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Faut-il avoir peur des sels d’aluminium dans les déodorants ??

En voilà une question qui passionne toute la blogosphère, tout le Web, tout le monde ! Même que si un candidat à la présidentielle s’en empare, et promet d’interdire les déodorants qui contiennent des sels d’aluminium, sûr qui verra sa côte augmenter de quelques pourcents.

Bref, c’est @valerieGC, sur Twitter (Quelle source d’inspiration décidemment ! ) que cela intriguait… En bon représentant de la race masculine, pleine d’orgueil et de sentiment de supériorité, je me suis proposé, en chevalier blanc, pour aller rechercher les infos sur le sujet.

Je me permet de faire tout de suite un avertissement : la suite de ce billet reprends les données et informations des rapports (et de certaines de leurs sources) de l’INVS de novembre 2003 (Aluminium, quel risque pour la santé ? Synthèse des études épidémiologiques) et de l’AFSSAPS d’octobre 2011 (« Évaluation du risque lié à l’utilisation de l’aluminium dans les produits cosmétiques« ), et je serais évidemment très très heureux de débattre d’autres sources complémentaires ou contradictoires. Bien sûr, l’impartialité des auteurs du rapport peut, et doit a priori être mis en doute, mais rappelons tout de même que nous ne sommes pas ici dans un cadre tout à fait identique à celui des médicaments, où les lobbys sont extrêmement représentés chez les médecins, (et donc parmi ceux qui écrivent les rapports d’évaluation…). On peut espérer moins de conflit d’intérêt.

Entrons dans le vif au sujet. Les sels d’aluminium ont des propriétés intéressantes d’un point de vue cosmétologique, puisqu’ils permettent de limiter la transpiration. (Leur mode d’action n’est pas très clair, mais il semblerait qu’ils bouchent les pores par lesquels sont secrétés la sueur (Source), à moins que ce soit leurs propriétés astringentes qui soient en cause… ). La pierre d’alun, qui est un sel d’aluminium naturel, serait déjà utilisée depuis l’antiquité.

Pierre d’alun : on l’humidifie légèrement, et on l’applique comme un déodorant classique. L’eau permet une légère dissolution du sel d’aluminium, qui se dépose sous forme d’un film sur la peau

En plus, ils ne coûtent pas cher, sont faciles à incorporer dans n’importe quelle préparation cosmétique, … L’idéal, quoi !!

Et pourtant, il semblerait qu’il y ait quelques soucis.

On va tous avoir la peau agressée, mise en lambeau par les déodorants à l’aluminium

Les sels d’aluminium utilisés en cosmétiques sont, la plupart du temps des « chlorhydrates d’aluminium », c’est-à-dire des composés d’ions aluminium Al3+, d’ions chlorure Cl, et d’ions hydroxyde OH . Leur pouvoir irritant pourrait provenir de la libération, lente et en faible quantité, d’acide chlorhydrique HCl. Oui, effectivement, ces sels d’aluminium là sont très légèrement irritant. J’ai dit très légèrement ! Entre 2004 et 2009, seules 3 déclarations d’effets indésirables ont été transmises à l’AFSSAPS ! Par ailleurs, seuls deux cas d’allergie aux sels présents dans les déodorants ont été reportés.

Reste à connaître leurs toxicité. D’après nombre de sources (douteuses il est vrai), il y aurait un lien entre cancer du sein, maladie d’Alzheimer et déodorants à l’aluminium.

On va tous mourir d’un cancer à cause des déodorants à l’aluminium ?

Première constatation épidémiologique : chez les travailleurs de l’aluminium, qui manipulent sels et solutions diverses d’ions aluminium toute la journée, aucune augmentation du taux de cancer ne peut être imputé à ce métal. On parle ici d’une exposition énorme comparée aux quelques microlitres de déodorants déposés sous les aisselles.

Deuxième constatation : L’aluminium n’est pas cancérigène par voie orale. Point. Démontré sur nombre d’animaux.

Troisième constatation: Toutes les études parues jusqu’en 2008 sur un lien cancer du sein – sels d’aluminium ont été relues, ré-expertisées, et montrent… qu’elles ne montrent rien. Apparemment, aucun lien n’a pu être établi entre l’exposition cutanée et la survenue de cancer. Mais les problèmes méthodologiques nécessiteraient des investigations supplémentaires. Et l’AFSSAPS de dire : « aucun élément pertinent ne permet non plus de considérer l’exposition par voie cutanée à l’aluminium comme présentant un risque cancérogène« 

Dernier point :

Peu de temps après la sortie du rapport de l’AFSSAPS, est paru un article très intéressant sur le lien entre sels d’aluminium et cancer du sein : Ce papier très sérieux est une évaluation de l’action de différents sels d’alu sur des cellules mammaires in vitro. A des concentrations a priori faibles, la présence de ces composés provoquent des altérations dans ce type de cellule (et pas dans d’autres types de cellules humaines), qui sont similaires à des lésions pré-cancéreuses (voir ici pour un article grand public). Ces déclarations fracassantes paniquent beaucoup. Mais il faut garder ses pieds sur terre. Si, d’un point de vue épidémiologique, on n’observe pas de problème liés aux déodorants; si dans les modèles animaux, aucun risque de tumeur n’apparaît, je crois qu’on peut dire que l’utilisation de ces déodorants est sûre. Il y a une énorme différence entre les études théoriques, et leur transposition dans la population. Cet article montre que l’aluminium a un effet sur les cellules mammaire in vitro. Par contre, d’un point de vue de la population, les sels d’aluminium n’ont pas d’effet sur la survenue de cancer. et c’est ce second point de vue qu’il faut retenir en terme de politique de santé et de prévention.

