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La réponse d’Areva au billet sur la radio-immunothérapie d’Areva Med

Suite à ce billet sur la radio-immunothérapie en essai proposé par une nouvelle filiale d’AREVA, j’ai reçu ce commentaire-mise au point de la part d’Areva, qui me semble intéressant. Non pas pour polémiquer, mais pour enrichir le débat.

Bonjour,
Pour faire suite à votre billet « Quand les grands du nucléaire soignent les cancers… » du 25 novembre, je souhaitais apporter quelques informations complémentaires.
La venue de Patrick Bourdet, PDG d’AREVAMed, en France a été l’occasion d’organiser une rencontre avec deux blogueurs pour échanger de façon informelle et directe sur les activités de cette filiale du groupe AREVA. À cette occasion, nous avions sollicité la présence du réseau C@fé des sciences par l’intermédiaire du courriel de l’association (association@cafe-sciences.com). Je suis désolée que vous n’ayez pu être personnellement présent lors de cette rencontre.
Par ailleurs, AREVAMed ne se limite pas à une simple « démarche de com ». Cette initiative s’inscrit dans le long terme et comme vous avez peut-être pu le voir n’est pas sans susciter l’intérêt de nombreuses institutions. En effet, les chercheurs d’AREVA Med travaillent en collaboration directe avec l’Institut National Américain du cancer, avec l’Université d’Alabama à Birmingham, l’Université de Cincinnati, et, en France, avec l’Inserm. Par ailleurs, en janvier dernier, la FDA a délivré à AREVAMed l’autorisation de débuter les essais cliniques.
Nous serons ravis d’échanger avec vous si d’autres occasions se présentent et, si vous le souhaitez, de vous mettre en contact avec AREVAMed.
Cordialement,
Caroline Rossigneux-Méheust

 

J’y ai répondu ceci :

Bonjour,

Sur la question de la com’, évidemment, j’ai forcé le trait. Et je reconnais dans l’article l’intérêt, du point de vue médical, que constituel’engagement d’AREVA dans ce domaine. La collaboration avec les différents organismes que vous citez indique qu’effectivement, Areva Med s’engage sur un vrai projet, ce qui est surtout confirmé par la construction d’une unité de production de Pb 212 médical.
Il n’en reste pas moins que je m’étonne de cet engagement depuis la production du Pb 212, jusqu’aux tests cliniques, en passant par la mise au point « chimique » et biochimique du médicament, qui ne sont pas, eux, du domaine de compétence d’AREVA. Une alliance avec d’autres groupes pharmaceutiques,sans aucun doute intéressés par ce type d’avancée m’aurait semblé plus « naturelle », moins risqué pour AREVA, et tout aussi intéressante d’un point de vue médical. Evidemment, je ne suis pas membre des conseils d’Areva Med, qui doivent y trouver des intérêts industriels et commerciaux certains. Parmi ceux-ci, la communication du groupe sur ses activités me semble assez prépondérante. Quel ne serait pas le retentissement de la sortie d’un médicament 100 % « AREVA » ? Comment expliquer autrement le rachat de l’entreprise « Macrocyclics » ? Ou alors… ou alors, je tiens un scoop énorme : Areva abandonne l’exploitation des centrales nucléaires, pour se concentrer dans le recyclage de ses matériaux radioactifs à des fins uniquement humanitaires !! Ah non ?

Cordialement
Mr Pourquoi

J’attends vos commentaires sur tout cela…

 

 

Quand les grands du nucléaire soignent les cancers…

A traîner sur Twitter, j’en apprends de bonnes. Voilà Elifsu qui se met à parler d' »Areva Med »… La chose semblait entendue : Areva inventait des villages de vacances au pied des centrales nucléaires, pour profiter de la chaleur résiduelle des réacteurs… La classe ! Bon, en fait, pas du tout. Mais vraiment RIEN A VOIR…

Non, en fait, à l’origine, il y a une opération de com’ vers les blogueurs « influents » (dont je ne fais pas partie) de la part d’une filiale d’AREVA, AREVA MED, spécialisée dans le développement de traitements contre les cancers.

