Compte tenu du titre, il me semble qu’il faille tout de suite mettre les choses au point : Je me positionne tout à fait pour l’utilisation de la plupart des vaccins (en particulier tous ceux obligatoires ou recommandés en France), et ce, à la lumière des publications scientifiques qui en montrent l’effet positif pour la santé à l’échelle individuelle, ainsi qu’à l’échelle sociétale. (Pour plus de détails, voir à la fin du texte).
Voilà,on va pouvoir, en toute sérénité, mettre en question la vaccination contre la dengue à l’aide du Dengvaxia, développé par Sanofi-Pasteur, actuellement fabriqué à Neuville-Sur-Saône.
La dengue : un fléau aux quatre visages*
La dengue est une maladie virale humaine transmise via les moustiques du genre Aedes (dont fait partie le fameux moustique tigre). 40 % de la population mondiale est exposée à ce virus : on estime qu’il y a chaque année plusieurs centaines de millions de contamination, dont 36 millions de personnes qui développent les symptômes classiques de la dengue, mais aussi 2,5 millions de formes graves, et 21 000 décès. Il n’existe aucun antiviral efficace contre cette maladie, la prise en charge consiste donc en le traitement de la douleur et de la fièvre… Dans les cas grave, l’hospitalisation est indispensable.
Allons un tout petit peu plus loin dans la description de cette maladie, afin de comprendre son originalité (sa perversité, j’allais dire) : il existe quatre sérotypes, appelés DENV-1 à DENV-4, qui donnent des symptômes similaires. Lorsqu’une personne est infectée par un des sérotypes, elle se trouve immunisée (définitivement) contre lui. Mais pas contre les quatre autres: Pire, le risque qu’elle développe une forme grave de Dengue est multiplié par 10 lors d’une nouvelle infection par un autre sérotype.
La lutte contre cette maladie consiste actuellement essentiellement en la destruction de l’habitat des moustiques (eaux stagnantes), et l’utilisation de répulsifs. D’autres pistes sérieuses sont explorées, comme l’introduction massive d’insectes mâles génétiquement modifiés pour que leur descendance ne parvienne pas à l’âge adulte (une diminution de 90 % de la population de moustique est attendue en 6 mois), ou encore l‘introduction de la bactérie Wolbachia qui affecte les moustiques, se transmet de génération en génération, et empêche le virus de la dengue de se répliquer dans cet hôte. Et puis, bien sûr, la vaccination. L’humain étant à la fois un vecteur, et le seul réservoir de ces virus, une vaccination efficace pourrait, idéalement, éradiquer définitivement la maladie.
Le Dengvaxia, un vaccin « faute de mieux » ?
Il y a plusieurs vaccins en cours d’homologation, mais seul le Dengvaxia, développé par Sanofi-Pasteur est actuellement sur le marché. 11 pays l’ont actuellement homologué (Depuis le Mexique à Singapour, en passant par la Thaïlande, le Brésil, etc.). Ce vaccin a une efficacité toute relative, comprise entre 43 % pour DENV-2 et 77% pour DENV-4 (1).** Les autres candidats vaccins ne semblent pas faire mieux que le Dengvaxia…
Venons-en, enfin, au cœur du problème. Le principe du vaccin (de tous les vaccins, en réalité) consiste en la sensibilisation du système immunitaire en l’exposant à des fragments / particules / virus attténués, afin qu’il développe des anticorps « comme si » le corps avait déjà été en contact avec la maladie. Le Dengvaxia est ainsi un vaccin tétravalent, c’est-à-dire qu’il sensibilise le système immunitaire aux quatre sérotypes connus lors de sa mise au point. Mais souvenez-vous : le risque de formes graves augmente considérablement après une première exposition : le vaccin risque donc d’accroître ce risque ! Cela n’aurait aucune incidence si le vaccin était efficace à 100 % sur tous les sérotypes : il n’y aurait, dans ce cas, pas de nouvelle contamination. Mais avec son efficacité qui n’est pas totale, un problème inédit (à ma connaissance) dans l’histoire de la vaccination apparaît : un individu vacciné pourrait présenter un risque accru de dengue sévère comparé à un autre jamais en contact avec cette maladie.
