On en était où déjà ? Ah oui, et la télomérase, alors ? (Voir précédent billet )
La télomérase est une protéine, comme son nom l’indique. Elle sert à rallonger les télomères qui, comme on l’a déjà dit, se raccourcissent à chaque division cellulaires. En fait, cette protéine va rajouter quelques séquences télomériques « -G-G-T-T-A-G- » à l’extrémité du brin G (voir billet précédent pour la définition) (L’autre brin pourra alors être à son tour allongé par une autre polymérase).
C’est une protéine couplée à un brin d’ARN, qui va servir en particulier comme modèle pour allonger le brin : complémentaire de la séquence télomérique, il va permettre le recrutement des bonnes bases, dans le bon ordre, et qui vont se lier au reste de l’ADN.
Mais quel est l’intérêt de la télomérase ?
Ben à ne pas vieillir, tiens ! Les télomères se raccourcissent à chaque division cellulaire, et lorsqu’ils sont trop courts, la cellule entre en sénescence, c’est à dire qu’elle ne se divise plus. C’est la raison pour laquelle on dit que ces telomères sont des horloges biologiques. Plus ils sont courts, plus la cellule est vieille.
Seulement dans le corps, il y a des cellules qui ne doivent pas vieillir : ce sont par exemple les cellules germinales, qui doivent pouvoir se diviser un nombre très important de fois, pour former les gamètes nécessaires à la reproduction. Les télomérases vont être très actives dans ces cellules, ce qui permet l’allongement des télomères, c’est-à-dire… l’immortalité, et la capacité à se diviser autant de fois que cela est nécessaire ! Par contre, il y a très très peu de télomérase dans les cellules somatiques, de durée de vie limitée. [Il y aurait aussi une forte activité des télomérases dans les cellules souches]
Il y a un autre type de cellules dans lesquelles les télomérases ont une forte (très forte) activité : il s’agit des cellules cancéreuses : de 60% à 80% d’entre elles exprimeraient la télomérase, ce qui est une proportion énorme. Ces télomérases permettent tout simplement de les rendre « immortelles », et elles peuvent ainsi se multiplier, sans jamais entrer en sénescence.
Ces découvertes autour des télomères et de la télomérase, ont énormément intéressé les chercheurs en cancérologie : on tenait un des facteurs clé de l’immortalité des cellules tumorales ! L’inhiber, le rendre inefficace, pourrait ainsi signifier priver ces cellules de leur longévité, et ainsi, les rendre innoffensives.
Seulement voilà, inhiber la télomérase, on ne sait pas bien faire, à l’heure qu’il est.
C’est pas toujours facile de trouver un inhibiteur : grosso modo, on a deux solutions :
- On prend des dizaines de milliers de molécules différentes, et on les teste sur des modèles in vitro. Y en a peut-être une qui fonctionnera à peu près ! Encore faut-il avoir le matériel, la « chimiothèque » (collection de molécules), et aussi le « modèle » qui fonctionne ! En général, on prend simplement des lignées de cellules cancéreuses, et lorsqu’on trouve une molécule qui les détruit efficacement, on cherche à retrouver avec quelle protéine elle interagit.
- On étudie à fond et en détail la protéine à inhiber, et on sort, grâce à des simulations in silico, et grâce à l’intelligence du chimiste. biochimiste, LA molécule qui conviendra. Reste à la fabriquer ensuite… Et encore faut-il avoir de quoi étudier à fond la télomérase, connaître sa structure 3D in vivo, etc…
- Bien sûr, en général, on fait un mélange de ces deux solutions, on teste, on étudie et simule, on affine, et on re-teste des composés un peu plus adaptés, etc…
Dans le cas de la télomérase, on a trouvé une magnifique molécule qui semble l’inhiber : appelée la télomestatine, extraite de la bactérie Streptomyces Anulatus :
Sa structure a tout de suite intrigué les chimistes et biologistes : quel pouvait être son mode d’action ?
Stabiliser les quadruplexes de guanine
Pour que la télomérase fasse son travail d’élongation, il a été établi que l’extrémité de l’ADN télomérique doit être libre, et pas sous forme de G-quadruplexe, ni de T-loop. Or on a vu qu’a priori, afin de protéger le patrimoine génétique, ce n’était pas le cas. En stabilisant ces structures, la télomérase ne pourrait plus, en principe, allonger les télomères, et la cellule redeviendrait mortelle.
La télomestatine est justement un stabilisateur de G-quadruplexe. Elle s’insère entre deux plateaux de guanine, et maintient l’édifice dans les conditions où il devrait se défaire pour permettre l’élongation.
Stabiliser ce type de structure a un autre intérêt : les G-quadruplexes apparaissent dans d’autres région de l’ADN, riche en guanine. En particulier, ces structures apparaissent dans deux gènes (ou dans leurs régions promotrices, qui permettent leur traduction), nommés c-Kit et c-Myc. Or dans un nombre important de cancers, un de ces deux apparaît sous forme muté, et favorise le développement anarchique de la cellule. Cibler les G-Quadruplexes, c’est aussi cibler ces gènes !
Beaucoup de molécules ont été mises au point pour stabiliser les quadruplexes de guanine (la télomestatine est beaucoup trop toxique pour l’homme pour servir en chimiothérapie…). Et certaines sont très efficaces, comme l’acridine BRACO-19 , d’une des grandes spécialistes du sujet, Marie Paule Teulade-Fichou, de l’Institut Curie.
Certains de ces stabilisateurs sont ainsi aujourd’hui en phase clinique II pour la chimiothérapie de certaines tumeurs, comme la quarfloxine (en bas à droite).
Cependant, l’étude de leur activité montre que l’inhibition de la télomérase reste très modeste (sauf dans le cas de la télomestatine), et l’élongation des télomères peut se poursuivre (on pourra lire cet article de M.P. Teulade Fichou). Par contre, l’inhibition de la traduction des gènes c-Kit et c-Myc par la stabilisation des G-quadruplexes semble être réellement importante, et prometteuse en terme de développement de nouveaux agents anticancéreux (voir cet article ou celui-là par exemple. C’est réellement passionnant, il faut le dire)
La preuve apportée récemment que les G-quadruplexes existent in vivo (Etude publiée dans Nature Chemistry), et qui a fait les gros titre d’une certaine presse scientifique, permet surtout de confirmer le mode d’action des stabilisateurs de ces structures. Il s’agit ainsi plus une confirmation qu’une réelle avancée (sauf peut-être sur la méthodologie employée, mais j’avoue que je ne me suis pas renseigné sur ce sujet)
Quant à la télomérase, il reste encore tout à faire pour trouver de véritables inhibiteurs, qui, compte tenu de sa quasi omniprésence dans les cellules cancéreuses, seraient des agents anticancéreux au large spectre d’action.