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[Science Et Genre] #4 : Des quotas dans le recrutement des universitaires

La Fondation Robert Bosch et l’European Molecular Biology Organization (EMBO) viennent de publier un rapport commun sur la pertinence de la mise en place de quotas de genre dans le milieu universitaire. Il ne s’agit pas, ici, de quotas lors de l’inscription dans des filières sélectives comme les écoles d’ingénieurs, ni de quotas pour l’obtention de bourses d’étude d’excellence. Il est question en réalité de quotas qui concernent les universitaires.

Face à des inégalités criantes, des mesures tièdes

L'ensemble des président-e-s des universités françaises. Ils ont essayé de rendre les femmes plus visibles, au premier rang... Belle initiative !!

L’ensemble des président-e-s des universités françaises. Ils ont essayé de rendre les femmes plus visibles, au premier rang… Belle initiative !!

Actuellement, en France, s’il y a une part quasi égale entre les étudiant-e-s en doctorat (48 % de femmes contre 52 % d’hommes), 57,9 % des maîtres de conférences sont des hommes. Plus on progresse dans la hiérarchie, plus l’inégalité est criante : les femmes ne représentent plus que 15 % des président-e-s d’université.

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Répartitions femme (orange)/homme (bleu) des effectifs à l’université en France (2011). Source : Ministère de l’Enseignement Supérieur.

Très régulièrement, on entend à quel point cela est scandaleux. A de nombreuses reprises, lors de ma très très courte carrière universitaire, j’ai pu entendre des témoignages, des remarques cinglantes et scandaleuses:

  • Cette Chargée de Recherche du CNRS, bloquée dans son avancement par son ex-directeur de labo au bras long, qui s’est senti « trahi » (sic) lorsqu’elle a eu un enfant.
  • C’est ce propos tenu, sans gêne, sur la nomination de cette professeure de l’Université : « On voulait que son mari vienne, alors on lui a proposé un poste à elle aussi »
  • C’est cette étudiante post-doctorante, à qui un poste de maître de conférence était quasiment destiné, qui se l’est vu refusé parce qu’elle avait fait part de son désir d’avoir rapidement un enfant

Si la question de la maternité revient souvent, ne soyons pas dupe. Il s’agit ni plus ni moins de sexisme et de discrimination à l’embauche. Les hommes aussi ont le droit au congé parental. le « risque » encouru par un laboratoire, par une équipe enseignante n’est pas censé être plus grand dans un cas que dans l’autre.

Certes, ces discriminations existent aussi dans le privé : mais n’utilisons pas l’argument biaisé du « c’est pire ailleurs » pour justifier l’injustifiable.

Ces inégalités sexistes à l’Université, le ministère de l’Enseignement Supérieur en a conscience. En 2013, sous l’impulsion de feu-le Ministère des Droits des Femmes, et après publication des chiffres-clés de la parité femme-homme dont sont issus le graphique précédent), un plan d’action a été publié. Celui-ci prévoit beaucoup… De concertation. Beaucoup… de formation à l’égalité Femmes-Hommes. Beaucoup… de… bonnes intentions. La nomination d’un-e chargé-e d’égalité Femmes-Hommes. Bref, essentiellement une démarche de volontariat. Seule mesure contraignante : l’application de l’article 56 de la loi du 10 mars 2012, qui impose un quota de 40 % de chaque sexes dans la nomination des haut-fonctionnaires (y compris dans les domaines de l’enseignement et de la recherche) par le conseil d’état. Du coté des établissements d’enseignement supérieurs, cela ne se voit pas beaucoup, puisque même les présidents des universités ne sont pas concernés par ces quotas…

Le peu d’aspects contraignant de ce plan d’action n’a pas empêché le ministère de l’enseignement supérieur de communiquer sur « La France, pionnière de l’égalité à l’Université« . Tout en se gardant bien de se comparer à ses voisins…

Dans ce contexte d’actions tièdes, le rapport de EMBO et de la fondation R. Bosch sur la mise en place de quotas de genre permet de se projeter dans des actions réellement offensives pour l’égalité des sexes dans les universités françaises et européennes.

Au fait, POURQUOI vouloir l’égalité des sexes à l’Université ?

Cette question n’est peut-être pas si anodine qu’elle en a l’air. Du moins, les auteur-e-s du rapport, qui comparent les actions en faveur de la parité en politique, dans les entreprises, et dans les université,s prennent le temps d’y répondre. En politique (dans un système démocratique), la parité a tout son sens : les conseils, les parlements se doivent de représenter tous les citoyens. Les femmes représentant un peu plus de 50 % de la population, il est nécessaire qu’elles y soient représentées, à hauteur de leur proportion !

Maintenant, soyons provocateur : quelle est l’UTILITÉ de l’égalité des sexes dans le monde économique, et dans le monde universitaire ?

Dans les entreprises, le but est de gagner de l’argent. Est-ce que la présence de femmes dans les instances dirigeantes permettent à augmenter les gains ? D’après les études citées dans ce rapport… Pas vraiment ! Si on note que dans les entreprises les plus rentables, il y a effectivement plus de femmes que la moyenne dans les conseils d’administration, il a été enregistré une diminution des profits à court terme dans les entreprises ayant féminisé leurs instances dirigeantes. Je me rappelle en revanche du discours d’un chargé de mission à la région Rhône-Alpes, qui expliquait, pour justifier l’intérêt de l’égalité femme-homme en entreprise, que « un consommateur sur deux était une femme. Afin de concevoir des produits qui pourraient leur être destinés, il valait mieux que des femmes soient bien placées parmi les équipes de direction !

Dans les universités, le but est différent. Il s’agit de produire des savoirs, et de former. La parité femmes-hommes permettrait-elle d’augmenter la productivité ? La qualité des enseignements ? Rien, à l’heure actuelle, ne permet de l’affirmer.

Ces remarques précédentes, sur le monde économique et sur le monde académique sont l’expression d’un sexisme odieux. Elles signifient que l’égalité femme-homme passe après les intérêts économiques et universitaires. Elles signifient qu’il s’agit d’une variable à ajuster afin de trouver un optimum de compétitivité, d’efficacité. Dans le rapport sur les quotas dont il est question ici, les auteur-es expliquent que certains trouvent normal de promouvoir, voire d’imposer la parité à l’université PARCE QU’elle est financée par des fonds publics, et qu’À SE TITRE, il est normal que l’état financeur souhaite qu’on retrouve la même proportion de femmes dans l’enseignement supérieur que dans la population. Heureusement, d’autres, finalement, pensent que l’égalité femme-homme est une valeur en soi. Qu’elle ne devrait pas être soumise à condition de rentabilité. Qu’elle est juste une expression parmi les plus basiques de la démocratie, au même titre que l’égalité entre personnes d’origines sociales différentes, de cultures différentes, de couleurs de peau différentes. La parité, tout particulièrement dans les emplois académiques qui représentent un summum culturel, social et intellectuel est l’indicateur fondamental de cette égalité.

Des quotas… Mais où ?

Ce rapport examine l’instauration des quotas à trois niveaux distincts : dans le recrutement, dans l’attribution de bourses et de financements, dans la nomination des membres des comités de recrutement et d’évaluations des institutions et universités. Afin de procéder à cette analyse, les auteur-es sont allés regardés du coté de la vie politique, des directions d’entreprise, qui, dans de nombreux pays européens, doivent déjà respecter certains quotas. Ils se sont également penchés sur le cas de quelques organisations et pays européens, qui ont d’ors-et-déjà mis en place certains quotas (en particulier l’Allemagne et la Suède)

Quotas dans les recrutements : le volontarisme ne suffit  pas

Que ce soit en politique, en entreprise, ou dans les institutions d’enseignement supérieur et de recherche, si les quotas de genre ne sont pas imposés contre sanctions, ils n’ont aucun effet. Pire, les auteur-es pointent du doigt la situation politique française, où « les sanctions financières sont si faibles que les partis préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter la loi » (Cocorico couac !).

Dans les expériences allemandes et suédoise, même si il est trop tôt pour avoir une idée définitive, les effets des quotas volontaires sont faibles, voire nuls, et la proportion de professeure d’université reste similaire à la moyenne des pays de l’Union Européenne.

Pourtant, dans le monde politique et le monde des affaires, les quotas imposés contre sanction ont permis de faire évoluer positivement la situation. Par exemple, en France, le nombre de femmes dans les comités de direction des entreprises publiques a ainsi augmenté de 17,4 % entre octobre 2010 et octobre 2013, grâce à la mise en place de quotas (la loi prévoit 40 % de femmes dans ces comités pour 2017). En Belgique, le nombre de femmes au parlement est passé de 12 % à 36,7 % avec des lois sur les quotas.

