Archives pour l'étiquette Vaccination

[Science et Genre] #5 Contre les Papillomavirus : vacciner les hommes aussi !

En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, sont disponibles depuis quelques années plusieurs vaccins contre les fameux HPV, ces maladies sexuellement transmissibles de la famille des papillomavirus, dont les lésions sur le col de l’utérus sont à l’origine de l’apparition de cancers. Ces vaccins protègent contre la plupart des papillomavirus cancérigènes, et leur profil bénéfice/risque est excellent. Restent quelques questions actuellement en suspens, comme la durée de la protection (pour l’instant, les études montrent une protection au moins valable pendant 10 ans), mais globalement, on estime qu’ils peuvent éviter 70 % des cancers du col de l’utérus (d’où l’intérêt de pratiquer des frottis cervicaux tout au long de sa vie pour se prémunir des 30 % restant !). Si ces virus sont également montrés du doigt pour d’autres cancers, (gorge, bouche, anus en particulier) ce sont bien les femmes les principales victimes, si bien que ces vaccins ne sont actuellement prescriptible que chez les jeunes femmes, et non les jeunes hommes en France (ils peuvent néanmoins être proposés aux hommes homosexuels de moins de 26 ans, ce qui pose évidemment des questions du « tri » à effectuer en fonction des orientations sexuelles… Hum…). C’était le cas également de la plupart des pays du monde jusqu’en 2013 : l’Australie, suivi par les USA, l’Autriche, la Suisse, l’Italie et le Canada, ont alors mis en place une recommandation vaccinale concernant les deux sexes. Compte tenu de la rareté des autres cancers que de celui du col de l’utérus, il s’agit très clairement pour ces pays de diminuer l’incidence de cette dernière pathologie, chez les femmes donc. Malgré la logique (les hommes pouvant être considérés comme les principaux « vecteurs » du papillomavirus, les vacciner permettrait, logiquement, de diminuer l’incidence de la maladie), l’efficacité de cette vaccination « tous genres confondus » est difficile à évaluer.

Couverture vaccinale et effet grégaire

En imaginant une très large couverture vaccinale (quasiment tout le monde vacciné, il est probable que la vaccination « tous genres confondus » soit réellement efficace :

Quasi tous les hommes sont vaccinés

Le principal vecteur est supprimé

Les femmes, même non vaccinées, sont protégées

Seulement, elle est loin d’être large. Au contraire, en France, elle est actuellement très faible : 17 % seulement des jeunes femmes en 2015 (source). En imaginant une couverture vaccinale masculine identique, il semble peu probable d’obtenir un quelconque effet, puisque le « principal vecteur » reste, à peu de chose près, conservé… Il est vrai qu’en Suède, avec 80 % des jeunes femmes vaccinées, le problème est différent. Il n’empêche : il est nécessaire de quantifier, en fonction de cette couverture, l’intérêt de la vaccination masculine.
Pour résumer : l’objectif recherché, c’est une augmentation générale de la protection, c’est-à-dire une diminution du nombre de personnes infectées, grâce à la vaccination. Et ce malgré l’absence d’une vaccination de TOUTES les jeunes femmes. On est ici dans la problématique d’une recherche d »immunité grégaire« , qui peut être résumée comme sur ce schéma :

Schéma du haut : épidémie sans vaccination
Schéma central : épidémie avec quelques vaccinations : effet grégaire faible : quasiment pas de protection de personnes non vaccinées.
Schéma du bas : large couverture vaccinale : la maladie ne se propage globalement plus, y compris chez les personnes non vaccinées.
Source : NIH (via wikipédia)

 

Même à couverture modérée : les hommes doivent aussi être vaccinés

Une vaste étude a été menée en Finlande AVANT la mise en place d’une quelconque recommandation vaccinale contre les HPV, pour déterminer l’intérêt d’une vaccination exclusivement féminine, ou tous genres confondus. Publiée en ligne en octobre 2017, dans l’International Journal Cancer, il fait clairement apparaître le bénéfice d’une vaccination tous genre confondu dans la protection des femmes contre les cancers du col de l’utérus.

