On l’oublie trop souvent, mais tous les éléments chimiques qui composent la Terre ont été synthétisés bien avant l’apparition de notre propre soleil. Dès le Big Bang et les quelques minutes qui ont suivi pour les plus légers (l’hydrogène, hélium, lithium), durant la vie d’étoiles anciennes, ou lors de leur explosion en supernovas pour les autres.
On a coutume de dire que l’élément le plus lourd sur Terre est l’Uranium. 92 protons, plus de 140 neutrons, c’est un gros noyau comparé au carbone (6 protons, 6 neutrons) ou à l’oxygène (8 protons, 8 neutrons). Pourtant, il existe à l’état de trace du Plutonium, synthétisé par l’action de particules alpha sur d’autres noyaux. Néanmoins, la période radioactive* de l’isotope le plus stable de cet élément, de quelques 80 millions d’année, est trop courte pour qu’une accumulation naturelle de plutonium aie lieu. (à titre de comparaison, l’isotope le plus stable de l’Uranium a une période radioactive de 4,5 milliards d’année, soit approximativement l’âge du système solaire). Heureusement que l’humain en synthétise en quantité relativement importante pour des utilisations militaires et civiles (500 tonnes en 70 ans)…
Les différents types de processus de nucléosynthèse n’ont pas encore révélés tous leurs secrets, surtout en ce qui concerne les éléments les plus lourds. On ne sait pas jusqu’à quel point les évènements ultra-violents qui se produisent dans l’univers (comme les supernovas) sont capables de produire les éléments plus lourds que l’uranium.
Alors que le plutonium (94 protons) est présenté comme l’élément le plus lourd non synthétisé par l’homme, des physiciens de l’Université de Chicago viennent de démontrer que du Curium 247 (96 protons, 151 neutrons) a bel et bien été synthétisé « naturellement » dans l’Univers (1).
Pour cela, ils ont étudié la composition de grains de matière issus de la météorite d’Allende. Celle-ci a l’énorme avantage d’être grosse (2 tonnes) et tombée très récemment sur Terre (en 1969). S’étant formé lors de la formation du système solaire, elle a permis en particulier, d’en déterminer précisément l’âge. Ici, les chercheurs ont étudié les différents rapports entre les quantités de métaux lourds présents dans une série de petits grains issus de cette météorite (ici, entre le Néodyme 144 et l’uranium 238). En effet, un élément ultra-lourd peut avoir disparu, il laisse néanmoins une « signature » par les quantités et les ratios entre éléments plus légers qu’il a formé par désintégration radioactive. Un des grains étudiés, nommé « Curious Marie » (ne me demandez pas pourquoi !) présente justement un ratio Néodyme/Uranium très différent des autres. Après avoir éliminé toutes les causes possibles de contamination, d’erreurs de manipulation et de mesure, et en accord avec les modèles de nucléosynthèse, les chercheurs ont annoncé que ce ratio ne pouvait trouver une explication que dans la désintégration du Curium 247, ce qui constitue une preuve définitive de l’existence (passée du moins) de curium 247.
Alors, quel sera le prochain élément hyper-lourd à être découvert ?
*Un petit rappel : la période radioactive, c’est le temps qu’il faut pour qu’un échantillon perde la moitié de sa radioactivité. En 80 millions d’années, la radioactivité d’un échantillon de plutonium aura été divisée par deux, et au bout de 80 millions d’années supplémentaires, par 4.
(1) « Origin of uranium isotope variations in early solar nebula condensates » F.L.H. Tissot, N. Dauphas, L. Grossman Sci. Adv. 2016; 2 : e1501400