Prenant compte de ces expériences, les auteurs du rapport tirent quelques conclusions :

  • Les quotas dans les recrutements des universitaires doivent s’imposer contre sanctions. Le volontarisme n’est pas suffisant.
  • Ces quotas doivent concerner l’ensemble des positions hiérarchiques, du maître de conférence jusqu’à la direction de l’université. Si seul un échelon est visé, cela n’empêchera pas un déséquilibre aux autres échelons !
  • Afin de limiter la mauvaise image qu’ont les quotas, qui pourraient « nuire à la méritocratie » selon certains universitaires interrogés lors de la rédaction du rapport, chaque établissement doit pouvoir mettre en place ces quotas selon ses propres modalités.

Quotas dans les comités de recrutement et d’évaluation des établissements : une efficacité limitée

Partant de l’idée qu’un comité principalement masculin pourrait produire des résultats biaisés par leur genre, plusieurs évaluations ont été entreprises en Europe. Mais, heureusement, il n’a pas été établi de corrélation entre la proportion femmes-hommes dans de tels comités, et les résultats dans les évaluations et recrutements. Si la parité dans ces comités semble être un but à atteindre en soi, cela ne semble pas avoir de réelles conséquences sur la façon de fonctionner de ces comités.

Quotas dans l’attribution de financements : circulez, il n’y a rien à voir ?

il n’y a pas de consensus sur l’existence d’un biais dans l’attribution de financements et de bourses, selon que cela soit un homme, ou une de femme qui fait la demande. Certaines études en trouve un, léger, mais réel, d’autres aucun. Il semble que cela dépende grandement du pays, et de l’institution qui attribue le financement. Les quotas pourraient néanmoins être appliqués pour promouvoir les recherches menées par des chercheuses.

[ A titre personnel, je me questionne sur la pertinence d’attribuer une bourse à une personne. La recherche est finalement un acte collectif. Pourquoi ne pas instaurer un quota de genre sur les équipes qui portent les projets susceptibles d’être financé ? C’est-à-dire que ces équipes devront comporter un nombre à peu près égal de femmes et d’hommes pour prétendre à une bourse de recherche. ]

Agir, ou laisser le temps faire son oeuvre ?

Un des principaux arguments contre le fait d’imposer les quotas, réside dans le « choc » que cela pourrait représenter. Un « choc », dans la mesure où, pour l’instant, peu de femmes ont accès aux postes hiérarchiquement élevés. Demander d’atteindre en quelques années une parité, ou un début de parité signifierait de privilégier les candidates, alors même qu’elles sont moins nombreuses que les candidats. Ceux qui défendent cet argument expliquent que c’est aller contre la « méritocratie », base du fonctionnement de l’Université. Ils seraient « obligés » d’embaucher, de financer des chercheuses parfois « moins méritantes » que des chercheurs.

Pour moi, ce « choc » est une construction réactionnaire sans fondement. Le « vivier » de femmes scientifiques n’est pas famélique en Europe. Même en minorité, elles sont nombreuses à chaque échelon. Suffisamment du moins pour présenter des candidatures de qualité égale à celles des hommes. N’oublions pas non plus que les critères de « mérite » à l’Université sont eux aussi biaisés, et favorisent les carrières typiquement masculines (je vous renvoie aux articles cités page 6 dans le rapport pour cette question).*

Laisser le temps faire son oeuvre pourra marcher. Toute politique égale par ailleurs, on voit se féminiser AUSSI les métiers de l’enseignement-recherche. Néanmoins, combien d’années, de dizaines d’années devra-t-on encore attendre ? Le temps de renouveler les enseignant-e-s-chercheurs-ses, de voir, à chaque génération, augmenter la proportion de femmes, le réchauffement climatique nous aura toutes et tous croqué tout cuit !

A l’heure où 67 % des européen-nes estiment encore que « les femmes n’ont pas les capacités requises pour accéder à des postes scientifiques de haut niveau », l’urgence de la parité exige des mesures fortes. L’instauration de quotas à l’embauche, pour moi, doit être l’élément central d’une véritable politique égalitariste à l’Université.

 

*Mon beauf me rappelle qu’il existe, hélas, de fortes disparités entre les disciplines. En philosophie, mathématique, informatique par exemple, il y a très peu de femmes universitaires, mais aussi un faible nombre d’étudiantes. Faut-il adapter les objectifs en fonction des disciplines, au risque de conserver les stéréotypes de genre sur la douance des étudiant-e-s, et de repousser encore le moment où il y aura une vraie parité ?

 

[Science Et Genre] #3 Les stéréotypes sur les femmes font mauvais ménage avec ceux sur les disciplines universitaires

Une étude vient de paraître dans le journal scientifique « Science« , et propose une explication à la (très) inégale répartition des femmes dans les disciplines universitaires. Plutôt que de s’appesantir lourdement sur des prétendues différences dans les qualités intrinsèques des genres (du type : les femmes sont sensibles aux émotions des autres, les hommes ont une meilleure vision dans l’espace, etc… beurk), les auteur-e-s sont allé-e-s voir comment les stéréotypes de genre entrent en résonance avec les stéréotypes qui hantent les disciplines universitaires.

Pour cela, S.J. Leslie et les autres auteur-e-s, de Princeton, ont étudié la répartition femmes-hommes chez les étudiants ayant obtenus leur doctorat dans diverses disciplines aux USA en 2011.

Il es bien connu que les femmes sont sous-représentées dans les matières scientifiques « dures », comparées aux sciences humaines. Mais au-delà de cette généralité, les différences entre disciplines restent très importantes : Si les femmes représentent moins de 20 % des doctorats en physique ou en informatique, elles sont majoritaires en neurosciences et en biologie moléculaire. De la même façon, en sciences humaines, elles ont passé plus de 70 % des doctorats en psychologie et histoire de l’art, mais moins de 35 % en économie et philosophie.

Pour tenter d’expliquer ces différences, les auteur-e-s ont passé au crible quatre hypothèses :

  • La sélectivité des filières : y a-t-il moins de femmes dans les filières considérées comme les plus sélectives ? Cette hypothèse part de l’idée, souvent admise mais heureusement controversée, que la répartition dans les courbes d’aptitude est inégale, et que les femmes sont sous-représentées parmi les meilleurs éléments…
  • L’exigence de travail des filières : y a-y-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’un plus gros volume horaire travail est nécessaire ? ( avec une sous-distinction entre les heures de travail sur place et chez soi)
  • La façon de penser mis en avant dans les filières : est-ce une pensée systématique et rationnelle qui est privilégiée, ou une pensée dirigée vers la compréhension des idées et des émotions ? Y-a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’une pensée rationnelle est primordiale ?
  • L’importance de la douance dans les filières : est-ce que la réussite est subordonnée avant tout par les capacité intrinsèques (innées, j’allais dire) des étudiants ? Y a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré que les capacités individuelles priment sur l’apprentissage ?

A travers ces quatre hypothèses, on voit se dessiner une correspondance entre les stéréotypes liées aux disciplines universitaires (la douance, l’exigence de travail, etc.) et les stéréotypes liées au genre (courbes d’aptitude inégales, pensée systémique/empathique, etc.). Pourtant, le travail statistique des auteur-e-s montrent qu’uniquement la dernière hypothèse est pertinente pour expliquer les inégalités de répartition entre femmes et hommes.

Systématiquement, les trois premières hypothèses n’ont pas montré de corrélations statistiques pertinentes avec les inégalités de répartition. Les femmes pénètrent aussi bien les filières sélectives que les hommes, les volumes horaires que ce soit sur place ou en dehors, ou totaux ne créent pas d’inégalité de genre. Le type de pensée est statistiquement corrélé à la proportion femmes-hommes si on considère l’ensemble des disciplines. Mais si l’on se place dans le sous-groupe « science dure » ou dans le sous-groupe « sciences humaines », il n’y a plus de corrélation.

Quelque soit le sous-groupe de disciplines, ou si on considère l’ensemble des 30 disciplines étudiées dans cet article, plus les capacités innées sont considérées comme primordiales pour réussir dans la discipline, moins les femmes y sont présentes. Ainsi, la philosophie, les mathématiques, la musique, ou encore l’économie et la physique ( sont des disciplines où les femmes sont très peu présentes (moins de 15 % pour la physique, moins de 33 % pour la philosophie) . Et a contrario, La biologie moléculaire, les sciences de l’éducation, la psychologie ou les neurosciences (de 50 % pour les neuroscience, à 71 % pour la psychologie).

