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Du racialisme en toile de fond des commentaires sportifs ?

Je ne ferais qu’un court billet, suite au partage récent par Xavier Molénat (d’AlterEcoPlus, son Twitter) et Denis Colombi (son blog, son Twitter) de deux articles sur les performances sportives des athlètes africains :

 

La génétique au secours des préjugés racistes ? Raté…

Il paraît que Christophe Lemaître serait d'origine Kalenjins, lui aussi... #IlParaît

Il paraît que Christophe Lemaître serait d’origine jamaïcaine… Ou presque. #IlParaît

Dans ces deux articles, les sociologues rappellent que les commentaires des performances des coureurs africains font très souvent références à une supériorité physique naturelle de l’Africain de l’Ouest (pour le sprint), du Nord (pour le 5000 m et le demi-fond), de l’Est (pour le 10 000 m et le marathon). Pourtant, les études « performances et races » souvent anciennes épluchées par Sacco et Grémion ne donnent aucun liens concluants. Il a par exemple été montré que les caractéristiques physiques censées profiter aux kényans se retrouvent chez les scandinaves, qui ne brillent pas particulièrement en course… L’analyse des résultats sportifs ne va pas non plus dans le bon sens : à peine un « groupe ethnique » est désigné comme étant supérieur, qu’un autre lui dame le pion ! Les kényans des ethnies Kalenjins, par exemple, étaient censés, par mariage (limite consanguins, dirait un commentateur), conserver les gènes du l’endurance, et donc naturellement briller… Mais se sont fait battre par les éthiopiens, nouveaux venus dans les compétitions de longues distances. De la même façon, ce découpage est foireux (pardonnez moi l’expression !) : si les Kalenjins étaient supérieurs, le Soudan brillerait aussi, puisqu’ils en sont originaires. De même, les berbères sont très bien représentés parmi les athlètes de haut niveau. Pourtant, alors que cet ensemble d’ethnies est présent depuis l’antiquité en Lybie, aucun berbère libyen ne brille en athlétisme.

Et puis, il y a l’éternel problème féminin : comment expliquer, si la génétique ethnique est au centre des explications des résultats, que les nations qui brillent en athlétisme féminin ne soit pas DU TOUT les mêmes qu’en athlétisme masculin ? le Top 100 du Marathon féminin en 2000 comptait 22  africaines, contre 60 africains chez les hommes. De même, les pays d’Europe de l’Est brillent en compétition de semi fond et de fond chez les femmes, et se font écraser chez les hommes…

Bref, on a beau chercher, parler de supériorité génétique d’un groupe ethnique ou géographique n’a pas de sens… Ou bien il sert surtout à caser des préjugés racistes : si les africains ont les gènes pour courir, les européens ont les gènes de l’intelligence ? C’est si facile.

Lorsque la génétique est invalidée, le culturalisme prend le relais !

Si c’est pas les gènes, c’est qu’en fait, les Africains, ils courent tout le temps ! Si si, c’est bien la suite des discours ! l’Africain court pour échapper au lion ou encore pour aller à l’école ! La seconde assertion a tellement été assénée avec autorité, qu’elle a été étudiée et… démentie. Les meilleurs athlètes marocains sont très largement des urbains. Les régions dont sont issus les meilleurs kényans sont caractérisés par une forte densité d’établissement scolaire (trajet domicile – maison court… Pas idéal pour travailler l’endurance), et sont souvent passés par la case « internat »… La haute altitude des plateaux kényans a aussi été invoquée… (Quid des mexicains, des tibetains, etc… ?).

On pourrait multiplier les exemples de culturalisme mal placés, qui croient expliquer, au gré des performances des différents états, la supériorité des uns sur les autres. En vain. C’est ailleurs qu’il faut probablement chercher.

Nom de nom, qu’une seule solution : sociologisons !

C’est du côté historique et sociologique que l’on peut trouver les explications les plus convaincantes (ou qui me semble, personnellement, les plus convaincantes).

 

  • Historiques : Par exemple, pour Manuel Shotté, c’est sous le protectorat français que s’est installé l’idée que les marocains étaient doués pour la course. C’était en réalité le seul sport qui leur était accessible. C’est sur la base de cette croyance que s’est développé une politique de détection et d’entraînement qui a produit les athlètes reconnus sur la scène internationale.
  • Économiques : Certaines épreuves d’athlétisme, peu rémunératrices ont été délaissées par les nations occidentales. Ce qui a laissé le champ libre aux nations plus pauvres. Ceci se traduit quantitativement, entre autre, par un déclin des performances chronométriques des athlètes européens, par rapport à la génération précédente ! D’autre part, la course à pied reste un sport très accessible aux populations modestes, comparés à ceux qui demandent des équipements plus lourds.
  • Culturelles : «Pour nous, sport veut dire course à pied» a déclaré Addis Abeba, champion olympique à Sydney. (cité par F. Sacco et G. Grémon). Les futurs sportifs professionnels des pays comme le Kenya s’orientent vers la course à pied, seul sport susceptible de les porter sur la scène internationale. Il ne s’agit pas ici de parler des origines traditionnelles des athlètes, mais plutôt de contextes récents : la présence de grand champions mondialement reconnus crée un appel d’air pour les générations suivantes.