MED = médical et non méditérranée… Dommage… Mais l’occasion de me renseigner, et de vous faire part de cette chimiothérapie qui commence à faire ces preuves, la radio-immunothérapie. Je laisse le soin à Elifsu d’écrire sur son blog ce qu’elle pense de cette filiale d’Areva, qui pour moi fait tous les efforts du monde pour s’acheter une jolie image auprès du grand public…

Alors voilà. Pour traiter un cancer, on a trois voies :

  •  La chirurgie : arme redoutable contre les tumeurs bien délimitées, et accessibles aux bistouris. C’est souvent le cas, surtout quand on hésite pas à retirer tout l’organe qui va avec. Mais forcément, ça devient non utilisable pour des tumeurs mal placées (cérébrales par exemple), ou mal délimitées,..
  • La radiothérapie : ça marche plutôt bien aussi : On irradie à l’aide de faisceaux de photons (dans le domaine des Rayons X en général), ou d’électrons, (ou plus rarement protons, neutrons,…). Le seul petit hic : ça crame tout sur son passage ! Donc parfois inopérant pour des tumeurs profondes. Et dans le cas de cancers disséminés dans d’autres organes, ça ne sert plus beaucoup…
  • La chimiothérapie : En tant que chimiste, je trouve que c’est la plus -scientifiquement parlant- intéressante. En réalité, ça marche parfois, (le Cis-platine soigne 90 % des cancers des testicules pris à temps…, le Glivec a révolutionné les traitements de certaines leucémies, etc…), et puis parfois, les effets secondaires sont invivables, pour un bénéfice faible… L’avantage par rapport aux autres techniques, c’est que le composé anticancéreux va partout, y compris dans les endroits inaccessibles pour la chirurgie et la radiothérapie. L’inconvénient, c’est que le composé va partout, y compris dans les cellules saines, ravageant un peu tout sur son passage.

Est apparue depuis les années 1980 l’immunothérapie : En fait, on commence à savoir comment bien mieux cibler les cellules cancéreuses ; en particulier, on arrive à produire des anticorps (oui oui, les mêmes anticorps spécifiques de telle ou telle maladie virale ou bactérienne) agissant contre les cellules cancéreuses, ou plus précisément contre certains marqueurs spécifiques des cellules cancéreuses. Le plus connu, c’est l’Herceptine,  pour le traitement de certains cancers du sein, assez efficace, avec très peu d’effets secondaires. [SOURCE]. Mais il y en a beaucoup d’autres, commercialisés ou en tests cliniques. [SOURCES]

Il n’empêche, parfois cela manque encore d’efficacité. Par exemple, pour peu que les cellules cancéreuses soient résistantes aux attaques du système immunitaire, ou que celui-ci ne soit pas au top, ça ne marche pas bien ( les anticorps, une fois fixés sur les cellules malignes, sont censés activer la suite du processus immunitaire qui permet la destruction de la cible. Si il est défaillant, ben, c’est raté).

Alors, il reste une solution : doter les anticorps d’une arme de destruction massive (comme ça, plus besoin du système immunitaire !). Et pas une arme chimique, non, une véritable BOMBE NUCLEAIRE !! Si si !!!

C’est très simple, sur les anticorps, on greffe des atomes radioactifs, émetteur de particules β (en fait simplement des électrons) et/ ou de rayons γ, qui vont agir directement sur la cellule cancéreuse ciblée(et celles qui se trouvent à proximité). Bref, une radiothérapie ciblée, localisée au niveau des cellules cancéreuses. Cette technologie existe maintenant depuis une vingtaine d’année, et sert par exemple à traiter des leucémies, à l’aide de l’yttrium 90 (nom de code du médoc : Zevalin ). On se sert aussi de l’iode 131, en particulier pour traiter les cancers de la thyroïde (pas besoin d’anticorps, dans ce cas), et tout plein d’essais sont en cours.

