Les lycéennes, le wifi et le cresson

Cela pourrait être un titre amusant, s’il ne s’agissait pas d’une histoire pénible, où des jeunes lycéennes ont été érigées en scientifiques héroïques de la lutte contre les « ondes électromagnétiques », malgré un travail de niveau… lycée.

Pour vous faire une idée du tapage médiatique de ces derniers jours, allez voir  (atlantico.fr), ici (la libre belgique), ou encore, et plus raisonnable, ici (Slate.fr).

Un bon travail de lycée

L’expérience qui a été propulsée sur le devant de la scène est simple : faire pousser du cresson dans deux situations : exposé aux ondes émises par un routeur Wifi, et une situation témoin, non exposé. Les observations qu’elles ont fait montreraient que le wifi a une réelle influence néfaste sur la germination des graines de cresson (entre 10 % et 15 % de germination en moins pour l’assiette exposée).

Bien que ne connaissant pas réellement les objectifs pédagogiques de cet exercice, j’imagine volontiers qu’il s’agit d’une sorte de T.P.E. (Travaux Pratiques Encadrés) : il s’agit de faire un dossier, alimenté par quelques expériences, répondant à une problématique. Jury de cette épreuve qui compte pour le bac, j’ai ainsi eu un groupe qui a travaillé sur la gastronomie moléculaire, d’autres sur les paramètres qui influent sur la performance en vélo, et, entre autre, un groupe qui a travaillé sur l’influence du wifi (sans expérience, mais plein de références qu’il a fallu reprendre, des compte-rendu d’expériences sur des oeufs qui devaient au moins se transformer en dragon après avoir passer quelques minutes à côté d’un portable, etc..).

Pour ce travail, les lycéennes de 15 – 16 ans, puisqu’elles sont en  » 9b » (si j’ai bien compris if danois) ont respectés les exigences de cet exercice :

  • Elles ont fait des expériences (oui, certains groupes n’en ont pas fait du tout)
  • Elles ont écrit un dossier argumenté (et plutôt bien écrit, sinon elles n’auraient pas eu de prix)
  • Elles ont proposé des outils de vérification de leurs résultats, avec des expériences témoins.
  • Elles ont essayé de rendre reproductibles les paramètres qu’elles pouvaient maîtriser (arrosage, luminosité)

Pour ça, elles méritent une bonne note. Et elles ont bien fait de proposer leur dossier à un concours. Même s’il avait été sur un sujet beaucoup moins polémique, il aurait sans doute mérité de retenir l’attention du jury ! [Il existe aussi en France des concours pour récompenser les meilleurs TPE, comme celui des académies de Lyon et de Grenoble, associés avec l’ambassade des USA].

Ce qui est terrible, c’est qu’il a été pris pour autre chose que ce qu’il n’est : un travail de lycéen. Sham, camarade du c@fé des sciences, explique bien tous les (gros) biais de ce travail dans son billet « Cresson et Wifi, ne maltraitons pas la science« . Ce n’est pas étonnant, et ce n’est même pas critiquable ! Par contre, l’utilisation de cette expérience par certains scientifiques et par certains journalistes est une honte.

L’utilisation de ces résultats par des scientifiques est scandaleuse

Comment, des scientifiques « reconnus », du moins par ceux qui les ont nommés à des postes de chercheurs, ont pu présenter ces travaux comme pertinents ? On n’est pas face à des biologistes ou médecins qui ont mis au point des protocoles plus ou moins biaisés. On est face à des jeunes utilisés par des personnes malhonnêtes pour faire passer leurs idées, envers et malgré la science. Leurs expériences ne convainquent pas leurs pairs? Tant pis ! Grâce à ces étudiantes, le message va directement passer au grand public, comme allant de soi ! Ce charlatanisme est honteux. Et des jeunes vont être coincées dans un débat scientifique pour lequel elles ne sont pas armées. C’est même malsain.

Ce qui est malsain aussi, c’est de décrire des lycéens comme des grands scientifiques. Je ne dis pas qu’il n’existe pas ça et là quelques génies. Mais présenter ces travaux comme étant aussi pertinents, c’est dé-crédibiliser l’ensemble de la communauté scientifique, qui n’est pas capable de faire la même chose, malgré ses chercheurs bardés de diplômes et son matériel ultra-sophistiqué.

L’utilisation de ces résultats par des journalistes est scandaleuse

Mais peut-on parler de journalisme ici ? Comme l’explique Sham, les images présentées par Atlantico.fr et d’autres médias sont incomparables : il s’agit d’une image en début d’expérience (avant germination) et une autre après. Rien à voir avec la différence entre les différentes assiettes ! (différence qui est de l’ordre de 10 à 15 % !) Il s’agit purement de malhonnêteté intellectuelle. Et que dire de l’affirmation que « certaines graines auraient mutées » ? Ah ? Il y a eu des analyses génétiques ? On croît rêver ! C’est encore une fois, toute une profession qui est dé-crédibilisée. Quel dommage, lorsqu’on sait à quel point la science a besoin de journalistes pour exister, pour avancer de concert avec les évolutions sociétales, pour être un outil de la démocratie et non d’une oligarchie intellectuelle.

Bon, je m’enflamme ici. Alors, rendons hommage à un joli travail de lycéen, et apprenons dès l’enseignement secondaire aux étudiants ce qu’est la science, pleine de doute, de rigueur et de scepticisme.

4 réponses à “Les lycéennes, le wifi et le cresson

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