La lecture de ces deux articles vous éclairera sans doute davantage que mes quelques propos maladroits. Ils sont en accès libre, vous n’avez pas d’excuses !

Le « coût caché » de l’allaitement…

C’est une alerte Twitter que j’ai reçu qui m’a intrigué :

Les coûts « cachés » de l’allaitement maternel ? Mais de quoi cela pouvait-il s’agir ? Une étude comparative entre le prix du lait artificiel d’une part, et les « coussinets d’allaitement », « crème anti-crevasse », et « tire-lait » d’autre part ? cela ne paraissait vraiment pas sérieux.

Non, cette étude publiée dans l’American Sociological Review d’avril 2012 est en fait très intéressante, et pose très justement la question du droit à l’allaitement après un retour à l’emploi, et des politiques qui d’une part l’encourage pour des raisons de santé publique, sans pour autant le rendre compatible avec la réalité des situations professionnelles des femmes. Et c’est donc avec plaisir que je voulais en partager la lecture pour les Vendredis Intellos de Mme Déjantée.

L’allaitement est officiellement considéré comme le meilleur mode d’alimentation pour le nourrisson, compte tenu de l’intérêt médical pour le bébé comme pour la mère, de sa simplicité, et de son coût. Les pouvoirs publics insistent donc sur ces faits reconnus afin d’augmenter la proportion de mères qui allaitent leurs enfants jusqu’à 6 mois, voire 1 ou 2 ans. Et le taux de femmes initiant un allaitement à la maternité aux USA de passer de 60 % dans les années 1980 à 75 % d’après une étude parue en 2007. Sans doute une bonne chose.

Parallèlement aux études médicales montrant les avantages du lait maternel, les sociologues se sont intéressés aux freins existant à l’allaitement, depuis le milieu culturel jusqu’aux conditions de travail. Et ce n’est pas nouveau, plus on est pauvre, plus on travaille, moins on allaite !

Mais finalement, peu de travaux de recherche avaient été réalisés sur la question du retour à l’emploi des mères allaitantes vs. non allaitantes. L’impact de l’allaitement de courte ou longue durée est-il réel, durable, par rapport à l’utilisation de lait artificiel dès le plus jeune âge ?

L’étude, se basant sur de très larges statistiques américaines, a ainsi montré que l’allaitement de courte durée n’avait pas plus d’impact sur les carrières (et salaires) que l’utilisation exclusive de lait artificiel. Par contre, l’allaitement maternel de longue durée, c’est-à-dire de plus de six mois, était fortement corrélé à une diminution notoire, et durable des salaires.

 

Evolution des salaires en fonction de la durée de l’allaitement

 

L’allaitement, un frein au travail des femmes ? Peut-être bien. Huber, un auteur largement cité dans l’étude, prétend dans un ouvrage de 2007, que c’est justement l’allaitement, et plus généralement la fonction nourrissière des mères qui est la base des inégalités de genre dans l’humanité ! Mais au delà de cette prise de position somme toute invérifiable, certains sociologues, statistiques à l’appui, montrent que l’augmentation substantielle du travail des femmes au XXeme siècle est due avant tout à l’arrivée des substituts de lait maternel. Et l’article de citer une étude de 2009 :

« The introduction of formula and advances in obstetrics are significant explanators of women’s increased labor force participation over the twentieth century »

Nous voilà donc devant une sacré injonction paradoxale :

Pour les pouvoirs publics, une femme doit allaiter son enfant sur une longue durée. Mais elle doit aussi travailler. Et gagner autant que les hommes. Ce qui est rendu impossible par l’allaitement lui-même.

Bref, la société demande donc aux femmes d’être « des hommes comme les autres« , et de plus, sans que cela n’ait aucune conséquence sur leur activité professionnelle, d’allaiter pour de longues durées.

Il existe certes des dispositifs d’aide à l’allaitement dans les milieux professionnels (un local et un frigo doivent pouvoir être prévus pour que les mères tirent et stockent leur lait, une « heure d’allaitement » par jour doit pouvoir être allouées aux mères allaitantes, …). Ils sont néanmoins très insuffisamment proposés, et utilisés.
Les auteurs militent donc pour l’inscription dans la loi (américaine) d’un véritable DROIT A L’ALLAITEMENT, qui pourrait se traduire par exemple par une allocation destinée à diminuer l’impact économique d’un allaitement de longue durée. Ce droit fondamental permettrait aussi un changement profond de mentalité vis-à-vis des mères allaitantes, qui rendrait  (enfin) compatibles l’allaitement et le travail.
Ainsi, d’après cet article, tant que la promotion de l’allaitement restera au stade de publicités et « d’encouragements », seuls les femmes qui ont des moyens suffisants, c’est-à-dire des classes les plus aisées, pourront envisager d’allaiter longtemps, comme cela est préconisé. Les inégalités sociales se retrouvent ainsi au coeur de ces débats :
« Because Breastfeeding promotion focuses almost exclusively on encouraging women to breastfeed – without providing adequate economic and social supports to facilitate the practice – it reproduces gender, class, racial inequality.« 