 Un exemple (hélàs en anglais. Pour info : « antibody = anticorps ;  cd20 : marqueurs de surface reconnu par les anticorps, nus (« naked ») ou accompagnés de l’élément radioactif (« radio-labelled »))

Il s’avère qu’une des améliorations majeures attendues de la radio-immunothérapie, outre la fabrication d’anticorps dirigés vers d’autres cibles cancéreuses, consiste en l’utilisation d’autres éléments radioactifs, mais émetteurs α cette fois. L’intérêt est très simple : les rayons γ ou  les particules β peuvent se propager sur une assez grande distance avant d’interagir avec la matière : la zone irradiée est de l’ordre du milimètre. Les α, eux, sont beaucoup plus gros, et donc vont se propager dans une zone plus faible (environ 50 µm, 200 fois plus précis donc !).

Et c’est là qu’Areva intervient. J’imagine un brain storming… :

– Bon, les gars, on a deux soucis sur le dos : 1. on ne nous aime pas. (murmure de désapprobation dans la salle) 2. On a plein de Thorium à Cadarache, radioactif il va de soi, et il se désintègre lentement sans qu’on en fasse grand’chose. (soupirs nombreux…). Faut changer tout ça ! Une idée ?? Personne ? Ah Jean-Paul, t’es encore bourré du pot de départ de hier soir, mais y a personne d’autre…

(Avec une voie pâteuse et mal assurée) On a qu’à utiliser les produits de désintégration du Thorium pour soigner des gens de cancers, comme ça, on libère de la place à Cadarache, et on devient des bienfaiteurs de la médecine !!

– [Le reste de l’assemblée, morte de rire] Mais qu’il est con, ce Jean Paul ! Allez, va cuver ton vin !

-[Et puis un ptit bonhomme] Oui, il est con. Mais si il avait raison ??

Chaîne de désintégration du Thorium 232

Et voilà qu’un des descendants du Thorium, le Bismuth 212 a exactement les bonnes propriétés. Ou plutôt son père, juste suffisamment stable pour avoir le temps de préparer le médoc, le Plomb 212, émetteur α, et greffable sur un anticorps (j’ai très envie d’en parler, [c’est la partie « chimie »], mais ça sera pour une autre fois). Et Areva Med est née. Pour l’instant, tout se passe bien, le 212Pb-TCMC-Trastuzumab (En fait l’équivalent de l’herceptine, mais avec le Plomb 212 en plus de l’anticorps) est en phase I des tests cliniques depuis quelques mois, et l’usine de production de cet élément radioactif en cours de construction dans le Limousin. Et v’là qu’Areva rachète même une boîte de chimie organique, « Macrocyclics », leader dans la production de « molécules-cages » (dans le cas précédent le « TCMC » ) permettant de greffer le métal émetteur α à l’anticorps. Apparemment, ils y croient à mort !

Un commentaire général sur cette nouvelle activité d’AREVA : La mise au point d’un médicament coûte vraiment très cher, et sa rentabilité soumise à un grand nombre d’aléas, et en particulier l’acceptation des autorités sanitaires (FDA américaine, AFSSAPS française, EMA européenne) à la mise sur le marché. Sans compter qu’on n’est jamais sûr que cela va apporter un bénéfice réel aux patients par rapport aux autres chimiothérapies… Mais bon, Areva peut sans doute se le permettre, et ainsi renverser complètement l’image qu’a le nucléaire : au lieu de provoquer des cancers, rendre stériles pendant des siècles des km² autour des centrales accidentées, l’atome soigne et guérit les pires maladies… Il y a une chose supplémentaire à ne pas oublier : pour faire de la médecine nucléaire, aujourd’hui indispensable pour la santé publique, il faut des entreprises capables d’extraire des éléments radioactifs, les manipuler, les transformer. Qu’Areva s’engage dans cette démarche (et même si c’est uniquement dictée par le service com’ de la boîte, et même si ça me fait mal au coeur de dire du bien d’une telle boîte) est une très bonne chose pour la médecine.

Source :