Les micro-ondes sont montrés du doigt dans plusieurs domaines de notre vie quotidienne. On dit parfois qu’il ne faut pas réchauffer le lait de bébé au micro-onde, parce que ces ondes le rendent mauvais, ou encore que le wifi, et le téléphone portable sont des ondes cancérigènes, etc… La liste est assez longue, allez sur des sites poubelles comme danger-sante.org (le pire que j’ai trouvé, en quelques instants, est là) pour avoir une idée de tout ce qu’on peut leur reprocher.
Bon. certains travaux récents de recherches en chimie organique peuvent nous aider à y voir un peu plus clair. Il ne s’agit pas de travaux en recherche médicale, il est vrai, mais je pense que cela peut donner à réfléchir aussi sur l’utilisation quotidienne de ce type d’onde.
Depuis une vingtaine d’année, les chimistes organiciens (qui travaillent sur les composés du vivant, contenant principalement carbone, oxygène, hydrogène, azote) se sont aperçus que les micro-ondes, les mêmes que ceux de nos fours et nos portables, étaient très efficaces pour chauffer les mélanges réactionnels, et ainsi permettre des transformations chimiques intéressantes, et souvent beaucoup plus rapidement et efficacement qu’avec un chauffage classique.
En clair, de nombreux exemples de réactions chimiques très lentes avec un chauffage conventionnel, ont été rendus possibles, efficaces, et rapides grâce à ce mode de chauffage particulier. L’explication de cette efficacité des micro-ondes a été abordés de diverses manières, et globalement, deux effets ont été mis en avant :
Tout d’abord, l’effet thermique. Les micro-ondes ne chauffent pas par conduction thermique et convection, c’est-à-dire depuis les surfaces en contact du récipient en contact avec la source de chaleur vers le centre, grâce à l’agitation. Ils chauffent par rayonnement, ce qui permet dans ce cas un chauffage extrêmement rapide, et uniforme, de tout le mélange réactionnel.
D’autres effets thermiques pourraient exister, moins conventionnels : l’idée la plus représentative de ces effets, c’est que les micro-ondes ne stimulent pas de la même manière toutes les molécules, et pourraient chauffer « sélectivement » certains réactifs ou catalyseurs, ce qui pourrait induire une augmentation de la vitesse de réaction, ou même des réactions différentes.
Et puis il y a les effets non-thermiques. Il est admis que l’énergie véhiculée par les ondes ‘micro-ondes’ est trop faible pour pouvoir induire des ruptures dans les liaisons chimiques
[Il faut ici distinguer énergie globale de la source de l’onde, qui correspond à la puissance du générateur multipliée (800 W pour un four micro-onde moyen) par le temps de fonctionnement, et l’énergie véhiculée par chaque « photon » de l’onde. Dans le cas d’une réaction chimique, c’est l’énergie par photon qui compte, et il faut généralement des énergies correspondant à des ultraviolets, c’est à dire 100000 fois plus importante que celle des micro-ondes].
Cependant, des hypothèses ont été émises sur la stabilisation d’intermédiaires chimiques [En particulier les intermédiaires dont la polarité est importante], ou d »‘états de transition », ce qui correspond à abaisser la barrière énergétique à franchir pour que la réaction fonctionne. Si on abaisse cette barrière, alors l’apport énergétique par le chauffage peut être moindre, et les temps de réaction sont diminués, ou, si plusieurs réactions simultanées sont possibles, celles dont les intermédiaires ou états de transitions sont les plus stabilisés sont favorisées. [Si vous souhaitez plus de précision ici, n’hésitez pas à me les demander en commentaires…]
En résumé, ce mode de chauffage non-conventionnel permettrait non seulement d’augmenter la vitesse de réaction, voire de rendre possible certaines d’entre elles, mais permettrait également d’obtenir des espèces chimiques différentes qu’avec un chauffage « classique ». J’ai entendu lors de ma thèse une maître de conférence raconter ainsi que le lactose du lait subissait des transformations différentes dans un micro-onde que dans une casserole, et c’est ce qui expliquerait pourquoi le lait, dans ce cas, serait moins digeste.
Ceci dit, certains chimistes contestent ces effets extraordinaires… La dernière publication de O.C. Kappe et de ses collègues leur donne raison. Dans le numéro du 21 janvier 2013 du journal prestigieux (pour les chimistes) Angewandte Chemie (International Edition), ceux-ci mettent à mal les ardents défenseurs des effets non-thermiques. Reprenant les résultats les plus marquants publiés sur le sujet, ils ont montré qu’il n’y avait aucune différence de réactivité entre les différents mode de chauffage. Les effets thermiques non conventionnels, qui pourtant se basent sur des arguments scientifiquement pertinents, n’ont pas été observés, pas plus que les effets non-thermiques qui semblaient ouvrir la voie à de nouvelles perspectives en synthèse organique, mais dont les principes théoriques restaient trop fragiles.
Alors, la faute à qui, à quoi ? aux chimistes trop passionnés, trop heureux de résultats réellement extraordinaires. Et surtout à l’utilisation de capteurs de température, comment dire… absurdes ? Effectivement, ce sont des capteurs thermiques qui mesurent la température de l’EXTERIEUR du récipient. Si on regarde à nouveau le profil de température de la figure précédente, on voit que cela n’est pas du tout pertinent, puisqu’il s’agit de l’endroit du réacteur le plus froid ! En réalité, lorsque les chercheurs affirmaient qu’un chauffage de 100°C aux micro-ondes était plus efficace qu’un chauffage de 100°C conventionnel, ils se trompaient ! le mélange réactionnel était sans aucun doute beaucoup plus chaud !
Le mérite de Kappe et coll. a été, et est toujours de proposer des contre-expériences rigoureuses, permettant de reproduire les mêmes conditions expérimentales de température, pression, temps de réaction pour le chauffage conventionnel et pour le chauffage aux micro-ondes. Ce qui n’était pas gagné, compte tenu de ses spécificités (chauffage très rapide, gradient de température différent dans le réacteur,…)
Cela ne signifie en aucun cas la fin de l’utilisation des micro-ondes en chimie organique : ce mode de chauffage a de nombreux avantages, et en particulier d’être plus économe en énergie (car les temps de réaction sont considérablement réduits), et de ne pas nécessiter de solvant. Quasiment la panacée en terme de ‘Chimie verte’ ! Par contre, en terme de nocivité du rayonnement micro-onde, les médecins et chercheurs en biologie pourront se concentrer uniquement sur un effet thermique des micro-ondes, et laisser de côté la formation de molécules potentiellement nocives.
Et puisque c’est comme ça, je vais manger la bonne pâte de coing de mon beau-père, obtenu par chauffage non conventionnel, et qui est non toxique, et même délicieuse ! (sauf quand il ne la passe pas suffisamment finement au moulin…)
Sources :
‘Microwave Effects in Organic Synthesis: Myth or reality?’ O.C. Kappe et al., Angew. Chem. Int. Ed. 2013, 52, 1088-1094
‘Microwaves in organic synthesis. Thermal and non-thermal microwave effects‘ A. De la Hoz, Chem. Soc. Rev. 2005, 34, 164-178
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