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La prise en charge de l’hyperactivité par la ritaline

La Ritaline, c’est le nom commercial de la méthylphénidate (à gauche ci-dessous), une substance psycho-active de la famille des amphétamines (à droite ci-dessous), et qui est prescrite pour « soigner » l’hyperactivité chez l’enfant de plus de six ans.

Ritaline

Ritaline

Methamphetamine

Methamphetamine

 

 

 

 

 

 

Tout récemment, un article paru sur le site de BFMTV a ému : la Ritaline est appelée « Drogue des enfants », et le médecin généraliste D Dupagne la critique clairement. Kiara, dans son billet de la semaine dernière sur Les Vendredis Intellos relaie cette publication avec beaucoup de justesse. Je suis allé voir du côté des recommandations de la Haute Autorité de la Santé, pour y voir un peu plus clair… Celles-ci sont disponibles ici (avec les précieuses et intéressantes annexes), et sont récentes, puisqu’elles datent d’octobre 2012. Mais tout d’abord, un rappel, et de taille. Il y a une grosse disparité sur la façon dont ce médicament est prescrit. On estime à 10 % la proportion des jeunes garçons sous ritaline en 1996. En France, c’est beaucoup beaucoup plus faible. La raison est simple : il faut une Prise en charge Initiale Hospitalière (PIH) par un pédopsychiatre hospitalier pour l’ordonnance, renouvelée ensuite par n’importe quel médecin généraliste. Et cette PIH doit être renouvelée chaque année. Evidemment, cela limite très fortement les prescriptions. Donc, ce médicament est prescrit dans les cas de TDAH : Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité. Pour y voir plus clair, on peut regarder l’article de Wikipédia en plus du rapport de la HAS. Soyons concis, relevons les points clés :

  • Le Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité N’EST PAS un trouble du comportement, même pour le DSM-IV, qui est pourtant souvent accusé à juste titre de déclarer « maladie psychiatrique » tout et n’importe quoi. Il est néanmoins un facteur de risque majeur pour de réels troubles, comme par exemple les « troubles de la conduite« 
  • Le « diagnostic » du TDAH repose sur plusieurs « symptômes », ou plutôt sur plusieurs observations, de la part des proches, et de la communauté éducative : inattention, impulsivité, hyperactivité.
  • D’après l’OMS, c’est un « trouble caractérisé par un début précoce (habituellement au cours des cinq premières années de la vie), un manque de persévérance dans les activités qui exigent une participation cognitive et une tendance à passer d’une activité à l’autre sans en finir aucune, associés à une activité globale désorganisée, incoordonnée et excessive.

Passons au traitement médicamenteux, et à l’avis de la HAS. La ritaline est un médicament, avec des effets secondaires. Classé comme stupéfiant, il peut causer en particulier des problèmes cardiaques, prurit, urticaire, nausées, somnolence, vertiges pour ne citer que les plus fréquents. (source) Compte tenu de ces effets indésirables, la HAS conclut son avis :

« Le rapport efficacité/effets indésirables de ces spécialités est moyen

 (…) En conséquence, en l’état actuel des connaissances, les spécialités à base de méthylphénidate présentent un intérêt de santé publique dans cette indication. Cet intérêt est faible.« 

L’intérêt est faible, mais il existe :

« La Commission de la transparence considère que :
Le service médical rendu par RITALINE et RITALINE LP reste important dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique globale du TDAH chez l’enfant de 6 ans et plus lorsqu’une prise en charge psychologique, éducative et sociale seule s’avère insuffisante. »

La commission de transparence s’inquiète des risques à long terme, qui sont mal connus encore (conséquences cardiaques, psychiatriques et neurologiques).

On peut aller un peu plus loin dans l’étude de l’intérêt de ce médicament en lisant l’annexe de ce rapport, et certaines publications qui s’y rapportent. Une méta-analyse et une analyse randomisée ont été en particulier menées sur l’intérêt du médicament par rapport à une prise en charge sans médicament.

Les résultats de la première (Etude NICE en 2009, menée au Royaume-Uni) montre une supériorité du traitement médicamenteux (avec ou sans prise en charge psychosociale) par rapport à un placebo (sur 3 semaines et 3 mois). La prise en charge médicamenteuse seule est comparable avec une prise en charge combinée (ritaline + prise en charge psychosociale), mais les parents notent une plus grande efficacité de la prise en charge combinée en fin de traitement (entre 8 semaines et 2 ans).

