L’être humain est-il particulièrement résistant aux poisons ?

Tout est partie de la question suivante : « Pourquoi le chocolat est-il un poison pour les chiens et beaucoup d’autres animaux ? » Et puis, en réfléchissant un peu, je me suis dit que la question la plus pertinente était peut-être : Pourquoi le chocolat n’est pas un poison pour l’homme ? Et de façon plus générale, pourquoi (ou non) l’homme résiste mieux que d’autres animaux à certains poisons ? Ce qui était pratique, et qui devait apparaître de façon claire dans mon billet, c’est que pour expliquer la bonne résistance de l’homme, on pouvait sans doute invoquer la grande théorie de l’évolution : pour que la curiosité de l’homme ne soit pas un facteur évolutif négatif, et qu’il puisse continuer à se développer, même en goûtant à tout un tas de nouvelles plantes potentiellement toxiques, il FALLAIT qu’il soit plus résistant aux poisons. Las, c’était, il me semble, une erreur. En fait, je me suis rendu compte assez rapidement que j’étais victime d’une affreuse maladie infantile de scientifique : l’anthropocentrisme. Et non, l’homme ne résiste pas mieux que les autres animaux aux toxines. Tout mon super argumentaire scientifique de café du commerce tombait à l’eau.

Juste avant de commencer, (tout) petit lexique de toxicologie

Les outils qui permettent d’effectuer quelques comparaisons entre les différentes espèces, se nomment DL50, DT50 (ou LD50, TD50 en anglais…). DL50, c’est la Dose par kilogramme qui est apparue Létale pour au moins 50 % des cobayes. On l’appelle en général Dose Létale Médiane. DT50, c’est pareil, mais pour l’apparition de la Toxicité. Il existe aussi la DL01 (dose létale pour 1 % des cobayes), la DL100, etc… L’important ici, c’est de bien voir que l’on va comparer ce qui est comparable, en prenant la dose par kilo : on peut facilement s’imaginer que la quantité létale de poison pour un éléphant sera normalement plus grande que pour une souris… Par contre si il faut 1 g pour empoisonner une souris de 100g et 5 g pour empoisonner un homme de 80 kg, on pourra dire que l’homme est plus sensible que le rongeur ! Passons au vif du sujet maintenant…

Petite revue des poisons… ou non

La première substance active qui m’est venue à l’esprit, c’est l’aspirine.

Acide acétylsalicylique

Acide acétylsalicylique

Il y a quelques temps, j’ai entendu je ne sais trop qui dire « qu’avec les standards de tests de médicaments d’aujourd’hui, ce produit ne serait jamais sorti sur le marché. » Ce qui signifiait d’après ce que j’avais pu lire, que les tests animaux montraient une telle toxicité que JAMAIS on aurait pris le risque de tester cette substance chez l’homme. Quand on cherche sur internet la toxicité de l’aspirine chez nos animaux de compagnie, on tombe surtout sur des avertissements sur le risque qu’ils encourent… Mon premier réflexe, un peu vaniteux il faut le dire, est de me dire que j’avais raison !! Et puis… Et puis je regarde en détail. Pour un rat, la DL50 est de 200 mg/kg ; Pour un chat; la toxicité apparaît à partir de 25 mg/kg/jour. Evidemment, un chat de 5 kg qui gobe un comprimé qui contient 1 g d’aspirine, ne va vraiment pas se sentir bien ! Et pour l’homme ? On estime sa DL50 à 357 mg/kg. Un peu plus résistant que pour un rat, mais pas tant que ça ! Et que dire du lapin, pour lequel la DL50 est de 1000 mg/kg ? Pour mon premier exemple, c’était raté : l’aspirine, que l’on présente comme un poison pour les animaux et un médicament efficace pour l’homme, n’est ni réellement plus,ni réellement moins toxiques pour les uns et les autres. Il faut trouver un exemple qui marche mieux…

Sources :

Alors, et le chocolat ?