Pour cela, l’équipe de chercheurs menée par Matti Lehtinen, de l’Institut Karolinska (Suède), ont comparé trois groupes de communautés en Finlande, représentant au total 80000 personnes :

  • Dans le Premier (Groupe A), pour chaque communauté, 50 % des jeunes filles ont été vaccinées, ainsi que 30 % des jeunes hommes
  • Dans le Second (Groupe B), seules 50 % des jeunes filles ont été vaccinées, pas les jeunes hommes
  • Dans le troisième (Groupe C), aucune personne n’a été vaccinée (situation aujourd’hui éthiquement impossible dans le contexte de recommandation du vaccin par les autorités médicales)

L’intérêt d’une telle étude réside dans le choix de l’évaluation de couvertures vaccinales relativement faibles, et reflètent davantage les situations réelles que si 90 % des personnes étaient vaccinées. À titre d’exemple, la couverture vaccinale aux USA est de 42 %, 87 % au Portugal, et la France très loin derrière…

Tiré d’une infographie du Centre National de Référence HPV et de l’INCa (pdf)

Pour être concis, l’étude montre une augmentation significative de l’efficacité globale du vaccin entre le groupe A (tous genre confondu) et le groupe B. L’efficacité globale, c’est ce qui correspond au pourcentage des sujets effectivement protégés par le vaccin dans la population, soit directement par le vaccin, soit par l’effet grégaire de la vaccination. Si on regarde les résultats pour l’ensemble des HPV oncogènes (y compris ceux non directement visés par le vaccin), on atteint 47,6 % de protection des femmes dans le groupe B, contre 53,3 % dans le groupe A. Compte tenu de la faible couverture vaccinale proposée dans cette publication, les 5,6 % d’écarts sont significatifs, et correspondent à un véritable bénéfice (Voir la partie : « pour aller plus loin… »).

On peut comprendre que les pouvoirs publics, en France, se focalise sur la vaccination des femmes, puisqu’elles sont les principales victimes des cancers liés aux HPV, compte tenu de la très grande faiblesse de la couverture vaccinale. Cependant, est-il pertinent de se priver de vacciner les principaux vecteurs de la maladie que sont les hommes ? Ces travaux semblent nous annoncer que non. Puisque la vaccination, pour nombre de maladies contagieuses, est un acte citoyen, de protection globale de la population – de soi, mais aussi de son entourage – les hommes doivent participer à cet effort.

 

Disclaimer : Je n’évoque pas ici la question du ratio coût / bénéfice de la vaccination, qui a été évalué dans plusieurs pays et qui semble être tout à fait positif, malgré la nécessité de poursuivre le dépistage par frottis. Chaque pays, chaque couverture vaccinale est différente, ce qui rend parfois difficile de transposer les résultats des études coût / bénéfice d’une région à une autre. Compte tenu des spécificités françaises (sécurité sociale, dépistage par frottis peu suivi, vaccination encore moins), je ne me permettrai pas d’en parler ici, n’étant ni épidémiologiste spécialiste en vaccination, ni économiste de la santé. 

 

Pour aller plus loin

La lecture de cet article a été un peu ardue, je l’avoue. Si je connais les outils statistiques de base, des notions autour de la vaccination m’ont manqué. Afin d’y voir plus clair, j’ai pu contacter deux des principaux auteurs de la publication (Matti Lehtinen et Vänskä Simopekka) qui m’ont permis de lever les incertitudes (Merci à eux). Voici quelques détails de la méthodologie employée. N’hésitez pas à me demander d’autres précisions en commentaires.

Vous l’aurez compris, l’enjeu de cette étude n’est pas d’établir l’efficacité du vaccin chez les vaccciné-es, mais surtout de mesurer l’effet grégaire de cette vaccination, c’est-à-dire d’évaluer la protection chez les personnes non vaccinées. Les défis que cela impose sont multiples :

