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Mais d’où vient la matière qui a permis à la vie d’apparaître ? #LyonScience2015

Je ne sais plus où donner de la tête… Au moment où j’ai pensé parler de chimie prébiotique lors de cette journée Lyon Science 2015, je ne pensais pas que cette thématique, que j’adore suivre depuis mes premières années à l’ENS de Lyon réservait autant de surprises et d’actualités… Me voilà, face à vous, totalement dépassé par les événements… Je vais quand même essayer de parler de ce sujet formidable qu’est l’apparition sur Terre de la matière, des molécules nécessaires à l’apparition de la vie.

C’est quoi, cette matière ?

Cette matière, c’est tout simplement les briques élémentaires du vivant. Ou plutôt, les briques élémentaires du vivant… D’il y a 3,5 milliards d’années… Bon, le soucis, c’est qu’on ne sait pas encore tout à fait quelles étaient ces briques… Acides aminés, pour former des premières protéines ? ou nucléosides, pour fixer un code génétique sous forme d’ARN ? C’est un des nombreux débats passionnants qui parcourent les amateurs de chimie prébiotique… Mais revenons encore en arrière… Les chimistes cherchent des traces de molécules organiques, c’est-à-dire composées principalement de carbone, d’hydrogène, mais aussi d’oxygène et d’azote, qui ne proviendrait pas d’organismes vivants.

Mais quelle est donc cette source de matière organique prébiotique ?

Alors, ils cherchent partout, les chimistes… Déjà, dans les années 1950, des certains Stanley Miller et Harold Urey ont montré qu’en faisant se décharger des arcs électriques dans un gaz censé simuler l’atmosphère de l’époque, on pouvait obtenir des acides aminés, et d’autres molécules organiques. Magnifique expérience, résultats remarquables… Mais depuis, on s’est rendu compte que l’atmosphère d’il y a 4 milliards d’années était probablement très différente, et que cette expérience ne fonctionnait, a priori, pas avec la bonne composition…

 

Stanley Miller, en 1999, devant une reconstitution (un peu maquillée) de son expérience... (Wikipédia)

Stanley Miller, en 1999, devant une reconstitution (un peu maquillée) de son expérience… (Wikipédia)

Je ne vais pas énumérer toutes les expériences, toutes les idées qu’ont eu les scientifiques pour identifier la, ou les sources de matière organique prébiotique. Par contre, deux hypothèses sortent, (et de loin !) du lot, et mérite vraiment qu’on s’y intéresse…

Dans un excès tout à fait remarquable, il faut regarder soit tout en haut, au delà des nuages, aux confins du système solaire, là où naissent les comètes, soit tout en bas, à – 5000 m de profondeur, au niveaux des sources hydrothermales… Sinon, ce serait trop simple !!

 Les comètes ? Et pourquoi pas les météorites, tant qu’on y est ?

Mais oui, les comètes ET les météorites ! Dès le XIXe siècle, Berzélius a identifié dans la météorite d’Orgueil de la matière organique. Principalement des composés proches du charbon, certes, mais il faut un début à tout !

Météorite d'Orgueil

Météorite d’Orgueil

Tout s’est accéléré avec la découverte de la météorite de Murchison, tombé en Australie en 1969. Là, des acides aminés, des glucides, des bases azotées ont été découvert, en grande quantité (environ 0,01 % de la masse). Cette météorite est en fait assez banale. En fait, en estimant l’importance du bombardement terrestre ces quelques derniers milliards d’année, on s’est rendu compte que la quantité de matière organique arrivée de l’espace est plus grande que la quantité de matière organique présente actuellement dans la biosphère !!

Un fragment de la météorite de Murchison, qui pesait, au total, plus de 100 kg

Un fragment de la météorite de Murchison, qui pesait, au total, plus de 100 kg

Bref, sans s’emballer, (un peu quand même !), on peut estimer que l’espace a été une gigantesque source de matière organique prébiotique.

Et le fond des océans alors ?

C’est l’autre grande source possible… Et quelle source !

