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[Flash Info Chimie] #28 L’urine des astronautes pour recharger les portables ?

L’info a déjà été reprise, et tout à fait correctement, mais je ne résiste pas à la tentation d’en faire un petit billet aussi… (Et désolé pour le titre*, il m’est venu tout seul )

Imaginez la scène : 3 astronautes sont envoyés sur Mars. Le voyage dure 180 jours. Pendant ces 180 jours, les astronautes vont uriner chacun environ 1,5 L (estimation de la NASA. Voir la publication en référence). Cela fait, en tout 810 litres d’urine. Dans une mission où chaque gramme compte, il est impensable de ne pas tenter d’exploiter au maximum ce produit.

Actuellement, c’est la distillation qui permet de récupérer de l’eau potable à partir de cette urine. On la fait bouillir, on récupère les vapeurs d’eau (les autres constituants, moins volatils, se concentre dans le liquide restant), que l’on recondense pour obtenir l’eau, et on brûle ce qui reste. Cette méthode, comme vous le lirez un peu partout, est gourmande en énergie (il faut chauffer, brûler,…). Et puis le processus n’est pas aussi simple que sur Terre : chez nous, quand on fait bouillir de l’eau, les vapeurs montent, et il est donc facile de les séparer du liquide. Si elles montent, c’est qu’elles sont moins denses que l’air : les forces de gravitation qu’elles subissent sont plus faibles que celles qui s’exercent sur l’air. L’air descend, la vapeur d’eau chaude monte.

Mais en apesanteur, il n’y a, par définition, plus (ou presque) de gravité : les vapeurs ne « montent » pas, ne se séparent pas du liquide ! Du coup, on chauffe en centrifugeant en même temps : l’eau est repoussée sur les bords, pendant que les vapeurs se retrouve au centre de la centrifugeuse, et peuvent être récupérées. Ouf ! On finit par y arriver. Mais il faut de l’énergie pour chauffer et centrifuger, et il faut de la place pour a centrifugeuse.

Heureusement, il existe un autre procédé de purification, moins coûteux en énergie, et plus « flexible » : il s’agit d’utiliser le phénomène d’osmose inverse. Sans entrer dans les détails, il s’agit de filtrer l’eau à l’aide d’une paroi semi-perméable laissant passer l’eau, mais pas les espèces chimiques dissoutes dedans : on obtient d’un côté de l’eau pure, de l’autre une solution d’urine concentrée. La consommation d’énergie est beaucoup plus faible, même si cette filtration doit s’effectuer avec une pression importante.

Dans cette publication, du journal Sustainable Chemistry Engeneering, C.R. Cabrera et son équipe va plus loin : plutôt que de se débarrasser de l’urine concentrée, ils proposent de l’utiliser pour produire de l’électricité.

Le constituant principal de l’urine, mis à part l’eau, est l’urée (CO(NH2)2). L’idée (qui n’est pas nouvelle en réalité), est de l’utiliser pour synthétiser de l’ammoniac (NH3) :

CO(NH_{2})_{2} + H_{2}O \longrightarrow 2 NH_{3} + CO_{2}

 (Cette réaction est bien connue de ceux qui ne nettoient pas bien leurs toilettes, qui se mettent alors à sentir très fort… l’ammoniac. Dans la publication, cette réaction est catalysée par des enzymes, des uréases, qui lui permette d’être rapide, et controlée)

Cet ammoniac peut ensuite servir de « carburant » pour une pile à combustible (ce qui n’est pas non plus nouveau), et ainsi produire de l’énergie, en réagissant avec du dioxygène. Les seuls déchets sont alors du diazote N2 et de l’eau.

4NH_{3} + 3O_{2} \longrightarrow 2N_{2} + 6H_{2}O

Pour résumer ces travaux : rien de nouveaux sous le soleil. Le principe d’osmose inverse et les réactions chimiques sont bien connues, comme la pile à combustible à ammoniac. Ce qui est tout de même intéressant, c’est que les auteurs apportent là une « preuve de concept » sur un procédé global, depuis l’urine jusqu’à l’eau potable et l’énergie, dont la technologie est au point, et les rendements acceptables pour un système embarqué… Pour aller jusqu’à Mars ?

