[Science Et Genre] #4 : Des quotas dans le recrutement des universitaires

La Fondation Robert Bosch et l’European Molecular Biology Organization (EMBO) viennent de publier un rapport commun sur la pertinence de la mise en place de quotas de genre dans le milieu universitaire. Il ne s’agit pas, ici, de quotas lors de l’inscription dans des filières sélectives comme les écoles d’ingénieurs, ni de quotas pour l’obtention de bourses d’étude d’excellence. Il est question en réalité de quotas qui concernent les universitaires.

Face à des inégalités criantes, des mesures tièdes

L'ensemble des président-e-s des universités françaises. Ils ont essayé de rendre les femmes plus visibles, au premier rang... Belle initiative !!

L’ensemble des président-e-s des universités françaises. Ils ont essayé de rendre les femmes plus visibles, au premier rang… Belle initiative !!

Actuellement, en France, s’il y a une part quasi égale entre les étudiant-e-s en doctorat (48 % de femmes contre 52 % d’hommes), 57,9 % des maîtres de conférences sont des hommes. Plus on progresse dans la hiérarchie, plus l’inégalité est criante : les femmes ne représentent plus que 15 % des président-e-s d’université.

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Répartitions femme (orange)/homme (bleu) des effectifs à l’université en France (2011). Source : Ministère de l’Enseignement Supérieur.

Très régulièrement, on entend à quel point cela est scandaleux. A de nombreuses reprises, lors de ma très très courte carrière universitaire, j’ai pu entendre des témoignages, des remarques cinglantes et scandaleuses:

  • Cette Chargée de Recherche du CNRS, bloquée dans son avancement par son ex-directeur de labo au bras long, qui s’est senti « trahi » (sic) lorsqu’elle a eu un enfant.
  • C’est ce propos tenu, sans gêne, sur la nomination de cette professeure de l’Université : « On voulait que son mari vienne, alors on lui a proposé un poste à elle aussi »
  • C’est cette étudiante post-doctorante, à qui un poste de maître de conférence était quasiment destiné, qui se l’est vu refusé parce qu’elle avait fait part de son désir d’avoir rapidement un enfant

Si la question de la maternité revient souvent, ne soyons pas dupe. Il s’agit ni plus ni moins de sexisme et de discrimination à l’embauche. Les hommes aussi ont le droit au congé parental. le « risque » encouru par un laboratoire, par une équipe enseignante n’est pas censé être plus grand dans un cas que dans l’autre.

Certes, ces discriminations existent aussi dans le privé : mais n’utilisons pas l’argument biaisé du « c’est pire ailleurs » pour justifier l’injustifiable.

Ces inégalités sexistes à l’Université, le ministère de l’Enseignement Supérieur en a conscience. En 2013, sous l’impulsion de feu-le Ministère des Droits des Femmes, et après publication des chiffres-clés de la parité femme-homme dont sont issus le graphique précédent), un plan d’action a été publié. Celui-ci prévoit beaucoup… De concertation. Beaucoup… de formation à l’égalité Femmes-Hommes. Beaucoup… de… bonnes intentions. La nomination d’un-e chargé-e d’égalité Femmes-Hommes. Bref, essentiellement une démarche de volontariat. Seule mesure contraignante : l’application de l’article 56 de la loi du 10 mars 2012, qui impose un quota de 40 % de chaque sexes dans la nomination des haut-fonctionnaires (y compris dans les domaines de l’enseignement et de la recherche) par le conseil d’état. Du coté des établissements d’enseignement supérieurs, cela ne se voit pas beaucoup, puisque même les présidents des universités ne sont pas concernés par ces quotas…

Le peu d’aspects contraignant de ce plan d’action n’a pas empêché le ministère de l’enseignement supérieur de communiquer sur « La France, pionnière de l’égalité à l’Université« . Tout en se gardant bien de se comparer à ses voisins…

Dans ce contexte d’actions tièdes, le rapport de EMBO et de la fondation R. Bosch sur la mise en place de quotas de genre permet de se projeter dans des actions réellement offensives pour l’égalité des sexes dans les universités françaises et européennes.

Au fait, POURQUOI vouloir l’égalité des sexes à l’Université ?

Cette question n’est peut-être pas si anodine qu’elle en a l’air. Du moins, les auteur-e-s du rapport, qui comparent les actions en faveur de la parité en politique, dans les entreprises, et dans les université,s prennent le temps d’y répondre. En politique (dans un système démocratique), la parité a tout son sens : les conseils, les parlements se doivent de représenter tous les citoyens. Les femmes représentant un peu plus de 50 % de la population, il est nécessaire qu’elles y soient représentées, à hauteur de leur proportion !