  • il faut que les groupes (groupes A, groupe B, groupe témoin C) reste cohérents, qu’il n’y ait pas trop d’échanges avec d’autres groupes non concernés par l’étude. Les chercheurs ont donc travaillé avec des « communautés », et ont vérifié qu’elles restaient stables, ou du moins qu’elles évoluaient de façon similaire dans les trois groupes (11 communautés par groupes).
  • Lorsque l’étude a débuté, la proportion de personnes déjà vaccinées était totalement négligeable parmi les communautés des trois groupes (moins de 1 %). Les jeunes concernés par l’étude ont donc été en contact avec des personnes un peu plus âgées non vaccinés. Leurs éventuels partenaires sexuels n’était ainsi pas constitué de 50 % de femmes protégées (et 20 % d’hommes pour le groupe A), mais d’une proportion plus faible. Les chercheurs ont donc choisi de séparer les groupes A, B, C, en deux sous – groupes : les plus jeunes (nés en 1994-95) et les plus vieux (né en 1992-1993), ces derniers étant plus exposés à des relations sexuelles contaminantes que les autres.

Les résultats que j’ai exposé plus haut sont ceux obtenu pour les plus jeunes (nés en 94-95).

  • Pour ceux nés en 1992-1993, il n’y a pas de différence significative entre les groupes A, B. Il n’y a pas d’effet grégaire significatif, que ce soit dans le groupe A, comme dans le groupe B. Cela signifie que la couverture vaccinale, avec ou sans les 20 % d’hommes n’est pas suffisante pour permettre une apparition d’un effet grégaire, c’est-à-dire une protection pour les non vacciné-es. Cela peut paraître assez normal, puisqu’aucun de leurs partenaires sexuels plus âgés n’était protégé contre le HPV : la couverture vaccinale réelle des personnes pouvant contaminer ou pouvant être contaminées est bien inférieure aux 50 % de femmes (et 20 % d’hommes pour le groupe A)
  • Pour ceux nés en 1994-1995, l’effet grégaire est significatif, non seulement lorsqu’on compare les groupes A et B avec le groupe témoin C, mais également entre les groupes A et B, qui ne diffèrent que par les 20 % d’hommes vaccinés. Ceci s’explique aisément par la couverture vaccinale plus grande des partenaires sexuels de ces individus plus jeunes : ceux qui ont jusqu’à 2 ans de plus qu’eux sont également vaccinés.

Il est donc clair qu’un effet grégaire n’est pas à attendre lors des toutes premières années de vaccination, puisque les personnes non vaccinées ont encore, parmi leurs partenaires sexuels, potentiellement contaminants, de nombreux individus plus âgés, et non vaccinés. Dans ces travaux, on peut néanmoins voir que cet effet protecteur apparaît de façon significative dès que les individus d’un ou deux ans plus âgés, sont également vaccinés. Un rapide retour sur investissement !

Les auteurs de cette publication ont également étudié la protection du vaccin en fonction du génotype du papillomavirus. Les différences entre les HPV 16, 18, 31, 33, 45 sont importantes.

Il faut noter que le vaccin distribué dans cette étude a été réalisé uniquement pour la protection des génotypes HPV 16 et 18. Pourtant, il s’avère qu’il protège également contre les HPV 31, 33, 45, mais avec une efficacité très variable : d’environ 40 % pour les génotypes 31 et 33, et plus de 80 % pour le génotype 45. Les chiffres de protection globale donnés plus haut s’entendent pour l’ensemble de ces cinq génotypes. En analysant plus finement les résultats, les chercheurs ont ainsi pu mettre en avant que :

  • Il n’y avait pas de différence significative entre les groupes A et B pour les génotypes 16 et 45. En fait, pour ces deux HPV, aucun effet grégaire n’a pu être démontré. Pour le HPV 16, ces résultats confirment d’autres études : compte tenu de ses spécificités, seule une très grande couverture vaccinale permet réellement de faire émerger un effet grégaire. Le HPV 45, quant à lui, est trop rare dans les populations pour que son évolution aie pu être significative.
  • Pour les trois autres génotypes, l’effet grégaire est significatif pour les groupes A et B, et, dans les trois cas, supérieur pour le groupe où les hommes ont également été vaccinés.

Si cette étude montre que les hommes doivent également participer aux campagnes de vaccination contre les HPV, elle fait également état, par la variabilité des effets grégaires, et donc des efficacités globales du vaccin selon les génotypes des papillomavirus, de la nécessité d’étendre la couverture vaccinale contre ces maladies. Nous sommes bien ici dans un contexte de maladie contagieuse, aux conséquences pouvant être désastreuses. La vaccination, pour protéger les femmes principalement (mais également les hommes), semble être une solution particulièrement efficace, à l’unique condition qu’elle soit partagé par un bien plus grand nombre de personnes, femmes ET hommes.