« Evaluation of a Urea Bioelectrochemical System for Wastewater Treatment Processes » E. Nicolau et al.ACS Sustainable Chem Eng 2014, 2, 749-754.

* Pour une explication du titre, vous pouvez aller voir ici par exemple

Sur le même sujet, vous pourrez lire :

Sur le principe de l’osmose, et de ses applications :

Sur un autre exemple de problème avec les liquides et les gaz en apesanteur :

 

[Flash Info Chimie] #18 Scandale alimentaire : les frites meilleures sur Jupiter que sur la Terre

Certaines informations capitales, parues dans des revues scientifiques spécialisées, passent parfois inaperçues. C’est le cas, pour ce numéro spécial de « Flash Info Chimie« . Mes ami(e)s, confrères, consoeurs, camarades, l’heure est grave. Oui, un scandale gastronomique est en cours, et on nous cache tout.

Les frites fabriquées sur Jupiter seraient meilleures que les frites terriennes.

Ça m’a fait le même choc qu’à vous. Nous sommes là, sur Terre, à nous demander si les « French Fries » sont meilleures dans l’hexagone ou en Belgique, alors qu’à quelques centaines de millions de km de là, on en fait de bien meilleures (ou plutôt on en ferait, si une friteuse pouvait y être envoyée). C’est le résultat d’une étude ca-pi-ta-le publiée dans la très sérieuse revue Food Research International réalisée par Lioumbas et Karapantsios.

Revenons un peu aux bases scientifiques de la friture, pour mieux comprendre ce complot interplanétaire. Ce qui fait toute la qualité d’une bonne frite, c’est sa croûte. Dorée à point, mais surtout bien épaisse, uniforme, pour garantir tout le croustillant et la tenue de la frite. La base de toute friture bien réussite réside donc dans la réalisation d’une croûte parfaite.

Divers paramètres ont déjà été étudiés : nature de l’huile, taux d’humidité et d’amidon dans la pomme de terre, … Mais jusqu’alors, aucune forme de concurrence interplanétaire n’avait pu voir le jour. Jusqu’à ce que l’ESA, (Agence Spatiale Européenne) se penche un peu plus sur la nourriture des astronautes, qui se plaignent trop souvent de manger des ersatz déshydratés peu ragoûtant… Et qui aimeraient bien des frites pour leur remonter le moral lors des missions longues, par exemple ! (Euh, ça, c’est vrai de vrai, hein, et c’est au 2e paragraphe de la 2e page de la publication). C’est ainsi l’influence de la gravité, variant d’une planète à l’autre qui a été étudiée ici.

Soyons clair : pour les astronautes, ce qui importe, c’est de savoir si on peut avoir des bonnes frites bien croustillantes en micro-gravité : en voyage dans l’espace, en orbite autour d’une planète, la situation est bien plus proche de l’absence de gravitation, que d’une hyper-gravité, comme on pourrait le trouver sur une planète comme Jupiter. il n’empêche, on ne sait jamais. Et puis, une hyper-gravité est plus facile à simuler qu’une micro-gravité : il suffit d’utiliser une centrifugeuse ! Dans cette étude, c’est la LDC (Large Diameter Centrifuge) de l’ESA qui a été utilisée.

Les boîtes rouges contiennent les expériences. Et ici... la friteuse (source : ESA)

Les boîtes rouges contiennent les expériences. Et ici… la friteuse (source : ESA)

Avant de passer aux résultats, accablants pour notre planète, pourtant mère de toute gastronomie, on peut se demander pourquoi, mais pourquoi donc la gravité peut avoir une quelconque influence sur la friture ? La réponse se trouve au coeur des échanges de chaleur entre la frite et son huile : pour que la frite puisse cuire, et former la croûte que chacun réclame, il faut qu’elle atteigne des températures de l’ordre de 150 °C. Bref, il faut que le milieu dans lequel elle se trouve lui transfère de l’énergie thermique de la façon la plus efficace possible.

Le soucis, c’est que l’huile, en cédant son énergie à la frite, va refroidir. Celle qui se trouve à proximité immédiate du bâton de pomme de terre doit soit à son tour être réchauffée par l’huile située un peu plus loin (et ainsi de suite, ce qui correspond au phénomène de conduction thermique), soit être déplacée, et donc remplacée par de l’huile plus chaude (ce qui correspond au phénomène de convection).