Les auteur-e-s ne se sont pas focalisés que sur les inégalités de genre. Les afro-américains souffrant aux USA des mêmes stéréotypes que les femmes, ils ont soumis aux mêmes hypothèses les inégalités de représentation des noirs américains, et le résultat a été le même : les noirs sont sous-représentés avant tout dans les disciplines où la douance est mise en avant. Par contre, les inégales répartitions des américains d’origine asiatique ne sont corrélées à aucune des quatre hypothèses, ceux-ci ne subissant pas les mêmes stéréotypes…

La transposition d’une telle étude à la situation française pose bien sûr des questions. Les stéréotypes, tant sur les genres et sur l’origine des étudiant-e-s, que sur les disciplines universitaires peuvent se trouver différents. Il me semble néanmoins qu’on les retrouve assez largement ne serait-ce qu’en étudiant les répartitions femmes-hommes dans les classes préparatoires aux grandes écoles ou dans les préparations aux concours comme l’agrégation. La lutte contre de tels stéréotypes nécessitent un gros travail sur la représentation des femmes mais aussi sur les disciplines universitaires. L’enseignement supérieur en a-t-il les moyens ? Et surtout, en a-t-il l’envie ?

 

« Expectations of briliance underlie gender distributions across academic disciplines » Sarah-Jane Leslie et al., Science 347, 262 (2015)

Pilule du lendemain : les femmes en surpoids méritent mieux que du mépris

Ce titre un peu tape-à-l’œil est à l’image de ma stupéfaction et ma colère, en lisant l’avis motivé de l’Agence Européenne du Médicament, qui a conclut que le levonorgestrel (pilule du lendemain) et l’ullipristal (EllaOne, autre contraceptif d’urgence) était efficace, quelque soit le poids de la femme qui le prend. Reprenons depuis le début.

les contraceptions d’urgence

Il en existe trois disponibles en France :

  • Le DIU (on l’appelle aussi stérilet) au cuivre : à poser dans les 5 jours qui suivent un rapport sexuel non protégé, il est efficace à quasiment 100 %. Il est utilisé depuis 1930 dans ce cadre. Il nécessite tout de même la pose par un médecin ou sage-femme, et toutes les femmes ne sont pas prêtes à en porter un.
  • Le levonorgestrel : la fameuse « pilule du lendemain » (obtenu sans ordonnance) D’après les notices, il est efficace à 95 % dans les 24 premières heures, 85 % de 24 à 48h, et 58 % entre 48h et 72 h. Si de nombreux effets secondaires sont fréquents, ils sont sans gravité, et le nombre de réelles contre-indications est très faible. Ce médicament peut de plus être pris pendant l’allaitement et n’a pas de conséquence sur une grossesse déjà en cours. (pour des informations plus exhaustives, on peut consulter ce document)
  • L’Ullipristal Acetate : Commercialisé sous le nom EllaOne (et obtenu uniquement sur ordonnance), appelé aussi la « pilule du surlendemain ». Son efficacité est deux fois meilleure que celle du levonogestrel, et peut être prise jusqu’à 120 heures après le rapport non protégé. Les effets secondaires sont similaires au levonorgestrel, mais étant beaucoup plus récent, on manque de recul sur l’allaitement, ou les grossesses en cours. Il est donc préconisé en particulier l’interruption momentanée de 36h pour l’allaitement. [Il semblerait néanmoins que l’ullipristal passe dans le lait, mais dans des quantités plutôt faibles, puisqu’il s’agit d’un représentant de la famille des stéroïdes (comme le levonorgestrel d’ailleurs) on pourra lire ce document, en anglais], connus peu passer dans le lait, . (Pour des informations plus exhaustives, on peut consulter ce document (pdf)

Et cette histoire de poids alors ?

En 2011, paraît un article très intéressant dans la revue Contraception, intitulé :

Can we identify women at risk of pregnancy despite using emergency contraception? Data from randomized trials of ulipristal acetate and levonorgestrel

Ou en français (pardon pour les approximations) :

Peut-on identifier les femmes qui risquent de tomber enceintes malgré une contraception d’urgence ? Données tirées d’essais cliniques randomisés sur l’ulipristal et le levonorgestrel

Le poids, ou plutôt l’Indice de Masse Corporel (IMC) est apparu comme un paramètre particulièrement important sur le risque de grossesse malgré la prise de ces pilules. Très clairement, avec un excellent facteur p (qui montre la fiabilité statistique, voir wikipédia) (p<0,0001), le levonogestrel apparaît comme nettement moins efficace pour des Indice de Masse Corporelle (IMC) compris entre 25 et 30 (deux fois plus de risque de tomber enceinte), et inefficace pour un IMC au-delà de 30. L’efficacité de l’Ulipristal diminue aussi, mais seulement pour les personnes ayant un IMC supérieur à 30.

Cette relation entre l’efficacité des contraceptifs hormonaux et l’IMC n’est ni nouvelle, ni surprenante : dès les années 80, il avait été relevé qu’il y avait un plus grand nombre d’échec à la contraception hormonale chez les personnes en surpoids et obèse (on pourra lire par exemple cette revue de la littérature de J. Trussell (pdf) de 2009). Certes, il ne s’agissait pas de contraception d’urgence, mais les contraceptifs hormonaux ayant des structures chimiques et des activités biologiques similaires, il est logique de mettre en parallèle ces différentes situations.

D’un point de vue biologique et chimique, les contraceptifs hormonaux font partie de la famille des stéroïdes, qui sont des composés très solubles dans les graisses. Il est très probable qu’ils puissent se stocker facilement dans les tissus adipeux, et donc être moins disponibles. Un article de 2009 a ainsi montré (cet article (pdf)) que les concentrations atteintes en lévonorgestrel sont moindres chez les personnes obèses que celles d’IMC inférieurs à 25.

De façon générale, ce qui est important en science pharmaceutique, ce ne sont pas les doses « brutes » des médicaments, mais les concentrations en principe actif dans le corps du patient. Une personne de 100 kg aura besoin, a priori, d’une dose double par rapport à une personne de 50 kg, pour obtenir une concentration équivalente. Partant de ce principe, il est vrai un peu simpliste, le dosage d’un contraceptif ne peut pas être identique chez des femmes de poids très différents (on module bien la quantité de paracétamol en fonction du poids des enfants) ! Soit il y a un surdosage chez les femmes minces, soit il y a un sous-dosage chez les femmes en surpoids. Les auteurs de l’article de 2011 suggère à ce propos qu’il serait intéressant d’évaluer scientifiquement la prise d’une double dose pour les femmes en surpoids (ce qui est déjà le cas pour les personnes qui prennent d’autres médicaments susceptibles de diminuer l’efficacité de la contraception hormonale)…

Pourtant, aucune de ces conclusions n’a été retenue par l’Agence Européenne des Médicaments

Suite à la publication de cette étude, certains distributeurs de Levonorgestrel ont décidé de rajouter une précision sur la notice du médicament, précisant que l’efficacité était diminué chez les personnes en surpoids. Appelée à statuer sur l’intérêt, ou non, de cette précision, l’Agence Européenne des Médicaments a rendu son rapport fin juillet 2014. Le titre est sans appel :

Levonorgestrel and ulipristal remain suitable emergency contraceptives for all women, regardless of bodyweight

Le levonorgestrel et l’ulipristal reste une contraception d’urgence appropriées pour toutes les femmes, indépendamment de leur poids.

Ce rapport, qui tient sur deux pages, me paraît scientifiquement assez surréaliste : le rapport conclut que les données sont considérées comme insuffisantes ou trop limitées pour « conclure avec certitude que l’effet des contraceptifs d’urgence est diminuée chez les personnes en surpoids. » (traduction de l’auteur). Je ne comprends pas bien du tout ce besoin de certitude : des doutes sérieux sont émis, justifiés par des résultats statistiquement pertinents, mais cela ne suffit pas pour justifier un avertissement sur l’efficacité du médicament !!!

Mais d’ailleurs… Ces données ? Quelles données ?

Le rapport cite trois méta-analyses. Ou plutôt, « parle » de trois méta analyses, sans donner de références publiées ! Seuls les articles sur lesquels les meta-analyses se sont appuyés sont cités. Le soucis, c’est que ces articles ne portent pas directement sur l’influence de l’IMC sur l’efficacité des contraceptifs, même si les auteurs ont pu récupérer ces informations. Les chiffres avancés sont donc, en partie du moins, invérifiables, y compris en lisant les articles cités.

Sur ces 3 méta-analyses, de petites envergures, 2 concluent à la diminution de l’efficacité du levonorgestrel et de l’ulipristal. La troisième conclut en l’absence de diminution de l’efficacité.

En cherchant un peu, la première de ces méta-analyses correspond à l’article de 2011, dont le rapport ne fait référence, dont j’ai parlé plus haut. Mais je n’ai pas trouvé les deux autres méta analyses dans la littérature.