Pour la seconde étude (Etude MTA aux USA), la prise médicamenteuse vs placebo a été étudiée sur des délais plus long :

  • Au bout de 14 mois, la prise de méthylphenidate (combinée ou seule) a été plus efficace que la prise du placebo.
  • Au bout de 24 mois, même conclusion
  • Au bout de 36 mois et au bout de 8 ans, aucune différence entre les différentes prises en charge n’a été observée.

Il apparaît clairement que la ritaline apporte un véritable soulagement, mais que cela ne persiste pas dans le temps. La HAS précise ainsi un peu plus loin :

« Il n’est ni nécessaire, ni souhaitable que la durée du traitement par méthylphénidate soit indéfinie. (…) Il est recommandé d’interrompre le traitement par méthylphénidate au moins une fois par an afin d’évaluer l’état de l’enfant (de préférence pendant les vacances scolaires). Une amélioration peut se maintenir à l’arrêt du traitement qu’il soit temporaire ou définitif. »

On comprend un peu mieux les raisons de cet « intérêt faible » de la Ritaline.

Une remarque, tout de même : la prévalence de ce trouble dépend énormément de la région du monde. Beaucoup plus important aux USA, en Europe du Nord par rapport à l’Europe du Sud par exemple. Certaines études le relient directement au marketing des industries pharmaceutiques qui commercialisent le méthylphénidate. Dans ce cadre, est-il possible de correctement transposer d’un pays à l’autre les résultats des analyses, réalisées en Europe du Nord (R.-U.) ou aux USA ? Et comment cela doit être prise en compte par les autorités sanitaires dans leur ajustement de leurs recommandations ?

L’autre question est comment, et quand prescrire ? A cela, la HAS affirme (citation plus haut) « lorsqu’une prise en charge psychologique, sociale et éducative seule s’avère insuffisante« . Pour mieux comprendre ce qui se fait, il faut aller prendre des infos par exemple sur le site tdah-france.fr : on y lit l’interview de M.-C. Mouren, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Debré. Ce professeur de médecine souligne en particulier « que pour le moment, le diagnostic débouche sur une « adaptation thérapeutique plutôt univoque » (traitement médicamenteux) » : Lorsque le diagnostic de TDAH est posé, c’est le médicament en première intention, contrairement aux recommandations !

Enfin, je vous invite à lire, sur ce même site, les « critères diagnostics du DSM – IV » (en bas de cette page). Je les trouve assez effrayants, par leur banalité. Jugez plutôt pour cette première liste de critère (il en faut 6, présent de façon « inadaptée à l’âge de l’enfant », persistant plus de 6 mois, pour poser le diagnostic de TDAH) :

  • Souvent ne parvient pas à prêter attention aux détails ou fait des fautes d’étourderie dans les devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités ;
  • A souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux ;
  • Semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement ;
  • Souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses devoirs scolaires, ses tâches domestiques ou ses obligations professionnelles (non dû à un comportement d’opposition ni à une incapacité à comprendre les consignes) ;
  • A souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités ;
  • Souvent évite, a en aversion, ou fait à contrecoeur les tâches qui nécessitent un effort mental soutenu (comme le travail scolaire ou les devoirs à la maison) ;
  • Perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses activités (jouets, cahiers, crayons, livres, outils) ;
  • Souvent se laisse facilement distraire par des stimuli externes ;
  • A des oublis fréquents dans la vie quotidienne.

Je ne suis pas pédopsychiatre hospitalier. Mais avec des critères aussi… vagues et communs, qui dépendent du vécu de l’entourage de l’enfant, comment ne pas mettre en doute ce type de diagnostic ?

Je ne suis pas non plus parent d’un enfant hyperactif. Et je crois que certains présentent de très grandes difficultés, et que ce handicap est très dur à vivre pour toute la famille, et que l’enfant a besoin d’être aidé par des moyens variés, y compris médicamenteux. Mais je parle pour beaucoup d’enfants diagnostiqués TDAH, mis sous méthylphénidrate, par économie (de temps, de moyen, d’attention). 

Au cours de discussions enflammées avec Mme Déjantée, nous sommes néanmoins arriver à une conclusion, sous forme de question : Quand on donne de la Ritaline à un gamin, c’est pour quoi faire ? Est-ce pour le soigner, le faire se sentir mieux ? Est-ce pour soulager la famille ? Les éducateurs ? Et si c’est le cas, est-ce tolérable que cela soit l’enfant qui prenne un médoc pour soulager d’autres personnes ?

