Je ne ferais qu’un court billet, suite au partage récent par Xavier Molénat (d’AlterEcoPlus, son Twitter) et Denis Colombi (son blog, son Twitter) de deux articles sur les performances sportives des athlètes africains :
- « Le mythe de l’«avantage génétique» des sportifs africains » (pdf) F. Sacco, G. Grémion Schweizerische Zeitschrift für «Sportmedizin und Sporttraumatologie» 49 (4), 149–152, 2001
- « Pourquoi les coureurs à pieds africain sont-ils plus performants ? Pour une explication sociologique » G. Shotté Informations sociales (n° 187) , p. 96-105 2015
La génétique au secours des préjugés racistes ? Raté…
Dans ces deux articles, les sociologues rappellent que les commentaires des performances des coureurs africains font très souvent références à une supériorité physique naturelle de l’Africain de l’Ouest (pour le sprint), du Nord (pour le 5000 m et le demi-fond), de l’Est (pour le 10 000 m et le marathon). Pourtant, les études « performances et races » souvent anciennes épluchées par Sacco et Grémion ne donnent aucun liens concluants. Il a par exemple été montré que les caractéristiques physiques censées profiter aux kényans se retrouvent chez les scandinaves, qui ne brillent pas particulièrement en course… L’analyse des résultats sportifs ne va pas non plus dans le bon sens : à peine un « groupe ethnique » est désigné comme étant supérieur, qu’un autre lui dame le pion ! Les kényans des ethnies Kalenjins, par exemple, étaient censés, par mariage (limite consanguins, dirait un commentateur), conserver les gènes du l’endurance, et donc naturellement briller… Mais se sont fait battre par les éthiopiens, nouveaux venus dans les compétitions de longues distances. De la même façon, ce découpage est foireux (pardonnez moi l’expression !) : si les Kalenjins étaient supérieurs, le Soudan brillerait aussi, puisqu’ils en sont originaires. De même, les berbères sont très bien représentés parmi les athlètes de haut niveau. Pourtant, alors que cet ensemble d’ethnies est présent depuis l’antiquité en Lybie, aucun berbère libyen ne brille en athlétisme.
Et puis, il y a l’éternel problème féminin : comment expliquer, si la génétique ethnique est au centre des explications des résultats, que les nations qui brillent en athlétisme féminin ne soit pas DU TOUT les mêmes qu’en athlétisme masculin ? le Top 100 du Marathon féminin en 2000 comptait 22 africaines, contre 60 africains chez les hommes. De même, les pays d’Europe de l’Est brillent en compétition de semi fond et de fond chez les femmes, et se font écraser chez les hommes…
Bref, on a beau chercher, parler de supériorité génétique d’un groupe ethnique ou géographique n’a pas de sens… Ou bien il sert surtout à caser des préjugés racistes : si les africains ont les gènes pour courir, les européens ont les gènes de l’intelligence ? C’est si facile.
Lorsque la génétique est invalidée, le culturalisme prend le relais !
Si c’est pas les gènes, c’est qu’en fait, les Africains, ils courent tout le temps ! Si si, c’est bien la suite des discours ! l’Africain court pour échapper au lion ou encore pour aller à l’école ! La seconde assertion a tellement été assénée avec autorité, qu’elle a été étudiée et… démentie. Les meilleurs athlètes marocains sont très largement des urbains. Les régions dont sont issus les meilleurs kényans sont caractérisés par une forte densité d’établissement scolaire (trajet domicile – maison court… Pas idéal pour travailler l’endurance), et sont souvent passés par la case « internat »… La haute altitude des plateaux kényans a aussi été invoquée… (Quid des mexicains, des tibetains, etc… ?).
On pourrait multiplier les exemples de culturalisme mal placés, qui croient expliquer, au gré des performances des différents états, la supériorité des uns sur les autres. En vain. C’est ailleurs qu’il faut probablement chercher.
Nom de nom, qu’une seule solution : sociologisons !
C’est du côté historique et sociologique que l’on peut trouver les explications les plus convaincantes (ou qui me semble, personnellement, les plus convaincantes).
- Historiques : Par exemple, pour Manuel Shotté, c’est sous le protectorat français que s’est installé l’idée que les marocains étaient doués pour la course. C’était en réalité le seul sport qui leur était accessible. C’est sur la base de cette croyance que s’est développé une politique de détection et d’entraînement qui a produit les athlètes reconnus sur la scène internationale.
- Économiques : Certaines épreuves d’athlétisme, peu rémunératrices ont été délaissées par les nations occidentales. Ce qui a laissé le champ libre aux nations plus pauvres. Ceci se traduit quantitativement, entre autre, par un déclin des performances chronométriques des athlètes européens, par rapport à la génération précédente ! D’autre part, la course à pied reste un sport très accessible aux populations modestes, comparés à ceux qui demandent des équipements plus lourds.
- Culturelles : «Pour nous, sport veut dire course à pied» a déclaré Addis Abeba, champion olympique à Sydney. (cité par F. Sacco et G. Grémon). Les futurs sportifs professionnels des pays comme le Kenya s’orientent vers la course à pied, seul sport susceptible de les porter sur la scène internationale. Il ne s’agit pas ici de parler des origines traditionnelles des athlètes, mais plutôt de contextes récents : la présence de grand champions mondialement reconnus crée un appel d’air pour les générations suivantes.
La lecture de ces deux articles vous éclairera sans doute davantage que mes quelques propos maladroits. Ils sont en accès libre, vous n’avez pas d’excuses !