Remarque : D’après l’échange avec les auteurs de l’étude, dans son contexte, en Finlande, avec cette couverture vaccinale, la vaccination des hommes, même à hauteur de 20 % seulement, a un rapport coût/bénéfice en faveur de la vaccination, à condition de considérer également les cancers masculins liés aux HPV. (Résultats non publiés)

Disclaimer 2 : Au cas où cela m’est demandé : oui, les auteurs ont déclaré avoir des liens (financements de l’étude, emploi) avec GSK, le fournisseur du vaccin.

Lehtinen, M. et al. (2017), « Impact of gender-neutral or girls-only vaccination against human papillomavirus—Results of a community-randomized clinical trial (I) » Int. J. Cancer. doi:10.1002/ijc.31119

Vaccin contre la dengue (Sanofi-Pasteur)… Oui, mais avec modération !

Compte tenu du titre, il me semble qu’il faille tout de suite mettre les choses au point : Je me positionne tout à fait pour l’utilisation de la plupart des vaccins (en particulier tous ceux obligatoires ou recommandés en France), et ce, à la lumière des publications scientifiques qui en montrent l’effet positif pour la santé à l’échelle individuelle, ainsi qu’à l’échelle sociétale. (Pour plus de détails, voir à la fin du texte).

Voilà,on va pouvoir, en toute sérénité, mettre en question la vaccination contre la dengue à l’aide du Dengvaxia, développé par Sanofi-Pasteur, actuellement fabriqué à Neuville-Sur-Saône.

dengvaxia

La dengue : un fléau aux quatre visages*

La dengue est une maladie virale humaine transmise via les moustiques du genre Aedes (dont fait partie le fameux moustique tigre). 40 % de la population mondiale est exposée à ce virus : on estime qu’il y a chaque année plusieurs centaines de millions de contamination, dont 36 millions de personnes qui développent les symptômes classiques de la dengue, mais aussi 2,5 millions de formes graves, et 21 000 décès. Il n’existe aucun antiviral efficace contre cette maladie, la prise en charge consiste donc en le traitement de la douleur et de la fièvre… Dans les cas grave, l’hospitalisation est indispensable.

world_denguetransmission_extension_2008

Allons un tout petit peu plus loin dans la description de cette maladie, afin de comprendre son originalité (sa perversité, j’allais dire) : il existe quatre sérotypes, appelés DENV-1 à DENV-4, qui donnent des symptômes similaires. Lorsqu’une personne est infectée par un des sérotypes, elle se trouve immunisée (définitivement) contre lui. Mais pas contre les quatre autres: Pire, le risque qu’elle développe une forme grave de Dengue est multiplié par 10 lors d’une nouvelle infection par un autre sérotype. 

La lutte contre cette maladie consiste actuellement essentiellement en la destruction de l’habitat des moustiques (eaux stagnantes), et l’utilisation de répulsifs. D’autres pistes sérieuses sont explorées, comme l’introduction massive d’insectes mâles génétiquement modifiés pour que leur descendance ne parvienne pas à l’âge adulte (une diminution de 90 % de la population de moustique est attendue en 6 mois), ou encore l‘introduction de la bactérie Wolbachia qui affecte les moustiques, se transmet de génération en génération, et empêche le virus de la dengue de se répliquer dans cet hôte. Et puis, bien sûr, la vaccination. L’humain étant à la fois un vecteur, et le seul réservoir de ces virus, une vaccination efficace pourrait, idéalement, éradiquer définitivement la maladie.

Le Dengvaxia, un vaccin « faute de mieux » ?

