Archives pour l'étiquette Hepatite C

Grâce à l’industrie pharmaceutique, on va pouvoir NE PAS éradiquer l’hépatite C

La science pharmaceutique fait parfois des progrès spectaculaires. Alors qu’une maladie fait des milliers, des centaines de milliers, ou des millions de mort chaque année, de nouveaux traitements apparaissent, et révolutionnent les prises en charge de ces fléaux.

L’exemple de l’imatinib (Gleevec®), le traitement miracle contre les leucémies myéloïdes

gleevec

« Il y a une nouvelle arme dans la guerre contre le cancer, et voici les balles »

 

Souvenez vous de l’Imatinib, cet anti-cancéreux révolutionnaire, autorisé aux USA en 2001, médicament redoutable contre les leucémies myéloïdes chroniques (LMC). Il y a eu un « avant » et un « après » Imatinib :

  • Avant, la médiane de survie était de 5 ans. Avec une transformation inévitable de la maladie en leucémie aiguë. Le seul espoir résidait dans une allogreffe de moelle osseuse, mais l’opération est délicate, les échecs fréquents, et les donneurs trop rares.
  • Depuis, les malades ont une espérance de vie proche de la normale. Le taux de survie à 5 ans était en 2006 de 89 %.

Cette histoire est belle. Trop belle en réalité. Un an de traitement par ce médicament, dont le brevet expire en 2015, coûtait en 2001 30 000 $. En 2012, il coûtait 92 000 $. Pour l’année 2012, il rapportait à Novartis 4,7 Milliards de dollars. Vous me direz, ça coûte cher, très cher d’inventer des médicaments, de les évaluer, de les mettre sur le marché. Pour un nouveau traitement de cancers, cela a été évalué, au total, à 1 milliard de dollars. En tout. En comptant le matériel, les salaires, le prix des études, les échecs qui font repartir de zéro… De façon grossière, (en imaginant une croissance linéaire du prix du traitement entre 2001 et 2012), on arrive à des recettes de l’ordre de 40 milliards de dollars. Soit 39 milliards de dollars de bénéfice pour ce médicament.

Mais qui peut payer ?

Soyons honnête : personne. 92 000 € rend inaccessible ce médicament à presque toute la planète. Il n’y a pas un pays au monde dont le salaire brut moyen annuel atteint cette valeur. Seuls les (très) riches peuvent se permettre de payer cela. En fait, seuls les très riches, et les assurés. Et oui, ce sont les assurances qui paient ces montants exorbitants. En France, l’imatinib, qui coûte plus de 1000 € la boîte, est remboursée à 100 % par la sécurité sociale, pour laquelle nous payons tous. Novartis peut nous dire merci : la solidarité nationale paie ses bénéfices ! Ce médicament est loin d’être une exception. Les médicaments contre le cancer font partie des plus onéreux, et les traitements plus récents dépassent le plus souvent 100 000 $ par an (1). Si la situation en France est « tendue », avec des pressions sur la sécurité sociale pour dérembourser de plus en plus de médicaments, elle est intenable dans la plupart des autres pays, où l’assurance santé est souvent un luxe (quand elle existe). L’imatinib, et les autres super stars de la lutte contre le cancer sont des joujoux des (très) riches.

 

 Et alors, l’hépatite C ?

L’hépatite C est une maladie virale, qui concerne 170 à 180 millions de personnes dans le monde. Dans 70 % des cas, la période aiguë de la maladie passe inaperçue (ce qui n’empêche pas les transmissions). 30 % des malades éliminent le virus spontanément à l’issue de cette phase. Pour les autres, l’hépatite C devient chronique. 30 % ont une hépatite active, qui généralement conduit à une cirrhose, voire à un cancer du foie dans les 10 ans. 30 % ont une hépatite peu active, et risquent de développer une cirrhose plus de 30 ans après. le dernier tiers n’a pas trop de soucis à se faire…(2) Il ne s’agit donc pas d’une maladie « si grave que ça »… Qui fait tout de même 350 000 victimes par an dans le monde (en comptant cirrhoses et cancers qui lui sont directement imputables).(3)

Il n’existe pas de vaccin contre l’hépatite C. De plus, jusqu’à récemment, les médicaments antiviraux sur le marché étaient très peu efficaces.

