utilisation de brins d’ADN pour détecter par fluorescence 8 composés métalliques à la fois.

Une équipe de l’Université de Stanford vient de mettre au point une série de brins d’ADN pour détecter des faibles quantités de mercure, méthylmercure, cadmium, chrome, manganèse… L’idée n’est pas d’utiliser l’ADN qui porte notre code génétique, mais un ADN modifié, dont les motifs de base, les désoxynucléosides, ont été mis au point pour être fluorescents en présence d’ions métalliques.

8 désoxynucléosides fluorescents en présence de divers ions métalliques.  Le neuvième, appelé S, représente uniquement la partie "ribose" des désoxynucléosides. C'est cette partie qu'ils sont reliés entre eux.

8 désoxynucléosides fluorescents en présence de divers ions métalliques. Le neuvième, appelé S, représente uniquement la partie « ribose » des désoxynucléosides. C’est par ce groupement d’atome qu’ils sont reliés entre eux. Le reste des molécules étant des « fluorophores », dont la fluorescence varie en fonction de la nature et de la présence d’éventuels ions metalliques

Dans l’article du journal Angewandte, les auteurs expliquent avoir préparé différents petits brins d’ADN avec ces désoxynucléosides, et les avoir testé sur les différents métaux. Après des sélections successives, des brins (appelés ODFs dans la publication) ont été retenus en raison de leur grande fluorescence en présence des métaux, et en raison de leur capacité à les discriminer par des émissions fluorescentes de couleurs différentes.

Hélas, si certains ODFs permettaient à la fois de détecter et de discriminer les différents métaux à concentrations élevées, ils se sont révélés inefficaces aux concentrations des eaux naturelles, comme celles testées des eaux du parc naturel de Yosémite (plus précisément, ils ne permettaient pas de discriminer les métaux entre eux) ). Plutôt que de rechercher un unique ODF plus sensible et surtout plus discriminant, l’équipe a combiné les résultats de 7 ODFs pour chaque échantillon, ce qui permet, à coup sûr, d’accéder à la composition en 9 ions métalliques.

Il faut commencer par le haut : le 1er ODF permet de distinguer si on a du Méthylmercure (MeHg) ou un autre. Le second permet de déterminer si  on est dans un 1er ou un 2d groupe de composés, etc... Au bout de 7 ODFs, on est sûr du résultat, et de la présence, ou non, de chacune des espèces métalliques

Il faut commencer par le haut : le 1er ODF permet de distinguer si on a du Méthylmercure (MeHg) ou un autre. Le second permet de déterminer si on est dans un 1er ou un 2d groupe de composés, etc… Au bout de 7 ODFs, on est sûr du résultat, et de la présence, ou non, de chacune des espèces métalliques

Les avantages de ce système sont assez nombreux :

  • Par rapport aux systèmes actuels, il réalise 9 mesures en une, avec une sensibilité remarquable.
  • Il peut être hautement miniaturisé : il suffit d’une minuscule goutte d’eau, se répartissant dans 7 puis contenant chacun un ODF, une source de lumière blanche de type LED, et un analyseur (spectromètre)qui va « lire » et interpréter »les couleurs obtenues dans chaque puit.
  • La production des ODF est réalisée à l’aide de synthétiseur d’ADN. Non seulement c’est une production peu chère et efficace, mais elle permet aussi d’inventer toujours d’autres séquences d’ODF, permettant de moduler les propriétés de ces brins.

« Pattern-based Detection of Toxic Metals in Surface Water DNA Polyfluorophores » L. H. Yuen et al., Angew. Chem. Int. Ed.2014, 53, Early View.

Les télomères et la télomérase (1)

Ah, les télomères, et les télomérases. Rien à voir avec un quelconque lien de parentalité avec qui que ce soit. Par contre, il semblerait que c’est pas mal la mode, du côté des biologistes moléculaires et des chimistes. Va falloir expliquer tout ça maintenant, surtout quand Futura Science publie un petit billet sur les G-Quadruplexes en passant à côté des éléments les plus intéressants ! Alors c’est quoi, les télomères ? Le web scientifique regorge d’information sur ces extrémités des chromosomes, surtout depuis l’obtention du prix Nobel de médecine par Elizabeth H. Blackburn, Carol W. Gleider et Jack W. Szostak en 2009 sur leur étude, ainsi que l’étude de la télomérase.

Pour essayer en quelques lignes et schéma d’être clair, il faut d’abord se souvenir que l’ADN est constitué de 2 très longues molécules, formant les montants d’une échelle immense, où chaque barreau est constitué des fameuses « bases azotés ».

Vue d'artiste d'une portion d'ADN. On voit les deux brins, en bleu, reliés entre eux par les bases azotées.

Vue d’artiste d’une portion d’ADN. On voit les deux brins, en bleu, reliés entre eux par les bases azotées.

Si on prend un groupe de 2 brins d’ADN en entier, on a, grosso modo, ce qu’on appelle un chromosome. Oui, ces fameux X, Y, qui donnent notre sexe, ou chromosome 21 qui vont malheureusement parfois par 3 (et provoque la trisomie 21).

Alors c’est quoi, les télomères ?

Les chromosomes sont tous fait de la même manière : de l'ADN enroulé sur lui même, et condensé, à l'aide de certaines protéines...

Les chromosomes sont tous fait de la même manière : de l’ADN enroulé sur lui même, et condensé, à l’aide de certaines protéines…

Comme on le voit (mal) sur cette image, les extrémités du chromosome, qui sont les extrémités de la longue double hélice de l’ADN, sont appelés les télomères.

