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L’IRM, la machine à observer le cerveau

Pour cette semaine thématique autour du cerveau, comment ne pas évoquer la technique d’imagerie médicale qui règne en maître dans ce domaine, à savoir l’IRM, l’imagerie par Résonance Magnétique. Bien sûr, vous pouvez consulter la très complète notice Wikipédia sur le sujet, mais vous risquez de vous y perdre assez rapidement. Ici, je vous propose un retour aux principes de base de la technique, liés aux propriétés de spin des protons des atomes qui nous composent.

L'installation pour l'IRM

Dispositif pour l’Imagerie à Résonance Magnétique

Le principe de toute imagerie…

Revenons vraiment, vraiment au départ. Pour voir un objet, il faut qu’un signal parte de cet objet, et vienne jusqu’à notre oeil, ou jusqu’au capteur que l’on a choisi. Le signal est parfois produit, parfois réfléchi par l’objet, et parfois simplement modifié par l’objet.

Prenons rapidement quelques exemples :

La scintigraphie est une technique bien particulière : on injecte au patient une substance radioactive (de l’iode 123, du Technétium 99, etc…) qui va émettre des rayons gamma (ondes électromagnétiques). Le capteur analyse le signal reçu, et un traitement informatique permet une reconstruction spatiale de la distribution de la substance émettrice. Voilà un exemple d’imagerie qui fonctionne avec un signal « produit » par l’objet.

L’échographie est assez unique dans les techniques d’imagerie médicale, car elle utilise des ondes sonores, et non électromagnétique. Le dispositif fonctionne comme un radar : une onde ultrasonore est produite, et vient se réfléchir dans le corps du patient, en particulier sur les différentes surfaces des organes. En analysant le temps mis par l’onde pour aller, puis revenir à la sonde à échographie, le dispositif informatique permet une reconstruction spatiale des tissus du cobaye. Voilà un exemple d’imagerie qui fonctionne avec un signal « réfléchi » par l’objet.

La radiographie aux rayons X est une méthode qui existe depuis un peu plus de cent ans, et a été la première à permettre l’exploration non invasive du corps humain. Les ondes électromagnétiques « rayons X » sont envoyés sur le patient, et le capteur se trouve de l’autre côté. Certains tissus (comme les os) les abosrbent, et on capte ainsi leur image « en négatif ». Voilà un exemple d’imagerie qui fonctionne avec un signal « modifié » par l’objet.

L’IRM fonctionne selon un mécanisme encore différent : l’objet va être stimulé par la machine, et va « répondre » en émettant un signal électromagnétique. C’est ce signal qui va être analysé, et permettre de re-construire une image de l’objet.

 

Le principe de base de l’IRM : la résonance magnétique nucléaire

Dans le cas de l’IRM, le principe de base est appelé résonance magnétique nucléaire (RMN). Tout va se passer au niveau des noyaux des atomes, et d’une propriété intrinsèque des particules qui les composent : le spin.

Néanmoins, on peut voir ce phénomène de deux façons assez différentes. Je n’ai pas su choisir celle qui était la plus confortable, ou la plus compréhensible. Alors je vous donne les deux.

Le spin, cette « boussole qui oscille »

Prenons un proton : on va considérer que le spin est une petite  boussole liée à la particule: il va s’orienter dans le sens du champ magnétique dans lequel il est plongé, comme la boussole s’oriente en fonction du champ magnétique terrestre.

En plaçant un objet, notre tête par exemple, dans un fort champ magnétique, on va ainsi aligner les spins des protons dans la direction du champ qui constituent les noyaux des atomes d’hydrogène.

C’est alors qu’on impose une forte impulsion magnétique qui va provoquer un changement brusque de direction de ces spins. Ceux-ci vont ensuite se réorienter dans la direction initiale, avec un mouvement d’oscillation. C’est ce mouvement d’oscillation, (pseudo-)périodique, qui va provoquer l’émission d’un signal ondulatoire, dans le domaine des ondes radios. Ce signal va être capté par une antenne, puis analysé (en particulier sa fréquence, son temps de relaxation,…)

L’analogie avec une boussole fonctionne assez bien ici, comme en témoigne cette vidéo (réalisée par votre serviteur (ma toute première !)) :

Le champ magnétique permanent est induit par le petit (mais costaud) aimant en haut de l’écran. La bobine, lorsqu’elle est mise sous tension, créé l’impulsion électromagnétique, modélisée par un champ perpendiculaire au premier. Après stabilisation (bien plus lente dans ma vidéo que dans le cas des spins), l’impulsion cesse, et la boussole se ré-oriente dans la direction du champ permanent, en oscillant autour d’une position d’équilibre. C’est cette oscillation qui émet un signal, dont sera tiré plusieurs informations (Fréquence, temps de relaxation,…)

