Ouf. Ça y est. Une étude canadienne vient de mettre un point final à la question de l’intérêt du dépistage du cancer du sein par mammographie.
Pour rappel, en France, il est proposé une mammographie de dépistage tout les deux ans, entre 50 et 74 ans. Le montant annuel du coût de ce programme est de 194 millions d’euros.
L’étude en question est paru dans le British Medical Journal, et est remarquable par son ampleur : 90000 femmes ont été suivis. La moitié de ces femmes a eu pendant 5 ans un examen annuel simple des seins par un praticien, l’autre a eu, pendant 5 ans aussi, une mammographie en plus de l’examen. 50000 avaient entre 40 et 49 ans, 40000 entre 50 et 59 ans. La survenue de cancers du sein et la mortalité de l’ensemble des participantes ont été étudiées pendant 25 ans après le début de l’étude.
Pas de diminution de la mortalité grâce aux mammographies
Le dépistage par mammographie permet de détecter des tumeurs de plus petite taille que par une simple palpation. Ainsi, il est censé permettre une prise en charge plus précoce des cancers. C’est le principal argument des partisans d’une généralisation d’un dépistage de ce type.
On aurait ainsi pu attendre une mortalité plus faible chez les femmes bénéficiant de mammographies, puisque la précocité du diagnostic est un des facteurs déterminant dans la réussite d’un traitement anti-cancéreux. Mais cela n’a pas été le cas : aucune différence n’a pu être mesurée entre les deux groupes : que cela soit au bout de 5, 6, 7 ou 25 ans, un nombre de décès par cancer du sein quasi-identique a été observé dans les deux groupes.
Durant la période d’étude de 5 ans, il y a eu 666 cancers diagnostiqués dans le groupe avec mammographie, avec le décès de 180 personnes (500 décès sur 25 ans), et 524 cancers diagnostiqués dans le groupe de contrôle, avec 171 décès (505 décès sur 25 ans). On peut en déduire deux éléments statistiques :
- Il y a 27 % plus de cancers détectés dans le groupe avec mammographie que dans l’autre groupe. Cela peut être expliqué par l’efficacité de l’examen radiographique ?
- La mortalité chez les femmes diagnostiquées est de 27 % dans le premier groupe, et de 33 % dans le second. Encore l’efficacité de la radiographie, qui permet une détection plus précoce ?
Le problème, c’est que sur une période de 25 ans, il n’y a plus de différence. Si effectivement la radiographie avait permis d’éviter des décès, on aurait dû voir un écart entre les deux groupes à la fin de l’étude. Nécessairement, le nombre de décès dans le groupe avec mammographie aurait dû être plus limité. En fait, seul le sur-diagnostic peut expliquer ces résultats.
Le dépistage par mammographie nuit à la santé (et à la sécurité sociale !)
Lorsqu’un cancer du sein est diagnostiqué chez une personne, celle-ci va devoir subir une ou plusieurs interventions chirurgicales, une radiothérapie, chimiothérapie(s)… Non seulement ces prises en charges médicales sont très coûteuses (en moyenne 10000 euros par patient en 2002 (source)), mais en plus ils sont traumatisants, et potentiellement dangereux (un acte chirurgical n’est jamais anodin, et les chimio et radiothérapies sont des facteurs favorisants la survenue d’autres cancers). La question du sur-diagnostic est donc centrale dans l’évaluation du rapport bénéfice/risque d’une politique de dépistage.
Dans cette étude, le sur-diagnostic a été évalué à 22 % des cancers détectés par mammographie. Non seulement la mammographie ne permet pas de diminuer la mortalité par cancer du sein, mais en plus provoque des traitements inutiles chez un grand nombre des patientes (les auteurs ont évalué qu’une femme sur 424 du groupe avec mammographie a été sur-diagnostiquée). Il est à noter que cette valeur est inférieure à celles des études précédentes, qui faisaient état d’environ 30 % de sur-diagnostics…
D’un point de vue de la sécurité sociale, le dépistage organisé par mammographie coûte 194 millions d’euros. Supprimer purement et simplement ce dépistage conduirait non seulement à faire des économies importantes, mais de plus à éviter des sur-diagnostics qui sont eux-mêmes sources d’importantes dépenses injustifiées.
Quelles conséquences pour le dépistage en France ?
Face à de tels résultats, les responsables français … n’ont rien répondu. En fait, cela fait des années que ce dépistage est montré du doigt pour son inefficacité dans de nombreuses publications rigoureuses. Pourtant, le discours reste identique : cité par « 20 minutes« , Jérôme Viguier, le directeur du Pôle santé publique et soins de l’Institut national du cancer (INCa-France) avait estimé en septembre 2013 que la controverse était «scientifiquement réglée» (dans le sens d’un intérêt considérable du dépistage systématique par mammographie). On peut lire sur le site ameli-sante.fr (dépendant de la sécurité sociale) tous les bienfaits du dépistage organisé. Sans ombre au tableau, sans alerte sur le risque de sur-diagnostic. Le CNGOF (Conseil National des Gynécologues Obstétriciens de France), quant à lui, ne communique pas sur ces questions, relayant simplement les consignes nationales (à la décharge des institutions françaises, il s’agit de recommandations européennes, retranscrites par les institutions françaises de santé)
Les médias français ont relayé l’information de façon très « molle », parlant de « polémique relancée », « Encore une étude polémique », la palme revenant à rtl.fr, qui profite de cet article pour rappeler les conseils de dépistage, sans juger de leurs pertinences. Présenter cette étude comme « polémique », c’est sciemment ignorer que la polémique existe depuis assez longtemps ! Dans un monde idéal, ces médias auraient mieux fait de parler de la « clôture » de cette polémique. Leur manque de volonté à remettre en question les (mauvais) présupposés de cette politique de santé publique montre encore une fois leur faiblesse d’analyse en matière de science et de médecine.
Enfin, il faut rappeler que les médecins français (en particulier les gynécologues et les radiologues) sont en plein conflit d’intérêt dans cette histoire. Les 194 millions d’euros dépensés par la sécurité sociale pour ce dépistage ne s’évaporent pas dans la nature, mais représente un gain substantiel pour ces professionnels. Alors, quand pourra-t-on enfin espérer une politique de santé basée sur des preuves scientifiques, et non des avis issus de traditions et de pratiques non justifiées ?
« Twenty-five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study : randomised screening trial« , A.B. Miller et al., BMJ 2014
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