Par contre, en cherchant mieux, j’ai pu trouver ce document (pdf), publié en septembre 2014 : Efficacy of Emergency Contraception in Women over 75 kg, écrit par le « Northern Treatment Advisory Group » (organisation britannique d’information sur les traitements médicaux (leur site)). Ce document détaille les méta-analyses dont « parle » le rapport, pointe les insuffisances des données actuelles, mais préconise, lui, la communication de conseils supplémentaires aux patientes et aux prescripteurs. Je vous invite fortement à le consulter (en anglais).

Alors, que faut-il conclure ?

Plusieurs choses m’ont choqué dans ce rapport :

  • Les résultats présentés montrent qu’il y a, a minima, de sérieux doutes sur l’efficacité de ces contraceptifs d’urgence. Mais le rapport préconise la négation de ces doutes.
  • Alors que les doutes sont sérieux aucune demande d’études complémentaires n’est proposée.
  • Les résultats sont présentés de telle manière qu’ils en deviennent quasiment invérifiables.

Là où j’estime que cela ressemble purement et simplement à du mépris, c’est qu’il existe des alternatives à la prise de la pilule du lendemain. Ne pas changer les préconisations, alors que de sérieux doutes ne sont pas levés, consiste à considérer qu’il n’est pas important que la contraception d’urgence soit réellement efficace pour tous. (C’est d’ailleurs ce sur quoi insiste toutes les notices d’utilisation).

Sans être médecin, ni sage-femme, ni pharmacien, je pense qu’il est raisonnable, lorsqu’une femme en surpoids cherche une contraception d’urgence :

  • De lui donner les informations sur le manque de preuve d’efficacité de la pilule du lendemain si son IMC dépasse 25
  • De préconiser la pose d’un DIU, méthode la plus efficace (et de loin)
  • De préconiser, si le DIU n’est pas possible ou souhaité, la pilule EllaOne qui reste, de toute façon, bien plus efficace que le levonorgestrel.

Sans être expert en sciences pharmaceutiques, je pense qu’il est raisonnable, lorsqu’on lit un rapport aussi… surprenant, de remettre en question soit les compétences, soit la volonté de clarté du groupe d’expert qui s’est penché sur la question. Et puis de toute façon, elles n’avaient qu’à faire attention, ces grosses !! (Ont-ils l’air de dire…)

Principales références (les autres se trouvent en lien dans l’article) :

 

N.B. Si l’envie de lire ces publications vous prend, sachez, pour comprendre les valeurs d’efficacité données, que la probabilité pour une femme de tomber enceinte en prenant un placebo à la place d’une contraception d’urgence est d’environ 5,6 à 6 %. D’où l’inefficacité du levonorgestrel chez les personnes d’IMC supérieur à 30 dès une probabilité d’être enceinte de 5,8%…

« Choisir Sa Contraception » : les surprenantes données de l’INPES

Comment choisir en bonne intelligence sa contraception ? Préservatifs ? Pillule ? DIU (dispositif intra utérin) ? Et les autres ? Pour permettre un choix éclairé, l’INPES a créé un site plutôt bien fait, qui montre les avantages / inconvénients des différentes méthodes : « Choisir sa Contraception« . Les propos sont sensés et mesurés et toutes les solutions sont passées au peigne fin. En particulier, il y est proposé un tableau récapitulatif de l’efficacité des différentes méthodes de contraception, dont je vous propose une copie d’écran ici :

Il y a sur le site 16 méthodes de contraception depuis les stérilisations jusqu'aux spermicides. Le classement par défaut correspond à l'efficacité pratique

Il y a sur le site 16 méthodes de contraception depuis les stérilisations jusqu’aux spermicides. Le classement par défaut correspond à l’efficacité pratique

 

Ce tableau est très complet, très pratique… Mais les chiffres annoncés sur l’efficacité sont parfois … surprenant.

Les méthodes « sans manipulation » ou définitive sont les plus efficaces, ce qui paraît logique. Ainsi, l’implant, les DIU (Dispositifs intra-utérins, appelés aussi stérilet), ou encore les stérilisations définitives ont des efficacités « pratiques » identiques aux efficacités « théoriques », de plus de 99 %. C’est plutôt pour les autres dispositifs contraceptifs que les chiffres paraissent bizarres… Par exemple, le préservatif, avec ses 85 % d’efficacité pratique, ne semble pas meilleur que la cape cervicale, et moins efficace que le diaphragme. Le préservatif féminin, dont l’efficacité est souvent vantée comme identique à celle de son homologue masculin, se retrouve à 79 % d’efficacité, soit… quasi-identique à la méthode de retrait, qui, d’expérience, a une efficacité… faible (pour mon plus grand bonheur aujourd’hui, je dois l’avouer). Il est aussi surprenant, pour moi, que les méthodes d’abstinences périodiques soient encore moins fiables que celle du retrait, et d’ordre de grandeur comparable à l’utilisation de spermicides…

Peut-être relèverez-vous d’autres éléments surprenants dans ce tableau (et n’hésitez pas à les partager en commentaires), mais ces chiffres, et leur organisation méritent maintenant une explication plus fine.

Provenance des données

Ces valeurs « d’efficacité » proviennent d’un rapport de la Haute Autorité de la Santé de 2013, qui les tire de l’OMS, qui elle-même les a extraites d’un article de J Trussell paru en 2011 (accès gratuit) dans le journal Contraception. Les chiffres français ont été tirés d’un article de C. Moreau, J. Trussel et leurs collaborateurs de 2007 (accès gratuit),

Que signifie réellement « efficacité » ?

Une efficacité de 75 % signifie que le risque de déclarer une grossesse dans l’année est de 100-75 = 25 %. A titre de comparaison, le risque de déclarer une grossesse en absence de toute contraception est de 85 %.

Mais ce terme n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Ces statistiques, et cela n’est pas clairement dit, correspondent uniquement à une première année d’utilisation. Cela permet sans doute d’expliquer les écarts importants entre les méthodes où il n’y a pas d’intervention des personnes concernées (implants, DIU, …), qui apparaissent très sures, et les méthodes où il y a intervention (pilule, préservatifs, etc…). Il est aisément concevable que ces écarts se resserrent lorsque les couples deviennent « experts » en l’utilisation de leur contraception, et c’est ce qui est observé dans l’étude française.

Que signifie « pratique » ou « théorique » ?

L’efficacité théorique correspond à une utilisation rigoureuse de la contraception. Le mot « théorique » n’est pas très approprié : cette efficacité peut très bien être atteinte !! Par exemple, pour la pilule, il « suffit » de la prendre à heure fixe, sans oubli, et d’être très rigoureux sur les aliments et les médicaments qui pourraient diminuer son action pour atteindre son « efficacité théorique ».

L’efficacité pratique correspond aux résultats obtenus par sondage auprès de femmes ayant utilisé ce moyen de contraception, en comptant le nombre de grossesse survenue dans l’année. Ainsi, l’efficacité pratique d’un moyen de contraception va correspondre au nombre de femmes qui ont déclarées avoir utilisé ce moyen et qui sont tombées enceintes. Pour le préservatif masculin, par exemple, vont être concernés de la même façon des couples très rigoureux et précautionneux, et des couples qui n’utilisent le préservatif de façon qu’occasionnelle.

Chiffres français ou chiffres américains ?

Hum… Là, l’affaire se corse un peu plus. Les chiffres d’efficacité donnés sont exclusivement tirés de la publication de Trussel. Si les chiffres français apparaissent dans le document de la HAS (sans être commentés pour autant), ils n’apparaissent plus du tout sur le site choisirsacontraception.fr. La raison pour laquelle ils n’ont sans doute pas été conservés réside en leur manque d’exhaustivité. Pas de traces « d’efficacité théorique », pas de distinction entre DIU hormonal et DIU au cuivre, et de nombreuses méthodes contraceptives dont l’efficacité n’a pas été chiffrée (implants, anneaux vaginaux, préservatifs féminins, …).

Cependant, les statistiques américaines et les statistiques françaises qui restent peuvent parfois présenter de très grosses différences. Un exemple est particulièrement saillant : aux USA, l’efficacité pratique du préservatif masculin est de 85 %. En France, elle est de 96,7 % ! De quoi modifier profondément le classement des méthodes contraceptives !

Voici un extrait du tableau du rapport de la HAS, montrant les différences les plus flagrantes…

tableauHAS

Ces valeurs correspondent aux taux de grossesse la première utilisation de la méthode. La note qui correspond à la ligne « DIU » précise en réalité que l’étude française ne distingue pas les DIU au cuivre des DIU hormonaux (au lévonorgestrel). Extrait du rapport de la HAS « Etats des lieux des pratiques de contraceptives et des freins à l’accès et au choix d’une contraception adaptée« 

 

 Comment expliquer de tels écarts ?