Globalement, la façon dont se ré-oriente la boussole dépend trois choses :

  • de la valeur du champ magnétique (noté B_{0} ),
  • de la nature de la particule (ici un proton)
  • de son environnement ( interaction et liaisons intramoléculaires et  intermoléculaires)
  • de l’agitation et de la mobilité des molécules

Ainsi, la fréquence du signal émis, appelé fréquence de Larmor, est définie numériquement par la relation :

\nu = \frac{\gamma}{2 \pi} B_{0}

Avec \gamma le « moment gyromagnétique », qui contient l’information sur la particule.

La prise en compte de l’environnement se fait en modifiant la valeur de B_{0} dans l’expression de Larmor, pour tenir compte des variations locales du champ magnétique causées par les autres atomes présents par exemple.

[Pour être plus proche de la réalité, le spin ne s’aligne pas avec le champ magnétique, mais exerce un mouvement de précession autour, dont la fréquence est celle de Larmor. L’impulsion l’oriente différemment, et c’est lors du retour à son mouvement initial qu’il y a émission de l’onde radio]

Vision énergétique de la RMN

On peut aussi voir ce phénomène sous son aspect énergétique. Les particules, en mécanique quantique, peuvent se trouver dans différents niveaux énergétiques. Le niveau fondamental est celui le plus stable, c’est-à-dire d’énergie la plus basse. Mais il existe des niveaux excités, d’énergie plus élevée. Pour les atteindre, il faut fournir aux particules de l’énergie, par exemple en chauffant, ou en l’irradiant avec exactement la bonne dose,, c’est-à-dire avec une onde électromagnétique d’une fréquence bien particulière, qui correspond à l’écart d’énergie entre les niveaux.

La particule peut se désexciter, et émet ainsi le surplus d’énergie sous forme de chaleur, ou d’onde électromagnétique, de fréquence correspondant, encore une fois, à l’écart énergétique entre le niveau excité et le niveau fondamental (ou un autre niveau moins excité). [C’est ce qui permet d’expliquer les spectres des lampes à vapeur (lampes à sodium, mercure, …) ]

Revenons à la RMN. Lorsqu’on soumet un proton à un champ magnétique, ses niveaux énergétiques se dédoublent, en raison de son spin, qui peut prendre deux orientation, dans le sens du champ (état plus stable, dont l’énergie diminue de E_{\alpha} ), ou dans le sens inverse (état moins stable, dont l’énergie augmente de E_{\beta} ):

levéedégénérescence

Si on irradie de plus l’échantillon avec la bonne fréquence, on va faire passer le proton de l’état fondamental à l’état excité. (le signal émis est absorbé). Et lors de la désexcitation, le signal émis correspondra à l’écart énergétique, avec, encore une fois, la fréquence de Larmor.

Dans ces deux visions, le résultat est similaire : si on place un échantillon de proton dans un champ magnétique, puis qu’on l’irradie correctement, il va émettre un signal, dont la fréquence (et d’autres caractéristiques qui sont aussi exploitées par cette technique d’imagerie) va dépendre du champ magnétique, de la particule et de son environnement.

En chimie, on utilise cette technique pour déterminer la structure de molécules complexes. En étudiant les signaux émis par les différents noyaux d’hydrogènes (constitués justement d’un seul proton), on peut remonter jusqu’à l’enchaînement des atomes, la présence de carbone, azote, oxygène, simple, double, triple liaisons, etc.

Chaque pic correspond à une fréquence de larmor différence, c'est-à-dire à un proton d'environnement différent. Grâce à des tables, on peut remonter à la structure de la molécule

Chaque pic correspond à une fréquence de larmor différence, c’est-à-dire à un proton d’environnement différent. Grâce à des tables, on peut remonter à la structure de la molécule

Il est à noter qu’on utilise de nombreuses expériences RMN, qui, en faisant varier la façon de stimuler l’échantillon, permet de supprimer certains signaux parasites, ou de déterminer les distances entre les noyaux, l’enchaînement des atomes…

« Voir » le cerveau (et les autres organes)

Pour étudier le cerveau, on a besoin d’une carte. Pour cela, on va utiliser le signal RMN émis par les noyaux d’hydrogène de la molécule la plus abondante : l’eau.

