Les différences entre hommes et femmes en médecine sont légions, d’abord pour des raisons anatomiques évidentes. Les cancers du sein chez l’homme représentent 1 % du total, les cancers de la prostate ou des testicules sont l’apanage de ceux qui en ont.
Certaines différences physiologiques sont un peu plus subtiles : les hormones sexuelles chez la femme les protégeraient davantage que les hommes des risques d’accidents coronariens (crises cardiaques). Ce qui a pour conséquence un risque plus faible chez les femmes avant la ménopause, mais plus important après.
Il y a ensuite des différences qui ne dépendent pas de la physiologie, mais du comportement social de genre. Les cancers du poumon, liés quasi-exclusivement au tabac et/ou à l’exposition professionnelle (particules fines, bois, etc…) sont beaucoup plus présents chez les populations masculines, PARCE que cette population fume, et travaille dans des conditions sanitaires douteuses beaucoup plus. (Il est intéressant de remarquer d’ailleurs que l’écart entre la prévalence des cancers du poumon se réduit peu à peu, en raison de l’équilibrage progressif des facteurs de risques entre les sexes). De même, la dépression est très souvent associée au genre féminin, en partie à cause de certains changement hormonaux durant la vie d’une femme, mais aussi pour des raisons psychosociales, liés en particulier aux stéréotypes de genre.(1)
Une différence notable, et presque surprenante, entre homme et femme se trouve dans la mortalité en cas d’accident coronarien. En cas de crise cardiaque, les femmes ont deux fois plus de chances que les hommes d’y passer.(2)
Cette différence a été étudiée dans un assez grand nombre de publications, dont les résultats sont parfois contradictoires. Cependant, trois grandes idées sont centrales :
- Les crises cardiaques surviennent plus tard chez les femmes que chez les hommes
- Les facteurs de risque sont plutôt différents entre hommes et femmes
- Les symptômes, et la prise en charge des crises cardiaques sont différents chez les hommes et les femmes
Des crises cardiaques « repoussées » après la ménopause ? (3)(4)
Pour expliquer la survenue plus tardive de crises cardiaques chez les femmes, il est souvent admis que les hormones sexuelles féminine jouent un rôle protecteur vis-à-vis des accidents coronariens. C’est après la ménopause que le nombre de crises cardiaques augmente. L’âge de survenue de ces accidents cardiaques étant plus important (7 à 10 ans de plus), le taux de mortalité associé est plus élevé. (pour des explications détaillées, voir en fin d’article).
Des facteurs de risques différents
Les facteurs de risques d’accidents coronariens sont nombreux et variés. Certains sont plus présents chez les hommes, d’autres chez les femmes.
- Les hommes fument plus. Cela augmente considérablement le risque d’athérosclérose, qui est la principale cause des crises cardiaques.
- Les femmes ont plus souvent un diabète, de l’hypertension, ou une obésité.
Il est difficile d’établir une hiérarchie entre ces facteurs de risques, mais il faut noter qu’entre 35 et 75 ans, la mortalité par accident cardiaque est quatre fois plus élevée chez l’homme que chez la femme (en 2007, en France : 48,4 morts / 100 000 hommes, contre 12,2 mortes / 100 000 femmes) (5). Au delà, la mortalité des femmes est bien plus importante, et, tout âge confondu, ce sont les femmes qui meurent le plus d’accidents cardiovasculaires.
Des facteurs de risques différents, des âges différents… Et c’est tout ?
On pourrait penser que ces différences permettent d’expliquer la plus grande mortalité lors d’accidents coronariens : les femmes victimes de malaises cardiaques sont en moyenne plus âgées, et ont plus de facteurs de co-morbidités (hypertension, diabète, etc…) que les hommes. Pourtant, les scientifiques restent divisés sur ce point.
Un article paru en 2009 dans le Journal of the American Medical Association (2), a examiné les résultats de 11 essais cliniques, concernant environ 38 000 femmes. La mortalité à 30 jours après l’accident cardiaque était quasiment 2 fois plus importante chez les femmes que chez les hommes, MAIS après ajustement des facteurs de risque, de l’âge, il n’y avait plus de différence significative entre les deux sexes.
