Lyon n’est pas la capitale de la France, ni de la physique quantique, ni de la chimie organique. Mais Lyon est la capitale mondiale de … l’homéopathie. Effectivement, le géant « pharmaceutique » mondial, qui distribue 80 % des « remèdes homéopathiques », les Laboratoires Boiron y sont implantés depuis 1969.
Pas étonnant donc que la presse locale s’y intéresse… Et en particulier le magazine « Lyon Capitale », dont voici la Une du mois :
Quand j’ai vu cela, dans les rues de Lyon, j’ai cru à un canular, à une caméra caché, à une invasion d’alien, ou à une faille dans le continuum espace-temps. Mais non. Une enquête exclusive sur les rapports de plus en plus tendus entre Boiron, et les homéopathes. Que je me suis procuré bien sûr !
Petits rappels sur l’homéopathie
Avant de commencer, il me faut faire un bref rappel sur l’homéopathie.
Cette pratique se base sur 3 principes :
- Le principe de « similitude » : Ce qui provoque des symptômes… guérit les mêmes symptômes : En latin, ça rend plutôt bien ; Similia similibus curentur
- Le principe de « l’individualisation » du traitement : Peu importe la maladie, ce qui est important, c’est le patient, tous ses symptômes, toutes ses spécificités qui doivent être prises en compte pour la mise au point du traitement.
- Les « dilutions infinitésimales » : évidemment, soigner avec ce qui rend malade, pourquoi pas, mais encore faut-il que ça ne tue pas davantage. Donc il faut diluer beaucoup pour ne pas retrouver les effets délétères.
Le premier principe est assez surprenant. L’exemple souvent cité par les homéopathes est la quinine, médicament de choix contre le paludisme et les fièvres au cours du XVIIIe et du XIXe siècle (les grands principes de l’homéopathie datant du début de ce siècle) : en cas de surdosage de ce médicament, un des effets est l’apparition d’une fièvre : DONC une substance qui donne de la fièvre peut soigner la fièvre. Joli sophisme selon moi.
Le second principe me semble raisonnable. Encore faut-il que les symptômes mesurés soient pertinents. Une des questions qu’un de mes proches a eu lors de son rendez-vous chez un homéopathe portait sur l’aspect de son cérumen, et je reste assez…sceptique sur son intérêt.
Le troisième principe est une des conséquences du premier : pour éviter d’aggraver les symptômes en les traitant avec des substances qui donnent les mêmes symptômes, il faut les diluer. Les diluer… beaucoup. Et c’est là qu’intervient un corollaire du principe de dilution : plus on dilue, plus ça marche. 1 CH signifie dilué 100 fois. 2 CH signifie qu’on a dilué 100 fois un produit déjà 1 CH. Soit dilué 10000 fois. etc… avec les puissances de 10, c’est plus clair :
- 1 CH = Dilué 102 fois
- 2 CH = Dilué 104 fois
- …
- 12 CH = Dilué 1024 fois
- etc…
Là, il faut se rappeler d’une chose : Dans 100 g de sucre par exemple, il y a environ 1023 molécules de sucre. Donc lorsqu’on dilue une solution de concentration 100 g par litre à plus de 12 CH, il n’y a statistiquement plus du tout de produits dans la solution.
Les homéopathes le savent bien. Mais si cela marche, d’après eux, c’est que lors des dilutions, le fait d’agiter fortement la solution (de la « dynamiser« ) permet de transférer les propriétés de la substance à l’eau qui l’entoure. Si la présentation finale ne contient plus d’espèces chimiques, elle a néanmoins gardé en mémoire sa présence, et est donc quand même efficace. Oui, je sais, c’est tiré par les cheveux, c’est absurde, c’est… faux, mais c’est ce qui fait le succès de l’industrie de l’homéopathie.
Quand je dis que c’est faux, c’est que l’état de la science actuelle permet d’affirmer que :
- La « dynamisation », c’est-à-dire la mémoire du solvant de la substance, ne repose sur aucune preuve ou début de soupçon de preuve scientifique.
- Aucune étude sérieuse n’a permis d’établir un quelconque effet (autre que placebo) des produits homéopathiques.
Ah, pour comprendre comment cette industrie s’y prend pour préparer les remèdes homéopathiques, rien n’est mieux que cette superbe vidéo, du « pharmachien » : (La voilà : http://www.lepharmachien.com/recettes-pour-faire-votre-propre-homeopathie-a-la-maison/ )
Ah, aussi : l’oscillococcinum, le remède homéopathique le plus vendu, le plus rentable, est vendu à la dilution 200 CH, c’est-à-dire dilué 10400 fois. C’est comme si vous aviez perdu un atome dans tout l’univers. Euh, non, ça c’est 40 CH. En fait, 10400 fois, c’est juste complètement absurde.
Et l’article, alors ?
Quand on lit cet article, sans être initié aux pratiques des homéopathes, on a un peu l’impression de tomber dans un autre monde, où « unicistes » et « complexistes » s’opposent, où les arguments anti-homéopathie sont utilisés pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché des remèdes homéopathiques, où personne, et tout le monde à la fois est dupe.