Comment peut-on passer de 15 % à 3,3 % d’échec à la contraception avec le préservatif masculin, ou de 9 % à 2,4 % avec la pilule ? Il paraît difficile à imaginer qu’une telle différence peut exister entre deux pays à première vue similaire, d’un point de vue démographique. De façon globale, les échecs à la contraception s’élèvent à 2,9 % en France, contre 13 % aux USA.

Les réponses à cette question sont discutées dans l’étude française :

  • Il existe une importante sous-déclaration des avortements, tant aux USA qu’en France. Et de plus le taux de sous-déclaration varie d’une méthode contraceptive à l’autre : par exemple, aux Etats-Unis, la sous-déclaration est beaucoup plus importante en cas d’utilisation de contraception locale (préservatif, diaphragme, …) ou « naturelle » (retrait, …) qu’en cas d’utilisation de contraception hormonale… Il semble plus avouable de tomber enceinte involontairement avec une contraception censée être fiable et régulière (on n’y est VRAIMENT pour rien, on a fait tout ce qu’il fallait), plutôt qu’avec une contraception plus ponctuelle, à l’efficacité paraissant plus aléatoire… Moreau et ses collègues annoncent qu’ils n’ont pas corrigé leurs données, contrairement à l’étude américaine. Il faut donc comparer les 2,9% d’échecs en France aux 10 % américains et non 13. Cela fait tout de même une efficacité trois fois moindre aux USA !
  • Les études françaises et américaines diffèrent sur un point assez important : aux USA, toutes les grossesses sous contraception ont été considérées comme des échecs à la contraception. Or un tiers de ces grossesses sont en fait voulues. L’étude française exclue ces dernières des statistiques. Les 2,9 % d’échecs français doivent donc être comparées à 6,7 % aux USA… Ça se rapproche…
  • Un autre biais est aussi relevé : compte-tenu de la méthodologie adoptée, les périodes d’abstinence dans l’étude française sont sans doute sous-estimées

Cependant, les auteurs affirment que ces différents points ne peuvent pas expliquer la totalité des écarts observés. D’autres raisons (Culturelles ? Éducatives ? De pratiques sexuelles?) doivent être évaluées. Les auteurs rappellent par exemple, qu’une étude sur 5 pays européens a montré que l’oubli d’une pilule durant le cycle précédent concerne de 12 à 25 % des femmes, suivant le pays concerné…

D’autres part, les pratiques contraceptives sont très différentes entre les USA et la France :

  • Outre-atlantique, la pilule contraceptive arrive en tête avec 27,5 % d’utilisatrices, suivie de la stérilisation féminine (26,6 %), puis du préservatif masculin (16,3 %), de la vasectomie (stérilisation masculine, 10 %), et enfin des DIU (5,6 %) (source : GuttMacher Institute )
  • En France, la pilule arrive aussi en tête, (45 % + 4,6 % qui utilisent aussi le préservatif), suivie des DIU (20,7 %) et des préservatifs (12,2 %). La stérilisation ne concerne que 4,2 % des femmes… (source : INED)

L’édition des chiffres français, corrigés, est indispensable

Peut-on réellement se baser sur les chiffres américains dans ces conditions ? S’il est évident que les méthode définitives (stérilisations), et les méthodes sans intervention sont les plus fiables, les autres ne sont pas aussi catastrophiques qu’annoncés sur le site « Choisir Sa Contraception ». L’INPES, par l’intermédiaire de cette plateforme web, répond aujourd’hui à l’urgence de la publication de données claires pour un choix personnel et éclairé sur les différentes méthodes, mais l’utilisation des statistiques des USA pose le problème de la fiabilité des données, et surtout de leur transposition dans un contexte où les pratiques diffèrent largement, d’autant que les statistiques françaises, quoique incomplètes, n’apparaissent pas du tout sur le site. Pour « choisir sa contraception » en bonne intelligence, il me paraît urgent que les chiffres présentés soient complétés, et modifiés par les résultats de l’étude française.

 

N.B. Il reste, de plus, d’autres sources d’erreur et de confusion sur le tableau, concernant par exemple les méthodes dites « naturelles », qui peuvent correspondre à des pratiques très sécuritaires, comme d’autres beaucoup plus laxistes. D’après l’article de Trussel, l’efficacité théorique s’échelonne entre 99,6 % pour la méthode sympto-thermique à 95,2 % pour la « Standard Days Method ». Il y aurait aussi à redire sur l’efficacité de la cape cervicale, très différente entre les nullipares et les femmes qui ont déjà eu une grossesse…

N.B.2 : N’oublions pas aussi de souligner l’importance de la colonne « protège contre les IST » dans le tableau du site…

[Science et Genre] #2 Du lait qui dépend du sexe du bébé…

Il y a quelques semaines, paraissait un article de recherche intitulé « Biased Milk Production Programmed during Pregnancy as a Function of Fetal Sex« .(1) Il a fait un bruit du tonnerre : la qualité et/ou la quantité de lait produit par une mère est différente selon le sexe du fœtus.(2)

Bon, pourquoi pas. Après tout, les garçons sont plus grands que les filles, sont plus turbulents, aiment plus les petites voitures. Les filles, plus fragiles, plus petites et plus sages, n’ont pas les même besoins ! En tout cas, grâce à une dépêche AFP, les journaux, scientifiques ou non, se sont précipités dans cette brêche, puisque cet article permettait, encore une fois, d’expliquer que les petits garçons et les petites filles ne sont pas pareils, et que les partisans d’une construction du genre indépendante du sexe pouvait bien se rhabiller.

Ce qui est VRAIMENT écrit…

Ah, au fait, le titre que j’ai cité n’est pas complet : il commence par « Holsteins Favor Heifer, not Bulls » : « Les Holsteins (i.e. les vaches de race Holstein) favorisent les génisses, pas les boeufs« . Il s’agit d’un article sur les vaches, pas sur les humains. Et dans cet article, paru dans le numéro de février 2014 de PLOS One, explique comment, sur un très très vaste échantillon, cette race de vache produit plus de lait pour les génisses que pour les bœufs. C’est intéressant pour l’industrie laitière, puisqu’il s’agit d’un excès de plusieurs centaines de kilos de lait par vache et par gestation.

Les auteurs cependant axent leur article sur la différenciation entre les mâles et les femelles. Ainsi, ils citent un assez grand nombre d’articles qui font état de différences entre la qualité et la quantité de lait pour nourrisson de sexe féminin ou masculin. Chez les singes Rhésus, il semblerait qu’il y ait plus de lait, mais moins riche, pour allaiter les femelles. Au contraire, chez le cerf élaphe espagnol, c’est pour les mâles qu’est produit le plus de lait, et qui est plus riche aussi.(voir les références de l’article (1))

Chez l’homme, peu d’études ont été menées, et donnent des résultats contradictoires :

  • Une étude sur 72 femmes au Kenya montre un lait plus riche pour les filles dans les familles pauvres, et un lait plus riche pour les garçons dans les familles riches. (3)
  • Une étude sur 25 femmes dans le Massachusetts montre un lait plus riche pour les garçons. (4)
  • Une étude sur 103 femmes aux Philippines ne montre aucune différence entre les sexes. (5)

On est loin des affirmations de la presse française, presque unanime, qui annonce des compositions différentes (2). Merci l’AFP ! A l’heure actuelle, ce qu’on peut réellement affirmer, c’est qu’il existe (parfois) dans les différentes espèces animales, y compris chez les primates, des différences en terme de qualité et de quantité du lait maternel selon que le nourrisson est un mâle ou une femelle. Chez l’humain, il n’est pas possible de statuer.

Pourquoi des différences (ou non) entre les sexes ?

Ah ça ! C’est toute la question. Globalement, il y a deux hypothèses sérieuses sur le sujet. L’hypothèse de Trivers-Willard et l’hypothèse des « Local Resources Enhancement » et « Local Resources Competition« .

L’hypothèse de Trivers et Willard (6) est relativement simple : les parents doivent investir plus dans le sexe qui leur permettra d’obtenir un maximum de descendants à la deuxième génération. Imaginez une société (animale, bien sûr) dans laquelle les mâles nécessitent beaucoup plus de soins et de nourriture, mais peuvent féconder un grand nombre de femelles.

  • Dans une situation où la nourriture manque, il est plus intéressant de faire moins de mâles. Les quelques mâles restant pourront féconder beaucoup de femelles, et ainsi permettre à l’espèce de se perpétrer.
  • Dans une situation d’opulence, le ratio mâle/femelle se déplace vers les mâles : puisqu’il n’y rien à craindre, un grand nombre de mâle permet une meilleure sélection des individus, et donc la transmission des « meilleurs » caractères génétiques. 

