Ah…Le bon et le mauvais gras… Les omégas-3, omégas-6, et le méchant beurre, ou saindoux… Essayons d’y voir plus clair, et plongeons au coeur de la matière… grasse !
Il faut tout d’abord savoir ce qu’on appelle « graisse ». Pour ce billet, on va se limiter aux acides gras. qui sont les constituants essentiels de la quasi-totalité des graisses, animales et végétales.
De prime abord, les acides gras ne sont pas des molécules très « fun », très mystérieuses, en chimie. Voyez plutôt l’acide stéarique :
Une loooooooongue chaîne de 17 carbones, puis un groupement chimique appelé « a
cide carboxylique » [ groupement -COOH ] tout au bout, à droite.
[Petit rappel : les zig-zags que l’on voit symbolise les liaisons entre les atomes de carbone, qui sont placés à chaque « angle » ou chaque extrémité des traits. Ces carbones sont aussi liés à des atomes d’hydrogène, non figurés ici, de telle manière qu’ils soient toujours entourés de 4 liaisons. Par exemple, le carbone tout à gauche est entouré par 3 hydrogènes, et un du milieu de 2 hydrogènes. On peut s’en rendre compte lorsqu’on symbolise cette molécule en « formule semi-développée » :
CH3-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-COOH
L’intérêt de la première représentation parait évidente… ]
Dans les matières grasses, ces molécules sont regroupées par 3 à l’aide du glycérol, et forme un « triglycéride », comme la stéarine :
Les acides gras peuvent être plus ou moins long. En général, ils ne contiennent pas de ramifications, ni d’autres atomes que des carbones et des hydrogènes sur la longue chaîne. [Il y a bien sûr des exceptions, comme l’acide ricinoléique dans l’huile de ricin, mais elles restent marginales] Ce qui va en fait changer, outre la longueur, c’est la présence d’une ou plusieurs doubles liaisons entre les atomes de carbones de la chaîne. Et c’est là que réside la véritable diversité des acides gras. Prenons quelques exemples, pour voir :
Bon, vous me direz, les différences ne sont pas énormes… Et vous avez raison. Il n’empêche, c’est parmi ces molécules contenant des doubles liaisons que se trouvent les fameux oméga-3, oméga-6, acides gras essentiels (« essentiels » signifiant que le corps humain n’est pas en mesure de le produire à partir d’autres molécules; ou du moins pas en quantité nécessaire).
Alors c’est quoi, oméga- »n » ? Tout simplement, il s’agit du numéro de la liaison double se trouvant à l’opposé de la fonction »acide carboxylique ». S’il s’agit de la troisième liaison, comme pour l’acide α-linolénique, ou l‘acide eïcosapentanènoïque, on a affaire à un acide gras oméga-3. Si c’est la sixième liaison, c’est un oméga-6,comme l’acide arachidonique.
Bon, voilà, on a décrit la plupart des acides gras. Il y en a d’autres, plus originaux, plus spécifiques à une espèce, que vous pouvez trouver sur la page de wikipédia.
Passons aux choses sérieuses : qu’est-ce qui distingue vraiment les acides gras saturés des insaturés, d’un point de vue chimique et biochimique ?
Tout est dans cette (ces) double liaison. Il faut avant tout comprendre deux trois choses en « réactivité chimique » [la « science » qui permet d’expliquer la nature des réactions qui ont lieu entre les espèces chimiques].
Alors, qu’est-ce qui fait qu’une molécule va réagir avec une autre ? Tout se passe au niveau des liaisons covalentes entre les atomes. Ces liaisons covalentes, vous savez, c’est cette mise en commun de deux électrons, un de chaque atome, qui permet à chacun d’être stable, et aussi de les lier fortement. Ici, on considérera qu’une réaction chimique, c’est la formation, et/ou la coupure d’une liaison covalente.
Il y a globalement trois critères fondamentaux qui permettent de savoir si une liaison est susceptible d’être coupée ou modifiée.
Il faut avant tout que la liaison soit accessible au partenaire de la réaction. Oui parce qu’elle peut être aussi fragile qu’on veut, si l’autre réactif ne peut l’atteindre, c’est peine perdue. Heureusement, la plupart du temps, la question ne se pose pas.
Il faut que son énergie soit la plus faible possible (forcément, cette énergie est calculée comme l’énergie nécessaire pour la rompre, cette liaison). Par exemple, une liaison I-I (iode-iode) a une énergie 2,3 fois plus faible qu’une liaison C-C (Carbone-carbone), et près de 3 fois plus faible qu’une liaison C-F (carbone-fluor). Seulement, cette énergie de liaison correspond à une rupture « homolytique » de la liaison, c’est-à-dire que chaque atome repart avec l’électron qu’il a initialement mis en commun. On dit qu’on obtient des radicaux :
On peut aussi avoir une rupture « hétérolytique » de la liaison : dans ce cas, un des deux atomes emporte avec lui l’électron de l’autre atome.
