Un peu de lecture pour cet été… (2)

Et bien vous savez quoi, mon billet précédent a convaincu au moins Une personne d’acheter le livre « chimie industrielle » ! Quel succès ! Je vais essayer de faire mieux aujourd’hui en vous présentant un ouvrage passionnant, s’intitulant « l’étreinte du crapaud ». Oui, bon, ceux qui n’en ont pas déjà entendu parler vont jaser et dire qu’il y a plus vendeur comme titre. Mais c’est écrit par Arthur Koestler, auteur du « zéro et l’infini » (sur le totalitarisme) et de l’excellent « les call-girls » sur les scientifiques et leurs congrès. [Ce dernier ouvrage est aussi à lire ABSOLUMENT]

Donc, dans ce bouquin, Koestler revient, à la manière d’une enquête policière, sur le cas Paul Kammerer, biologiste, et de son suicide, dont la raison reste obscure.

Paul Kammerer (1880-1926), c’est ce biologiste de l’université de Vienne qui passa sa vie à élever des amphibiens, et en étudiant d’éventuelles évolutions de ceux-ci liés à l’environnement. Oui, parce que Kammerer était Lamarckien.

(Rappel (trop) rapide : Lamarck était partisan de la transmission des caractères acquis, ce qui est opposé au modèle darwinien, de la sélection naturelle)

En cette qualité (?) de lamarckien, il a été en opposition très rude avec certains grands biologistes de l’époque, W. Bateson (l’inventeur du terme « génétique », d’après Koestler) tout particulièrement. Et cela a mal fini. Je ne parle pas du suicide, qui n’est pas sans doute directement lié à cette histoire. Par contre, d’un point de vue scientifique, la polémique s’est achevé sur une histoire de falsification grossière.

Il me faut aller plus loin maintenant. Paul Kammerer était un expérimentateur hors-pair. A son époque, personne ne savait comme lui maintenir, et se faire reproduire en captivité les amphibiens. Il travaillait en particulier sur des salamandres, des crapauds (le fameux crapaud accoucheur), des protées, et des ascidies. En les faisant se reproduire dans diverses conditions, il a tenté de prouver que les modifications acquises pendant une génération pouvait se transmettre à la suivante. Et d’après ses partisans de l’époque et actuels, il y est parvenu. Koestler n’est pas biologiste, mais ce qu’il retranscrit est effectivement troublant (pour un non expert comme moi).

Je vous cite un exemple. Les ascidies sont des organismes marins pourvus de deux siphons, un pour aspirer l’eau, un pour la reccracher, après qu’elle ait été filtrée. P. Kammerer affirme que lorsqu’on coupe ces siphons, ils repoussent plus longs, plus fins. Il semblerait que cela ne soit pas le premier, dans les années 1910 à avoir observé cela. Par contre, les descendants des ascidies mutilés présentent directement des siphons plus longs (voir l’update !).

Les expériences qui ont été les plus critiquées, et les plus contestées concernent les crapauds accoucheurs (alytes obstetricans).

Les populations vivant en milieu humide se distinguent de celles en milieu sec par l’existence de « brosses » noires au niveau de deux de leurs pattes, nécessaires pour s’accrocher à la femelle lors de la reproduction. P. Kammerer a affirmé avoir réussi, en forçant à se reproduire des crapauds issus de milieux secs dans des milieux humides, à obtenir des descendants possédant au bout de 2 ou 3 générations ses fameuses brosses. D’après Koestler, le scientifique autrichien ne tenait pas ces résultats pour des preuves de transmission de caractères acquis, puisqu’ils pouvaient tout aussi bien être expliqués par le phénomène d’atavisme par exemple. En fait, W. Bateson a simplement mis en doute l’existence même des crapauds « mutants ». Lorsqu’ils ont été présenté au Royaume-uni, et que des confrères anglais ont confirmé la présence de ces excroissances sur les spécimens amenés, Bateson a soigneusement évité de les examiner, alors même qu’il y était invité lors d’une conférence. Par contre, lors de l’examen du dernier exemplaire encore à peu près conservé, après la destruction accidentelle du labo de Kammerer, il s’est avéré que quelqu’un avait grossièrement maquillé le sujet à l’aide d’encre de chine…

Je n’irai pas beaucoup plus loin dans la description des expériences relatées, des contre-expériences, des faisceaux de preuves apparus… Il faut pour cela lire ce livre, qui se dévore comme un polar.

Koestler réhabilite franchement Paul Kammerer. Mais de façon éclairée, et passionnante (pas comme dans un film soviétique intitulé « La Salamandre », où le savant, héros de la science et du socialisme est manipulé par un méchant prêtre capitaliste et petit bourgeois). Ces expériences, en plein essor du darwinisme, paraissaient totalement hérétique, et, même si je suis sensible aux argumentaires déployés, je ne me permettrais pas d’émettre un point de vue scientifique dessus.

Le fait est qu’en 1972, lorsque Koestler a écrit son livre, personne n’avait tenté de reproduire proprement le travail de l’autrichien, y compris sur les ascidies, qui d’après l’auteur, ne nécessite pas les soins particuliers et la patience des expériences sur les amphibiens. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui.

En 2009 néanmoins, et à la lumière du nouveau champ disciplinaire qu’est l’épigénétique (« L’épigénétique est le domaine qui étudie comment l’environnement et l’histoire individuelle influent sur l’expression des gènes, et plus précisément l’ensemble des modifications transmissibles d’une génération à l’autre et réversibles de l’expression génique sans altération des séquences nucléotidiques. » (Wikipédia)), des biologistes reposent la question : et si P. Kammerer avait simplement mis le doigt sur des transmissions de caractères acquis liés non pas à quelques théories vitalistes ou Lamarckiennes, mais à l’épigénétique ? (lire l’article dans Science à ce sujet)

Faut-il à nouveau, comme l’avait fait P. Kammerer dans son temps, et le généticien A. Surani (de Cambridge) en 2009, exhorter les biologistes aujourd’hui à enfin re-tenter les expériences sur les crapauds accoucheurs, les ascidies, les salamandres ?

Update : Je viens de trouver cet article, réfutant apparemment les travaux de P Kammerer sur les ascidies. Un poids de plus vers la théorie de la falsification massive de résultats ?

Pour ceux qui ne pourront jamais les réaliser, ces expériences, il reste ce livre à lire, et cet article, à commenter abondamment !

N.B. : Bernard Werber, dans son livre « les fourmis », contribue à donner une image complètement faussée de l’affaire, ou Kammerer se retrouve la pauvre petite biche d’un méchant complot… Et ce sont les quelques lignes qu’il a écrit qui se retrouvent éparpillées sur le net…

 

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