Voyage au pays des matières grasses : les acides gras (2)

Maintenant qu’on y voit un peu plus clair sur les acides gras, leurs structures et la réactivité des acides gras saturés (voir première partie), voyons comment se comportent les acides gras insaturés. Ceux-ci se distinguent des premiers par la présence, je le rappelle, d’une ou plusieurs doubles liaisons. Comme j’ai pu l’évoquer précédemment, l’énergie nécessaire pour modifier une double liaison est beaucoup plus faible que pour casser une simple. Et cela permet de multiplier les réactions possibles.

Le chimiste, en laboratoire, va pouvoir engager un acide gras dans tout un tas de réaction, permettant d’accéder à une grande variété de nouveaux composés. Prenons par exemple un acide gras  » oméga-3  » :

réactivité acide gras insaturé

Les chimistes avertis auront reconnus :

  • En 1 et 2 : une époxydation suivi d’une hydroxylation
  • En 3 : une hydrogénation permettant d’obtenir l’acide gras saturé correspondant
  • En 4 : une coupure oxydante : dans ce cas, la suite de réaction permet non seulement de couper la double liaison, mais aussi la liaison simple restante…
  • En 5 : une hydratation (addition d’une molécule d’eau, tout simplement)
  • En 6 : Plus compliqué, avec un certain type de réactif, une réaction de type ‘Diels-Alder
  • Etc…

[Note de la rédaction : liste absolument non exhaustive : par exemple, la plupart des atomes d’oxygène qui sont additionnés sur la double liaison pourraient être remplacés par des azotes, soufres, et beaucoup d’autres éléments, ou molécules…Je ne parle pas non plus des additions radicalaires, ni des métathèses, ni encore de toute la chimie organo-métallique que l’on pourrait imaginer, ou de l’activation de la liaison C-H du carbone adjacent…)

Et le point de vue du biochimiste ? et les réactions in vivo ?

Les machines chimiques que sont les protéines sont souvent capables de rendre possible des réactions chimiques où les liaisons sont très difficiles à rompre. Cependant, les lois de la chimie sont les mêmes partout, et ce sont avant tout les liaisons « fragiles » qui vont pouvoir être modifiées par les organismes. Cela semble se vérifier avec les acides gras insaturés.

Effectivement, si les acides gras saturés semblent ne « servir » au corps humain qu’en tant que constituant des parois cellulaires, et comme réserve d’énergie (voir le billet précédent), les acides gras insaturés ont des rôles supplémentaires.

Tout commence, pour la plupart des mammifères, avec deux acides gras, un oméga-3, l’acide α-linolénique, un oméga-6, l’acide linoléique, qui sont dits essentiels, car non fabriqués par le corps.

acide linolénique

 

Acide linoléique

Les doubles liaisons servent à ‘activer’ les liaisons voisines, c’est-à-dire à augmenter leur réactivité, et cela permet la synthèse d’autres acides gras, comme par exemple acide arachidonique.

acide arachidonique

Ces acides poly-insaturés peuvent agir directement comme messager cellulaire, en particulier lors des processus d’inflammation. La présence des doubles liaisons est sans aucun doute à l’origine de la reconnaissance de ces molécules par leurs récepteurs. Mais ce n’est pas tout : ils sont à l’origine d’une classe importante de molécules du vivant : les eicosanoïdes. Si ce nom ne vous dit rien, celui de « prostaglandine » vous parle sans doute plus. Cette grande classe de composés ont des rôles très variés dans l’organisme, depuis l’agrégation plaquettaire, la fièvre, jusqu’aux contractions utérines lors d’un accouchement.

La réactivité des doubles liaisons, à la fois « riches » en électrons et faciles à rompre, permet leur modification par de nombreuses enzymes, permettant d’atteindre des composés à la structure variée. Un exemple (non exhaustif !) est donné sur wikipédia : L’acide arachidonique est modifiée en un premier composé (la prostaglandine H2) (le mécanisme est déjà relativement complexe, avec addition de dioxygène, migrations de doubles liaisons,… mais tout peut s’expliquer a priori par de simples considérations de liaisons qui se fond et défont, en fonction de leur énergie, accessibilité, …), qui est transformé en d’autres prostaglandines, thromboxanes, et prostacyclines.

Prostanoid_synthesis

 

Alors à la fin de cet exposé, la question qui me reste sur le bout du clavier, est : pourquoi diable les acides gras saturés sont plus nocifs pour la santé que les acides gras insaturés ?

Il me semble, et cela n’est que mon avis qui devrait être vérifié, que le problème réside dans l’accumulation de ces espèces chimiques : Les acides gras saturés sont nécessaires dans notre organismes, et c’est leur excès qui pose un problème de santé. Lorsque tous les besoins sont satisfaits, c’est uniquement sous la forme de graisse que sont stockés ces molécules. Dans le cas des acides gras insaturés, leur utilité est multiple, et ils sont en permanence utilisés pour produire d’autres composés essentiels à notre corps. Leur accumulation paraît (« me paraît » devrais-je dire) plus improbable, ces acides gras profitant de diverses voies métaboliques pour être consommés par l’organisme.

C’est pas tout ça, mais ça m’a donné bien faim d’écrire tout cela. M’en vais manger une tartine de beurre (63 % de matières grasse saturées, bof bof…) avec du Nutella dessus (20 % d’huile de palme, constituée de 100 % de matières grasses saturées, re-bof…). Et c’est pas grave, pour équilibrer, je compléterais avec une salade-vinaigrette à l’huile de colza (97% d’acides gras insaturés) et à l’huile d’olive (85 % d’insaturés). Bon appétit bien sûr !

3 réponses à “Voyage au pays des matières grasses : les acides gras (2)

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