C’est terrible ! Une IMMENSE catastrophe est sur le point d’arriver. Oui, les hommes et femmes, dans leur folie, ont inventé une véritable machine à tuer, à affamer la terre entière. Exit le nucléaire, la finance internationale, la Corée du Nord, Le Proche-Orient, ou le réchauffement climatique. Ce sont des broutilles, comparées à l’ARME AGRICOLE ABSOLU : l‘agriculture biologique. [C’est vrai que cette chute est un peu décevante.]
Alors, redescendons un peu sur la Terre. C’est en lisant le titre d’un article paru dans Nature que j’ai avalé de travers ma purée de panais biologique locale et équitable : « Organic Farming is Rarely Enough« . Non, sérieusement, l’agriculture biologique est « rarement suffisante » ? Suffisante à quoi ? La chose qui vient en tête, nécessairement, c’est la fameuse question de la production de nourriture pour la population mondiale, aujourd’hui de 7 milliards d’habitants, et demain… Demain combien, d’abord ?
D’après les prévisions de l’ONU, nous serons, dans le scénario moyen, 9 milliards en 2050, 10 milliards en 2100, ce qui constituera un maximum absolu. Le scénario « bas » tend vers une diminution de la population mondiale, à 6 milliards en 2100, et le scénario « haut » vers une augmentation autour de 15 milliards à la fin du siècle. La difficulté réside donc dans le choix du bon scénario. Un démographe interviewé par France Inter il y a quelque mois penchait pour une population inférieure à 10 milliards en 2100, rappelant que depuis les années 1970, toutes les estimations de l’ONU ont systématiquement été revues à la baisse…(Hélas, je n’ai aucune idée du nom du démographe en question, ni de ses sources…) Mais retenons un scénario moyen, pour la suite du raisonnement.
Quelle est donc la capacité de production agricole sur notre bonne vieille Terre ? Je me demande qui pourrait avoir la malhonnêteté intellectuelle de répondre par des chiffres précis à cette question ! La FAO tente néanmoins des projections pour répondre à cette question. Le document « Comment nourrir le monde en 2050 » est par exemple assez intéressant, et reflète les idées qu’on retrouve dans les autres papiers : la question des ressources agricoles mondiales ne se pose pas vraiment. La Terre a largement les moyens de nourrir les futurs 9 milliards d’humains. Les zones agricoles non exploitées sont nombreuses (et on ne parle pas ici de zones actuellement protégées, mais bien de zones « réellement disponibles ». Je reviendrais là dessus un peu plus bas), et les marges de progression en terme de rentabilité sont importantes.
Mais voilà, la réalité, c’est que plus de 800 millions de personnes dans le monde souffrent de sous-nutrition ou de malnutrition. Les raisons sont bien sûr politiques et économiques : terres cultivables en pleines zones de conflits, guerres où la faim est une arme, main-mise de multinationales sur les terres arables, … (Vous pouvez lire à ce sujet, si vous avez le coeur bien accroché, l’excellent « Destruction massive. Géopolitique de la faim« , Le Seuil, de J. Ziegler, ancien rapporteur spécial à l’ONU sur la question du droit à l’alimentation). Une explication, qui me semble, à titre personnel, « annexe » pour l’instant, réside dans le gaspillage alimentaire : la FAO estime à 30 % la quantité de ressources agricoles gâchées avant consommation. Perdues par manque d’infrastructure agricoles (les grains pourissent en bordure des champs en attendant un mode de transport), par gaspillage de la part de tous les maillons, depuis l’agro-industrie, jusqu’à dans notre frigo. Là où j’estime que ce problème est secondaire actuellement, c’est qu’il existe un gros décalage entre les pays développés, où 40 % environ des ressources agricoles sont détruites avant consommation, et les pays en voie de développement, où ce sont seulement 6 % des ressources qui sont perdues (source : FAO : Global Food Losses and Food Waste, 2011). Les pays qui sont le plus en « insécurité alimentaire » ne sont pas ceux qui gaspillent. Avec les capacités actuelles de production, pour la population actuelle, ce problème, pour moi, intervient à la marge, par rapport aux enjeux politico-économique qui affament.
Revenons à l’agriculture biologique. Nature a donc publié une meta–analyse sur les rendements de l’agriculture biologique comparés à ceux de l’agriculture conventionnelle. Pas de surprise, l’agriculture biologique produit des rendements plus faibles. Si on considère une moyenne mondiale, les rendements sont environ 20 % plus faibles. Ces rendements varient beaucoup, en fonction des espèces cultivées et de la qualité de l’environnement agricole. Pour les parcelles pauvrement irriguées, le facteur limitant est l’apport en eau. L’agriculture conventionnelle ne fait pas beaucoup mieux que le bio. A contrario, lorsque les sols sont pauvres, ou trop acides ou basiques, c’est l’agriculture conventionnelle qui fait mieux, grâce à un apport supplémentaire d’azote et de phosphore par les engrais « chimiques ». En considérant des pratiques biologiques optimales, les rendements diminuent en moyenne de 13 %.
Cet article permet ainsi d’analyser plus finement les améliorations à apporter à l’agriculture biologique. Mais en aucun cas il ne met en avant les insuffisances du bio !
La question de la sécurité alimentaire est un enjeu mondial majeur, spécialement avec une population qui augmente. Mais la question ne semble pas être « pourra-t-on produire suffisamment ? », mais plutôt comment faire pour que tout le monde puisse avoir accès à ces ressources agricoles. Certains posent de la même manière la question de la consommation de la viande, qui serait une des sources de l’épuisement des ressources. Je les renvois à cet article de Science d’il y a 2 ans, qui affirme finalement que l’impact d’une baisse de la consommation de la viande serait complètement négligeable face à la problématique de la sécurité alimentaire.
Finalement, cette problématique est assez semblable à celle de l’eau potable : il y en a, et il y en aura assez pour tous, mais pour des raisons économiques, géopolitiques, des millions de personnes en sont privés. Alors, cessons d’agiter le chiffon rouge, de nous faire peur avec ce malthusianisme latent. Et attaquons-nous aux véritables problèmes économiques, sociaux, politiques, et non technologiques, pour l’agriculture et les ressources vitales .
[Je recommande chaudement le numéro spécial de Science sur la sécurité alimentaire, qui éclaire quelques points de cette question fondamentale de la sécurité alimentaire]