Il y a quelques temps déjà, j’avais écrit deux billets sur les télomères, la télomérase, et l’opportunité de l’inhiber pour lutter contre les cellules cancéreuses (voir ici et là). S’il fallait résumer en quelques mots, on pourrait dire que :
- les télomères sont les extrémités des chromosomes : ils jouent le rôle de protecteur du code génétique. Mais à chaque division cellulaire, ils rétrécissent un peu, jusqu’à atteindre une taille critique, qui bloque toute nouvelle division des cellules (elles entrent alors en « sénescence »), ou qui provoque le suicide programmé de la cellule (appelé apoptose)
- Dans certaines cellules, un complexe protéinique appelé la télomérase, a pour rôle de maintenir, ou de rétablir la taille des télomères. La télomérase n’est pas présente dans la quasi totalité de nos cellules : seules nos cellules souches, ainsi que certaines cellules du système immunitaire (les lymphocytes T en particulier)) sont concernées.
- Par contre, la télomérase est sur-exprimée dans 80 – 90 % des cellules cancéreuses, et permet leur immortalisation : elles peuvent alors se diviser à l’infini, sans que leur « horloge biologique » ne marque la fin de leur activité…
La télomérase apparaît donc à la croisée des chemins : son absence est la cause du vieillissement de nos cellules, et donc, in fine, de notre organisme, sa présence est source d’immortalisation des cellules tumorales… Il n’en fallait pas tant pour que les scientifiques cherchent soit à l’inhiber, soit à l’activer.
Contre les cancers : la télomérase, objectif à abattre !
Inhiber la télomérase, c’est, pour 90 % des cancers, rendre les cellules malignes à nouveau mortelles. Ce qui signifie que la tumeur va vieillir, puis… mourir, ou arrêter de se développer. Encore faut-il que l’organisme en ait le temps.C’est la raison pour laquelle les inhibiteurs de la télomérase sont très généralement testés en combinaison avec d’autres anticancéreux : aux uns de tuer le maximum de cellules malignes, à l’autre d’empêcher les restantes de se développer à l’infini.
Actuellement, plusieurs inhibiteurs sont en cours d’évaluation. Le plus avancé dans les tests cliniques est l’Imetelstat, actuellement en phases i et II seul, ou en combinaison avec d’autres anti-cancéreux. Il s’agit d’un oligonucléotide (c’est-à-dire un petit brin d’ADN modifié, en gros) : il va être pris en charge par la télomérase à la place du vrai télomère, et bloquer la machine.
Un autre inhibiteur est aussi développé, en phase pré-clinique actuellement, et donne des résultats intéressant : le BIBR1532. Il s’agit non pas d’un oligonucléotide, mais d’une « petite molécule ». Son mode d’action n’est pas très clair, même si lui aussi va prendre la place du brin télomérique.
La télomérase : un appât pour l’immunothérapie
Puisque les cellules cancéreuses sont (presque) les seules à produire ces protéines, pourquoi ne pas s’en servir comme d’un marqueur pour cellules malignes ? C’est la base des immunothérapies basées sur la télomérase.
En effet, le problème des cellules cancéreuses, c’est qu’elles sont encore moins particulières que les cellules normales : tout se passe comme si elles « s’indifférenciaient« … Et c’est bien là le problème ! Cela permet la contamination des organes voisins, et l’apparition de métastases : les cellules cancéreuses voyagent dans la circulation sanguine incognito avant d’essaimer dans un poumon, un os, un cerveau… La télomérase pourrait bien être ce marqueur, qui permet de distinguer une cellule maligne d’une cellule saine. Et une fois qu’on a un marqueur, on peut le cibler efficacement par immunothérapie : pour cela, on peut produire des vaccins qui vont sensibiliser le système immunitaire contre cette cible. Et ça aussi, ça marche : Trois vaccins (GV1001, Vx-001 et GRNVAC) sont actuellement en phase clinique II ou III contre des cancers variés (mélanome, cancer du pancréas, de la prostate…).
Alors, une cible en or ?
Le ciblage de la télomérase suscite toujours, 30 ans après sa découverte, beaucoup d’enthousiasme. Sans doute à raison : dans les années qui viennent, la mise sur le marché probable de l’imelstat et des vaccins anti-télomérase va venir renforcer l’arsenal thérapeutique de la lutte anti-cancer. Leur sélectivité, liée à l’absence de télomérase dans la plupart des cellules saines est particulièrement intéressante, et on peut raisonnablement estimer qu’ils permettront de sauver des vies.
Cependant, il ne faut pas oublier que la télomérase est présente dans 80 – 90 % des cancers, et qu’il existe des mécanismes alternatifs d’élongation des télomères utilisés par les autres, qui permettent de se passer de ce complexe de protéine. Ces thérapies anti-télomérase pourront peut-être être utile dans un grand nombre de cas, mais des résistances surviendront, nécessairement.
Par ailleurs, l’efficacité de ces traitements est limité par deux éléments :
- Si le cancer en est déjà à un stade avancé, il est probable que les télomères aient été déjà très allongés, beaucoup plus que les cellules saines. Dans ce cas, les inhibiteurs de la télomérase arrivent trop tard : il faudra de très (trop) nombreuses divisions cellulaires avant que la tumeur cesse de croître…
- Les immunothérapies marchent très bien… Lorsque le système immunitaire n’est pas trop affaibli : or c’est souvent le cas, lorsque le cancer est avancé.
On revient, comme souvent, à l’idée que les cancers, quelque soit leur traitement, doivent être traités le plus précocement possible… D’où l’intérêt de se faire dépister ! (mais correctement, hein ! je ne vous ferais pas encore un lien vers mon billet « Dépistons, piège à c***« )
À Suivre : l’activation de la télomérase : le graal de la lutte contre le vieillissement ?
Pour en savoir plus :
- Une bonne revue des différents traitements anticancéreux concernant la télomérase : « Novel anticancer therapeutics targeting telomerase » M. Ruden, N. Puri Cancer Treatment Reviews 2013, Vol. 39(5), 444-456
- Wikipédia, bien sûr !