Les tanins, tout le monde connaît. Du moins, tout le monde connaît le nom de ces composés. Il y en a bien sûr dans le vin, participant à son goût et son aspect. Ils servent aussi à travailler le cuir (opération de tannage, évidemment), et sont désignés comme les responsables des effets anti-oxydants du thé…
Les tanins, ce sont des molécules souvent très complexes, et j’y consacrerais bien un billet à part entière. Ici, il s’agit plutôt d’une illustration de mon Flash Info Chimie précédent, qui parlait de l’intérêt de suivre les voies de synthèses biologiques lorsqu’on essaie de produire en laboratoire des molécules complexes qui existent dans la nature.
Dans cet article, écrit par une équipe française dans l’incontournable journal de chimie Angewandte, il est donc question de tanin. Et puisque cela se passe à Bordeaux, évidemment, il s’agit de tanins présent dans le vin.
Lors du vieillissement du vin, de nombreux composés se modifient. Le problème, c’est qu’on ne sait toujours pas très bien comment cela se passe. Réactions purement chimiques, ou catalysées par les bactéries présentes, ou encore réactions causées par l’oxygène de l’air qui diffuse lentement, mais sûrement, à travers le liège du bouchon ? Un grand mélange de tout cela, assurément !
Les tanins n’échappent pas à la règle, et vont être modifiés. En particulier, certains vont s’oxyder (gagner des atomes d’oxygènes, ou perdre des atomes d’hydrogène dans ce cas)… Les chercheurs se sont posés la question du mécanisme, et, après avoir éliminé les réactions d’oxydation d’origine enzymatique, ont chercher à oxyder un tanin en particulier, l’acutissimine, avec l’oxygène de l’air…
Il faut bien voir cette structure hyper-complexe :

Belle molécule, n’est-ce pas ? Ici, il s’agit de l’acutissimine A, qui intéresse particulièrement les chercheurs, ayant des propriétés anticancéreuses exceptionnelles. (source : wikipédia )
Imaginez maintenant : dans cette molécule, à peu de choses près, chaque groupe -OH peut réagir avec le dioxygène. Et si le (bon) chimiste peut éliminer quelques positions qui sont sans doute moins réactives que les autres, il en reste au moins une dizaine pour lesquelles il n’est pas possible a priori de prévoir le comportement.
Ce qui est intéressant dans cette publication, c’est que lorsque l’acutissimine subit une oxydation avec du dioxygène, une seule position est modifiée. S’en suit des réactions en cascade, pour donner relativement peu de composés différents, et surtout, des composés déjà identifiés, comme par exemple la mongolicaine A, ou des analogues de la camelliatannine G :
Alors, quelles sont les conséquences de ce travail, qui a été surtout rendu complexe par l’identification des composés, et l’élucidation de leurs structures ?
- Tout d’abord, cela enrichit la « filiation » des tanins entre eux : on savait qu’ils étaient liés, on connaît maintenant comment ils le sont : par une simple oxydation de l’acutissimine, on obtient quelques autres tanins, de façon très sélective.
- Cela met encore une fois en avant le fait que la nature est économe : les différents produits naturels se forment de la façon « la plus simple », et plutôt que de chercher à induire certaines sélectivités lors de réactions complexes en laboratoire, mieux vaut « laisser faire »…
- Ces tanins, qui se retrouvent dans le vin, vont bien être modifiés simplement par oxydation avec l’oxygène de l’air, sans intervention complexe de micro-organismes, ou d’autres composés. Dans l’étude du vieillissement du vin, il s’agit d’une confirmation forte du rôle de l’oxygène. Et les applications ne manqueront pas : en supprimant ou en sélectionnant tel tanin, on pourra éviter, ou favoriser la formation de tel autre, modifiant le goût, l’aspect du vieux vin…
« Remarkable Biomimetic Chemoselective Aerobic Oxidation of Flavano-Ellagitannins Found in Oak-Aged Wine« E. Petit et al., Angew. Chem. Int. Ed. 2013, Early View