On voit dans cette hypothèse que l’influence du milieu et l’organisation sociale de l’espèce est fondamental. Cette hypothèse a pu être vérifiée dans un certain nombre de cas animal, comme celui du cerf élaphe, cité plus haut.

Chez l’homme, c’est moins évident, les facteurs sociétaux et culturels interférant fortement avec les conditions de vie des parents… On y reviendra un peu plus loin.

L’autre hypothèse, des « Local Resource Enhancement » (LRE) et « Local Resource Competition » (LRC) (7), se focalise sur un « retour sur investissement » rapide : est-ce que l’augmentation du nombre de mâle (ou femelle) va induire un meilleur accès aux ressources (LRE) ? Ou est-ce que cet augmentation va induire une plus grande compétition dans cet accès (LRC) ?

Imaginez une espèce où les rejetons mâles aident plus rapidement et efficacement que les femelles : ils seront, selon l’hypothèse du LRE, favorisés par rapport aux femelles. C’est le cas chez les marmottes, où le sex ratio est en faveur des mâles, qui aident plus les parents que les jeunes femelles.(7)

Imaginez une espèce où les petits femelles partent plus vite du foyer familial. Elles seront, selon l’hypothèse du LRC, plutôt favorisées, car elles entrent moins en compétition avec les adultes. C’est le cas chez nombres de primates, pour lequel le sex ratio est en faveur des femelles.(7)

Encore une fois, l’organisation sociale des espèces concernées est déterminante pour ces hypothèses.

Des différences chez l’être humain ?

Chez l’humain, tout est profondément social. En cela, il n’a pas besoin qu’une quelconque évolution génétique sélectionne un caractère qui permet de favoriser tel ou tel sexe, dans telle ou telle autre situation. Prenez l’Inde : en 2001, il y avait 93 femmes pour 100 hommes, ce qui représente un déficit de 36 millions de femmes. Déficit expliqué par des avortements sélectifs, des infanticides, des défauts de soins (8).

Autre exemple : dans une clinique aux USA, qui permet aux couples de choisir le sexe de leur enfant grâce à une sélection des embryons obtenus par FIV, on observe qu' »Aux Etats-Unis, 55 % des familles veulent des garçons mais au Canada, 65 % veulent des filles » ( lemonde.fr, daté du 31/07/2010 ).

Bref, si dans l’espèce humaine, le sex ratio à la naissance est quasiment de 50 – 50 entre fille et garçon, les pratiques culturelles sont centrales dans la façon dont vont être privilégiés les nourrissons mâle ou femelles. On en reparlera (du sex ratio) dans un autre billet, promis.

Mais pour l’instant, revenons à la question de l’allaitement.

De nombreuses publications font état de recherche, chez l’humain, ayant pour objet l’influence du sexe de l’enfant sur l’allaitement, avec des biais de genre parfois marqués.(9) Par exemple, dans certains pays occidentaux, comme la Suisse, le Royaume-Uni ou la Norvège, les filles sont privilégiées. Mais aussi dans des communautés romani en Hongrie, en république dominicaine, ou au Kenya. Dans d’autres pays, ce sont les garçons qui sont privilégiés, comme en Egypte, au Bangladesh, mais aussi dans certains milieux privilégiés américains.

Il est difficile de donner une explication globale à ses résultats : certains concordent avec l’hypothèse de Trivers-Willard, d’autres avec les hypothèses LRC et LRE (9). Ce qui semble sûr, c’est que le caractère culturel du choix des parents de privilégier un sexe plutôt que l’autre est très fort. On retrouve ce caractère culturel dans les observations dont fait part Serge Hefez, psychiatre, sur son blog : « Dès la naissance, les mères ont tendance à contraindre leurs filles à des heures régulières d’allaitement, alors qu’aux garçons, elles donnent le sein à la demande…« . Il ne cite pas d’études à ce propos, mais l’affirmation montre en elle-même le poids culturel qui pèse sur comportement attendu des mères avec son enfant garçon ou fille dans notre société occidentale.

Cependant, il convient de noter que les éléments qui ont été le plus étudiés sont le taux d’allaitement entre garçon et fille, et la durée de l’allaitement. Pas la composition du lait, ni la quantité. Si dans certains cas la fréquence quotidienne des tétées a été comparée entre nourrisson garçon ou fille, aucune différence statistiquement pertinente n’a été constatée(10). 

Pour résumer, il n’y a pas de différence significative dans la qualité du lait humain, entre nourrisson garçon et fille (les études réalisées [(3) à (5)] sont contradictoires, et ont été réalisées avec des échantillons beaucoup trop faibles pour conclure). Quant à la quantité, elle dépend de la durée de l’allaitement, qui, elle, est souvent biaisée par le genre du bébé, en fonction d’aspects culturels et sociaux.

A titre personnel, je trouve, finalement, que le traitement médiatique de l’article sur le lait de vache n’est pas si injustifié que cela. Certes, on ne peut pas confondre les bovidés avec les humains, mais les auteurs de la publication jouent avec cette idée de biais chez les différentes espèces animales, en citant des études sur l’homme. Katie Hinde, militante pro-allaitement, a fait de sérieuses mises au point, mais semble croire qu’il existe une différence réelle entre lait pour garçon / fille (vous pouvez retrouver sa mise au point sur son blog « Mammals Sucks »). Au vue des différents articles que j’ai pu lire sur le sujet, il me semble qu’il est peu probable qu’on trouve de véritables différences universelles, qui prennent naissance dès la grossesse, comme c’est le cas chez les vaches holsteins (1). Et si elles existent, elles seront noyées dans d’autres, beaucoup plus importantes, d’ordre socio-économique (en lien avec la nutrition et l’état de santé de la mère), et culturelle (usages, durées de l’allaitement différentes entre garçon et fille). Prétendre que ce type de recherche pourra permettre une meilleure adaptation des laits artificiels ou donnés aux enfants est, pour moi, assez douteux.

 

(1) « Holsteins Favor Heifers, Not Bulls : Biaised Milk Production Programmed during Pregnancy as a Function of Fetal Sex« , K. Hinde et al. PLOS One 2014

(2) On pourra voir par exemple les articles repris dans les médias en ligne : Huffington Post, Les Échos, etc…

(3) « In poor families, mothers’ milk is richer for daughters than sons: A test of Trivers–Willard hypothesis in agropastoral settlements in Northern Kenya » M. Fujita et al.Am. J. Phys. Anthropol. 2012, 149, 52–59. 

(4)« Infant sex predicts breast milk energy content » C.E. Powe et al., Am. J. Hum. Biol. 2010, 22(1), 50–54.

(5) « Dynamics of human milk nutrient composition of women from Singapore with a special focus on lipids » S.K. Thakkar et al.  Am. J. Hum. Biol. 2013 early view

(6) « Natural selection of parental ability to vary the sex ratio of offspring » R.L. Trivers D.E. Willard, Science 1973, 179(4068): 90–92.

(7) « Local Resource Enhancement and Local Resource Competition shape primate birth sex ratios » J.B. Silk, G.R. Brown, Proc. R. Soc. B 2008 , 275, 1761.

(8) « Inde : la malédiction de naître fille » sur le site « Genre et Action ».  

(9) « Local Resource Enhancement and Sex-biased Breastfeeding in a Caribbean Community » R. J. Quinlan, M.B. Quinlan and M. V. Flinn, Current Anthropology 2005, 46(3), 471.

(10) On pourra regarder par exemple une étude réalisée en Suède : « Breastfeeding patterns in exclusively breastfed infants: a longitudinal prospective study in Uppsala, Sweden » A. Hörner et al. Acta Paediatrica 2007, 88(2), 203. Une autre, en zone rurale au Bangladesh : « Longitudinal Study of the Frequency and Duration of Breastfeeding in Rural Bangladeshi Women«  R. Ghosh et al. Am. J. Hum. Biol. 2006, 18, 630–638.

[Science Et Genre] #1 La prise en charge des accidents cardiaques

Les différences entre hommes et femmes en médecine sont légions, d’abord pour des raisons anatomiques évidentes. Les cancers du sein chez l’homme représentent 1 % du total, les cancers de la prostate ou des testicules sont l’apanage de ceux qui en ont.

Certaines différences physiologiques sont un peu plus subtiles : les hormones sexuelles chez la femme les protégeraient davantage que les hommes des risques d’accidents coronariens (crises cardiaques). Ce qui a pour conséquence un risque plus faible chez les femmes avant la ménopause, mais plus important après.