Il y a plusieurs vaccins en cours d’homologation, mais seul le Dengvaxia, développé par Sanofi-Pasteur est actuellement sur le marché. 11 pays l’ont actuellement homologué (Depuis le Mexique à Singapour, en passant par la Thaïlande, le Brésil, etc.). Ce vaccin a une efficacité toute relative, comprise entre 43 % pour DENV-2 et 77% pour DENV-4 (1).** Les autres candidats vaccins ne semblent pas faire mieux que le Dengvaxia…

Venons-en, enfin, au cœur du problème. Le principe du vaccin (de tous les vaccins, en réalité) consiste en la sensibilisation du système immunitaire en l’exposant à des fragments / particules / virus attténués, afin qu’il développe des anticorps « comme si » le corps avait déjà été en contact avec la maladie. Le Dengvaxia est ainsi un vaccin tétravalent, c’est-à-dire qu’il sensibilise le système immunitaire aux quatre sérotypes connus lors de sa mise au point. Mais souvenez-vous : le risque de formes graves augmente considérablement après une première exposition : le vaccin risque donc d’accroître ce risque ! Cela n’aurait aucune incidence si le vaccin était efficace à 100 % sur tous les sérotypes : il n’y aurait, dans ce cas, pas de nouvelle contamination. Mais avec son efficacité qui n’est pas totale, un problème inédit (à ma connaissance) dans l’histoire de la vaccination apparaît : un individu vacciné pourrait présenter un risque accru de dengue sévère comparé à un autre jamais en contact avec cette maladie.

Les résultats de la phase III de l’essai clinique du vaccin, celle qui est effectuée sur de grandes populations, n’a pas permis de lever cette interrogation :

  • Des différences nettes entre l’efficacité du Dengvaxia chez les patients séropositifs (qui avaient déjà eu une dengue avant vaccination) et chez les patients séronégatifs ont été observés: En réalité, Aucune efficacité statistiquement significative n’a été mesurée chez les personnes séronégatives (2).
  • L’efficacité chez les enfants (plus souvent séronégatifs du fait de leur âge), est nettement plus faible que chez les groupes de sujets plus âgés (2).
  • Il a été observé également une augmentation du risque d’hospitalisation pour dengue sévère au cours de la troisième année après administration du vaccin, principalement chez les jeunes enfants, qui ont été de fait exclu de la cible du vaccin (proposé à partir de 9 ans) (1). Ce risque a été mesuré à + 7,5 %, mais du fait de l’échantillon très restreint sur lequel a été fait l’étude, il est en réalité compris entre 1,2 et … 314 %. De travaux de plus larges ampleurs doivent être entrepris pour affiner tout cela !

De quoi renvoyer le Dengvaxia dans les oubliettes de l’histoire des ratés de l’industrie pharmaceutique ? Tout de même pas !

Vaccin contre la dengue : à utiliser avec modération !

À la lumière de ces résultats ni catastrophiques, ni rassurants, des scientifiques ont cherché à établir avec plus de précision quelles étaient les situations sanitaires et épidémiologiques pour lesquelles le vaccin serait bénéfique. Une équipe d’épidémiologistes de l’Université de Stanford a ainsi modélisé mathématiquement l’impact de la vaccination chez des populations dans des zones différemment exposées à la dengue, en prenant en compte les résultats -mitigés- dont nous venons de parler. Ils ont étudié l’impact du vaccin sur des périodes allant de deux ans à trente ans. D’après leurs travaux, il est important d‘adapter la vaccination aux zones géographiques en fonction de l’endémicité de la maladie, et, si possible, en fonction du statut immunitaire de chaque individu.(2)

La logique qui transparaît de cette modélisation est assez simple :

À l’échelle collective :

  • En cas de forte endémicité, le risque d’être contaminé plusieurs fois par les différents sérotypes de la dengue est très grand. La vaccination n’induit globalement pas de risques supplémentaires en rajoutant une exposition. De toute façon, cette exposition avait de très grande chance de se produire… Le bénéfice est donc réel. Les auteurs montrent d’ailleurs que dans ces zones, on pourrait abaisser l’âge minimal de vaccination en dessous de 9 ans (les enfants plus jeunes étant déjà confronté au risque d’être contaminé plusieurs fois…)
  • En cas de faible ou de moyenne endémicité, le risque d’être contaminé une fois existe, mais celui d’être contaminé plusieurs fois est relativement faible. La vaccination, qui rajoute une exposition, peut devenir contre-productive, et causer des symptômes graves lors du contact avec un des sérotypes de la dengue. Une vaccination globale dans ces zones est donc à proscrire.
  • Pour les voyageurs provenant de zone où la dengue est absente, le risque d’attraper la dengue plusieurs fois est quasi nul, aucune vaccination ne doit être entreprise pour la même raison.