Dans ce cas, ce n’est pas l’énergie de liaison qui importe, mais l’énergie de la dissociation hétérolytique ( l’énergie nécessaire pour provoquer la réaction ci-dessus)
Un exemple : la dissociation de l’eau, à 25°C :
L’énergie de cette réaction est de 35 kJ/mol, c’est à dire 10 fois moins que la rupture homolytique C-C vue plus haut, et 12 fois moins que la rupture homolytique de la même liaison O-H.
Ces énergies de dissociations dépendent évidemment des conditions expérimentales, température, pression, solvant…Mais dépendent aussi beaucoup de la polarisation de la liaison.
Je m’explique : quand deux atomes mettent en commun chacun un électron, on imagine aisément une paire d’électron uniformément répartie entre chacun des noyaux. C’est à peu près le cas d’une liaison entre deux mêmes atomes (voir exemple C-C ci-dessous), ou dans certains cas entre deux atomes différents, comme par exemple dans la liaison C-H . Chaque électron a autant de chance de se retrouver près de l’un ou de l’autre des atomes. Par contre, lorsque les deux atomes sont différents, la plupart du temps, on obtient une liaison polarisée : un des deux noyaux attire beaucoup plus à lui les électrons de la liaison que l’autre : les électrons ont plus de chance de se trouver près de cet atome, que de l’autre. C’est le cas pour une liaison C-O, ou O-H, ou C-Cl, Cl-H (voir ci-dessous), etc.
Donc, plus une liaison est polarisée, plus l’énergie pour la rompre de façon hétérolytique est faible : et c’est l’atome qui les attire le plus qui récupère les deux électrons de la liaison, et se retrouve chargé négativement.
Et les doubles liaisons dans tout cela ?
Leur énergie (pour les ruptures homolytiques, si vous avez bien suivi) est d’environ 250 kJ/mol, c’est à dire 1,5 fois plus faible qu’une liaison simple C-C. Elles ne sont pas polarisée, mais peuvent le devenir, en fonction du réactif qui va s’en approcher. (Le nuage électronique va être perturbé et déformé par l’arrivée du réactif : s’il est pauvre en électron, il va l’attirer, s’il est riche il va le repousser. Je n’entre pas trop dans les détails cette fois-ci, mais n’hésitez pas à me le demander en commentaire).
Revenons à nos acides gras saturés.
Le problème des acides gras saturés, c’est qu’ils ne présentent que des liaisons chimiques fortes, et peu/pas polarisée (liaisons carbone-carbone, ou carbone-hydrogène), donc très difficile à rompre. Même à l’aide des usines chimiques que sont les protéines, qui permettent de faire des réactions sur des liaisons très peu réactives, leur modification n’est pas facile. Je ne parle pas de la fonction chimique « acide », qui permet elle de relier l’acide gras à divers constituants, permettant la formation de phospholipides, glycolipides, et autre glycérides. Mais du reste de la chaîne carbonée.
Chez l’homme, grosso modo, la seule modification qui a lieu est une β-oxydation, qui correspond à la production d’énergie par destruction progressive de l’acide gras. Cette réaction complexe est initiée grâce à la production d’une molécule plus réactive grâce à l’addition du co-enzyme A sur la fonction acide (étape1):
En clair : le nuage électronique des liaisons proches se trouve perturbé et déformé, ce qui cause la polarisation de la liaison entre un atome de carbone (le premier à gauche de l’acide) et un hydrogène. Celui-ci va être alors facilement « éjecté ». S’en suit l’éjection d’un hydrogène sur le carbone suivant, et la formation d’une double liaison (étape 1). Cette double liaison, est elle aussi polarisée grâce à la fonction acide modifiée (même si on est « à distance », la polarisation des liaisons doubles reste dans ce cas efficace), va encore réagir avec des espèces chimiques environnantes, ce qui va aboutir à la création finale de deux molécules (Etape 5 du schéma précédent) : une correspond à l’acide gras dont la chaîne est amputée de 2 carbones. L’autre est l’acétyl-co-enzyme A (qui intervient alors dans le fameux cycle de Krebs). L’intérêt réside dans l’étape 4, où de l’énergie sous forme d’ATP est produite.
L’acide gras (plus court) peut alors entrer dans un nouveau cycle, et produire à nouveau de l’énergie : le corps « brûle » ses graisses pour produire de l’énergie.
En laboratoire, le chimiste organicien a d’autres outils, d’autres réactifs que les protéines, les co-enzymes… Mais globalement, les réactions qui peuvent être mises en oeuvre ressembleraient beaucoup à celles présentes dans le schéma réactionnel précédent. La longue chaîne carbonée saturée reste très difficile à atteindre et à modifier, sauf à proximité immédiate de la fonction acide.
Heureusement, chez d’autres espèces vivantes, une enzyme permet de rajouter une double liaison ailleurs qu’à proximité de la fonction acide, permettant la synthèse des acides gras insaturés,et tout une série de transformations différentes. Mais je crois que ça sera pour un second billet…
A suivre : la réactivité des acides insaturées, et… mais à quoi cela peut bien servir au corps humain, tous ces composés ?