Evidemment, la conduction thermique est un phénomène beaucoup plus lent, et donc beaucoup moins efficace que la convection. C’est par exemple la raison pour laquelle il y a des ventilateurs dans les ordinateurs : pour refroidir, mieux vaut renouveler l’air, plutôt qu’attendre que l’énergie thermique se diffuse peu à peu dans les milieux immobiles.

Lors de la friture, deux processus en particulier permettent une convection efficace de l’huile. Naturellement, le fluide le plus chaud est aussi le moins dense. Il va donc s’élever dans la friteuse, puis se refroidir au contact de l’air, avant de replonger vers le fond, où il va à nouveau être chauffé, etc… Une petite vidéo toute simple pour visualiser :

Regardez directement à 1min37 pour visualiser les mouvements de convection

L’autre processus qui permet les mouvements de convection lors de la friture, est liée à la formation de petites bulles de vapeur d’eau à la surface de la frite. Petites bulles qui vont ensuite se détacher pour remonter à la surface. C’est en fait ce phénomène qui provoque le plus de mouvements dans l’huile. Vous savez bien, ce moment gênant où votre friteuse (ou casserole) trop remplie d’huile déborde à cause de toutes les bulles qui se forment !! J’ai trouvé de jolis exemples chez nos amis outre-Atlantique :

J’ai ainsi appris que Thanksgiving était le jour aux accidents domestiques les plus spectaculaires au USA (quelques accidents sur cette vidéo) !

La gravité est la cause de ces deux mouvements de convection :

– L’huile chaude est moins dense, donc, à volume égal, plus légère que l’huile froide. Cette dernière subit une force d’attraction gravitationnelle (appelée Poids sur Terre) plus importante, tombe donc au fond du récipient,  pendant que la chaude remonte à la surface. En absence de gravité, que l’huile soit plus ou moins dense n’importe pas sur sa position, puisqu’elle n’est plus attirée par une planète / étoile / astre quelconque. Par contre, en hypergravité, L’écart entre le poids de l’huile chaude et l’huile froide augmente, ce qui provoque une accélération des phénomènes de convection

– L’explication pour les bulles de vapeur d’eau sont similaires : en simplifiant à l’extrême, les bulles sont soumises à leur poids, et à la poussée d’Archimède. La force résultante est verticale, vers le haut, et on peut écrire son expression :

 F = (ρhuile – ρvapeur) x Vbulle x g

Explication de texte : ρhuile est la masse volumique de l’huile (environ 920 kg/m3), et ρvapeur est celle de la vapeur d’eau (environ 0,6 kg/m3). Vbulle est le volume de la bulle, et g l’intensité de la gravité.
En cas de micro-gravité ( g proche de zéro), il n’y a plus de forces qui s’exercent sur la bulle : elle ne bougera pas, et donc ne provoquera pas de mouvement de convection de l’huile. Par contre, la force proportionnelle à l’intensité de la gravité, sera d’autant plus grande que g est grand.

Ainsi, plus la gravité est importante, plus il y a de convection, ce qui signifie des échanges thermiques plus efficaces. Les expériences menées dans la centrifugeuse de l’ESA confirment tout à fait ces résultats. Pour le même temps de cuisson, la croûte est de plus en plus épaisse lorsque la gravité augmente. Cependant, les essais à une gravité de 6 et 9 fois celle de la Terre, la croûte se sépare de la pomme de terre, à cause de grosses bulles de vapeurs qui se forment dans son coeur. Et c’est donc à une gravité proche de celle de Jupiter (3 fois celle de la Terre) que la croûte est la plus épaisse, tout en restant bien uniforme.

Frite bla bla

La croûte d’une frite (entre la ligne blanche et la ligne rouge). On voit qu’à 3 fois la gravité terrestre, la croûte a une épaisseur optimale. Au-delà, on voit une grosse cavité sous la croûte. (source)

Alors voilà. La frite produite à la surface de Jupiter est la meilleure du système solaire. Ça y est, c’est prouvé. Après que la gastronomie française, et la washoku japonaise ont été classés patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, faudra-t-il un jour élever la friture jupitérienne au rang de… Non, laissez tomber.

« Effect of increased gravitational acceleration in potato deep-fat frying » John S. Lioumbas, Thodoris D. Karapantsios, Food Research International 2014, 55, 110-118