Des liquides micro-poreux : L’état solide n’a plus le monopole de la porosité !

La porosité est, à première vue, une propriété intrinsèque de l’état solide, et lui est totalement réservé.

  • Parler de la porosité des gaz est absurde puisque dans cet état, les atomes/molécules sont très éloignés les uns des autres. Parler de « vides » ou de « pores » entre un réseau d’atomes/molécules n’a aucun sens ici.
  • Parler de la porosité d’un liquide n’est pas, a priori, inepte : les molécules/ atomes qui le constitue ne se « touchent » pas, et on peut donc imaginer calculer les distances entre molécules, et donc, la taille des pores. des travaux théoriques ont été réalisés sur le sujet, et l’espace inter-moléculaire dans un certain nombre de liquide a été évalué. Les distances caractéristiques obtenues sont inférieure à 1 Angström (10-10 mètre), c’est-à-dire la taille d’un atome (1). Bref, cette porosité « extrinsèque » (à « l’extérieur » des molécules qui constituent le liquide) existe, mais on ne voit pas trop à quoi elle pourrait bien servir, vu la faible taille des pores…

Et pourtant, dans un article de 2007, une équipe de recherche de Belfast a proposé le concept novateur de liquide microporeux (2), possédant des cavités de tailles acceptables pour accueillir des petites molécules.

 

Des liquides poreux… Pour quoi faire ? 

Avant d’aller plus loin, et d’explorer la question de la faisabilité et de l’existence de tels liquides, on peut se poser la question de l’utilité de ce type de matériau… En fait, si on considère le très large spectre d’utilisation des matériaux solides, l’intérêt d’un liquide poreux est immense. Citons néanmoins quelques exemples emblématiques :

  • Stockage de gaz
  • Filtration, purification (A quand des colonnes « liquides » rechargeables de GC, d’HPLC, etc…)
  • Dépollution (par capture sélective d’ions par exemples)
  • Catalyse chimique homogène
  • Stabilisation de matériaux explosifs

La liste n’est pas, loin s’en faut, exhaustive…

 

A quoi peut ressembler ces liquides poreux ?

Sur le modèle des solides poreux, l’idée des auteurs est de proposer des liquides dont les composants montrent cette fois une porosité intrinsèque, c’est-à-dire des cavités vides, pouvant être éventuellement remplies par des constituants plus petits, gazeux par exemple. Les auteurs proposent trois types de liquides poreux :

porousliquid

Cette image, directement tirée de la publication, mérite une explication. D’après les auteurs, il pourrait y avoir trois types de liquides poreux :

  • Type 1 : Un liquide constitué d’une seule espèce chimique ayant une porosité intrinsèque (en haut à gauche)
  • Type 2 : Un liquide constitué de deux espèces, un non poreux (en bleu), un présentant une porosité intrinsèque (en bas à droite)
  • Type 3 : Un liquide dans lequel serait dissout des éléments poreux présentant de multiples pores (en bas à gauche)

 

Du schéma simpliste… à la réalité ?

Sur le papier, cela fait de jolis schémas fort simples, où l’on voit très bien de quoi il s’agit… Mais en réalité, ce n’est pas du tout trivial, si bien qu’en 2007, les auteurs n’avaient pratiquement aucun exemple de liquide poreux à proposer…

En premier lieu, il faut des composés qui possèdent une cavité.

En second lieu, il faut que les composés à porosité intrinsèque soient suffisamment rigides pour ne pas « s’effondrer » sur la cavité dès que celle-ci est vide. On n’est pas à l’échelle macroscopique ici ! Les liaisons chimiques sont flexibles, les atomes peuvent tourner sur eux-même, et la molécule changer sa conformation pour minimiser l’espace… Certains composés connus pour accueillir en leur sein d’autres espèces chimiques, comme les calixarènes ne conservent pas du tout leur cavité centrale si elle n’est pas occupée…

un exemple de calixarène. Un ion, une petite molécule peut se loger au centre de la molécule en forme de... calixe

un exemple de calixarène. Un ion, une petite molécule peut se loger au centre de la molécule en forme de… calice

Enfin, même si les molécules sont suffisamment rigides, une autre difficulté apparaît : les molécules voisines ne doivent pas remplir la cavité. Cela parait évident pour les liquides poreux de type 2, si l’autre composé a une taille moindre, ou une plus grande flexibilité. Mais même chez les meilleurs candidats pour le type 1, il semble assez systématique qu’un morceau du composé se retrouve dans la molécule voisine… C’est ce qu’on observe par exemple chez les cyclodextrines :

schémas généraux des cyclodextrines, sorte de couronnes composés d'unités glucose reliées entre elles...