Les résultats de la phase III de l’essai clinique du vaccin, celle qui est effectuée sur de grandes populations, n’a pas permis de lever cette interrogation :
- Des différences nettes entre l’efficacité du Dengvaxia chez les patients séropositifs (qui avaient déjà eu une dengue avant vaccination) et chez les patients séronégatifs ont été observés: En réalité, Aucune efficacité statistiquement significative n’a été mesurée chez les personnes séronégatives (2).
- L’efficacité chez les enfants (plus souvent séronégatifs du fait de leur âge), est nettement plus faible que chez les groupes de sujets plus âgés (2).
- Il a été observé également une augmentation du risque d’hospitalisation pour dengue sévère au cours de la troisième année après administration du vaccin, principalement chez les jeunes enfants, qui ont été de fait exclu de la cible du vaccin (proposé à partir de 9 ans) (1). Ce risque a été mesuré à + 7,5 %, mais du fait de l’échantillon très restreint sur lequel a été fait l’étude, il est en réalité compris entre 1,2 et … 314 %. De travaux de plus larges ampleurs doivent être entrepris pour affiner tout cela !
De quoi renvoyer le Dengvaxia dans les oubliettes de l’histoire des ratés de l’industrie pharmaceutique ? Tout de même pas !
Vaccin contre la dengue : à utiliser avec modération !
À la lumière de ces résultats ni catastrophiques, ni rassurants, des scientifiques ont cherché à établir avec plus de précision quelles étaient les situations sanitaires et épidémiologiques pour lesquelles le vaccin serait bénéfique. Une équipe d’épidémiologistes de l’Université de Stanford a ainsi modélisé mathématiquement l’impact de la vaccination chez des populations dans des zones différemment exposées à la dengue, en prenant en compte les résultats -mitigés- dont nous venons de parler. Ils ont étudié l’impact du vaccin sur des périodes allant de deux ans à trente ans. D’après leurs travaux, il est important d‘adapter la vaccination aux zones géographiques en fonction de l’endémicité de la maladie, et, si possible, en fonction du statut immunitaire de chaque individu.(2)
La logique qui transparaît de cette modélisation est assez simple :
À l’échelle collective :
- En cas de forte endémicité, le risque d’être contaminé plusieurs fois par les différents sérotypes de la dengue est très grand. La vaccination n’induit globalement pas de risques supplémentaires en rajoutant une exposition. De toute façon, cette exposition avait de très grande chance de se produire… Le bénéfice est donc réel. Les auteurs montrent d’ailleurs que dans ces zones, on pourrait abaisser l’âge minimal de vaccination en dessous de 9 ans (les enfants plus jeunes étant déjà confronté au risque d’être contaminé plusieurs fois…)
- En cas de faible ou de moyenne endémicité, le risque d’être contaminé une fois existe, mais celui d’être contaminé plusieurs fois est relativement faible. La vaccination, qui rajoute une exposition, peut devenir contre-productive, et causer des symptômes graves lors du contact avec un des sérotypes de la dengue. Une vaccination globale dans ces zones est donc à proscrire.
- Pour les voyageurs provenant de zone où la dengue est absente, le risque d’attraper la dengue plusieurs fois est quasi nul, aucune vaccination ne doit être entreprise pour la même raison.
À l’échelle individuelle :
- Une personne séronégative n’a aucun intérêt à se faire vacciner : cela crée une situation de première exposition, et augmente les risques de développer des symptômes graves.
