[Science Et Genre] #3 Les stéréotypes sur les femmes font mauvais ménage avec ceux sur les disciplines universitaires

Une étude vient de paraître dans le journal scientifique « Science« , et propose une explication à la (très) inégale répartition des femmes dans les disciplines universitaires. Plutôt que de s’appesantir lourdement sur des prétendues différences dans les qualités intrinsèques des genres (du type : les femmes sont sensibles aux émotions des autres, les hommes ont une meilleure vision dans l’espace, etc… beurk), les auteur-e-s sont allé-e-s voir comment les stéréotypes de genre entrent en résonance avec les stéréotypes qui hantent les disciplines universitaires.

Pour cela, S.J. Leslie et les autres auteur-e-s, de Princeton, ont étudié la répartition femmes-hommes chez les étudiants ayant obtenus leur doctorat dans diverses disciplines aux USA en 2011.

Il es bien connu que les femmes sont sous-représentées dans les matières scientifiques « dures », comparées aux sciences humaines. Mais au-delà de cette généralité, les différences entre disciplines restent très importantes : Si les femmes représentent moins de 20 % des doctorats en physique ou en informatique, elles sont majoritaires en neurosciences et en biologie moléculaire. De la même façon, en sciences humaines, elles ont passé plus de 70 % des doctorats en psychologie et histoire de l’art, mais moins de 35 % en économie et philosophie.

Pour tenter d’expliquer ces différences, les auteur-e-s ont passé au crible quatre hypothèses :

  • La sélectivité des filières : y a-t-il moins de femmes dans les filières considérées comme les plus sélectives ? Cette hypothèse part de l’idée, souvent admise mais heureusement controversée, que la répartition dans les courbes d’aptitude est inégale, et que les femmes sont sous-représentées parmi les meilleurs éléments…
  • L’exigence de travail des filières : y a-y-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’un plus gros volume horaire travail est nécessaire ? ( avec une sous-distinction entre les heures de travail sur place et chez soi)
  • La façon de penser mis en avant dans les filières : est-ce une pensée systématique et rationnelle qui est privilégiée, ou une pensée dirigée vers la compréhension des idées et des émotions ? Y-a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’une pensée rationnelle est primordiale ?
  • L’importance de la douance dans les filières : est-ce que la réussite est subordonnée avant tout par les capacité intrinsèques (innées, j’allais dire) des étudiants ? Y a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré que les capacités individuelles priment sur l’apprentissage ?

A travers ces quatre hypothèses, on voit se dessiner une correspondance entre les stéréotypes liées aux disciplines universitaires (la douance, l’exigence de travail, etc.) et les stéréotypes liées au genre (courbes d’aptitude inégales, pensée systémique/empathique, etc.). Pourtant, le travail statistique des auteur-e-s montrent qu’uniquement la dernière hypothèse est pertinente pour expliquer les inégalités de répartition entre femmes et hommes.

Systématiquement, les trois premières hypothèses n’ont pas montré de corrélations statistiques pertinentes avec les inégalités de répartition. Les femmes pénètrent aussi bien les filières sélectives que les hommes, les volumes horaires que ce soit sur place ou en dehors, ou totaux ne créent pas d’inégalité de genre. Le type de pensée est statistiquement corrélé à la proportion femmes-hommes si on considère l’ensemble des disciplines. Mais si l’on se place dans le sous-groupe « science dure » ou dans le sous-groupe « sciences humaines », il n’y a plus de corrélation.

Quelque soit le sous-groupe de disciplines, ou si on considère l’ensemble des 30 disciplines étudiées dans cet article, plus les capacités innées sont considérées comme primordiales pour réussir dans la discipline, moins les femmes y sont présentes. Ainsi, la philosophie, les mathématiques, la musique, ou encore l’économie et la physique ( sont des disciplines où les femmes sont très peu présentes (moins de 15 % pour la physique, moins de 33 % pour la philosophie) . Et a contrario, La biologie moléculaire, les sciences de l’éducation, la psychologie ou les neurosciences (de 50 % pour les neuroscience, à 71 % pour la psychologie).

Les auteur-e-s ne se sont pas focalisés que sur les inégalités de genre. Les afro-américains souffrant aux USA des mêmes stéréotypes que les femmes, ils ont soumis aux mêmes hypothèses les inégalités de représentation des noirs américains, et le résultat a été le même : les noirs sont sous-représentés avant tout dans les disciplines où la douance est mise en avant. Par contre, les inégales répartitions des américains d’origine asiatique ne sont corrélées à aucune des quatre hypothèses, ceux-ci ne subissant pas les mêmes stéréotypes…

La transposition d’une telle étude à la situation française pose bien sûr des questions. Les stéréotypes, tant sur les genres et sur l’origine des étudiant-e-s, que sur les disciplines universitaires peuvent se trouver différents. Il me semble néanmoins qu’on les retrouve assez largement ne serait-ce qu’en étudiant les répartitions femmes-hommes dans les classes préparatoires aux grandes écoles ou dans les préparations aux concours comme l’agrégation. La lutte contre de tels stéréotypes nécessitent un gros travail sur la représentation des femmes mais aussi sur les disciplines universitaires. L’enseignement supérieur en a-t-il les moyens ? Et surtout, en a-t-il l’envie ?

 

« Expectations of briliance underlie gender distributions across academic disciplines » Sarah-Jane Leslie et al., Science 347, 262 (2015)

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