Maintenant, soyons provocateur : quelle est l’UTILITÉ de l’égalité des sexes dans le monde économique, et dans le monde universitaire ?

Dans les entreprises, le but est de gagner de l’argent. Est-ce que la présence de femmes dans les instances dirigeantes permettent à augmenter les gains ? D’après les études citées dans ce rapport… Pas vraiment ! Si on note que dans les entreprises les plus rentables, il y a effectivement plus de femmes que la moyenne dans les conseils d’administration, il a été enregistré une diminution des profits à court terme dans les entreprises ayant féminisé leurs instances dirigeantes. Je me rappelle en revanche du discours d’un chargé de mission à la région Rhône-Alpes, qui expliquait, pour justifier l’intérêt de l’égalité femme-homme en entreprise, que « un consommateur sur deux était une femme. Afin de concevoir des produits qui pourraient leur être destinés, il valait mieux que des femmes soient bien placées parmi les équipes de direction !

Dans les universités, le but est différent. Il s’agit de produire des savoirs, et de former. La parité femmes-hommes permettrait-elle d’augmenter la productivité ? La qualité des enseignements ? Rien, à l’heure actuelle, ne permet de l’affirmer.

Ces remarques précédentes, sur le monde économique et sur le monde académique sont l’expression d’un sexisme odieux. Elles signifient que l’égalité femme-homme passe après les intérêts économiques et universitaires. Elles signifient qu’il s’agit d’une variable à ajuster afin de trouver un optimum de compétitivité, d’efficacité. Dans le rapport sur les quotas dont il est question ici, les auteur-es expliquent que certains trouvent normal de promouvoir, voire d’imposer la parité à l’université PARCE QU’elle est financée par des fonds publics, et qu’À SE TITRE, il est normal que l’état financeur souhaite qu’on retrouve la même proportion de femmes dans l’enseignement supérieur que dans la population. Heureusement, d’autres, finalement, pensent que l’égalité femme-homme est une valeur en soi. Qu’elle ne devrait pas être soumise à condition de rentabilité. Qu’elle est juste une expression parmi les plus basiques de la démocratie, au même titre que l’égalité entre personnes d’origines sociales différentes, de cultures différentes, de couleurs de peau différentes. La parité, tout particulièrement dans les emplois académiques qui représentent un summum culturel, social et intellectuel est l’indicateur fondamental de cette égalité.

Des quotas… Mais où ?

Ce rapport examine l’instauration des quotas à trois niveaux distincts : dans le recrutement, dans l’attribution de bourses et de financements, dans la nomination des membres des comités de recrutement et d’évaluations des institutions et universités. Afin de procéder à cette analyse, les auteur-es sont allés regardés du coté de la vie politique, des directions d’entreprise, qui, dans de nombreux pays européens, doivent déjà respecter certains quotas. Ils se sont également penchés sur le cas de quelques organisations et pays européens, qui ont d’ors-et-déjà mis en place certains quotas (en particulier l’Allemagne et la Suède)

Quotas dans les recrutements : le volontarisme ne suffit  pas

Que ce soit en politique, en entreprise, ou dans les institutions d’enseignement supérieur et de recherche, si les quotas de genre ne sont pas imposés contre sanctions, ils n’ont aucun effet. Pire, les auteur-es pointent du doigt la situation politique française, où « les sanctions financières sont si faibles que les partis préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter la loi » (Cocorico couac !).

Dans les expériences allemandes et suédoise, même si il est trop tôt pour avoir une idée définitive, les effets des quotas volontaires sont faibles, voire nuls, et la proportion de professeure d’université reste similaire à la moyenne des pays de l’Union Européenne.

Pourtant, dans le monde politique et le monde des affaires, les quotas imposés contre sanction ont permis de faire évoluer positivement la situation. Par exemple, en France, le nombre de femmes dans les comités de direction des entreprises publiques a ainsi augmenté de 17,4 % entre octobre 2010 et octobre 2013, grâce à la mise en place de quotas (la loi prévoit 40 % de femmes dans ces comités pour 2017). En Belgique, le nombre de femmes au parlement est passé de 12 % à 36,7 % avec des lois sur les quotas.