À l’échelle individuelle :

  • Une personne séronégative n’a aucun intérêt à se faire vacciner : cela crée une situation de première exposition, et augmente les risques de développer des symptômes graves.
  • Une personne séropositive à un des dengues a tout intérêt à se faire vacciner, puisque le risque de développer des formes graves a déjà été accru par une première infection. Les épidémiologistes ont estimé que ce n’était cependant pas particulièrement intéressant dans les zones de faible endémicité, mais efficace en zone de forte endémicité.

La conclusion globale de cette étude sonne comme une mise en garde : la vaccination par le dengvaxia est intéressante, mais pas n’importe où, pas chez n’importe qui. L’idéal est de pouvoir effectuer un test rapide (et pas cher !) pour connaître le statut sérologique de chaque individu qui se fait vacciner. Si cela n’est pas le cas, il ne faut agir qu’en zone de forte endémicité, où, en vaccinant tout le monde, y compris les séronégatifs, on aura tout de même un bénéfice global en matière de santé publique.

J’aimerais ajouter une remarque plus générale : ce type d’étude montre une chose importante : LA Vaccination n’existe pas (pas plus que L’Antibiotique, ou LE Anticancéreux !) : il existe DES vaccins dont l’évaluation doit être réalisée au cas par cas, de façon minutieuse et précise. Espérons qu’à la lumière de cette étude, ce vaccin soit utilisé de façon réellement utile et efficace, de façon modérée et éclairée dans les pays qui l’ont validé.

 

* Il a été annoncé un cinquième sérotype pour la dengue lors d’une conférence internationale en 2013. Mais cela n’a jamais été confirmé par un article dans une revue. Une discussion à lire sur researchgate montrer qu’il ne s’agirait en fait que d’un variant de DENV-4 (ouf…)

**Il faut bien comprendre qu’en dépit d’une efficacité relativement faible à l’échelle humaine, un vaccin peut permettre l’éradication d’une maladie à l’échelle collective : une diminution de 50 % des malades signifie également un risque de contamination nettement plus faible qu’en l’absence de vaccin. Avec le risque de contamination plus faible ET la probabilité plus grande d’être efficacement immunisé, on arrive à des diminutions réelles et rapides de la prévalence des maladies.

Suite de la mise au point initiale sur les vaccins :

  • Les vaccins sont des produits pharmaceutiques soumis aux mêmes contrôles que les médicaments. Ceux qui sont aujourd’hui obligatoires ou qui sont recommandés en France ont fait leurs preuves, tant pour leur innocuité que pour leur efficacité. De plus, tout comme les médicaments, dire « les vaccins c’est le mal » est aussi idiot que dire « les antibiotiques c’est le mal », ou « les anti-douleurs, c’est le mal », alors qu’il en existe dix mille différents…
  • Des maladies ont disparues (La variole), d’autres pourront disparaître (la polio actuellement en voie d’éradication) grâce à la vaccination.
  • Il existe des effets secondaires aux vaccins, et ils sont pris en compte lors de leur évaluation.
  • L’aluminium présent dans les vaccins n’est responsable ni de cancers, ni de maladies neurodégénératives, ni de maladies auto-immune. Il a été montré qu’il était totalement sûr d’un point de vue de la santé (On pourra lire, entre autre les conclusions de cette revue de la littérature par des membres de la Collaboration Cochrane, qui font référence en terme de sérieux ET d’indépendance en recommandation médicale).
  • Néanmoins, on peut effectivement, d’un point de vue éthique, questionner la question de l’obligation vaccinale en vigueur en France, d’autant qu’elle n’est pas efficace, et qu’elle génère un scepticisme face aux vaccins. (J’ai déjà parlé de ce point dans cet article : « Vaccins : marche-t-on sur la tête ?« )

