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Retour sur la chimie prébiotique, S.Miller et les autres… (2)

Alors comme ça, l’expérience de S. Miller, qui a le mérite de tester une hypothèse intéressante de constitution de la « soupe primitive » grâce à l’atmosphère terrestre, ne correspond sans doute pas à la réalité de la Terre de l’époque (voir la première partie). Il faut chercher plus loin. Ou plus profondément. Si ce n’est pas dans le ciel, reste la terre ferme et l’eau. La terre, on oublie : il faut que les molécules puissent se déplacer au grès de leur formation, s’accumuler par endroit, diffuser ailleurs, ce qui va être impossible sur un support solide.

Depuis environ trente ans, on se pose ainsi la question de la formation de molécules organiques prébiotiques dans l’eau. Plus précisément, ce sont les sources hydrothermales qui suscitent le plus d’intérêt.

Alors il faut bien imaginer l’enfer que représente ces sources, appelées aussi fumeurs noirs : de l’eau de mer s’est infiltrée jusqu’à plusieurs centaines de mètre sous la roche, se réchauffant à proximité du magma terrestre, et remonte à des températures supérieures à 350 °C, des pressions de plusieurs centaines de bars, en ayant au passage dissout diverses substances minérales. En voilà un joli schéma (voir aussi le site de l’IFREMER)

En fait, ces conditions extrêmes ne sont pas réellement un obstacle à la vie . En témoigne les vidéos, photos prélèvement qui ont été effectués depuis les premières observations en 1977 (voir la photo suivante, et les colonies d’anémone blanche au pied de la source hydrothermale). Crevettes, vers géants côtoient étoiles de mer et poissons… Tout ce petit monde fonctionne grâce à la chimiosynthèse (basée sur  l’exploitation de l’énergie chimique des composés issus des fumeurs), par opposition à la photosynthèse (basée sur l’énergie lumineuse). Alors, pourquoi ne pas chercher là-bas les traces des premières molécules organiques ?

Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps. Pour beaucoup de scientifiques, cela ne fait pas de doute: la vie est née à proximité de ces sources hydrothermales, dans l’obscurité, à une profondeur comprise entre 500 et 5000 m.

Et les arguments ne manquent pas : les conditions d’expériences de S. Miller, ces mêmes qui ont conduits aux acides aminés, se retrouvent dans les émanations de ces sources chaudes. En effet, on a bien du méthane, du dihydrogène, de l’eau, peu de CO2. Pas de lumière UV, ou de décharges électriques, mais de l’énergie thermique autant qu’on veut.

[Le problème de cette énergie thermique, c’est qu’à ces températures là (300°C) , les acides aminés et autres briques élémentaires de la vie sont très vites dégradés. Mais il ne faut pas oublier que l’eau tout autour des fumeurs est à 2°C, et que des échanges existent évidemment, ce qui, pour moi, permet de lever cette objection].

Tout comme l’expérience de Miller alors ? Non, encore mieux. Non seulement la variété des éléments chimiques disponible est beaucoup plus grande que dans l’atmosphère imaginée à l’époque (avec en particulier des apports en souffre, indispensables pour certains acides aminés comme la cystéine), mais en plus, on a plein de métaux et de minéraux variés présents. Ceux-ci peuvent servir alors de catalyseurs de réactions chimiques plus avancées, permettant, à partir de quelques molécules organiques simples, obtenir des assemblages complexes nécessaires.

[En particulier, compte tenu des propriétés catalytiques de la pyrite,  G. Wächterhauser et son équipe a imaginé des premiers êtres vivants qui ne seraient pas cellulaires, mais utiliseraient directement leur support, la pyrite, pour réaliser les réactions nécessaires à l’auto-réplication.]

Les scientifiques ont eu déjà la joie de découvrir des composés organiques  dans les fumeurs, et de plus de démontrer leur production abiotique (produite sans intervention d’espèces vivantes) (Source). Bien sûr, dans ce domaine, rien n’est parfaitement sûr, et en particulier les chemins détournés empruntés par la vie pour émerger ne sont pas connus. Les expériences in vitro sont compliquées, tant les conditions au niveau des sources hydrothermales sont dures. Quant aux observations directes, elles sont délicates à – 2000 m !

Il y a un point encore non évoqué ici qui est en faveur des sources hydrothermales : Dans les documents évoquant la chimie prébiotique et l’expérience de S. Miller, on se focalise sur les acides aminés, briques des protéines. On oublie complètement une idée très importante : les protéines ne peuvent pas, ou de façon très (trop) complexe, contenir un code génétique lisible. Cela, c’est  l’apanage de l’ADN, ou de l’ARN. Et un consensus de plus en plus large plaide vers une apparition de la vie basée sur l’ARN, qui pourrait à la fois contenir le « code », et être capable de le lire, traduire, répliquer (Voir ici pour les propriétés catalytiques de l’ARN). Les expériences dans différentes atmosphères ont complètement échoué dans la formation des briques élémentaires de ces longues macromolécules, sauf en faisant intervenir des situations complexes où des minéraux terrestres rentrent en jeu par le biais de précipitation et évaporation de l’eau de pluie (voir à ce sujet le joli billet d’exobiologie.info )… Et il me semble qu’il est plus simple d’imaginer la synthèse de ces précurseurs à un endroit où, en permanence, se trouve les catalyseurs et les matériaux inorganiques nécessaires pour leur formation.

Bien sûr, les questions restent innombrables, et en particulier celle de la chiralité des espèces chimiques du monde vivant, mais l’essentiel semble être là. Tout est réuni pour que la vie naisse là, au coeur des océans.