Mais avec un peu de pugnacité, on finit par comprendre ce qui agite le milieu des homéopathes.
Le problème des autorisations de mise sur le marché
Les homéopathes sont censés pouvoir utiliser quelques 5000 spécialités différentes, à diverses dilutions. Le problème, c’est qu’il faut déposer un dossier pour l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché pour chacune d’entre elle (et que les règles ont changé ces dernières années, ce qui impose de re-déposer un dossier pour chaque substance). Et cela coûte cher. Du coup, Boiron se concentre sur les remèdes les plus courants. Vous savez, les arnica montana, les oscillococcinum, stodal, ou autre mercurius solubilis. Un peu plus de 1000 spécialités. Mais les médecins homéopathes, eux, veulent avoir accès à la totalité des spécialités, au nom même du second grand principe de l’homéopathie, qui impose de s’adapter à l’ensemble des symptômes, de la personnalité, du patient. Je ne résiste pas au plaisir de rajouter que certaines spécialités ne sont pas disponibles en France, comme Carcinosinum, qui dérive d’extrait de biopsie de tumeurs du sein.
« Boiron, c’est le MacDo de l’homéopathie » (dixit un homéopathe)
Boiron ne veut plus produire certaines spécialités, qui ne se vendaient qu’à quelques centaines d’unité par an, et pour lesquelles les sommes engagées pour obtenir l’autorisation sont trop importantes pour une quelconque rentabilité. Le problème, c’est que les homéopathes peuvent les fabriquer, mais n’ont pas le droit de les vendre. Et Boiron, en situation de quasi-monopole ne laisse pas vraiment place à des concurrents en France. Les homéopathes doivent donc se fournir à l’étranger, ou faire leurs propres préparations. (Enfin, « doivent ». Compte tenu de ces histoires de dilutions, s’ils prenaient les petites billes de sucre, juste en écrivant le nom du remède dessus, ça marcherait « aussi bien » qu’en s’embêtant avec la dynamisation de Korsakov !!). En réduisant l’offre, les Laboratoires Boiron sont accusés de nuire à la véritable homéopathie. Ils se défenden justement en rappelant qu’ils ne sont pas une entreprise caritative, ce qui a le don d’irriter profondément les médecins homéopathes, forcément totalement désintéressés par l’argent…
Uniciste vs Complexiste
Mais Boiron va plus loin dans la trahison homéopathique. Franchissant allègrement une seconde fois la ligne rouge du principe d' »individualisation », l’entreprise propose de plus en plus des remèdes « tout-en-un » : Sedatif PC contient 6 spécialités différentes, Stodal en contient 9, etc… D’après l’école « pluraliste », ou « complexiste » (fomenté de toute pièce par les laboratoires Boiron d’après leurs adversaires), c’est efficace, et ça permet un accès plus direct aux remèdes homéopathiques. (C’est donc plus rentable pour les fabricants, tout le monde n’allant pas consulter un médecin homéopathe dès qu’il a un rhume). Les médecins homéopathes, les vrais, les durs, se réclament de la vraie école de l’homéopathie, l’école uniciste. Celle qui respecte le principe de l’individualisation. A chaque patient son propre cocktail de remèdes homéopathiques. Ces médecins, déjà trahis par Boiron qui réduit son offre par soucis de rentabilité, crient au scandale lorsqu’ils se rendent compte qu’une nouvelle génération d’homéopathes, formés PAR les laboratoires Boiron, arrive, et transgresse les principes fondamentaux de la discipline.
Bon, tout ça me fait plutôt rigoler. Sauf que si on transpose cette problématique (du rôle de l’industrie pharmaceutique) depuis l’homéopathie vers la médecine occidentale classique, je suis sûr qu’on retrouve les mêmes conflits…
L’astuce des laboratoires Boiron pour les autorisations de mise sur le marché
Pour obtenir le précieux sésame d’autorisation de mise sur le marché (AMM), nul besoin de prouver l’efficacité du remède : il faut « juste » qu’il ne soit pas nocif. Et là, Boiron a un argument de choix : à partir de la dilution 12 CH, il n’y a plus une seule substance dans le produit final, DONC c’est forcément inoffensif ! Si si, c’est bien l’argumentaire de l’industriel. Oui, c’est bien l’argument INVERSE que sur l’efficacité de ces mêmes préparations (troisième principe de l’homéopathie, il faut suivre). Heureusement qu’il n’y a pas d’homéopathes à l’agence européenne des médicaments, ils auraient pu faire des difficultés !
Bref, Boiron essaie d’obtenir une AMM pour tous les remèdes homéopathiques, à partir du moment que leurs dilutions égalent ou dépassent 12 CH. De quoi satisfaire un peu plus les médecins homéopathes, et à coup sûr, de gagner plus d’argent. Affaire à suivre.
Ah, au fait, autres affaires à suivre : Boiron subit actuellement 2 procédures (des « Class Action » pour être plus précis) pour publicité mensongère par des associations canadiennes. Après en avoir perdue une aux USA. Avec l’arrivée des « Class Action » en France, faudrait peut-être qu’on s’y mette aussi, non ?
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