Par contre, en 2012, la revue de la littérature publiée dans le World Journal of Cardiology (5) a une conclusion différente : pour les femmes de moins de 40 ans, la mortalité par accidents cardiaques n’est pas totalement expliquée par les différents facteurs de risque. A facteur de risque équivalent, lors d’un accident cardiaque, une femme de moins de 40 ans a plus de risque qu’un homme de décéder.
Une autre étude, publiée dans PLOS One en 2013, concernant les pays du Golfe, va dans le même sens. Les facteurs de risques sont un de principaux facteurs, mais n’expliquent pas complètement la différence de mortalité. (7)
Une prise en charge inégale
Manifestement, c’est au niveau de la prise en charge en urgence des accidents cardiaques qu’il faut regarder pour comprendre cette différence de mortalité. Et c’est sur ce point qu’une étude a été publiée en mars 2014 dans le Canadian Journal of Medecine.(6)
L’idée des chercheurs a été de mesurer le laps de temps écoulé entre l’arrivée aux urgences et le premier électrocardiogramme (ECG) (« Door-to-ECG« ), le temps entre l’arrivée et le premier traitement par voie intra-veineuse (« Door-to-Needle« , et le temps entre l’arrivée et la première angioplastie coronaire (ce dernier point correspondant à une intervention chirurgicale d’urgence permettant de re-dilater une artère bouchée à l’aide d’une sonde munie d’une sorte de ballon, qui va écarter les parois du vaisseau sanguin) (« Door-to-Balloon« ).
L’étude a porté sur des patients « jeunes », de 18 à 55 ans se rendant aux urgences pour un accident coronarien. 32 % d’entre eux étaient des femmes, 68 % des hommes.
- Le temps médian « Door-to-ECG » était de 15 min pour les hommes, 21 min pour les femmes. Sachant que l’American College of Cardiology recommande, pour une prise en charge efficace, un temps de moins de 10 min, c’est 38 % des hommes qui ont été pris en charge « à temps », contre 29 % des femmes.
- Le temps médian « Door-to-Needle » était de 28 min pour les hommes, 36 min pour les femmes. Les recommandations de prise en charge avant 30 min ont été respectée pour 59 % des hommes, 32 % des femmes.
- Le temps médian « Door-to-Balloon » était de 93 min pour les hommes, 106 min pour les femmes. Pour les deux sexes, les recommandations de prise en charge avant 90 min ont été respectées à hauteur de 43 %.
Les conclusions de l’article sont claires : au-delà du manque général de respect des recommandations (pour les hommes et les femmes), les femmes ont eu un accès beaucoup plus tardifs que les hommes aux analyses (ECG) et aux soins.
Si on analyse plus finement les résultats, on s’aperçoit que la survenue d’accident coronarien SANS douleurs dans la poitrine (15 % des cas chez les hommes, 19 % des cas chez les femmes dans cette étude) est un facteur qui augmente statistiquement les temps de prise en charge dans les deux sexes. Par contre, l’anxiété (54 % des femmes, 37 % des hommes) est un facteur augmentant le temps de prise en charge uniquement chez les femmes ! De plus, dans cette étude, les femmes prises en charges cumulaient beaucoup plus de facteur de risque que les hommes (que ce soit l’obésité, le tabac, le diabète, l’hypertension…). Ce n’a pas empêché la prise en charge d’être plus tardive.
L’accès aux soins paraît donc complètement biaisé par le genre. Certes, on peut évoquer des différences au niveau des symptômes entre hommes et femmes (comme par exemple le plus grand nombre de cas d’absence de douleurs dans la poitrine). Mais l’écart entre patients masculins et féminins est trop large. Or la rapidité de la prise en charge est un élément déterminant pour sauver la vie du malade.