Bon et après la constitution de cette soupe ? La suite, c’est l’auto-organisation, (déjà évoquée ici sur ce blog) puis…. le premier être vivant ?

PS : les amateurs d’exobiologie apprécieront particulièrement cette origine de la vie : en effet, pour ne citer que le plus connu, le satellite Europe de Saturne possède un immense océan, (sous 20 à 200 km de glace), qui pourrait abriter des sources hydrothermales. A quand une tentative de dialogue « homme de la Terre » -« crevette de Europe » ?

Sources :

Retour sur la chimie prébiotique, S. Miller et les autres…(1)

J’ai été très heureux de voir ce sujet de la chimie prébiotique (la chimie qui a permis à la vie d’apparaître) traité par les amis de www.podcastscience.fm, et de scienceetonnante.wordpress.com. J’aimerais y apporter ma petite contribution de (ex-) chimiste organicien.

Un certain consensus se dégage depuis grosso modo un siècle : la vie serait née d’une « soupe primitive », constituée d’un mélange désorganisé d’espèces chimiques complexes, qui, aurait peu à peu accédé à une certaine forme d’organisation, jusqu’à l’apparition d’un processus d’auto-réplication de macromolécules contenant un code génétique primitif.

Dans ce court paragraphe précédent résident toutes les grandes questions que se posent la chimie prébiotique. Comment s’est formée cette « soupe primitive », et de quoi elle est constituée ? Comment ses composants ont pu s’auto-organiser ? Quelles molécules ont pu acquérir ces propriétés auto-réplicantes nécessaires à une vie primitive, et dans quelles conditions ?

Aucune réponse définitive n’est apportée à chacune de ces questions. Et la diversité des hypothèses envisagées est immense.

Revenons ici sur la question de l’origine des composés de la soupe primitive. Oparine et Haldane ont proposé l’hypothèse géniale que les composés organiques à la base des êtres vivants, et en particulier les acides aminés (briques élémentaires des protéines, qui sont elles-mêmes, pour simplifier, les usines qui font fonctionner la moindre des cellules) pouvaient provenir de matière inorganique (en particulier présent dans une atmosphère primitive terrestre), activée par le rayonnement solaire. Une jolie hypothèse, qui a pu être éprouvée en 1953 par la célébrissime expérience de S. Miller et Urey, dont j’ai piqué à wikipedia le schéma :

Dans le ballon à gauche, est reproduite ce qu’on estimait être la composition de l’atmosphère primitive de la Terre, parcourue par des éclairs provoquées par des émectrodes (pour faire comme les éclairs). Et le résultat a été à la hauteur des espérances : tout plein d’acides aminés, et d’autres molécules organiques indispensables à la vie…

CQFD ?? Ben pas vraiment. En fait, pas du tout. Certes, il était démontré une nouvelle fois que les molécules de la vie pouvaient être issues de matière inorganique, ce que l’on sait depuis 1828 et la synthèse de l’urée par Wöhler. Plus précisemment, l’atmosphère primitive, « activée » par les éclairs, a permis la synthèse d’acide cyanhydrique et de formaldéhyde, qui permet de former des acides aminés par la synthèse de Strecker, et tout ça à partir de méthane, dihydrogène, monoxyde de carbone, eau, et ammoniac.

Oui, sauf que voilà, il y a d’immenses chances pour que la composition de l’atmosphère primitive réelle ne ressemble pas du tout à cela. Au lieu d’un mélange ammoniac, méthane, dihydrogène, monoxyde de carbone (NH3, CH4, H2, CO), on aurait plutôt eu un mélange diazote, dioxyde de carbone et eau (N2, CO2, H2O).

En fait, alors que N2, CO2 et H2O sont très stables, l’ammoniac NH3, et le méthane CH4 sont rapidement dégradés dans l’atmosphère sous les rayonnements solaires. Quant au dihydrogène H2, trop léger, il a tendance à s’échapper rapidement de l’attraction terrestre… Si dans ces deux hypothèses les éléments chimiques présents sont les mêmes, la seconde est donc constituée de gaz stables, ce qui en fait l’hypothèse généralement admise. Le soucis, c’est que dans ce cas, l’expérience de S. Miller ne fonctionne pas, même en remplaçant les décharges électriques par un intense rayonnement UV.

Les partisans fervents de Miller et Oparine ont néanmoins une petite parade. Il se trouverait qu’éventuellement on pourrait peut-être faire l’hypothèse qu’après l’énorme collision entre la Terre et un astéroïde de la taille de Mars, qui a permis la formation de la Lune, on ait eu un équilibre précaire durant quelques millions d’années permettant la compensation de la perte de ces gaz (CH4, NH3, H2) par, en particulier, un apport extérieur lié à un bombardement intense de la terre par des météorites… (Source sur l’atmosphère primitive)

Tout tombe à l’eau… Au sens figuré, mais aussi au sens propre. Si ce n’est pas dans l’atmosphère que s’est produite la synthèse des premières briques de la vie, cela pourrait être sur la terre ferme (hypothèse très peu vraisemblable, compte tenu du besoin d’eau, de concentration, mais aussi de migration des espèces chimiques), ou dans l’eau liquide.

La suite hydrothermale au prochain épisode…

Lire aussi et par exemple (C’est hélas très incomplet et très rapide, comme toutes les sources que j’ai consulté…) : Les premiers pas de la vie sur Terre ; Chimie prébiotique,…