Lorsque Albert Einstein a proposé sa théorie de la relativité générale en 1915, il fallait une preuve éclatante et spectaculaire. La résolution de l’énigme de la trajectoire de Mercure autour du Soleil (la fameuse « avancée du périhélie de Mercure« ) est ainsi devenu le symbole du triomphe de la relativité sur la mécanique classique.
98 ans après (oui, les chimistes auraient pu attendre 2 ans de plus, tout de même), la relativité vient d’offrir une nouvelle explication d’énigme scientifique, qui concerne (le) mercure. Mais le métal cette fois.
Le mercure, comme chacun sait, est le seul métal liquide à température ambiante (TA). Comme le dit @rscarcpac sur Twitter :
@MrPourquoi y a pas le gallium aussi ? 30 degres c’est la TA de la décennie à venir.
— rscarcpac (@rscarcpac) June 26, 2013
Oui Rscarpac, mais le Gallium fond à 30°. Le Mercure, lui, est liquide dès -39°C, ce qui le rend définitivement exceptionnel. Le problème, c’est que jusqu’à présent, aucun modèle ne permettait de prévoir cette température anormalement basse. Avec les équations classiques de la mécanique quantique, qui donnent des résultats à peu près cohérents pour les points de fusion des autres métaux, on obtient une température de fusion de quelques 80 °C. Ce n’est pas énorme, mais c’est déjà nettement plus que le Gallium, le Césium, etc… Et c’est surtout expérimentalement faux.
Dans cette publication parue dans le journal Angewandte, Florent Calvo (de l’Université de Lyon), et ses collaborateurs (d’ailleurs), ont travaillé sur la prise en compte d’effets relativistes au sein des liaisons entre atomes de mercure, pour tenter d’expliquer cet écart entre l’expérience et les prévisions.
Ce n’est pas par hasard : les effets relativistes jouent un rôle important en chimie quantique pour les métaux lourds, et pour le mercure en particulier. En effet, les électrons les plus périphériques dans l’atome de mercure, ceux qui sont normalement disponibles pour créer des liaisons fortes avec leurs voisins se retrouvent « anormalement » près du noyau, à cause d’effets relativistes. Du coup, les atomes de mercure ne sont pas liés entre eux comme dans les autres métaux, où de véritables liaisons covalentes se forment. Les liaisons entre atomes sont beaucoup plus faibles, ce qui diminue la cohésion du métal, et permet donc qu’il soit liquide à beaucoup plus basse température.
Grâce à des simulations numériques de type Monte-Carlo, en étudiant des groupes de 15, 19 et 55 atomes de mercure, les auteurs ont montré que les effets relativistes avaient des conséquences importantes sur les propriétés de changement d’état du métal dès qu’on atteint quelques dizaines d’atomes. Et en particulier, la diminution de la température de fusion du mercure est, enfin, en accord avec l’expérience.
Evidence for Low-Temperature Melting of Mercury owing to Relativity F. Calvo, E. Pahl, M. Wormit, P. Schwerdtfeger Angew. Chem. Int. Ed. 2013 Early View
A lire pour les effets relativistes en chimie quantique : http://en.wikipedia.org/wiki/Relativistic_quantum_chemistry
N.B. Et merci @EmelineComby ( et @rscarcpac) pour le soutien logistique !