Il semble urgent de revoir la façon dont les femmes et les hommes sont vus lorsqu’ils arrivent aux urgences. Une telle différence de prise en charge, contribuant sans doute à une différence de la mortalité me semble totalement inacceptable.
N.B. Notons tout de même qu’il existe biais de sélection dans cette étude : il ne s’agit que de patients qui ont survécu à leur accident coronarien. J’avoue ne pas savoir comment ce biais influe sur les résultats
Pour aller plus loin…
Un rôle protecteur des hormones féminines ?
En réalité, c’est sur l’apparition d’athérosclérose que les estradiols (hormones sexuelles chez la femme) auraient un effet protecteur : l’arthérosclérose, c’est le rétrécissement des artères, par constitutions de plaques de « graisse » (pour plus de détail, voir cette notice de l’INSERM par exemple, et sur ce blog, quelques lignes de ce billet sur le cholestérol). Ces rétrécissements causent des perturbations de la circulation sanguine, qui peuvent aboutir à la formation de thrombus (caillot de sang coagulé). Dans le pire des cas, la « plaque » se révèle instable, se décolle, et vient boucher une artère. Si c’est une artère coronaire, c’est l’accident cardiaque. Si c’est au niveau du système nerveux central, c’est l’AVC. Le thrombus peut lui aussi jouer ce rôle délétère.
L’hypothèse sur ce rôle protecteur repose sur plusieurs constatations :
- Le nombre d’accidents cardiaques chez les femmes augmente dramatiquement après la ménopause.
- Dans les modèles animaux, la prise d’estradiol permet d’empêcher la formation des plaques.
Cependant, de nombreux travaux remettent en question cette hypothèse :
- Dans les modèles animaux, la protection contre la formation des plaques de athérosclérose n’est effective qu’à des doses d’estradiol comparables à celles, très grandes, présentes au cours des grossesses. Les femmes n’étant pas en permanence enceinte, il est difficile de transposer les résultats obtenus sur les souris à l’être humain !
- Les mécanismes biologiques qui expliqueraient la protection ne sont pas clairs, et impliquent le système immunitaire. Or, les estradiols ont plutôt tendance à stimuler l’immunité, ce qui est censé aller de pair avec une augmentation du risque d’athérosclérose…
- La prise de contraceptifs hormonaux, même durant de longues périodes, qui fait chuter les taux d’estradiol, n’est pas associée à une plus grande précocité des accidents cardiaques chez les femmes.
- La prise d’estradiol de synthèse, pour atténuer les effets de la ménopause, ne sont pas associés à une diminution du risque d’accidents cardiaques. Il a même été montré récemment qu’une importante concentration d’estradiol dans le sang est associée à un risque augmenté d’accidents cardiaques (4)
Bref, on est loin de comprendre pourquoi les crises cardiaques surviennent plus tard chez les femmes que les hommes, et grâce à quoi elles sont « protégées » jusqu’à la ménopause.
Bibliographie
(1) « Dépression : les femmes toujours plus à risque » sur le site « stress humain »
(2) « Sex Differences in Mortality Following Acute Coronary Syndromes » J.S. Berger et al. JAMA 2009, 302(6), 874-882.
(3) « Effets vasculaires des oestrogènes » J.F. Arnal et al. M/S Médecine et Sciences 2003, 19(12), 1226-1232.
(4) « Oestrogènes et risque cardio-vasculaires chez les femmes ménopausées » Communiqué de l’INSERM, juin 2012.
(5) Gender Gap in acute coronary heart desease : Myth or Reality ? M. Claassen et al., World J. Cardiol. 2012, 4(2), 36-47.
(6) « Sex-related differences in access to care among patients with premature acute coronary syndrome » R. Pelletier et al., CMAJ 2014.
(7) « Gender Disparities in the Presentation, Management, and Outcomes of Acute Coronary Syndrome Patients : Data from the 2nd Gulf Registry of Acute Coronary Events (Gulf RACE-2) » A. Shebab et al., PLOS One 2013, 8(2)