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La vie viendrait-elle de Mars ? Hum…

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J’ai été très surpris de voir une nouvelle scientifique retentissante sur les grands sites d’information français. Le très sérieux France Info titre ainsi  » ‘Nous sommes tous martiens’ selon une étude scientifique » (un article de Laura Damase). Ce site, ainsi que de très nombreux d’autres, cite un scientifique participant à un congrès de géochimie à Florence, « Steven Brenner », qui aurait découvert que la vie sur Terre proviendrait en fait de Mars. Après, on ne comprend pas trop… Il semble qu’une forme particulièrement oxydée de molybdène jouent un rôle particulier, et que ce molybdène là n’existait pas sur terre à cette époque… S’agit-il de bactéries, de molécules complexes protégées par le molybdène (et le bore, peut-on lire aussi), ou juste du molybdène qui ont été apportés par une (ou plusieurs) météorite(s) ? Ce n’est pas du tout clair…

Cet article et ses équivalents de langue française sont scandaleux. Et à plusieurs titres.

  • Steven Brenner n’existe pas. Il s’agit de Steven Benner, chimiste reconnu dans la chimie prébiotique, puisqu’il a publié, entre autre, une revue dans le magazine « Science » sur les origines supposés de la vie. Attention, il ne s’agit pas d’une erreur isolée : Tous les sites francophones que j’ai consultés font la même faute d’orthographe !
  • J’ai fini par trouver le communiqué de presse, qui demande expressément à ce que soit citées Les Conférences Goldshmidt à Florence, organisée par  the European Association of Geochemistry and the Geochemical Society. Sur mon blog, je ne fais pas toujours attention. Mais je ne suis pas journaliste dans un grand média, tout de même !
  • Les articles montrent d’une part une profonde méconnaissance de la chimie prébiotique, ce qui peut se comprendre, mais aussi que le/les journalistes ne comprennent pas grand chose à ce qu’ils écrivent, tant l’absence de raisonnement et de lien logique entre les différents arguments sont patents.
  • Et enfin, contrairement à ce qui est annoncé, il ne s’agit pas d’une étude scientifique à proprement parler. Il s’agit d’une conférence « d’opinion » se basant sur des résultats publiés, mais dont les conclusions sont ici extrapolées à la création des premiers êtres vivants.

Pour ne pas incriminer que France Info, vous pouvez trouver cet article aussi sur atlantico.fr; TF1-LCI; Francetvinfo (qui a au moins pris la peine d’interroger d’autres chercheurs, sans pour autant corriger la faute d’orthographe)… Ah oui, ça provient apparemment d’une dépêche AFP, mais que je n’ai pas su retrouver… [UpDate du 1er sept. : la voilà la dépêche AFP ! Merci @PaoliProf sur Twitter! ] Mais quand même, quel sale boulot !

Mais reprenons le fond de l’affaire, qui est tout de même intéressant. S. Benner, qui se présente comme un pionner de la biologie synthétique, est intervenu à la Goldschmidt Conference pour présenter une conférence plénière intitulée «  Planets, Minerals, and life’s origin  » (voir le résumé ) (planètes, minéraux, et origine de la vie). Il s’agissait ici de parler de chimie pré-biotique, ou comment la matière a pu s’organiser en organisme vivant (sur ce blog, vous pouvez aller voir ici et sur ce thème). Pour Benner, il y a quatre grands paradoxes dans les théories actuelles de cette science :

  • Le « Tar Paradox » (paradoxe du goudron) : Si on prend les constituants de la fameuse soupe prébiotique [ ces mêmes qui se seraient auto-organisés en molécules plus grandes en mesure de s’autorépliquer, ou du moins de catalyser des réactions complexes], qu’on y ajoute de la lumière ou une autre source d’énergie, on obtiendra, avec le temps … du goudron, c’est-à-dire un mélange de produits de dégradation incapable d’aucune action catalytique intéressante.
  • Le « Water Paradox » (paradoxe de l’eau) : Si l’eau est omniprésente dans les organismes biologiques, les biopolymères (ADN, ARN, protéines) nécessaires à la vie y sont assez sensibles, et se dégradent en sa présence
  • le « Single Biopolymer Paradox » (paradoxe du biopolymère unique) : Dans tous les organismes vivants, Trois biopolymères semblent absolument nécessaire : ADN, ARN, et protéines. Il semble assez improbable que ces 3 polymères aient pu se former simultanément dans des conditions prébiotiques, alors qu’on ne sait même pas réellement comment cela est possible pour un seul
  • le « Probability Paradox » (paradoxe de la probabilité) : L’ARN, qui est le biopolymère le plus polyvalent (capable de stocker de l’information, mais aussi d’assurer les fonctions catalytiques nécessaires pour la réplication) a plutôt la capacité de catalyser… sa destruction que catalyser sa réplication.