Théobromine

Théobromine

L’espèce chimique responsable de tant de soucis parmi les animaux est la théobromine. Cet alcaloïde, de la même famille que la caféine, est normalement assez vite métabolisé par l’organisme, ce qui a pour conséquence de le rendre grosso modo inoffensif pour l’homme. La dose léthale médiane pour l’homme est d’environ 1g par Kilo. Donc pour du chocolat noir, à 2 % de théobromine, et pour une personne de 70 kg, c’est à peu près 1,4 kilo de chocolat qu’il faut ingérer quasiment d’un seul coup pour y passer. De quoi tout vomir avant d’être en danger !! Mais pour les chiens, ce n’est pas pareil : les chiens aiment le chocolat, comme nous, mais eux présentent un déficit en une enzyme qui permet de métaboliser, c’est-à-dire de se débarrasser la théobromine. En conséquence, la substance s’accumule dans le sang, et… C’est le drame. La DL50 pour le chien est entre trois fois et dix fois plus faible que pour l’homme selon les sources. Du coup, une tablette de chocolat est fatale pour un chien de 10 kg… C’est un drame que les hommes savent aussi exploiter à leur avantage : de très sérieuses études ont montré que le chocolat, ou un mélange de chocolat et café était très intéressant pour remplacer le cyanure contre les coyotes, canidés qui occasionnent de gros dégâts au sud des USA et au Mexique ! (voir un article sur l’Agence Science Presse, et une publication originale dans le Journal of Food and Agricultural Chemistry).

Sources :

 

La mort au rat, euh pardon, la vitamine D

Vitamine D (Cholecalciferol)

Vitamine D (Cholecalciferol)

 

La vitamine D appelée aussi cholecalciférol est indispensable chez l’homme. Une grosse carence, et c’est le « rachitisme« , maladie infantile posant des soucis osseux et de croissance. Il s’avère qu’une bonne partie de la population française (et européenne) souffre d’un manque chronique de cette vitamine. Pourtant, elle est aussi considérée comme une vitamine toxique, et fait régulièrement son apparition chez « l’Internationale des Complotistes Unifiés » (ça va, je rigole !!) comme poison méchamment administré par les médecins aux ordres de l’ennemi (lequel ? je ne sais pas vraiment, mais il est là !).

Dans les faits, il s’avère qu’effectivement, la vitamine D est très toxique. la DL50 pour le rat est de 42 mg/kg. De façon assez saugrenue, elle est de plus de 2000 mg/kg pour le canard. Pour l’homme, et bien personne n’a voulu faire une bonne étude quantitative. Vous savez, l’étude où on prend plein de cobaye, et on augmente la dose lentement, jusqu’à ce que la moitié décède… Par contre, il a été constaté que chez un enfant, la dose à partir de laquelle on observait un décès est de 39 mg/kg. Oui, la vitamine D est AUSSI un poison pour l’homme. Cependant, ne nous y trompons pas : pour prendre cette dose de vitamine, il faudrait consommer plusieurs centaines d’ampoule de 100 000 UI (celles qui sont parmi les plus dosées) pour atteindre cette quantité.

Par contre, on utilise, en Allemagne, Suisse et Italie, la vitamine D comme rodenticide (mort au rat), en association à un anti-coagulant. S’il n’y a pas eu de cas d’intoxication humaine par ces produits, ils semblent faire des ravages chez les rongeurs !

Sources :

La nicotine

Nicotine

Nicotine

J’ai déjà parlé de ce poison dans ce billet. Mais attardons nous une fois de plus aux DL50 chez les différents animaux : là, c’est la catastrophe : pour le rat, la dose léthale médiane est de 50 mg/kg. Chez la souris, pourtant assez voisine, elle n’est plus que de 3 mg/kg. Chez l’homme ? On estime qu’une dose létale raisonnable est de 1 mg/kg… L’homme est 50 fois plus vulnérabie à la nicotine que le rat.

On pourrait citer aussi le thalidomide, substance prescrite contre les nausées des femmes enceintes, qui a causé des malformations horribles chez leurs enfants… Alors qu’il n’a aucun effet chez les rongeurs, chez qui il avait été largement testé…

De quoi abandonner toute idée d’un être humain plus résistant aux poisons que les animaux… Il existe certainement d’autres exemples un peu plus favorable, suivant les espèces animales considérées, mais dans l’immense majorité, l’homme n’est qu’un animal comme un autre.

 

Je me suis donc complètement fourvoyé en imaginant l’homme comme très résistant. Mais au-delà de ce Mea Culpa, les tests sur les modèles animaux peuvent être questionnés : il existe de telles différences inter-espèces, y compris des espèces voisines, qu’il semble difficile de prédire l’innocuité ou la toxicité humaine d’une substance à partir de résultats de tests sur les rats, lapins, etc… Les études sur l’aspartame sur les rats ont montré des effets liés à certaines fragilités des rats qui n’existent pas chez l’homme. Et le thalidomide est là pour nous rappeler qu’une molécule neutre pour certains animaux peuvent avoir des conséquences dramatiques chez l’être humain.

J’espère que certains des lecteurs auront des indices à me donner sur la façon dont la recherche médicale se prémunit de ce caractère qui semble assez aléatoire de la sensibilité, et de la vulnérabilité aux poisons/médicaments qui nous entourent…

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