Le cerveau, les hommes et les femmes. Retour au moyen-âge.

Mais, que vois-je, une étude dans le très rigoureux et très sérieux Proceedings of National Academy of Science (PNAS, ou en français : compte rendu de l’académie des sciences des USA) sur les cerveaux des hommes et des femmes. Ça alors, les cerveaux des femmes et ceux des hommes sont différents, et les hommes ont un meilleur sens de l’orientation, là où les femmes développent une plus grande intelligence sociale.

En haut le cerveau des hommes, et en bas celui des femmes, d'après les auteurs de cette publication

En haut le cerveau des hommes, et en bas celui des femmes, d’après les auteurs de cette publication

Comment écrire ici, en quelques mots, ma stupéfaction, mon désarroi, mon exaspération finalement. Je n’ai sans doute pas les talents littéraires pour le faire.

Alors, je vais plutôt commenter cet article pour vous. Une note au lecteur : je n’ai pas de compétence marquée en neuroscience. Et en cela, je ne me permettrais pas de remettre en cause les résultats bruts de cette étude. Il y a déjà tellement à dire de ce qui est écrit autour de ces résultats.

Je ne résiste pas au plaisir de vous donner la première phrase de cet article, publié je le rappelle dans une des plus sérieuses et réputées revues scientifiques :

Sex differences in human behavior show adaptive complementarity: Males have better motor and spatial abilities, whereas females have superior memory and social cognition skills

Ce qui, traduit par mes soins (merci google traduction), donne :

Les différences sexuelles dans le comportement humain montre une complémentarité : les hommes ont de meilleures capacités motrices et spatiales, tandis que les femmes ont une mémoire et une intelligence sociale supérieure

Ou encore (traduction plus personnelle) :

Les hommes ont un bon sens de l’orientation et savent conduire les voitures (eux !), alors que les femmes se souviennent où leurs gars ont perdu leurs clés et la liste des courses, et savent mieux gérer les autres personnes (i.e. les gosses, la (belle)-famille,…) (elles !)

Ce qui est choquant, scandaleux, c’est que cette affirmation, posée là, dès le résumé de l’étude, n’est ni une conclusion de cette étude, ni la conclusion d’aucunes autres, mais un vieux préjugé moyenâgeux, qui n’a rien à faire dans une étude scientifique. Comment faire un travail sérieux, lorsque le parti-pris initial est si clairement posé ? Et je vous rassure, il n’y a pas, dans le reste de l’étude d’éléments montrant que cette idée préconçue est, au minimum, controversée, voire (on pourrait rêver un peu !) invalidée.

Passons le résumé. L’introduction, qui comme dans tout article scientifique resitue le travail dans le contexte de la recherche actuelle sur ce thème présente les différences structurales entre les cerveaux hommes et femmes, qui seraient en lien avec leurs différences de comportement :

« With the advent of neuroimaging, multiple studies have found sex differences in the brain that could underlie the behavioral differences »

Traduction (que vous ne devez pas hésitez à critiquer)

Avec les avancées en imagerie cérébrale, de multiples études ont trouvé des différences sexuelles au niveau du cerveau, qui pourraient sous-tendre les différences de comportement

Ce qui est terrible ici, c’est que ces « multiples études » ne disent pas qu’il y a une différence de comportement en lien avec des différences sexuelles (ou alors, elles ont été invalidées). Et de plus, les différences sexuelles sont beaucoup plus faibles que les différences inter-individuelles. La seconde partie de la phrase n’a donc aucune valeur scientifique. Et n’a pas sa place dans cet article.

Les différences dont parlent les auteurs ici sont des différences de masse, taille, ratio matière blanche/matière grise, etc… Des différences qui encore une fois n’ont aucun lien avec les comportements et capacités intellectuelles. Pour marquer un peu les esprits, souvenez-vous de cet homme, qui avait son cerveau complètement écrasé sur sa boîte cranienne et qui n’occupait plus que 10 % de l’espace prévu, à cause d’une tumeur qui en occupait la quasi-totalité, et qui n’avait aucun problème cognitif. (je vous mets un lien dès que je retrouve trace de cette affaire…).