(1) Site de l’OMS : « Questions-Réponses sur les vaccins contre la Dengue »
(2) « Benefits and risks of the Sanofi-Pasteur dengue vaccine: Modeling optimal deployment » N.M. Ferguson et al.Science 02 Sep 2016: Vol. 353, Issue 6303, pp. 1033-1036
(3) « Surprising new dengue virus throws a spanner in disease control efforts » Science  25 Oct 2013, 342 (6157), pp. 415

Après Ebola… La rougeole ? Vers un désastre sanitaire que la vaccination peut éviter

C’est un appel à la mobilisation générale qui a été lancé par une équipe d’épidémiologistes le 13 mars, dans un article de la revue Science. Alors que l’épidémie due au virus Ebola reflue nettement, un nouveau désastre sanitaire se profile, et pourrait causer le décès de dizaines de milliers de personnes.

Les systèmes de santé des pays les plus touchés sont dévastés. En particulier, les campagnes de vaccinations contre la rougeole, la délivrance des médicaments anti-paludéens, anti-HIV, anti-tuberculeux sont à l’arrêt. L’article porte plus précisément sur la rougeole, qui pourrait faire jusqu’à 16000 morts en Sierra Leone, au Libéria et en Guinée.

En se basant sur de nombreuses données (de l’OMS et d’autres organisations), les auteurs ont évalué précisément le nombre d’enfants non vaccinés contre la rougeole dans ces trois pays avant Ebola, et établi des projections pour 6 mois, 12 mois, et 18 mois d’interruption des campagnes de vaccination.

A : situation avant Ebola B à D : situation prédite par les auteurs après 6, 12, et 18 mois d'interruption des campagnes de vaccination

A : situation avant Ebola
B à D : situation prédite par les auteurs après 6, 12, et 18 mois d’interruption des campagnes de vaccination

Si rien n’est fait rapidement, c’est bien le modèle à 18 mois qui risque de s’appliquer : il est prévu entre 127 000 et 227 000 cas supplémentaires de rougeole, conduisant à 2000 à 16 000 morts supplémentaires. La fourchette haute est privilégiée, compte tenu de la malnutrition et les déficits en vitamine A qui accompagnent cette crise.

Pendant et après chaque crises sanitaires majeures, où les campagnes de vaccinations sont stoppées, les épidémies de rougeole se multiplient : guerre civile en Haïti dans les années 90, éruption du Pinatubo en 91, guerre actuelle en Syrie… Les exemples, hélas, ne manquent pas. Pourtant, certains, aux USA comme en France, s’inquiètent de cette vaccination responsable, pour eux, d’effets secondaires inacceptables. Cette étude est l’occasion pour donner, à nouveau, quelques informations sur le sujet. Cette maladie a fait près de 150 000 morts en 2013. Il s’agit d’une infection virale, pour laquelle on ne dispose pas de médicaments anti-viraux, qui est extrêmement contagieuse. La rougeole n’est pas une maladie anodine : le taux de mortalité est de 2 à 3 pour mille dans les pays occidentaux, et de 5 à 10 % chez les enfants dans les pays en développement. Globalement, grâce à la vaccination, le nombre de décès a été divisé par 15 depuis 1980. Des centaines de millions de vie épargnées. Qu’est-ce qui est inacceptable ? Les effets secondaires du vaccin ? Ou cette énorme mortalité évitable ?

D’autant que ce vaccin est bien évalué (1 milliard de personnes vaccinées…), très peu cher, et efficace dès la première dose (même si l’administration d’une seconde est nécessaire pour une immunité complète). De plus, il n’existe pas de réservoir autre que l’humain, ce qui permet d’imaginer une éradication totale de la maladie, comme cela a pu être fait pour la variole. Cela faisait d’ailleurs partie des objectifs pour 2020 de l’OMS, hélas revus à la baisse.

Dans cette étude, les épidémiologistes rappellent aussi que cette interruption de vaccination concerne aussi la poliomyélite et la tuberculose. Pour 10 000 morts d’Ebola, combien de morts évitables par la vaccination à venir ?

Sources :

OMS : Rougeole

– « Reduced vaccination and the risk of measles and other childhood infections post-Ebola » Saki Takahashi et al. Science 347, 1240 (2015)