 

Finalement, je n’apporterais qu’une nuance (mais de taille) à ces propositions. L’idée d‘une allocation pour l’allaitement est intéressante, mais a pour conséquence de stigmatiser les femmes qui font le choix d’un autre mode d’alimentation de leurs enfants. Pourquoi seules celles qui décident d’allaiter pourrait bénéficier de cette allocation, qui permettrait un maternage plus soutenu ? Est-ce que ce qui est « coûteux », n’est pas le temps nécessaire au soin de son enfant, au delà de sa simple alimentation ? Je ne pense pas par exemple que les vertus, en terme de santé publique, de l’allaitement proviennent uniquement de la qualité du lait maternel, et que la qualité de la relation mère-enfant, qui nécessite du temps, de l’énergie, joue un grand rôle. Dans ce cadre, pourquoi limiter cette allocation aux femmes allaitantes ? Il me semble que la meilleure des choses en terme de santé publique, et de permettre aux parents (et non uniquement à la mère) de prendre le temps lors de la naissance de leurs enfants. J’aurais tendance à privilégier, plutôt qu’une allocation, des congés de maternité et de paternité beaucoup plus long que ceux qui existent actuellement.
Source : « Is Breatfeeding Truly Cost Free ? Income Consequences of Breasfeeding for Women » Rippeyoung P.L.F., Noonan M.C. American Sociology Review 2012, 77 (2), p 244-267
[Une petite précision : cette étude a été menée grâce à des statistiques américaines. Je crois personnellement néanmoins qu’elle est parfaitement transposable à la situation française, compte tenu des obstacles de même nature qui existent à l’allaitement et au maternage. ]

>Et @vous, c’est quand que vous êtes de bonne #humeur ?

>On se réveille de mauvais poil ? On pète la forme à midi ? un coup de blues à l’heure du goûter, et le moral dans les chaussettes avant de se coucher ?
Je ne sais pas exactement pourquoi, mais ça passionne certains sociologues, de savoir quand, dans la journée, on est de meilleure ou de plus mauvaise humeur. Faut dire que cela pourrait intéresser les publicitaires : on ne va pas faire de la pub pour des antidépresseurs au moment où l’on voit la vie en rose ! Ni pour une voiture hors de prix symbolisant la joie de vivre au moment où l’on déprime…
Bref, un certain nombre de papiers sont sortis ces dernières années, pour explorer nos humeurs quotidiennes. Et ils se contredisent tous. Basés sur les déclarations d’un panel de volontaire, ou de questionnaires, les pics de bonnes ou mauvaises humeurs arrivent, globalement, soit le matin, soit l’après midi, soit le soir selon les études. On est bien avancé…
Il semble qu’un des problèmes principaux, est d’origine méthodologique. Les données récoltées ne sont pas assez nombreuses, biaisées par le chercheur, le cobaye, etc. Et c’est là que des sociologues ont eu l’idée de recourir à une base de donnée immense, gratuite, internationale, … Twitter ! Du coup, l’étude qui est parue dans Science au mois de septembre est basée sur un panel de 2,4 millions de personnes, et de 509 millions de messages postés. De quoi donner le vertige aux PC chargés d’analyser le lexique de ces messages et de les catégoriser en « positive affect » (PA) ou « negative affect » (NA). Ce n’est pas la première fois qu’une étude sociologique prend pour « terrain » les réseaux sociaux publics, mais il faut avouer que le corpus de départ est époustouflant. Toutes les régions du monde sont représentées, et les données sont recueillies 24h sur 24 ! Les résultats ont le mérite d’être très cohérent, quelque soit le continent. Les gens se réveillent plutôt de bonne humeur, et celle-ci décroît tout au long de leur journée de travail, puis remonte le soir. Le week-end, le moral est meilleur, et le pic de « PA » du matin apparaît 2 heures plus tard que pendant la semaine, signe de grass’ mat’ généralisée ! Et puis, pour les variations annuelles : plus le jour est long, meilleure est l’humeur !

Ce qui est dommage dans ce travail, c’est le biais, hélàs inévitable, que créé la base de donnée. Ne participe pas à Twitter un échantillon représentatif de la population ! Les habitants des bidonvilles du Caire, ou de Bombay ne sont pas vraiment représentés. Ni les personnes âgées, les plus jeunes, les illettrés. Et puis, puisque les tweets traités ont aussi été postés pendant la journée, il s’agit de personnes ayant un smartphone, ou travaillant sur un ordinateur !! De quoi réduire considérablement la portée de l’étude…
Pour lire les résultats, il faut donc placer « Utilisateurs de Twitter » à la place de « personnes ». Mais la conclusion générale semble universelle :

Pour être plus heureux : Dormons plus, Travaillons moins !!

 

Source : Diurnal and Seasonal Mood Vary with Work, Sleep, and Daylength Across Diverse Cultures, Golder S.A., Science 2011, 333, 1878-1881