Une source hydrothermale dans la fosse des Caïmans, à - 5000 m (source : ASP)

Une source hydrothermale dans la fosse des Caïmans, à – 5000 m (source : ASP)

Les sources hydrothermales se situent au niveau des dorsales océaniques, là où l’épaisseur de la croûte terrestre est la plus fine. De l’eau s’infiltre dans les roches, se réchauffe à proximité du magma, puis remonte vers le plancher océanique, à des pressions énormes (des centaines de bars), et des températures très hautes (plusieurs centaines de degrés), entraînant avec elle des gaz divers, des minéraux et des métaux au passage. C’est là que les yeux du chimiste lyonnais s’éclairent… Oui parce qu’à Lyon, depuis V. Grignard, Prix Nobel de chimie en 1912, jusqu’à Y. Chauvin, Prix Nobel en 2005, on aime bien quand on parle de chimie organométallique, cette alliance qui paraît parfois contre nature entre le froid métal et la chaude vie…

A gauche : Victor Grignard : prix Nobel 1912 pour ses travaux sur les organomagnésiens A droite : Yves Chauvin, prix Nobel 2005 sur la réaction de métathèse

A gauche : Victor Grignard : prix Nobel 1912 pour ses travaux sur les organomagnésiens
A droite : Yves Chauvin, prix Nobel 2005 sur la réaction de métathèse

Tout est réuni pour la synthèse de molécules organiques : des sources « pratiques » des éléments Carbone, Hydrogène, Oxygène, Azote, de l’énergie (sous forme thermique), et des minéraux variés, riches en métaux comme le fer, cuivre, argent, zinc, qui permettent de catalyser les réactions de synthèse organique… Reste que l’exploration du fond des océans semble plus délicate que celle de l’espace, et pour l’instant, les quelques expériences menées ont puvus  seulement mettre en évidence l’existence d’hydrocarbures abiotiques contenant de 1 à une dizaine d’atomes de carbone… Alors que les chimistes parle « d’évidence » d’apparition de ces composés au niveau des sources hydrothermales, il manque encore les preuves expérimentales… Malgré cela, je vous avoue que j’adore cette hypothèse… Sans doute des restes de géocentrisme de ma part…

Et les actualités alors ?

Je vous parlais d’actualité en début d’exposé… Alors je vais juste vous en livrer deux… et demi…

Il y a quelques semaines, une équipe française a reproduit les conditions de synthèse de glace pré-cométaire, tel que cela est censé se passer dans les confins du système solaire, là où naissent les comètes… Et ils ont obtenu, pour la première fois, une grande quantité d’acides aminés, glucides, et autres aldéhydes nécessaires aux premières briques du vivant…

L’autre nouvelle est venue d’une des lunes de Saturne, Encelade : de fantastiques geysers s’échappent de la planète, et leur composition a pu être étudiée : principalement de l’eau, mais aussi une grande richesse en carbone, sous forme probable d’hydrocarbure, même s’il est trop tôt pour en savoir plus… Ils proviendraient de sites hydrothermaux au coeur de la lune…

La demi-actualité ? C’est le robot Philae bien sûr ! Il doit se réveiller… Maintenant ! Avec ses instruments de mesure sophistiqués à bord, une de ses principales missions et d’analyser la composition organique de la comète Tchouri-Gerasimenko, pour donner des indications sur l’origine de ce qui nous compose encore aujourd’hui…

 

Sources

Retour sur la chimie prébiotique, S.Miller et les autres… (2)

Alors comme ça, l’expérience de S. Miller, qui a le mérite de tester une hypothèse intéressante de constitution de la « soupe primitive » grâce à l’atmosphère terrestre, ne correspond sans doute pas à la réalité de la Terre de l’époque (voir la première partie). Il faut chercher plus loin. Ou plus profondément. Si ce n’est pas dans le ciel, reste la terre ferme et l’eau. La terre, on oublie : il faut que les molécules puissent se déplacer au grès de leur formation, s’accumuler par endroit, diffuser ailleurs, ce qui va être impossible sur un support solide.

Depuis environ trente ans, on se pose ainsi la question de la formation de molécules organiques prébiotiques dans l’eau. Plus précisément, ce sont les sources hydrothermales qui suscitent le plus d’intérêt.

Alors il faut bien imaginer l’enfer que représente ces sources, appelées aussi fumeurs noirs : de l’eau de mer s’est infiltrée jusqu’à plusieurs centaines de mètre sous la roche, se réchauffant à proximité du magma terrestre, et remonte à des températures supérieures à 350 °C, des pressions de plusieurs centaines de bars, en ayant au passage dissout diverses substances minérales. En voilà un joli schéma (voir aussi le site de l’IFREMER)

En fait, ces conditions extrêmes ne sont pas réellement un obstacle à la vie . En témoigne les vidéos, photos prélèvement qui ont été effectués depuis les premières observations en 1977 (voir la photo suivante, et les colonies d’anémone blanche au pied de la source hydrothermale). Crevettes, vers géants côtoient étoiles de mer et poissons… Tout ce petit monde fonctionne grâce à la chimiosynthèse (basée sur  l’exploitation de l’énergie chimique des composés issus des fumeurs), par opposition à la photosynthèse (basée sur l’énergie lumineuse). Alors, pourquoi ne pas chercher là-bas les traces des premières molécules organiques ?

Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps. Pour beaucoup de scientifiques, cela ne fait pas de doute: la vie est née à proximité de ces sources hydrothermales, dans l’obscurité, à une profondeur comprise entre 500 et 5000 m.

Et les arguments ne manquent pas : les conditions d’expériences de S. Miller, ces mêmes qui ont conduits aux acides aminés, se retrouvent dans les émanations de ces sources chaudes. En effet, on a bien du méthane, du dihydrogène, de l’eau, peu de CO2. Pas de lumière UV, ou de décharges électriques, mais de l’énergie thermique autant qu’on veut.

[Le problème de cette énergie thermique, c’est qu’à ces températures là (300°C) , les acides aminés et autres briques élémentaires de la vie sont très vites dégradés. Mais il ne faut pas oublier que l’eau tout autour des fumeurs est à 2°C, et que des échanges existent évidemment, ce qui, pour moi, permet de lever cette objection].

Tout comme l’expérience de Miller alors ? Non, encore mieux. Non seulement la variété des éléments chimiques disponible est beaucoup plus grande que dans l’atmosphère imaginée à l’époque (avec en particulier des apports en souffre, indispensables pour certains acides aminés comme la cystéine), mais en plus, on a plein de métaux et de minéraux variés présents. Ceux-ci peuvent servir alors de catalyseurs de réactions chimiques plus avancées, permettant, à partir de quelques molécules organiques simples, obtenir des assemblages complexes nécessaires.

[En particulier, compte tenu des propriétés catalytiques de la pyrite,  G. Wächterhauser et son équipe a imaginé des premiers êtres vivants qui ne seraient pas cellulaires, mais utiliseraient directement leur support, la pyrite, pour réaliser les réactions nécessaires à l’auto-réplication.]

Les scientifiques ont eu déjà la joie de découvrir des composés organiques  dans les fumeurs, et de plus de démontrer leur production abiotique (produite sans intervention d’espèces vivantes) (Source). Bien sûr, dans ce domaine, rien n’est parfaitement sûr, et en particulier les chemins détournés empruntés par la vie pour émerger ne sont pas connus. Les expériences in vitro sont compliquées, tant les conditions au niveau des sources hydrothermales sont dures. Quant aux observations directes, elles sont délicates à – 2000 m !

Il y a un point encore non évoqué ici qui est en faveur des sources hydrothermales : Dans les documents évoquant la chimie prébiotique et l’expérience de S. Miller, on se focalise sur les acides aminés, briques des protéines. On oublie complètement une idée très importante : les protéines ne peuvent pas, ou de façon très (trop) complexe, contenir un code génétique lisible. Cela, c’est  l’apanage de l’ADN, ou de l’ARN. Et un consensus de plus en plus large plaide vers une apparition de la vie basée sur l’ARN, qui pourrait à la fois contenir le « code », et être capable de le lire, traduire, répliquer (Voir ici pour les propriétés catalytiques de l’ARN). Les expériences dans différentes atmosphères ont complètement échoué dans la formation des briques élémentaires de ces longues macromolécules, sauf en faisant intervenir des situations complexes où des minéraux terrestres rentrent en jeu par le biais de précipitation et évaporation de l’eau de pluie (voir à ce sujet le joli billet d’exobiologie.info )… Et il me semble qu’il est plus simple d’imaginer la synthèse de ces précurseurs à un endroit où, en permanence, se trouve les catalyseurs et les matériaux inorganiques nécessaires pour leur formation.

Bien sûr, les questions restent innombrables, et en particulier celle de la chiralité des espèces chimiques du monde vivant, mais l’essentiel semble être là. Tout est réuni pour que la vie naisse là, au coeur des océans.

Bon et après la constitution de cette soupe ? La suite, c’est l’auto-organisation, (déjà évoquée ici sur ce blog) puis…. le premier être vivant ?

PS : les amateurs d’exobiologie apprécieront particulièrement cette origine de la vie : en effet, pour ne citer que le plus connu, le satellite Europe de Saturne possède un immense océan, (sous 20 à 200 km de glace), qui pourrait abriter des sources hydrothermales. A quand une tentative de dialogue « homme de la Terre » -« crevette de Europe » ?

Sources :