Et si, finalement, au lieu d’aider les enfants atteints de TDAH, le rôle de la ritaline, c’était de les rendre plus conformes aux attentes de la société, des parents, et des établissements scolaires ? Plutôt que dépenser des trésors d’énergie et de moyen humain pour prendre en compte ces enfants différents, pourquoi ne pas les endormir un peu ? (Pour avoir la paix…)

Sources :

 

Les additifs alimentaires et l’hyperactivité. Où en est-on ?

Les additifs alimentaires, ces fameuses molécules au nom de code commençant par le célèbre « E » font régulièrement parler d’elle. Il y a pas si longtemps, j’ai encore vu passer des « rumeurs » sur leur dangerosité, en particulier sur leur possible cancérogénicité. Ce n’est pas de ce soucis là dont je vais parler, mais des liens supposés entre ces additifs et l’hyperactivité. Relançant une hypothèse datant de 1975, une équipe de chercheur a publié en 2007 un article dans la prestigieuse revue The Lancet, mettant directement en cause des cocktails de ces additifs dans l’hyperactivité d’enfants de 3-4 ans, et de 8-9 ans.

CoraRoZ, dans sa participation aux Vendredis Intellos du 9 décembre, relaie ainsi deux éléments d’importance. Le premier est la demande d’interdiction de ces additifs par l’Association Belge des Consommateurs en cette fin d’année 2011, et le second est la demande du parlement européen d’étiqueter une mise en garde sur les produits en contenant, dès 2008.

Ces deux points sont intéressants. Le premier pose la question fondamentale de la sécurité des produits de l’industrie agro-alimentaire. Nous allons y revenir longuement. Pour le second, je rejoins des deux mains les commentaires de CoraRoZ et Mme Déjantée, qui s’offusquent de ce type de décision : on continue d’autoriser ces produits, mais on y adjoint une mise en garde… Soyons clair, soit ces additifs sont effectivement dangereux, et leur interdiction doit être une évidence, soit ils ne le sont pas, et dans ce cas, une mise en garde est malhonnête. Ce n’est pas au consommateur de faire ce choix, en surveillant chacun de ses plats et boissons, mais bien aux pouvoirs publics !

Revenons sur ces additifs, et les études qui les mettent en cause. La première date de 1975 effectivement. Ayant réuni un panel d’enfants hyperactifs, le Dr Feingold et son équipe leur ont proposé un régime alimentaire exempt d’additifs alimentaires, et ils ont observé une amélioration des symptômes de ce trouble du comportement. Ces travaux ont ensuite été de nombreuses fois repris, et ce sont une trentaine d’articles scientifiques qui ont été publiés depuis, dont le dernier (à ma connaissance) en 2007. En complément de ces études, les autorisations de ces additifs, ainsi que leurs doses maximales journalières tolérées, ont été maintes fois revues. Oui, à chaque fois qu’une étude scientifique est publiée sur un sujet aussi sensible, les agences nationales et/ou supranationales de sécurité alimentaire sont aussitôt saisies, pour produire très rapidement de nouvelles recommandations [Pour info, c’est le cas pour les parabènes, l’aspartame, etc… Et vous pouvez retrouver quelques uns de ces rapports, résumés et simplifiés en français sur le site http://www.greenfacts.org ].

Et ainsi l’EFSA, l’agence de sécurité alimentaire européenne a produit un rapport de 50 pages en 2008, écrit par 18 « experts » déclarant ne pas avoir de conflits d’intérêts sur le sujet, sur la pertinence de l’article publié  en 2007 par McCann et son équipe.

Entrons dans le vif du sujet. L’étude qu’à mené l’équipe de McCann consiste à donner à des enfants « normaux », soit un placebo, soit deux mélanges distincts de 4 colorants alimentaires et du benzoate de sodium (conservateur présent… partout). Les précautions méthodologiques ont consisté à faire une étude en double aveugle, si bien que ni les parents, ni les enfants, ni même les chercheurs qui donnaient les mélanges ne pouvaient savoir si c’était le placebo ou le mélange « actif » qui étaient consommés chez tel ou tel enfant. L’hyperactivité des enfants a été évaluée par leurs parents, leurs enseignants, ou éventuellement un chercheur extérieur. Les résultats présentés montrent une augmentation globale du score indiquant des troubles de type « hyperactivité » chez les enfants de 3-4 ans et chez les enfants de 8-9 ans testés, par rapport au placebo.