- Une personne séropositive à un des dengues a tout intérêt à se faire vacciner, puisque le risque de développer des formes graves a déjà été accru par une première infection. Les épidémiologistes ont estimé que ce n’était cependant pas particulièrement intéressant dans les zones de faible endémicité, mais efficace en zone de forte endémicité.
La conclusion globale de cette étude sonne comme une mise en garde : la vaccination par le dengvaxia est intéressante, mais pas n’importe où, pas chez n’importe qui. L’idéal est de pouvoir effectuer un test rapide (et pas cher !) pour connaître le statut sérologique de chaque individu qui se fait vacciner. Si cela n’est pas le cas, il ne faut agir qu’en zone de forte endémicité, où, en vaccinant tout le monde, y compris les séronégatifs, on aura tout de même un bénéfice global en matière de santé publique.
J’aimerais ajouter une remarque plus générale : ce type d’étude montre une chose importante : LA Vaccination n’existe pas (pas plus que L’Antibiotique, ou LE Anticancéreux !) : il existe DES vaccins dont l’évaluation doit être réalisée au cas par cas, de façon minutieuse et précise. Espérons qu’à la lumière de cette étude, ce vaccin soit utilisé de façon réellement utile et efficace, de façon modérée et éclairée dans les pays qui l’ont validé.
* Il a été annoncé un cinquième sérotype pour la dengue lors d’une conférence internationale en 2013. Mais cela n’a jamais été confirmé par un article dans une revue. Une discussion à lire sur researchgate montrer qu’il ne s’agirait en fait que d’un variant de DENV-4 (ouf…)
**Il faut bien comprendre qu’en dépit d’une efficacité relativement faible à l’échelle humaine, un vaccin peut permettre l’éradication d’une maladie à l’échelle collective : une diminution de 50 % des malades signifie également un risque de contamination nettement plus faible qu’en l’absence de vaccin. Avec le risque de contamination plus faible ET la probabilité plus grande d’être efficacement immunisé, on arrive à des diminutions réelles et rapides de la prévalence des maladies.
Suite de la mise au point initiale sur les vaccins :
- Les vaccins sont des produits pharmaceutiques soumis aux mêmes contrôles que les médicaments. Ceux qui sont aujourd’hui obligatoires ou qui sont recommandés en France ont fait leurs preuves, tant pour leur innocuité que pour leur efficacité. De plus, tout comme les médicaments, dire « les vaccins c’est le mal » est aussi idiot que dire « les antibiotiques c’est le mal », ou « les anti-douleurs, c’est le mal », alors qu’il en existe dix mille différents…
- Des maladies ont disparues (La variole), d’autres pourront disparaître (la polio actuellement en voie d’éradication) grâce à la vaccination.
- Il existe des effets secondaires aux vaccins, et ils sont pris en compte lors de leur évaluation.
- L’aluminium présent dans les vaccins n’est responsable ni de cancers, ni de maladies neurodégénératives, ni de maladies auto-immune. Il a été montré qu’il était totalement sûr d’un point de vue de la santé (On pourra lire, entre autre les conclusions de cette revue de la littérature par des membres de la Collaboration Cochrane, qui font référence en terme de sérieux ET d’indépendance en recommandation médicale).
- Néanmoins, on peut effectivement, d’un point de vue éthique, questionner la question de l’obligation vaccinale en vigueur en France, d’autant qu’elle n’est pas efficace, et qu’elle génère un scepticisme face aux vaccins. (J’ai déjà parlé de ce point dans cet article : « Vaccins : marche-t-on sur la tête ?« )
(1) Site de l’OMS : « Questions-Réponses sur les vaccins contre la Dengue »
(2) « Benefits and risks of the Sanofi-Pasteur dengue vaccine: Modeling optimal deployment » N.M. Ferguson et al.Science 02 Sep 2016: Vol. 353, Issue 6303, pp. 1033-1036
(3) « Surprising new dengue virus throws a spanner in disease control efforts » Science 25 Oct 2013, 342 (6157), pp. 415