[Il faut bien comprendre le problème de la lutte contre les virus : celui-ci est un parasite des cellules, donc pour le bloquer, il faut le plus souvent bloquer la cellule – hôte, ce qui complique les choses : comment empêcher la réplication des virus sans empêcher le fonctionnement normal des cellules ? Ce problème explique le retard considérable dans les traitements anti-viraux comparés aux traitement anti-bactériens (les antibiotiques). L’utilisation de vaccin, ou de stimulateurs du système immunitaire est donc l’arme la plus fiable contre les virus : si on ne sais pas trouver un antiviral, aidons le corps à les fabriquer ! Mais ce n’est pas toujours facile à produire de nouveaux vaccins, ni forcément efficace de stimuler les défenses naturelles…] 

Ces dernières années, les progrès thérapeutiques ont été énormes…L’hépatite C a profité, en particulier, du développement des molécules antivirales dirigées contre le SIDA, et plusieurs nouveaux composés d’une très grande efficacité ont vu le jour. Quatre en particulier, associés ou non à d’autres molécules sont en train de révolutionner le traitement des génotypes 1, 2, 3 de l’hépatite C (qui a 6 génotypes au total, mais ces trois là sont, de très loin, les plus répandus).

Ces molécules ont des structures, et des modes d’action très différents. Il serait fastidieux de les décrire ici. Globalement, certains sont des inhibiteurs de la synthèse des protéines du virus, d’autres empêchent l’assemblage de ces protéines qui permet de former les nouveaux virus.

Ce qui est impressionnant, c’est le taux de réponse au traitement. Par exemple, toutes les études qui concernent des bi ou tri-thérapies contenant du sofosbuvir montrent des taux de réponse entre 70 et 100 % (et souvent plus proche de 90-100 %) pour les génotypes 1, 2, et 3.(4)

Sofosbuvir

C’est non seulement très intéressant pour les malades, mais c’est aussi un espoir d’éradiquer l’hépatite C. En diminuant drastiquement le nombre de malade, on limite les transmissions, ce qui permet d’espérer que cette maladie (ou du moins les génotypes 1, 2, 3) s’éteigne d’elle-même.

[C’est évidemment trop simple : le problème de l’hépatite C réside aussi dans le nombre de porteur qui s’ignore (environ un tiers des malades), et en l’accès aux soins des malades dans les pays en voie de développement. J’allais dire, finalement, tout comme le VIH…]

Et le prix ?

Il est scandaleux. Les traitements, sur 12 ou 24 semaines, vont coûter entre 65 000 $ et 189 000 $.(5). Non seulement l’accès à ces médicaments qui révolutionnent les prises en charge va être restreint aux plus riches, mais en plus cela repousse l’espoir de voir disparaître cette maladie… Lorsque ces « inventions » passeront dans le domaine public.

Une étude a été menée pour évaluer le prix que coûte la production, et la commercialisation de ces médicaments, en s’appuyant en particulier sur le prix des antiviraux contre le HIV qui ont souvent des structures communes. Ce n’est qu’une évaluation, mais le travail mené par une équipe d’universitaire est sérieux, et a été publié dans le journal Clinical Infectious Desease. Pour eux, le prix de production de ces différents médicaments se situe entre 100 et 250 $ pour un traitement de 12 semaines.(4)

Les laboratoires pharmaceutiques ont beau annoncer des « efforts » pour les pays à revenus modestes, ces traitements ne seront JAMAIS accessibles avant d’exister sous forme de génériques.