Le soucis, c’est qu’une fois encore, cette étude souffre de nombreux problèmes méthodologiques, ou d’interprétation des résultats, qui ont été soulignés et évalués par le panel d’expert de l’EFSA, qui a donc maintenu ses conclusions de sécurité sur les additifs concernés. Les doses maximales admises pour ces additifs sont inchangées, et sont dictées par leur toxicité, et non par leur implication dans d’éventuels troubles du comportements.

Voici la liste des biais relevées, (mal) traduite en français :

• « la cohérence limitée des résultats à l’égard de l’âge et le sexe des enfants, le
effets des deux mélanges d’additifs testés et le type d’observateur (parent, enseignant ou observateur indépendant);
• la pertinence clinique inconnue de la nouvelle métrique, le score GHA;
• la pertinence inconnue de l’effet dû au petit effectif (comme l’a également vu dans la méta-analyse des études par Schab et Trinh, (2004));
• le fait que l’étude n’a pas été conçu pour identifier les effets des différents
additifs
• un manque d’information sur le lien dose-réponse;
• l’absence d’un mécanisme biologiquement plausible pour l’induction d’effets comportementaux de la consommation d’additifs alimentaires. »
Effectivement, si l’étude a bien été menée en double aveugle, des biais statistiques apparaissent : sans entrer dans les détails, la ligne de base a été un peu truandée, en prenant une ligne de base moyenne et en mesurant les écarts au score mesurant l’hyperactivité de façon individuelle, ce qui a eu pour effet d’amplifier les cas positifs.
De plus, l’évaluation des troubles du comportement a été confiée à des personnes non qualifiées : parents et profs en particulier, et il a été observé dans de nombreuses études précédentes un vrai écart entre cette évaluation et celle de psy spécialisés. Pour évaluer cette hyperactivité, les chercheurs ont aussi utilisé une nouvelle métrique, le « score GHA », dont la pertinence n’a jamais été étudiée.
Des graves incohérences quant aux résultats mettent aussi le doute : Si le mix A (et pas du tout le mix B !)  semble avoir quelques effets chez les 3-4 ans, c’est l’inverse pour les 8-9 ans !  C’est quand même ennuyeux…
Enfin, deux éléments supplémentaires vont dans le même sens :
  • Il n’y a pas d’étude de dépendance des symptômes en fonction des doses consommées, ce qui est un élément de crédibilité scientifique majeur.
  • Depuis 36 ans, aucun mode d’action biologique expliquant un tant soit peu ce lien entre hyperactivité et additifs alimentaires n’a pu être proposé, même par ceux qui sont persuadés de la nocivité de ces derniers… [Il faut dire que si on regroupe ces espèces chimiques sous le même terme « d’additif », elles ont des structures moléculaires très variées, ce qui a pour conséquence des actions sur l’organisme forcément très variées aussi…]
La question de l’hyperactivité semble ici écartée, si on fait confiance aux « sages » de l’EFSA. Evidemment, on n’est jamais sûr qu’il n’y ait pas de grossières manipulations, mais le rapport est bien détaillé, et m’inspire, scientifiquement parlant, confiance. Certes, les politiques subissent de multiples pressions de lobbies industriels qui pourraient fausser leurs points de vue. Mais ce qu’on observe actuellement, c’est plutôt le phénomène inverse : malgré l’absence de preuve tangible sur la dangerosité de certaines substances comme les parabènes, des lois sont en train d’être votées pour les interdire…

Néanmoins, au-delà de la nocivité éventuelle de ces nombreuses substances, vient la question de notre alimentation. Quel besoin avons-nous que notre sirop de menthe soit vert, que notre boisson préférée soit orange, et que nos céréales soit riches en exhausteur de goût ? Ces additifs transforment notre façon de voir nos assiettes, au risque de ne plus « comprendre » et apprécier un plat réalisé de façon traditionnelle.

Là réside peut-être le vrai danger.

Sources :

  • « Food additives and hyperactive behaviour in 3-year-old and 8/9-year-old children in the community : a randomised, double-blinded, placebo-controlled trial » D. McCann et al. Lancett,  2007, 370 (9598), 1542
  • « Scientific Opinion of the Panel on Food Additives, Flavourings, Processing Aids and Food Contact Materials (AFC) on a request from the Commission on the results of the study by McCann et al. (2007) on the effect of some colours and sodium benzoate on children’s behaviour« . The EFSA Journal, 2008, 660, 1-54.