Les additifs alimentaires, ces fameuses molécules au nom de code commençant par le célèbre « E » font régulièrement parler d’elle. Il y a pas si longtemps, j’ai encore vu passer des « rumeurs » sur leur dangerosité, en particulier sur leur possible cancérogénicité. Ce n’est pas de ce soucis là dont je vais parler, mais des liens supposés entre ces additifs et l’hyperactivité. Relançant une hypothèse datant de 1975, une équipe de chercheur a publié en 2007 un article dans la prestigieuse revue The Lancet, mettant directement en cause des cocktails de ces additifs dans l’hyperactivité d’enfants de 3-4 ans, et de 8-9 ans.
CoraRoZ, dans sa participation aux Vendredis Intellos du 9 décembre, relaie ainsi deux éléments d’importance. Le premier est la demande d’interdiction de ces additifs par l’Association Belge des Consommateurs en cette fin d’année 2011, et le second est la demande du parlement européen d’étiqueter une mise en garde sur les produits en contenant, dès 2008.
Ces deux points sont intéressants. Le premier pose la question fondamentale de la sécurité des produits de l’industrie agro-alimentaire. Nous allons y revenir longuement. Pour le second, je rejoins des deux mains les commentaires de CoraRoZ et Mme Déjantée, qui s’offusquent de ce type de décision : on continue d’autoriser ces produits, mais on y adjoint une mise en garde… Soyons clair, soit ces additifs sont effectivement dangereux, et leur interdiction doit être une évidence, soit ils ne le sont pas, et dans ce cas, une mise en garde est malhonnête. Ce n’est pas au consommateur de faire ce choix, en surveillant chacun de ses plats et boissons, mais bien aux pouvoirs publics !
Revenons sur ces additifs, et les études qui les mettent en cause. La première date de 1975 effectivement. Ayant réuni un panel d’enfants hyperactifs, le Dr Feingold et son équipe leur ont proposé un régime alimentaire exempt d’additifs alimentaires, et ils ont observé une amélioration des symptômes de ce trouble du comportement. Ces travaux ont ensuite été de nombreuses fois repris, et ce sont une trentaine d’articles scientifiques qui ont été publiés depuis, dont le dernier (à ma connaissance) en 2007. En complément de ces études, les autorisations de ces additifs, ainsi que leurs doses maximales journalières tolérées, ont été maintes fois revues. Oui, à chaque fois qu’une étude scientifique est publiée sur un sujet aussi sensible, les agences nationales et/ou supranationales de sécurité alimentaire sont aussitôt saisies, pour produire très rapidement de nouvelles recommandations [Pour info, c’est le cas pour les parabènes, l’aspartame, etc… Et vous pouvez retrouver quelques uns de ces rapports, résumés et simplifiés en français sur le site http://www.greenfacts.org ].
Et ainsi l’EFSA, l’agence de sécurité alimentaire européenne a produit un rapport de 50 pages en 2008, écrit par 18 « experts » déclarant ne pas avoir de conflits d’intérêts sur le sujet, sur la pertinence de l’article publié en 2007 par McCann et son équipe.
Entrons dans le vif du sujet. L’étude qu’à mené l’équipe de McCann consiste à donner à des enfants « normaux », soit un placebo, soit deux mélanges distincts de 4 colorants alimentaires et du benzoate de sodium (conservateur présent… partout). Les précautions méthodologiques ont consisté à faire une étude en double aveugle, si bien que ni les parents, ni les enfants, ni même les chercheurs qui donnaient les mélanges ne pouvaient savoir si c’était le placebo ou le mélange « actif » qui étaient consommés chez tel ou tel enfant. L’hyperactivité des enfants a été évaluée par leurs parents, leurs enseignants, ou éventuellement un chercheur extérieur. Les résultats présentés montrent une augmentation globale du score indiquant des troubles de type « hyperactivité » chez les enfants de 3-4 ans et chez les enfants de 8-9 ans testés, par rapport au placebo.
Le soucis, c’est qu’une fois encore, cette étude souffre de nombreux problèmes méthodologiques, ou d’interprétation des résultats, qui ont été soulignés et évalués par le panel d’expert de l’EFSA, qui a donc maintenu ses conclusions de sécurité sur les additifs concernés. Les doses maximales admises pour ces additifs sont inchangées, et sont dictées par leur toxicité, et non par leur implication dans d’éventuels troubles du comportements.
Voici la liste des biais relevées, (mal) traduite en français :
effets des deux mélanges d’additifs testés et le type d’observateur (parent, enseignant ou observateur indépendant);
• la pertinence clinique inconnue de la nouvelle métrique, le score GHA;
• la pertinence inconnue de l’effet dû au petit effectif (comme l’a également vu dans la méta-analyse des études par Schab et Trinh, (2004));
• le fait que l’étude n’a pas été conçu pour identifier les effets des différents
additifs
• un manque d’information sur le lien dose-réponse;
• l’absence d’un mécanisme biologiquement plausible pour l’induction d’effets comportementaux de la consommation d’additifs alimentaires. »
- Il n’y a pas d’étude de dépendance des symptômes en fonction des doses consommées, ce qui est un élément de crédibilité scientifique majeur.
- Depuis 36 ans, aucun mode d’action biologique expliquant un tant soit peu ce lien entre hyperactivité et additifs alimentaires n’a pu être proposé, même par ceux qui sont persuadés de la nocivité de ces derniers… [Il faut dire que si on regroupe ces espèces chimiques sous le même terme « d’additif », elles ont des structures moléculaires très variées, ce qui a pour conséquence des actions sur l’organisme forcément très variées aussi…]
Néanmoins, au-delà de la nocivité éventuelle de ces nombreuses substances, vient la question de notre alimentation. Quel besoin avons-nous que notre sirop de menthe soit vert, que notre boisson préférée soit orange, et que nos céréales soit riches en exhausteur de goût ? Ces additifs transforment notre façon de voir nos assiettes, au risque de ne plus « comprendre » et apprécier un plat réalisé de façon traditionnelle.
Là réside peut-être le vrai danger.
Sources :
- « Food additives and hyperactive behaviour in 3-year-old and 8/9-year-old children in the community : a randomised, double-blinded, placebo-controlled trial » D. McCann et al. Lancett, 2007, 370 (9598), 1542
- « Scientific Opinion of the Panel on Food Additives, Flavourings, Processing Aids and Food Contact Materials (AFC) on a request from the Commission on the results of the study by McCann et al. (2007) on the effect of some colours and sodium benzoate on children’s behaviour« . The EFSA Journal, 2008, 660, 1-54.