Schémas généraux des cyclodextrines, sorte de couronnes composés d’unités glucose reliées entre elles… La cavité se trouve au centre de l’édifice.

 

Alors, ça existe, des liquides poreux ?

En 2007, les exemples n’étaient pas nombreux, loin s’en faut… En fait, il semble qu’au moment de la publication de cet article, il y en avait trois qui tenaient la route, même si aucune preuve directe de l’obtention d’un réel liquide poreux n’avait été établie.

Un candidat très sérieux a été proposé en 1994 : il s’agit d’une molécule de type « hemicarcerand » (3):

Hémicarcérand, proposé par Cram en 1994.

Hémicarcérand 

T.A Robbins et son équipe ont en effet synthétisé une telle molécule, où la cavité se trouve au centre. Dans la synthèse, une petite molécule de solvant se trouve emprisonné. Mais en dissolvant ce composé dans un solvant très encombré (du diphényléther), trop gros pour pénétrer dedans, et en chauffant plusieurs jours à près de 200 °C, ils ont pu mettre en évidence que le pore central « semblait » libre…

En 2003, c’est un « metallocube » qui est mis en avant : il s’agit d’une structure cubique organométallique compacte, ou chaque coin est occupé par un atome de Cobalt ou de Ruthénium (4). Grâce à des liaisons chimiques courtes et rigides, cette molécule ne se déforme pas lorsque sa (petite) cavité est vide. Elle peut être dissoute dans divers solvants, ce qui permettrait l’obtention d’un liquide poreux de type 2.

Le Metallocube de T.B. Rauchfuss. les ligands Cp et Cp* ne sont pas représentés dans la structure du bas, par soucis de clarté.

Le Metallocube de S.C.N. Hsu et coll. Les ligands Cp et Cp* ne sont pas représentés dans la structure du bas, par soucis de clarté.

Enfin, les auteurs de cet article citent deux autres études dans lesquelles des structures solides ont pu être dispersées dans divers solvants, donnant donc des liquides poreux de type 3.

Il faut noter que cet ensemble d’exemples n’a jamais été étudié en tant que matière poreuse à l’état liquide…

 Et puis, en 2015, un liquide poreux de type I…

Entre 2007 et 2015, il y a eu l’essor formidable de la nanochimie. Dans le domaine qui nous intéresse, cela s’est traduit par l’invention du premier liquide poreux de type 1, et de son étude (5). Les auteurs de cette étude ont travaillé avec des nanosphères de silices creuses, d’une dizaine de nanomètres de diamètre. Celles-ci présentent bien une porosité intrinsèque, leur permettant d’accueillir gaz et petites molécules organiques. Pour obtenir un liquide (les nanosphères de silice sont sous forme solide usuellement), ils ont décorées ces sphères avec des brins de polyéthylèneglycol (PEG). A partir de 6°C, cet assemblage apparaît sous la forme d’un liquide relativement visqueux.

Des nanosphères creuses ("Hollow Spheres") solides au liquide poreux...

Des nanosphères creuses (« Hollow Spheres ») solides au liquide poreux…

Outre l’intérêt théorique de ce liquide poreux, les chimistes ont montré dans cette publication qu’il pouvait être utilisé pour séparer des gaz. En y faisant circuler un mélange de diazote N2 et de dioxyde de carbone CO2, ils ont pu montré que le CO2 diffusait beaucoup plus vite à travers ce liquide que le diazote. L’interprétation est très simple, en réalité : en raison d’interactions favorables, le CO2 passe par l’intérieur des cavités, alors que le N2 diffuse entre les nanosphères…

porousliquid2

 

Si cette séparation n’est pas plus efficace, pour l’instant, que les filtrations classiques par les solides, elle fait néanmoins office de « preuve de concept » remarquable.

On n’a pas fini d’entendre parler de ces nouveaux liquides…

 

(1) A. Pohorille et al.J. Am. Chem. Soc. 1990, 112, 5066

(2) N. O’Reilly, N. Giri, S.T. James, Chem. Eur. J. 2007, 13, 3020

(3) T.A. Robbins et al. J. Am. Chem. Soc. 1994, 116, 111.

(4) S.C.N. Hsu et al. Angew. Chem. Int. Ed. 2003, 42, 2663.

(5) J. Zhang et al. Angew. Chem. Int. Ed.  2015, 127, 946.

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