 Bon, maintenant, on sait où ils se trouvent. Ce qui est amusant/intéressant/passionnant (barrer les mentions inutiles), c’est que ces extrémités ont une structure toute particulière : la séquence des bases azotées qui composent l’ADN devient répétitive : cela dépend des espèces, mais par exemple, chez l’homo sapiens, un brin a la séquence TTAGGG qui se répète plusieurs centaines de fois [ Rappel inutile pour beaucoup : il existe au sein de l’ADN quatre bases azotés, dont la séquence constitue l’information génétique : A Adénine C Cytosine G Guanine T Thymine ]. L’autre brin a la séquence complémentaire, qui permet de former la fameuse échelle au complet. Enfin, pas tout à fait…

Reprenons un peu de la hauteur : les cellules sont bien faites, et, heureusement, toute une machinerie cellulaire est là pour protéger le patrimoine génétique des intrus, virus et compagnie, et pour réparer l’ADN endommagé. Les extrémités des chromosomes posent évidemment des soucis : Rien ne distingue un morceau d’ADN libre, potentiellement pathogène, de la fin ‘brutale’ du chromosome ! Des enzymes sont là pour dégrader alors cet ADN. Ou encore, d’autres enzymes pourraient « réparer » le chromosome en le greffant à un autre, en croyant reconnaître de l’ADN accidentellement coupé (et donc à ressouder illico) !

Alors comment les télomères protègent l’ADN ?

La plupart des procaryotes ont résolu le problème en ayant un ADN circulaire. Pour les autres organismes, il fallait trouver un moyen d’éviter ce problème. Et, évidemment, c’est là que les télomères interviennent.

Tout d’abord, cette structure est non codante (c’est à dire qu’elle n’est pas un gène, elle ne donne pas lieu à une traduction en ARN messager, puis protéines, etc.) et forme une horloge moléculaire : en effet, à chaque division cellulaires, les extrémités des chromosomes sont amputés d’un petit bout (quelques dizaines de bases) ; et lorsqu’il ne reste presque plus de séquence télomérique ( T-T-A-G-G-G-T-T-A-G-G-etc.), la cellule ne se divise plus (c’est ce qu’on appelle la sénescence). Le patrimoine génétique ne souffre donc pas des divisions successives, jusqu’à ce que la cellule stoppe sa reproduction.

Mais cela ne suffit pas. La structure des télomères permet de « cacher »  les extrémités de la longue double chaîne d’ADN, afin de prévenir de sa dégradation. Pour cela, un des deux brins est plus long que l’autre de 150 à 250 bases. Ce brin, riche en guanine (« G ») va pouvoir s’insérer dans la double hélice, en formant une boucle (appelée T-loop) :

A Le télomère avec le brin G ("G-Rich Strand") B La boucle T-Loop, avec formation locale d'ADN triplex C Ne soyons pas si naïf : cette strucutre T-Loop se forme en présence de protéines qui permettent de modeler la structure globale du télomère

A Le télomère avec le brin G (« G-Rich Strand »)
B La boucle T-Loop, avec formation locale d’ADN triplex
C Ne soyons pas si naïf : cette strucutre T-Loop se forme en présence de protéines (en jaune et vert)qui permettent de modeler la structure globale du télomère ( Source )

En formant cette boucle, l’ADN n’offre plus d’extrémité libre, et est donc protégée. Seulement, l’observation de ces structures est commune in vitro, mais pas si triviale in vivo, pose des problèmes de compréhension du mécanisme d’allongement des télomères (On y reviendra un peu plus tard, promis). Un assez large consensus se dégage néanmoins sur l’existence de ces structures in vivo.

Un autre type de structure de l’ADN a été aussi observé in vitro, et plus récemment in vivo : il s’agit des quadruplexes de guanine, ou « G-quadruplexes ». En fait, cet ADN riche en guanine peut se replier sur lui-même, en formant des « plateaux » formés de l’assemblage de 4 guanines :

On voit ici la formation des G-quadruplexes : ces structures peuvent se former à partir de 4 brins (B), 2 brins (C et D), ou un seul (E). Un ion occupe la partie centrale du "plateau" (source)

On voit ici la formation des G-quadruplexes : ces structures peuvent se former à partir de 4 brins (B), 2 brins (C et D), ou un seul (E). Un ion occupe la partie centrale du « plateau » (source)

 Ces structures semblent aussi se former dans les parties double brin du télomère, ou du reste de l’ADN, dès que la séquence est riche en guanine. Leur rôle n’est pas très clair : il semblerait qu’elles induisent plus rapidement la dégradation de l’ADN, et pourrait bloquer l’action de la télomérase, la fameuse protéine qui permet de rallonger les télomères.

Avant la suite de cet article, il est important de redire l’importance des protéines qui interagissent en permanence avec l’ADN : on le représente toujours « nu », comme une double hélice qui flotte dans le noyau de la cellule, alors qu’il est en permanence tordu, replié, enroulé, déroulé par ces protéines. Et au niveau des télomères particulièrement : le nombre de protéines qui interagit avec ces extrémités est impressionnant, et elles sont indispensables à la formation des différentes structures (T-loop, ADN triplex,…) des télomères.

Et les télomérases, alors ?

Un peu de suspense, ça sera pour la prochaine fois !

Sources :

Wikipédia

Riou et al., Bull. Cancer. 2005, 92(1), 13-22 (http://www.jle.com/fr/revues/medecine/bdc/e-docs/00/04/10/33/article.phtml)

Riou et al. Bull. Cancer 2003, 90(4), 305 (http://www.jle.com/fr/revues/medecine/bdc/e-docs/00/03/F9/49/article.phtml?fichier=images.htm)

http://www.ch.ic.ac.uk/local/projects/burgoine/origins.txt.html