Partant de ce constat assez troublant, Benner imagine les conditions qui permettraient de s’affranchir de certains paradoxes. Pour lui, seule la présence de composé de molybdate et de borate peut permettre la formation et la stabilisation de biopolymères de type ARN. Sans ces composés, pas d’ARN. Sans ARN, pas de vie. Or sur Terre, à l’époque « prébiotique », il n’y a pas suffisamment d’espèces oxydantes, capable de transformer le molybdène en ions molybdates. (Pour le bore, je ne sais pas, je l’avoue, mais il se pourrait que le même raisonnement se tienne, et qu’il n’y ait pas non plus d’ions borates). D’après Benner, la vie n’a pas pu apparaître sur Terre. Par contre, à la même époque, l’atmosphère martienne était plus oxydante et plus sèche, et ces mêmes composés (molybdates et borates) ont pu se former, et participer à la création des biopolymères nécessaires à la vie. Les précisions qu’il a envoyées aux journalistes de la NBC sont à ce sujet intéressantes. La vie serait donc arrivée par météorite martienne sur la Terre. Oui, d’après Benner, ce sont des organismes vivants martiens qui auraient apporté la vie sur notre planète.

A titre personnel, je suis très sceptique. Cette piste n’est pas à exclure, bien sûr, mais les objections de Benner à l’apparition de la vie sur Terre ne me semble pas tenir.

En particulier, la présence de molybdate semble être l’élément-clé de la démonstration du conférencier. Or le rôle fondamental de ces ions réside en la fixation de l’azote atmosphérique, c’est-à-dire en la transformation du diazote N_{2} en ammoniac NH_{3} . [J’en avais parlé un peu dans ce billet]. Et évidemment, l’ARN contient de l’azote en quantité assez importante. On peut ainsi imaginer le rôle important de ces ions. Cependant, il ne faut surtout pas oublier que l’accumulation des espèces chimiques nécessaires à la vie a duré des centaines de millions d’années. Une réaction de fixation de l’azote SANS molybdates, même très peu efficace, permettrait quand même l’accumulation de quantités énormes, donc suffisantes, de composés prébiotiques azotés. De plus, en cherchant un peu dans la littérature scientifique, on peut trouver qu’il existe des nitrogénases (métallo-enzymes contenant habituellement du molybdène qui permettent de fixer l’azote atmosphérique) qui fonctionnent sans molybdène ( R. Pau : Nitrogenases without molybdenum, Trends in Biochem. Sci.,1989).

Je suis sceptique aussi sur la capacité que pourrait avoir un organisme à survivre à un tel voyage, sur une météorite. Les températures atteintes en surface sont gigantesques lors de l’entrée dans l’atmosphère. Afin d’être protégés, il aurait fallu que les organismes vivants se trouvent au coeur de la météorite, et que celle-ci soit de taille importante.

Ce diagnostic sous forme de « paradoxes » dont parle Benner est un peu surprenant de la part d’un chercheur en chimie pré-biotique.

  • Le paradoxe du goudron peut être rapidement levé, si on considère encore une fois le temps pendant lequel se sont probablement accumulées espèces chimiques prébiotiques ; lorsqu’on parle de plusieurs centaines de millions d’années, il importe peu que le produit principal de l’évolution de cette soupe soit du goudron. Les quantités infinitésimales de molécules intéressantes produites chaque année / siècle deviennent dans les échelles de temps qui sont concernés des grammes, kilos, tonnes !
  • Le paradoxe de l’eau ne me semble pas très pertinent… Quelque soit le milieu considéré, l’eau est absolument nécessaire à l’apparition des premiers organismes. Mais il est vrai que je n’ai pas plus d’argument que cela.
  • Le paradoxe du biopolymère unique… a déjà été levé (a priori) depuis longtemps (L’ARN fait office de candidat idéal pour répondre aux différentes questions), et n’est pas résolu par l’hypothèse martienne
  • Le paradoxe de la probabilité est levé aussi par l’échelle de temps.

Enfin, n’oublions pas que la recherche en chimie prébiotique n’est pas stérile, loin s’en faut ! Aujourd’hui, les sources hydrothermales semblent réunir l’ensemble des conditions de l’apparition de la vie sur Terre (voir ce billet sur la question), même si on restera sans doute à jamais sans preuve absolues et directes. Peut-être n’est-il pas nécessaire d’aller chercher des organismes martiens pour cela.

Benner a déclaré une chose finalement assez remarquable à la NBC : Son scénario, dit-il, illustre la différence entre un lieu où la vie peut « survivre » d’un lieu où la vie peut « émerger ». Cette idée est très intéressante, et très fine. Mais il me semble que ces deux lieux coexistent déjà sur Terre.

Sources : Elles sont cités dans le texte. Je remets ici le communiqué de presse officiel, et l’article de la NBC.