Il y a ensuite des différences qui ne dépendent pas de la physiologie, mais du comportement social de genre. Les cancers du poumon, liés quasi-exclusivement au tabac et/ou à l’exposition professionnelle (particules fines, bois, etc…) sont beaucoup plus présents chez les populations masculines, PARCE que cette population fume, et travaille dans des conditions sanitaires douteuses beaucoup plus. (Il est intéressant de remarquer d’ailleurs que l’écart entre la prévalence des cancers du poumon se réduit peu à peu, en raison de l’équilibrage progressif des facteurs de risques entre les sexes). De même, la dépression est très souvent associée au genre féminin, en partie à cause de certains changement hormonaux durant la vie d’une femme, mais aussi pour des raisons psychosociales, liés en particulier aux stéréotypes de genre.(1)

Une différence notable, et presque surprenante, entre homme et femme se trouve dans la mortalité en cas d’accident coronarien. En cas de crise cardiaque, les femmes ont deux fois plus de chances que les hommes d’y passer.(2)

Cette différence a été étudiée dans un assez grand nombre de publications, dont les résultats sont parfois contradictoires. Cependant, trois grandes idées sont centrales :

  • Les crises cardiaques surviennent plus tard chez les femmes que chez les hommes
  • Les facteurs de risque sont plutôt différents entre hommes et femmes
  • Les symptômes, et la prise en charge des crises cardiaques sont différents chez les hommes et les femmes

Des crises cardiaques « repoussées » après la ménopause ? (3)(4)

Pour expliquer la survenue plus tardive de crises cardiaques chez les femmes, il est souvent admis que les hormones sexuelles féminine jouent un rôle protecteur vis-à-vis des accidents coronariens. C’est après la ménopause que le nombre de crises cardiaques augmente. L’âge de survenue de ces accidents cardiaques étant plus important (7 à 10 ans de plus), le taux de mortalité associé est plus élevé. (pour des explications détaillées, voir en fin d’article).

Des facteurs de risques différents

Les facteurs de risques d’accidents coronariens sont nombreux et variés. Certains sont plus présents chez les hommes, d’autres chez les femmes.

  • Les hommes fument plus. Cela augmente considérablement le risque d’athérosclérose, qui est la principale cause des crises cardiaques.
  • Les femmes ont plus souvent un diabète, de l’hypertension, ou une obésité.

Il est difficile d’établir une hiérarchie entre ces facteurs de risques, mais il faut noter qu’entre 35 et 75 ans, la mortalité par accident cardiaque est quatre fois plus élevée chez l’homme que chez la femme (en 2007, en France : 48,4 morts / 100 000 hommes, contre 12,2 mortes / 100 000 femmes) (5). Au delà, la mortalité des femmes est bien plus importante, et, tout âge confondu, ce sont les femmes qui meurent le plus d’accidents cardiovasculaires.

Des facteurs de risques différents, des âges différents… Et c’est tout ?

On pourrait penser que ces différences permettent d’expliquer la plus grande mortalité lors d’accidents coronariens : les femmes victimes de malaises cardiaques sont en moyenne plus âgées, et ont plus de facteurs de co-morbidités (hypertension, diabète, etc…) que les hommes. Pourtant, les scientifiques restent divisés sur ce point.

Un article paru en 2009 dans le Journal of the American Medical Association (2), a examiné les résultats de 11 essais cliniques, concernant environ 38 000 femmes. La mortalité à 30 jours après l’accident cardiaque était quasiment 2 fois plus importante chez les femmes que chez les hommes, MAIS après ajustement des facteurs de risque, de l’âge, il n’y avait plus de différence significative entre les deux sexes.

Par contre, en 2012, la revue de la littérature publiée dans le World Journal of Cardiology (5) a une conclusion différente : pour les femmes de moins de 40 ans, la mortalité par accidents cardiaques n’est pas totalement expliquée par les différents facteurs de risque. A facteur de risque équivalent, lors d’un accident cardiaque, une femme de moins de 40 ans a plus de risque qu’un homme de décéder.

Une autre étude, publiée dans PLOS One en 2013, concernant les pays du Golfe, va dans le même sens. Les facteurs de risques sont un de principaux facteurs, mais n’expliquent pas complètement la différence de mortalité. (7)

Une prise en charge inégale

Manifestement, c’est au niveau de la prise en charge en urgence des accidents cardiaques qu’il faut regarder pour comprendre cette différence de mortalité. Et c’est sur ce point qu’une étude a été publiée en mars 2014 dans le Canadian Journal of Medecine.(6)

L’idée des chercheurs a été de mesurer le laps de temps écoulé entre l’arrivée aux urgences et le premier électrocardiogramme (ECG) (« Door-to-ECG« ), le temps entre l’arrivée et le premier traitement par voie intra-veineuse (« Door-to-Needle« , et le temps entre l’arrivée et la première angioplastie coronaire (ce dernier point correspondant à une intervention chirurgicale d’urgence permettant de re-dilater une artère bouchée à l’aide d’une sonde munie d’une sorte de ballon, qui va écarter les parois du vaisseau sanguin) (« Door-to-Balloon« ).

L’étude a porté sur des patients « jeunes », de 18 à 55 ans se rendant aux urgences pour un accident coronarien. 32 % d’entre eux étaient des femmes, 68 % des hommes.

  • Le temps médian « Door-to-ECG » était de 15 min pour les hommes, 21 min pour les femmes. Sachant que l’American College of Cardiology recommande, pour une prise en charge efficace, un temps de moins de 10 min, c’est 38 % des hommes qui ont été pris en charge « à temps », contre 29 % des femmes.
  • Le temps médian « Door-to-Needle » était de 28 min pour les hommes, 36 min pour les femmes. Les recommandations de prise en charge avant 30 min ont été respectée pour 59 % des hommes, 32 % des femmes.
  • Le temps médian « Door-to-Balloon » était de 93 min pour les hommes, 106 min pour les femmes. Pour les deux sexes, les recommandations de prise en charge avant 90 min ont été respectées à hauteur de 43 %.

Les conclusions de l’article sont claires : au-delà du manque général de respect des recommandations (pour les hommes et les femmes), les femmes ont eu un accès beaucoup plus tardifs que les hommes aux analyses (ECG) et aux soins.

Si on analyse plus finement les résultats, on s’aperçoit que la survenue d’accident coronarien SANS douleurs dans la poitrine (15 % des cas chez les hommes, 19 % des cas chez les femmes dans cette étude) est un facteur qui augmente statistiquement les temps de prise en charge dans les deux sexes. Par contre, l’anxiété (54 % des femmes, 37 % des hommes) est un facteur augmentant le temps de prise en charge uniquement chez les femmes ! De plus, dans cette étude, les femmes prises en charges cumulaient beaucoup plus de facteur de risque que les hommes (que ce soit l’obésité, le tabac, le diabète, l’hypertension…). Ce n’a pas empêché la prise en charge d’être plus tardive.

L’accès aux soins paraît donc complètement biaisé par le genre. Certes, on peut évoquer des différences au niveau des symptômes entre hommes et femmes (comme par exemple le plus grand nombre de cas d’absence de douleurs dans la poitrine). Mais l’écart entre patients masculins et féminins est trop large. Or la rapidité de la prise en charge est un élément déterminant pour sauver la vie du malade.

Il semble urgent de revoir la façon dont les femmes et les hommes sont vus lorsqu’ils arrivent aux urgences. Une telle différence de prise en charge, contribuant sans doute à une différence de la mortalité me semble totalement inacceptable.

 

N.B. Notons tout de même qu’il existe biais de sélection dans cette étude : il ne s’agit que de patients qui ont survécu à leur accident coronarien. J’avoue ne pas savoir comment ce biais influe sur les résultats

 

Pour aller plus loin…

Un rôle protecteur des hormones féminines ?

En réalité, c’est sur l’apparition d’athérosclérose que les estradiols (hormones sexuelles chez la femme) auraient un effet protecteur : l’arthérosclérose, c’est le rétrécissement des artères, par constitutions de plaques de « graisse » (pour plus de détail, voir cette notice de l’INSERM par exemple, et sur ce blog, quelques lignes de ce billet sur le cholestérol). Ces rétrécissements causent des perturbations de la circulation sanguine, qui peuvent aboutir à la formation de thrombus (caillot de sang coagulé). Dans le pire des cas, la « plaque » se révèle instable, se décolle, et vient boucher une artère. Si c’est une artère coronaire, c’est l’accident cardiaque. Si c’est au niveau du système nerveux central, c’est l’AVC. Le thrombus peut lui aussi jouer ce rôle délétère.

L’hypothèse sur ce rôle protecteur repose sur plusieurs constatations :

  • Le nombre d’accidents cardiaques chez les femmes augmente dramatiquement après la ménopause.
  • Dans les modèles animaux, la prise d’estradiol permet d’empêcher la formation des plaques.

