On ne peut séparer l’avancée des sciences de l’évolution de la pensée. Et si les théories scientifiques du XXème siècle ont mis à mal le déterminisme le plus pur, (par le principe d’incertitude d’Heisenberg, la théorie du chaos, ou encore le théorème de Göedel), la physique, la chimie et la biologie ont bouleversé, et bouleversent encore aujourd’hui la notion de « vie », d »animé » et d' »inanimé ».
Mais avant de regarder de plus près la situation actuelle, où la biologie moléculaire tente de rationnaliser tous les processus de la vie, essayons de retracer l’évolution de deux concepts philosophiques clés pour la lecture des sciences du vivant: le vitalisme et son opposée, la théorie mécaniste.
Avant le XVIIème siècle, les réflexions autour du vivant étaient fortement teintées de finalisme (la fin d’un être vivant, c’est de vivre, et il est donc fabriqué, organisé pour cela) et/ou d’animisme (tout ce qui est autour de nous est vivant, depuis l’être humain jusqu’à la rivière, en passant par l’orchidée de ma grand-mère). Pour Aristote (dont les concepts philosophiques ont largement dominé la pensée occidentale jusqu’à la renaissance), la « main » ressemble à cela parce qu’elle est faite pour saisir; l’oeil est tel qu’il est parce qu’il doit permettre la vision; l’être vivant est tel qu’il est parce qu’il doit vivre. Cette conception nous paraît complètement naïve et insuffisante, mais disons qu’à l’époque, c’était déjà mieux que rien.
Avec l’arrivée de la renaissance, les sciences, et le rationalisme prennent un nouvel essor : grâce à Galilée notamment, la mécanique se voit pourvue de lois qui permettent d’expliquer les mouvements, et même les astres y sont soumis. les horloges sont constituées de mécanismes de plus en plus sophistiqués. Pourquoi les êtres vivants, animés comme le peuvent être les automates ou un objet qui tombe, échapperaient à ces lois qui régissent le monde ?
Apparaît donc « l’animal-machine » de Descartes : les êtres vivants, (humains à part) sont des machines (dépourvues d’âme), qui fonctionnent selon le principe de causalité :
« Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l’agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. » [ Les principes de la philosophie, 1644]
Il est à noter que pour Descartes, l’Homme est non réductible à un animal intelligent, et il l’exclut de ces discussions, grâce à la notion d’âme et au dualisme corps-âme. voir ici pour des extraits d’ouvrages.
Dans la foulée, d’autres philosophes abondent dans cette théorie mécaniste, et en particulier De La Mettrie. Ce dernier réfute (même) la notion d’âme, pour parler « d’homme-machine » (1748). Même nos pensées, et le language (propre à l’homme selon Descartes) dérivent du fonctionnement parfaitement rationnel de notre cerveau. La vie, et même la pensée ne sont plus que la succession d’actes mécaniques de machines infiniment sophistiquées.
Et le vitalisme, dans tout cela ? En fait, si cette notion n’avait pas d’intérêt avant le mécanisme, elle va apparaître en opposition à celui-ci : comment réduire la vie à une machinerie bassement matérialiste, qui, finalement, ne distingue l’animé de l’inanimé que par sa complexité ? Ne faut-il pas une chose de plus à la matière pour prendre vie ?
Pour vous faire patienter un peu , voici comment le Dr Frankenstein donne cette chose de plus sous la forme d’électricité et d’éclair à sa créature, pour lui donner la vie :
Note au lecteur :
Vous pourrez trouver de bien meilleurs « cours » sur l’animal-machine de Desccartes, ou sur la philosophie du vivant d’Aristote sur le web (Ici par exemple, ou là , ou un peu partout en tapant les bons mots clés). Je ne prétend pas me hisser au niveau de la plupart des apprentis/enseignants philosophes sur internet. J’espère ne pas avoir dénaturer certaines idées de ces penseurs illustres (Et j’attends vos remarques et mises au point si c’est le cas). J’espère aussi avoir été plus concis que la moyenne, et avoir rendu correctement les éléments clés pour la compréhension de mes prochains billets sur le vitalisme, depuis son apparition comme opposition au rationalisme mécaniste jusqu’au XXIème siècle, où il occupe encore une place centrale dans la philosophie des sciences biologiques.
A suivre : Le vitalisme du XVIIIème siècle : le vitalisme médical