Pourtant, l’étude ne parle pas de ces différences. De façon plus pertinente, c’est l’ensemble des connexions dans le cerveau, ce qui est appelé le « connectome » qui a été étudié, mesuré, comparé entre les hommes et les femmes. Dans cette étude, les résultats obtenus (sur une cohorte très importante pour ce type de travaux (949 personnes)) montrent des différences statistiquement significatives entre les hommes et le femmes. Point. Des neuro-scientifiques y trouveraient sans doute plein de chose à dire, à redire, à contredire. Je ne me le permettrais pas.

Passons tout de suite à la partie discussion, où comme dans tous les articles, les résultats sont repris, expliqués, et interprétés. Les auteurs y sont très clairs : les différences sont claires, manifestes et soutiennent totalement les hypothèses de départ des auteurs. Les femmes ont plus de connexions inter-hémisphères, les hommes ont plus de connexions intra-hémisphères. DONC, les hommes ont un système nerveux permettant une meilleure coordination des mouvements, et les femmes ont un système nerveux favorisant la mémoire, l’attention, et les interactions sociales. (Je tiens à préciser que je ne réalise ici aucune interprétation. Tout est bien écrit (4e page de l’article, colonne de droite).

Trois éléments principaux m’ont vraiment surpris dans cette partie.

Tout d’abord, le fait que les auteurs parlent des cerveaux gauche et droit comme ayant un rôle différent, l’un étant lié, d’après eux, au traitement analytique et raisonné des informations, l’autre au traitement plus intuitif. Alors même qu’il est connu que c’est faux. (Voir par exemple ce cours (pdf) de l’université de Toulouse, intitulé : Cerveau gauche, Cerveau droit : le mythe))

Ensuite, les différences apparaissent comme réellement significatives seulement après l’âge de 13 ans. Les auteurs vont donc se baser sur ces différences, et se permettre d’affirmer, dans le résumé que

« male brains are structured to facilitate connectivity between perception and coordinated action, whereas female brains are designed to facilitate communication between analytical and intuitive processing mode »

En français :

« le cerveau des hommes est structuré pour faciliter la connectivité entre perception et action coordonnée, alors que le cerveau des femmes est conçu pour faciliter la communication entre les modes de réflexion analytique et intuitif« 

Comment peut-on dire que le cerveau est « conçu » ou « structuré » de façon différente entre les hommes et les femmes, alors même qu’on ne retrouve pas de différence significative avant l’adolescence ?

L’évolution du « connectome » à travers les classes d’âge n’est quasiment pas commenté. On ne trouve donc aucune explication, ou tentative d’explication de ces différences qui apparaissent avec l’âge. Dommage. Que pourrait-on évoquer ? Une différenciation hormonale, qui intervient à l’adolescence ? Cela a été réfuté, compte tenu des variations inter-individuelles en particulier… Alors ?

Alors, dans cette publication, aucune mention à l’influence du milieu n’est faite. La caractéristique la plus notable du cerveau est sa plasticité. Les connexions se font, se défont au gré des apprentissages, du temps. Hors ce qui est TRES différent entre les hommes et les femmes, c’est justement la façon dont ils sont éduqués, considérés. C’est ce qu’on leur apprend pendant leur enfance et adolescence. Ce sont les tâches qu’on leur assigne. En clair, ce que j’ai appelé « le milieu » dans lequel ils vivent. Cette absence de toute référence aux notions d’apprentissage, et de plasticité du cerveau est vraiment surprenante, voire scandaleuse. Je ne suis pas en mesure de préciser quelle devrait être sa part dans les constatations expérimentales de cette publication. Mais il me semble qu’il est clair qu’à partir du moment où il y a une évolution entre l’enfance et l’âge adulte, le caractère « acquis » de cette différenciation apparaît comme une hypothèse à ne pas négliger.

En fait, ces résultats, qui montrent une différenciation entre les cerveaux des hommes et des femmes de plus en plus nette pourraient très bien être interprétés comme la conséquence d’une société sexiste, dans laquelle les rôles des hommes et des femmes sont radicalement différenciés. Ce pourrait être un plaidoyer vers une plus grande égalité. Hélas, c’est au contraire les idées reçues les plus arriérées qui sont mises en avant.

Alors plutôt que de perdre du temps avec de tels propos, regardez plutôt la conférence TEDx de Catherine Vidal, neurobiologiste.

Sur cette publication vous pouvez lire aussi son interview sur « les nouvelles news », ou, en anglais, cet article particulièrement intéressant et pertinent.

Sex differences in the structural connectome of the human brain«  M. Ingalhalikar et al., PNAS 2013, published online.

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