Prenant compte de ces expériences, les auteurs du rapport tirent quelques conclusions :

  • Les quotas dans les recrutements des universitaires doivent s’imposer contre sanctions. Le volontarisme n’est pas suffisant.
  • Ces quotas doivent concerner l’ensemble des positions hiérarchiques, du maître de conférence jusqu’à la direction de l’université. Si seul un échelon est visé, cela n’empêchera pas un déséquilibre aux autres échelons !
  • Afin de limiter la mauvaise image qu’ont les quotas, qui pourraient « nuire à la méritocratie » selon certains universitaires interrogés lors de la rédaction du rapport, chaque établissement doit pouvoir mettre en place ces quotas selon ses propres modalités.

Quotas dans les comités de recrutement et d’évaluation des établissements : une efficacité limitée

Partant de l’idée qu’un comité principalement masculin pourrait produire des résultats biaisés par leur genre, plusieurs évaluations ont été entreprises en Europe. Mais, heureusement, il n’a pas été établi de corrélation entre la proportion femmes-hommes dans de tels comités, et les résultats dans les évaluations et recrutements. Si la parité dans ces comités semble être un but à atteindre en soi, cela ne semble pas avoir de réelles conséquences sur la façon de fonctionner de ces comités.

Quotas dans l’attribution de financements : circulez, il n’y a rien à voir ?

il n’y a pas de consensus sur l’existence d’un biais dans l’attribution de financements et de bourses, selon que cela soit un homme, ou une de femme qui fait la demande. Certaines études en trouve un, léger, mais réel, d’autres aucun. Il semble que cela dépende grandement du pays, et de l’institution qui attribue le financement. Les quotas pourraient néanmoins être appliqués pour promouvoir les recherches menées par des chercheuses.

[ A titre personnel, je me questionne sur la pertinence d’attribuer une bourse à une personne. La recherche est finalement un acte collectif. Pourquoi ne pas instaurer un quota de genre sur les équipes qui portent les projets susceptibles d’être financé ? C’est-à-dire que ces équipes devront comporter un nombre à peu près égal de femmes et d’hommes pour prétendre à une bourse de recherche. ]

Agir, ou laisser le temps faire son oeuvre ?

Un des principaux arguments contre le fait d’imposer les quotas, réside dans le « choc » que cela pourrait représenter. Un « choc », dans la mesure où, pour l’instant, peu de femmes ont accès aux postes hiérarchiquement élevés. Demander d’atteindre en quelques années une parité, ou un début de parité signifierait de privilégier les candidates, alors même qu’elles sont moins nombreuses que les candidats. Ceux qui défendent cet argument expliquent que c’est aller contre la « méritocratie », base du fonctionnement de l’Université. Ils seraient « obligés » d’embaucher, de financer des chercheuses parfois « moins méritantes » que des chercheurs.

Pour moi, ce « choc » est une construction réactionnaire sans fondement. Le « vivier » de femmes scientifiques n’est pas famélique en Europe. Même en minorité, elles sont nombreuses à chaque échelon. Suffisamment du moins pour présenter des candidatures de qualité égale à celles des hommes. N’oublions pas non plus que les critères de « mérite » à l’Université sont eux aussi biaisés, et favorisent les carrières typiquement masculines (je vous renvoie aux articles cités page 6 dans le rapport pour cette question).*

Laisser le temps faire son oeuvre pourra marcher. Toute politique égale par ailleurs, on voit se féminiser AUSSI les métiers de l’enseignement-recherche. Néanmoins, combien d’années, de dizaines d’années devra-t-on encore attendre ? Le temps de renouveler les enseignant-e-s-chercheurs-ses, de voir, à chaque génération, augmenter la proportion de femmes, le réchauffement climatique nous aura toutes et tous croqué tout cuit !

A l’heure où 67 % des européen-nes estiment encore que « les femmes n’ont pas les capacités requises pour accéder à des postes scientifiques de haut niveau », l’urgence de la parité exige des mesures fortes. L’instauration de quotas à l’embauche, pour moi, doit être l’élément central d’une véritable politique égalitariste à l’Université.

 

*Mon beauf me rappelle qu’il existe, hélas, de fortes disparités entre les disciplines. En philosophie, mathématique, informatique par exemple, il y a très peu de femmes universitaires, mais aussi un faible nombre d’étudiantes. Faut-il adapter les objectifs en fonction des disciplines, au risque de conserver les stéréotypes de genre sur la douance des étudiant-e-s, et de repousser encore le moment où il y aura une vraie parité ?

 

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