Quand Marie-Paule Teulade-Fichou publie un article dans la revue Angewandte, cela ne se rate pas. En fait, j’aime bien M.-P. Teulade. Parce que c’est une copine à mon ancien directeur de thèse, et qu’elle a travaillé sur des molécules assez similaires à celles qui m’intéressaient à l’époque. Et aussi parce qu’elle a eu l’intelligence de remettre profondément en cause les pré-supposés scientifiques dans son domaine de spécialisation.
C’est qu’elle, et son équipe, travaille sur la mise au point de composés qui ciblent, et qui stabilisent les « quadruplexes de guanine ». Ces structures ont été découvertes in vitro, avant d’être mises en évidence in vivo récemment. Elles sont présentes à plusieurs niveaux dans l’ADN, et en particulier à ses extrémités, où l’ADN est localement « simple brin » (on n’a plus une double hélice, mais… une simple) Un petit schéma pour essayer de mieux voir :
Lorsqu’on a découvert que les G4 pouvaient se trouver à l’extrémité des chromosomes (au niveau des « télomères »), on s’est dit qu’ils pouvaient, s’ils étaient stabilisés, inhiber la télomérase, une protéine qui bloque l’horloge biologique et permet aux cellules cancéreuses d’être immortelles. Manque de pot, ça ne marche pas très fort.
Par contre, la stabilisation de ces structures présentes aussi au coeur de l’ADN peut provoquer la suppression de la traduction de deux oncogènes (impliqués dans la survenue de cancer). donc les molécules stabilisatrices ont un intérêt biomédical certain. J’avais abordé en deux billets la question des télomères, de la télomérase, et des ses inhibiteurs (et par ici pour la seconde partie)
Dans cet article, l’équipe de Teulade-Fichou a mis au point de nouveaux stabilisateurs de G4 (il en existe déjà quelques uns, voir dans mes billets cités plus haut). Leurs intérêts est d’être activés par irradiation aux UV. Vous imaginez la situation (idéalisée, bien sûr) : ces composés, inoffensifs au départ, vont partout dans le corps, dans les cellules cancéreuses comme dans toutes les autres. Mais on éclaire aux UV la tumeur : là ils deviennent hyper-agressifs, et bloquent l’ADN sous forme de G4 : les cellules tumorales meurent, et le patient… survit ! Cette technique a déjà fait ses preuves dans les laboratoires de recherche, mais j’avoue ne pas avoir fait de recherche approfondie pour savoir si cela a déjà été testé sur l’homme. (on peut trouver par exemple un brevet sur la question). Les chercheurs sont plus prudents, et parlent ici d’un outils pour la recherche en biologie, même si in vitro, l’inhibition des cellules cancéreuses (lignées MCF7 (cancer du sein) et A549 (cancer du poumon) est déjà intéressante.
Alors les voilà, ces loup-garous prêts à ce transformer en tueurs de cellules dès que la pleine lune (heu…, des UV) les éclairent :
Une dernière chose, et non des moindres : ces stabilisateurs de G4 montrent in vitro une sélectivité pour les différents quadruplexes de guanine, en fonction de leur emplacement dans l’ADN, en bout de chaîne (au niveaux des télomères) ou au milieu de l’ADN. Il s’agit là d’une première dans ce type de composés, et permettra, espèrent les auteurs, de mieux comprendre le rôle de ces structures dans l’expression, la protection de l’ADN.
« Photo-Cross-Linking Probes for Trapping G-Quadruplex DNA » D. Verga, Angew. Chem. Int. Ed. 2013, Early View