Ce billet fait écho à celui écrit et partagé sur le site Les Vendredis Intellos, avec un point de vue légèrement différent.
Je m’étais déjà lâché dans un billet : « Quand la médecine fait mal« , relatant quelques exemples de violence fait par les médecins à des patients, par incompétence, morale et psychologie de bas étage, habitude, irrespect, etc… Ce billet relatait de façon non scientifique des expérience vécues par des proches.
Ici, ma chère Mme Déjantée m’a fait passer un article d’un médecin qui a mené durant plusieurs années un projet pédagogique autour des violences durant les études de médecines. Il ne s’agit pas ici de parler de la violence entre étudiants, au cours de beuveries collectives, ou non plus les pratiques très très douteuses des salles de gardes, dont le magazine « Causette » avait parlé. Il s’agit ici des violences dont sont victimes les étudiants durant leurs stages en milieu hospitalier.
Karin Parent, médecin à l’Hôpital Luxembourg à Paris a proposé à des étudiants en médecine ou en maïeutique (étude de sage-femme, mais la « maîeutique », ça fait plus chic) qui suivait son cours optionnel sur les soins palliatifs de rédiger un texte. Non pas centré sur les patients, mais
« [centré] sur la reconnaissance de l’étudiant comme personne, avec son histoire, ses expériences de soin personnelles ou professionnelles, son affectivité, son désir d’exercer une médecine porteuse de sens, et ses pleines capacités réflexives à nourrir pour qu’il les développe. »
Et là, elle raconte
« J’avais très envie de découvrir sur quels thèmes ces jeunes hommes et ces jeunes femmes (21—23 ans) avaient travaillé. Ma curiosité s’est transformée en surprise, en stupéfaction, et en saisissement : au-delà de capacités de réflexion, de distance critique, ou de problématisation, ce qui s’exprimait-là, sur des sujets variés, était un vécu de violence si fort qu’après avoir lu la moitié des écrits, poursuivre la lecture m’est devenu insupportable«
Avant d’aller plus loin, je souhaite faire une petite remarque. Je considère ici qu’il s’agit d’un article scientifique. Plus précisément ce qu’on appelle une monographie en sociologie, où le point de vue subjectif de l’auteur affleure naturellement, et fait partie intégrante du travail réalisé. Ici, la lecture de cet article fait apparaître qu’il s’agirait plutôt d’un acte de colloque, de la conclusion d’un travail de groupe durant un séminaire. Sa valeur n’en est qu’augmentée.
Entrons dans le vif du sujet. Pour l’auteure, les violences (psychologiques) qui s’exercent sur les étudiants sont de deux types : certaines sont inhérentes à l’apprentissage du métier de soignant, et d’autres, par contre, sont évitables, et correspondent au vécu de certaines situations qui violent leur éthique et leur représentation du rôle du soignant.
« Soigner, c’est transgresser »
Quand j’ai lu ces 4 mots, j’ai été assez marqué. Par la violence que cela représente, en même temps que par la nécessité évidence de la transgression dans ces métiers. Ces étudiants vont parfois faire mal à leur patient (une perfusion mal posée), à toucher leurs parties intimes, très intimes (toucher rectal, toucher vaginal).
Ils doivent apprendre à faire à l’autre ce qui est interdit aux autres non soignants, et à le faire de façon responsable.
Mais il n’y a pas que cela qui est violent, sans pour autant être anormal. Comment annoncer à un patient qu’il va mourir, à ses proches qu’ils vont être orphelins ? On critique souvent, et à juste titre les médecins qui ne savent pas le faire, et qui se protègent eux-mêmes en étant froids, distants. Ils devraient tous avoir appris à se comporter autrement. Mais ce n’est pas (assez) enseigné. Alors reste leur souffrance cachée derrière un masque.
« Ils sont en train de faire ÇA à ce malade. Personne ne dit rien, il n’y a que moi que ça gêne ici »
Et puis il y a ce que l’auteure appelle la « surviolence« . La violence inutile, gratuite, qui découle de l’abus de pouvoir du soignant sur le patient. Une élève raconte une scène terrible :
En deuxième année, les étudiants n’ont pas 20 ans. Un chef de service emmène un petit groupe d’étudiants dans une chambre. Il demande à la patiente de se mettre à quatre pattes, lui enlève son sous-vêtement et dit aux étudiants : « Entraînez-vous au toucher rectal, je reviens dans dix minutes ». Le médecin parti, les étudiants se regardés, se sont excusés, ils ont rhabillé la patiente et ils sont sortis.
La relation entre le patient et le soignant est « asymétrique » : l’un a beaucoup d’ascendant sur l’autre, sans que cela soit réciproque. L’abus de pouvoir est à portée de main du médecin, qui a pour s’en prémunir la déontologie et l’éthique personnelle. Par contre, la confrontation avec des actes inutiles et en désaccords profonds avec sa morale personnelle est très déstructurant pour l’étudiant.
[L’abus de pouvoir] sature ses capacités d’analyse rationnelle, sidérées par un ressenti composite intense de stupéfaction, d’incrédulité, d’horreur, de crainte, de révolte, d’impuissance, de solitude, de rupture d’idéal et de perte de confiance dans le modèle.
Que faire de ces violences subies, et rapportées par les étudiants ?
L’auteure pose bien sûr la question des suites à donner à ces violences psychologiques rapportées par les étudiants. Qu’en faire ? Une des étudiantes qui suivait ce cours a rapporté des évènements graves, qui ne sont pas détaillés dans l’étude, mais qui pourrait relever du pénal. Qu’en faire ?
Afin d’aider ces étudiants, la première chose est d’instaurer un climat de confiance entre eux et les enseignants. Pour que ces violences puissent être explicitées. Rompre la solitude, et en parler avec les autres étudiants est pour K. Parent un élément central. Mais il reste le rôle joué par l’institution. Là, le constat est amer. Cette étudiante qui a fini par témoigner de violences terribles a eu pour seul retour… de changer de service. Au delà des faits répréhensibles qui ne seront jamais portés devant un conseil de discipline ou la justice, c’est la confiance dans le système qui est plus qu’ébranlée.
Au-delà de la souffrance des jeunes adultes, qui est déjà insoutenable lorsqu’elle est évitable, c’est la pratique même des métiers de la santé par ces futurs soignants qui est affectée par cette violence. Car la transgression d’une éthique, de la conviction que le médecin, la sage-femme est là au service du patient provoque une perte de repère qui peut conduire à la reproduction de ces mêmes violences.
J’ai souvent critiqué le comportement de certains médecins. Coupables à mes yeux de violences inutiles, volontaires ou non. Avec cet éclairage, de la façon dont ils sont mal-traités durant leurs études, je comprends mieux. Et cela donne aujourd’hui un angle d’attaque pour faire évoluer la situation.
D’autant que tous les soignants ne reproduisent pas ces violences. Alors chantons les louanges des Martin Winckler, JADDO, Dr Borée, Leyla-MK (kiné de son état), FarfaDoc et quelques autres (tant d’autres !) qui un jour se sont dit, pendant leurs études,( ou après), des mots qui ressemblaient à « N’oublie pas, n’oublie pas, n’oublie pas« . (Voir par exemple ce billet de Dr Borée sur la pétition pour des chemises d’hôpital, qui renvoie des liens vers de nombreux blogs de soignants)
Source : « Que faire des violences rapportées par les étudiants » K. Parent Ethique et Santé 2013, 10 (3), pp 155-162
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