On place donc la tête du patient/cobaye dans un champ magnétique intense, et on va l’irradier avec une onde de la bonne fréquence pour stimuler les protons de l’eau, et capter le signal produit.

Le problème, c’est que si on en reste là, le résultat de cet examen ressemblera à cela :

nmr water

 

Ce qui peut se traduire par : « Il y a de l’eau dans le cerveau ! » En effet, le capteur de l’onde émise par les différents protons n’est pas sensible à la localisation spatiale de l’émission du signal. C’est là la grosse différence avec la RMN en chimie, où l’échantillon est constitué le plus souvent d’une solution homogène et uniforme.

Pour résoudre ce problème, l’idée a été de ne plus imposer un champ uniforme B_{0} , mais un champ dont la valeur change en fonction de la position. La fréquence du signal émis, proportionnelle au champ magnétique permanent, dépendra ainsi de la localisation spatiale des protons émetteurs du signal. (Il est à noter que ce n’est pas du tout trivial d’imposer ce champ magnétique qui varie dans l’espace, et en conséquent la méthode utilisée pour réaliser ces expériences combine plusieurs impulsions dans des directions différentes en une seule stimulation. Plus de précision dans ce cours d’IRM de l’université de médecine de Rennes)

Le signal global émis par le cerveau sera donc un mélange de centaines de signaux, de fréquence différents, que l’on saura interpréter de façon spatiale. L’intensité de chacun de ces signaux nous donnera la quantité relative de proton à un endroit donné. Et nous permettra ainsi d’établir une carte de notre organe.

Résultat d'une expérience d'IRM en 3D

Résultat d’une expérience d’IRM en 3D

Bien sûr, il s’agit d’une vision simplifiée de la technique d’IRM. De nombreuses méthodes dérivées de celle de l’impulsion unique permettent d’obtenir de résultats bien plus complets, en un temps d’examen réduit. Ces diverses méthodes permettent par exemple de déterminer la densité des tissus (grâce en particulier à la mesure du temps de relaxation qui dépend de la mobilité des molécules), ou encore de s’affranchir du signal RMN des protons contenus dans les graisses, très abondantes dans le cerveau, etc.

 

L’IRM fonctionnelle : un outil pour les neurosciences… Mais pas seulement !

On se sert aussi de l’IRM pour mesurer l’activité des différentes zones du cerveau (c’est ce qu’on appelle l’IRM fonctionnelle). Cet examen est devenu fondamental en neuroscience : il s’agit, lors de différents tests (visuels, auditifs, émotionnels, de mémoire…) d’établir quelles sont les zones qui sont activées. Pour cela, on sait que ces zones consomment plus de dioxygène que les autres. Elles sont donc moins riches en « oxyhémoglobine » (l’hémoglobine qui porte du dioxygène), et plus riches en « désoxyhémoglobine » (l’hémoglobine sans dioxygène). Or ces dernières n’ont pas du tout les mêmes propriétés magnétiques (la première est diamagnétique, la seconde paramagnétique), et n’influent pas de la même manière sur le signal de l’eau en IRM. A l’aide d’une succession bien précise de différentes impulsions, et après traitement informatique, on peut donc mesurer si le taux de désoxyhémoglobine est augmenté dans certaines zones, et ainsi conclure sur leur activation. Et on obtient de jolies images, « cartes » des zones stimulées.

En orange/rouge les zones du cerveau stimulées lors de tâche de langage.

En orange/rouge les zones du cerveau stimulées lors de tâche de langage (source).

Avec cette technique, c’est toutes les neurosciences qui ont été bouleversées. Mais cela va plus loin encore : imaginez maintenant un panel de consommateur, qui regardent des publicités pendant qu’on scrute leur cerveau par IRM fonctionnelle. On pourrait ainsi sélectionner celles qui activent le plus les zones qui correspondent à un sentiment de désir, ou de manque ! Cet outil scientifique ou médical peut devenir la machine infernale du marketing.

En France, le sénat a produit en 2012 un rapport sur « L’impact et les enjeux des nouvelles technologies d’exploration et de thérapie du cerveau » (lien vers le texte intégral). Dans sa section « UTILISATION DE L’IMAGERIE CÉRÉBRALE HORS DE LA SPHÈRE MÉDICALE » (à consulter ici), les préconisations sont claires :

« Interdire la validation de campagnes publicitaires ou d’expériences de neuromarketing par le recours à des IRM dédiées au soin et à la recherche scientifique et médicale »

Si l’IRM fonctionnelle a de beaux jours (scientifiques) devant elle, la vigilance contre des dérives commerciales et de manipulation doit être grande.