C’est l’été, et la famille a prévu des crevettes au barbecue. « Ah, tiens, puisque t’aimes bien te poser des questions « scientifiques », tu nous dis pourquoi les gambas sont grises crues, et rouges une fois cuites ? Hein, hein ? » Oui, bon, je me renseigne, ça vient, ça vient !
Tout vient d’une petite molécule portant le doux nom d’astaxanthine. Il s’agit en fait d’un pigment de structure très proche de celle du β-carotène. De couleur rose-orangé lorsqu’elle est solubilisée dans des graisses, elle est aussi bien responsable de la couleur des crevettes cuites, que des crabes cuits, que des plumes de flamands roses (crues), ou que la chair des saumons (crues ou cuites, ça marche pareil).
L’astaxanthine n’est pas produite lors de la cuisson de la crevette, elle est belle et bien présente dès le départ, même si on ne distingue pas du tout l’orange. En fait, ses propriétés optiques sont modifiées par son environnement, et elle apparaît vaguement incolore dans l’organisme vivant (ou juste mort…). Pour bien comprendre ce changement de couleur, il faut revenir aux fondamentaux de la chimie.
Dans une molécule, ce sont certains électrons des atomes qui la constituent qui assurent les liaisons chimiques. On peut, dans une première approximation, dire que pour chaque liaison, 2 électrons se trouvent entre les 2 atomes concernés, en étant attirés par chacun des 2 noyaux.
Et puis on peut être plus proche de la réalité (quantique, il va de soit !), en disant qu’il faut en fait considérer l’ensemble des électrons qui va pouvoir occuper différents niveaux électroniques, caractérisés par plusieurs variables, dont leurs énergies. Les changements de niveaux électroniques vont pouvoir en particulier s’effectuer grâce à un apport d’énergie électromagnétique, c’est-à-dire par de l’énergie lumineuse. En fonction de l’écart entre les niveaux, la molécules va absorber une certaine couleur : en fait, à chaque couleur (à la bonne longueur d’onde) correspond un photon d’énergie différente. Pour passer d’un niveau à un autre, d’énergie plus grande, un photon correspondant à la bonne couleur doit être absorbé.
Bref, une molécule qui est éclairée par de la lumière blanche, constituée de toutes les couleurs, va en absorber une partie, correspondante aux écarts énergétiques entre ses niveaux électroniques. Dans le cas de l’astaxanthine libre en solution, c’est à peu près le vert qui est absorbé. Elle apparaît donc de sa couleur complémentaire, le rouge.
Le soucis, c’est que des paramètres externes peuvent influer sur les écarts énergétiques entre les niveaux électroniques des molécules, et ainsi faire changer la couleur des substances : l’idée à comprendre, c’est que ces niveaux électroniques dépendent non seulement de la nature des atomes et des liaisons entre eux (liaisons simples, doubles, triples), mais aussi de la géométrie de la molécule, et de son « environnement électronique ». Pour faire une comparaison (complètement abusive), on ne dépense pas la même énergie pour passer d’une altitude de 0 à 1000 m si le terrain est constitué d’un chemin bien dessiné, ou au contraire qu’on est en pleine forêt vierge !
On peut avoir par exemple de la solvatochromisme : la nature du solvant influence la couleur de la solution. Un exemple simple vu au lycée concerne de diiode : brun lorsque le solvant est l’eau, violet lorsque le solvant est le cyclohexane.
Dans le cas des crustacés, l’astaxanthine n’est pas libre, mais est complexée par une protéine la crustacyanine, ce qui a pour conséquence de perturber ses niveaux électroniques, pour lesquels les écarts en énergie ne correspondent plus à des couleurs de la lumière visible. Elle n’absorbe plus, elle devient donc incolore…
Par contre, lorsqu’on la fait cuire, cette protéine est dénaturée, libérant l’astaxanthine, et donnant cette appétissante couleur orange-rouge aux crevettes.
Quant aux flamands roses, on peut imaginer que le passage des crustacés par son estomac provoque aussi la destruction du complexe, libérant ce pigment, stocké ensuite dans son plumage…
Sachez enfin que l’astaxanthine est un colorant alimentaire, le E161j, et qu’il est surtout donné abondamment aux saumons et truites d’élevage, pour donner une belle couleur orange, qui n’est en aucun cas un signe de bonne qualité !
Sources :
Wikipedia
Protein Data Bank : http://www.pdbj.org/eprots/index_en.cgi?PDB%3A1GKA
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