Ainsi, un communiqué de presse de l’association « Médecin Du Monde », annonce par exemple :

En Egypte, qui compte près de 12 millions de personnes infectées par le VHC, fournir seul le sofosbuvir au prix minimum [Proposé par le labo qui le produit, NDLR] de 2 000$ aux personnes en stade avancé de la maladie coûterait au gouvernement près de 62 fois le budget alloué chaque année au programme national de prise en charge de l’hépatite C. (6)

Les malades français ne peuvent pas non plus se permettre de prendre ce médicament. La sécu ne s’en remettrait pas :

En France, le prix de trois mois de traitement (environ 55.000 euros) pour seulement la moitié des 232.196 personnes atteintes de VHC chronique équivaudrait au budget des hôpitaux publics parisiens (APHP), selon les calculs réalisés par Médecins du Monde dans une étude. (7)

 

Aujourd’hui, les armes thérapeutiques existent pour soigner, voire éradiquer une maladie qui provoque 350 000 morts par an. Grâce à l’industrie pharmaceutique, on NE pourra PAS y arriver.

 

Alors, et la suite ? 

Soyons clair. Cet exemple, de l’hépatite C (comme des traitements anti-cancers) montrent parfaitement que les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas pour but de soigner les humains, mais de gagner de l’argent. Les prix des médicaments sont avant tout déterminés par l’étude du marché, afin d’en tirer un bénéfice maximal. A titre d’exemple, le PDG de Gilead Science, qui produit le sofosbuvir, (et le Tamiflu, contre les grippes, et le Truvada, contre le HIV, entre autres) gagne un peu plus de 30 000 $ par heure (près de 43 millions de dollars en 2010).(8) L’industrie pharmaceutique est sans aucun doute une des plus rentables, des moins risquées, et des plus cyniques qui existe.

Je ne vais pas y aller par 4 chemins. Voilà ce que je pense qu’il faut faire :

– L’ OMS (enfin, une organisation médicale internationale fiable, exempte de conflits d’intérêts…On peut rêver, je sais) doit décider quels sont les composés essentiels pour soigner les grandes maladies. Sofosbuvir et quelques autres pour l’hépatite C, l’Imatinib, et quelques autres pour les cancers, etc…

– Ces composés, prioritaires, doivent immédiatement passer dans le domaine public. Ils ont coûté un milliards de dollars pour leur mise au point ? Soyons honnêtes, réquisitionnons les brevets pour 2 milliards (ou plus ? ou moins ?) !

Créons des laboratoires publiques (financés par la même organisation internationale) de recherche et de production de médicaments. Cela aura l’avantage de découvrir et produire à plus bas coût les molécules, et qu’elles puissent directement passer dans le domaine publique. Cela permettra aussi, dans une certaine mesure, de limiter les conflits d’intérêts (financiers), et donc d’améliorer le service aux malades (moins de médicaments qui n’apportent que des améliorations mineures, moins de « corruption » des médecins,…)

– Le financement de ces organismes, laboratoires, réquisition de brevets est évident : cela coûte tellement moins cher aux sociétés, aux états, et aux assurances que l’industrie pharmaceutique actuelle !

 

Vous penserez peut-être que j’exagère dans mes propositions. Je vous propose alors une minute de silence pour les centaines de milliers de morts qui ne seront pas évités à cause de ces entreprises.

(1)  « Of the 12 drugs approved by the FDA for various cancer indications in 2012, 11 were priced above $100,000 per year » in « Price of drugs for chronic myeloid leukemia (CML), reflection of the unsustainable cancer drug prices: perspective of CML Experts » Blood 2013, vol. 121 no. 22, 4439-4442 (gratuit)

(2) Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Hepatite_C

(3) Site de l’OMS http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs164/fr/

(4) L’étude est disponible gratuitement : Minimum Costs for Producing Hepatitis C Direct-Acting Antivirals for Use in Large-Scale Treatment Access Programs in Developing Countries A. Hill et al. Clin Infect Dis. 2014 ,58 (7): 928-936.

On pourra aussi regarder/ imprimer le poster des mêmes auteurs, qui récapitule très bien leur travail.

(5) Sur Medscape http://www.medscape.com/viewarticle/817371

(6) Communiqué de presse de Médecin du Monde

(7) Extrait de la dépêche AFP, ici reprise de la version électronique de Sud Ouest

(8) Voilà J.C. Martin, 7e sur la liste des PDG les mieux payés des USA… http://chiefexecutive.net/americas-highest-paid-ceos