C’est d’après moi symptomatique de la quête du grand mal de l’occident : il y a de plus en plus de cancer, donc on cherche LE coupable. Pour certains, c’est l’aspartame, pour d’autres, les sels d’aluminium. C’est très clairement dit dans l’article précédemment cité :

«Mais ces facteurs [Vieillissement, Hausse du dépistage, Précocité du diagnostic] n’expliquent pas tout, on soupçonne aussi des facteurs environnementaux. Alors on cherche et l’on avance un petit peu dans l’identification d’un coupable potentiel.» »

Pour moi, cette recherche d’un coupable est un leurre, et n’aboutit qu’à paniquer la population des pays occidentaux, coupable de n’avoir pas la « simplicité » de la vie des pays en développement… On pourrait en débattre des heures, et j’attends avec impatience vos contributions sur le sujet.

On va tous déclarer des troubles neuro-dégénératifs à cause des déodorants à l’aluminium ?

Oui, les sels d’aluminium sont directement mis en cause dans certains troubles. Il a par contre été montré que les sels d’aluminium n’avaient rien à voir avec la maladie d’Alzheimer . Ces troubles, on les appelle la « démence des dialysés » ou « encephalopathies des dialysés ». Pourquoi « des dialysés« , d’ailleurs ? Parce que ce sont les insuffisants rénaux qui sont soumis à une exposition chronique aux sels d’aluminium, via les eaux de dialyse qui en contiennent. Et parce que ce sont chez eux (et a priori pas dans la population générale, [aucune trace tout au moins dans les publications de l’AFSSAPS et INVS]) qu’on a pu observer ces troubles.

Alors, de quoi va-t-on souffrir avec les déodorants à l’alu ?

D’après les études sur les dialysés, et les travaux sur les modèles animaux (en pariculier les chiens), les sels d’aluminium engendrent lorsqu’ils sont présents en quantités « suffisantes », des troubles osseux et neurologiques. Ces quantités basées sur les études les plus fiables dont on dispose actuellement ( et elles ne sont pas nombreuses), ont permis de fixer une limite journalière de 22 µg par kg et par jour. La question est, maintenant, de savoir quelle quantité d’aluminium passe dans l’organisme par voie cutanée. Et là, le soucis, c’est qu’on n’en sait vraiment pas grand chose. La seule étude à peu près sérieuse, et donc la seule à avoir été prise en considération, est une étude in vitro, avec de la peau humaine, sur laquelle a été appliquée différentes préparations correspondantes aux produits cosmétiques.  Sur la peau normale, 0,5 % de l’aluminium appliqué était absorbé. Sur la peau lésée (correspondant à une peau irritée, suite à un rasage par exemple), 18 % des sels d’aluminium appliqués étaient absorbés.

Se basant sur les doses limites journalières acceptables, et le pourcentage d’aluminium absorbé, l’AFSSAPS a donc proposé une limitation en terme de quantité de sels d’aluminium dans les anti-transpirants (de 0,6 % en masse). Cette valeur permet à coup sûr d’être en deçà des quantités limites journalières pour une peau saine, mais ne le permet pas du tout en cas de peau lésée. En clair : Se raser ou ne pas transpirer, il faut choisir ! 

 Il y a quand même quelque chose d’important à dire, lorsqu’on lit précisémment le rapport de l’AFSSAPS. Ces taux d’absorption de l’aluminium (0,5 %  et 18 %), correspondent aux quantités qui pénètre dans la peau. Cela ne signifie pas que cet aluminium pénètre réellement dans l’organisme. En effet, dans l’unique étude qui a étudié cela, (in vitro je rappelle), le liquide ‘recepteur’ (correspondant à ce qu’il y a sous la peau), n’avait absorbé que 0,01 % de la dose appliquée (pour la peau saine [pas d »évaluation pour la peau lésée]). Soit 50 fois moins que la valeur retenue ! (Cela va dans le même sens qu’une autre étude publiée, mais non retenue, car ne respectant pas les « bonnes partiques de laboratoire », et qui in vivo a mesuré un taux de passage dans l’organisme chez l’humain de 0,04 %.)

Bon, alors, qu’est-ce qu’on doit faire ?

Les recommandations de l’AFSSAPS sont simples :

  • Pas de déo contenant plus de 0,6 % de sels d’aluminium
  • Pas d’application sur peau lésée.

Et mes remarques :

  • Ces sels d’alu ne sont en aucun cas responsables de cancer, ni d’une épidémie d’Alzheimer
  • D’un point de vue épidémiologique, aucune constatation d’intoxication n’a jamais eu lieu. L’utilisation des sels d’aluminium semble être sure.
  •  Comme le dit l’AFSSAPS, il manque beaucoup de données scientifiques, et je pense que les valeurs retenues pour les doses maximales admises sont très très basses, et qu’avec un peu de chance, de vrais études fiables vont le confirmer, et permettre un peu de souffler sur le front de la psychose.
  • Il vient de paraître sur « 60 millions de consommateurs » une étude montrant qu’un tiers des déodorants dépassaient la norme imposée de 0,6 % en aluminium par l’AFSSAPS. (La pierre d’alun « naturelle » permet une application cutanée de concentration de 0,3 %, donc dans les normes). Bon, ben c’est pas ça non plus qui va nous faire crever…
  • La seule mesure, qui peut à peu près sembler raisonnable (même si elle est sans doute inutile), c’est d’éviter de mettre du déo juste après un rasage. Ce qui doit maintenant être écrit sur tous les emballages.