Cependant, de nombreux travaux remettent en question cette hypothèse :

  • Dans les modèles animaux, la protection contre la formation des plaques de athérosclérose n’est effective qu’à des doses d’estradiol comparables à celles, très grandes, présentes au cours des grossesses. Les femmes n’étant pas en permanence enceinte, il est difficile de transposer les résultats obtenus sur les souris à l’être humain !
  • Les mécanismes biologiques qui expliqueraient la protection ne sont pas clairs, et impliquent le système immunitaire. Or, les estradiols ont plutôt tendance à stimuler l’immunité, ce qui est censé aller de pair avec une augmentation du risque d’athérosclérose…
  • La prise de contraceptifs hormonaux, même durant de longues périodes, qui fait chuter les taux d’estradiol, n’est pas associée à une plus grande précocité des accidents cardiaques chez les femmes.
  • La prise d’estradiol de synthèse, pour atténuer les effets de la ménopause, ne sont pas associés à une diminution du risque d’accidents cardiaques. Il a même été montré récemment qu’une importante concentration d’estradiol dans le sang est associée à un risque augmenté d’accidents cardiaques (4)

Bref, on est loin de comprendre pourquoi les crises cardiaques surviennent plus tard chez les femmes que les hommes, et grâce à quoi elles sont « protégées » jusqu’à la ménopause.

Bibliographie

(1) « Dépression : les femmes toujours plus à risque » sur le site « stress humain »

(2) « Sex Differences in Mortality Following Acute Coronary Syndromes » J.S. Berger et al. JAMA 2009, 302(6), 874-882.

(3) « Effets vasculaires des oestrogènes » J.F. Arnal et al. M/S Médecine et Sciences 2003, 19(12)1226-1232.

(4) « Oestrogènes et risque cardio-vasculaires chez les femmes ménopausées » Communiqué de l’INSERM, juin 2012.

(5) Gender Gap in acute coronary heart desease : Myth or Reality ? M. Claassen et al., World J. Cardiol. 2012, 4(2), 36-47.

(6) « Sex-related differences in access to care among patients with premature acute coronary syndrome » R. Pelletier et al., CMAJ 2014.

(7) « Gender Disparities in the Presentation, Management, and Outcomes of Acute Coronary Syndrome Patients : Data from the 2nd Gulf Registry of Acute Coronary Events (Gulf RACE-2) » A. Shebab et al., PLOS One 2013, 8(2)

Cancer du sein et mammographie… ça continue

Il y a quelques semaines, j’avais rédigé un billet intitulé : « Mammographie : dépistons, piège à c***« , en m’appuyant sur une étude réalisée sur 90 000 femmes au Canada, publiée dans le British Medical Journal, qui montrait que la mammographie, en plus d’être un dépistage coûteux, provoquait beaucoup de faux positifs, sans améliorer la mortalité par cancer du sein, par rapport à un dépistage par un simple examen physique.(1)

Une revue de la littérature est parue le 2 avril 2014 dans le Journal of the American Medical Association sur le rapport bénéfice/risque du dépistage par mammographie du dépistage du cancer du sein (2). Se basant sur les articles disponibles depuis 1960 (concernant les patients aux USA, au Canada, et en Europe), les recommandations de pratiques aux USA, les auteurs ont tenté de tirer des conclusions permettant une réévaluation correcte des pratiques. Rappelons qu’en France, le dépistage par mammographie est recommandé à partir de 50 ans, une fois tout les deux ans.

Sans entrer, à nouveau, dans les détails, cette revue met en avant quelques points :

  • Le risque cumulé de sur-diagnostic par mammographie sur 10 ans (pour des mammographies annuelles) est de 61 % (On peut imaginer qu’il est moindre en France, où il y a deux fois moins de mammographie sur la même periode).
  • Le bénéfice de la mammographie (si on exclut le problème de surdiagnostic) existe, mais il est modeste. 
  • Ce bénéfice est faible pour les femmes « jeunes », dont le risque de cancer du sein est plus faible et dont le risque de faux-positifs est plus élevé. Ce bénéfice augmente avec l’âge.

Les auteurs de cette revue mettent en avant aussi la question du dialogue entre le praticien et la patiente. Elles proposent ainsi des « points de discussion pour une prise de décision éclairée sur le dépistage par mammographie » (p 1332). Il serait urgent de les traduire, et de les imposer aux médecins qui pratiquent ces mammographie :

Recommandation mammographie

Ce guide de discussion est, pour moi, d’une importance fondamentale. L’absence d’informations fiables qui permettent à la patiente de prendre des décisions éclairées est, pour moi, scandaleuse, et fait obstacle à une liberté fondamentale qui est pourtant très clairement énoncée sur la charte des patients hospitalisés (Troisième point, page 7). Il est donc nécessaire, à mon avis, d’imposer dans les pratiques médicales un dialogue rationnel, où les arguments médicaux sont basés sur des preuves scientifiques, et tout spécialement en gynécologie, où l’intimité, et même la sexualité de la patiente est en jeu. La décision de la réalisation d’un examen doit revenir à la patiente, et à elle seule.

Je souhaite terminer ce billet sur un coup de gueule face au traitement médiatique français de cet article scientifique. Encore une fois, une dépêche de l’AFP a été reprise par de nombreux journaux, dont les auteurs n’ont manifestement pas compris de quoi il s’agissait. Il en résulte des articles dont le fond est incompréhensible. [Lisez celui là et celui là, et dites moi si vous comprenez quelque chose ! ] Il apparaît,par exemple, dans ces articles que le dépistage par mammographie est remis en cause ET qu’il permet de dépister 19 % des cancers du sein, ce qui paraît totalement contradictoire. Les journalistes qui ont repris cette dépêche, comme ceux de l’AFP qui l’ont écrite, manquent cruellement de recul, voire de sérieux. Cela me paraît inimaginable que des professionnels fassent preuve d’aussi peu de rigueur. Il existe d’excellents journalistes scientifiques francophones, qui ne demandent qu’à travailler régulièrement pour les grands médias.

[Pour éclairer ce fameux 19 %, et la raison pour laquelle il ne justifie pas l’intérêt du dépistage par mammographie, il faut se poser la question de l’intérêt du dépistage par mammographie VS dépistage par examen physique classique, ce dont j’ai parlé dans le billet cité plus haut]

 

(1) « Twenty-five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study : randomised screening trial », A.B. Miller et al.BMJ  2014, 348

(2) « A systematic Assessment of Benefits and Risks to Guide Breast Cancer Screening Decisions » L.E. Pace, N.L. Keating JAMA  2014, 311(13), p 1327

 

Science et Genre : une nouvelle série sur ce blog !

J’aime bien les « séries » d’articles.

Après celle sur les poisons du monde végétal « Les plantes et leurs poisons » (un peu laissée en jachère après 9 numéros)

Après celle sur l’actualité de la recherche en chimie « Flash Info Chimie » (26 numéros ce jour !)

Voici « Science et Genre » ! 

On trouve beaucoup d’articles scientifiques qui traitent d’une découverte, d’une étude qui compare le comportement, la physiologie, ou des éléments plus sociologiques, des hommes et des femmes. Certains sont d’une grande justesse, d’autres sont, hélas, emprunts de préjugés assez grossiers.

Ce qui est très gênant aussi, c’est le traitement de ces articles par les médias généralistes. Non seulement ils s’engouffrent dans les préjugés, mais il leur arrive aussi de mal interpréter les communiqués de presse, et, surtout, ne relaient pas les mises aux points, les rectifications de la part des auteurs ou de la part d’autres scientifiques. Il me semble être fondamental de participer avec le plus de rigueur possible à la communication scientifique sur ces sujets, qui touchent au fondement de l’égalité des genres dans la société.

Lorsqu’un article publié dans une grande revue scientifique américaine affirme sans le justifier que le cerveau des hommes et celui des femmes sont « conçus » différemment et qui est largement repris sans aucun recul par les médias (voir par exemple europe1.fr), lorsque un article portant sur la différence de composition du lait suivant le sexe du nouveau-né vache, est transposé par les médias (Voir par exemple leparisien.fr) sur une différence chez le nouveau-né humain, et interprété n’importe comment, c’est une utilisation scandaleuse de la science à des fins idéologiques et sexistes.

Cette série regroupera deux thématiques assez différentes.

  • D’une part, les questions d’accès à l’éducation scientifique, de politique scientifique, autour des différences de l’égalité de genre.
  • D’autre part, des information et commentaires sur des articles scientifiques ayant un rapport avec les questions de genre, comme par exemple les différences (ou non) physiologiques, médicales, sociales.

Pour ne pas attendre le premier réel numéro, je vous invite à relire ce billet sur les différences « supposées » entre le cerveau des hommes et des femmes

Je vous invite aussi à participer à la discussion passionnante sur http://www.echosciences-grenoble.fr : « Femmes, Sciences, cherchez le Bug ! »