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[Science Et Genre] #3 Les stéréotypes sur les femmes font mauvais ménage avec ceux sur les disciplines universitaires

Une étude vient de paraître dans le journal scientifique « Science« , et propose une explication à la (très) inégale répartition des femmes dans les disciplines universitaires. Plutôt que de s’appesantir lourdement sur des prétendues différences dans les qualités intrinsèques des genres (du type : les femmes sont sensibles aux émotions des autres, les hommes ont une meilleure vision dans l’espace, etc… beurk), les auteur-e-s sont allé-e-s voir comment les stéréotypes de genre entrent en résonance avec les stéréotypes qui hantent les disciplines universitaires.

Pour cela, S.J. Leslie et les autres auteur-e-s, de Princeton, ont étudié la répartition femmes-hommes chez les étudiants ayant obtenus leur doctorat dans diverses disciplines aux USA en 2011.

Il es bien connu que les femmes sont sous-représentées dans les matières scientifiques « dures », comparées aux sciences humaines. Mais au-delà de cette généralité, les différences entre disciplines restent très importantes : Si les femmes représentent moins de 20 % des doctorats en physique ou en informatique, elles sont majoritaires en neurosciences et en biologie moléculaire. De la même façon, en sciences humaines, elles ont passé plus de 70 % des doctorats en psychologie et histoire de l’art, mais moins de 35 % en économie et philosophie.

Pour tenter d’expliquer ces différences, les auteur-e-s ont passé au crible quatre hypothèses :

  • La sélectivité des filières : y a-t-il moins de femmes dans les filières considérées comme les plus sélectives ? Cette hypothèse part de l’idée, souvent admise mais heureusement controversée, que la répartition dans les courbes d’aptitude est inégale, et que les femmes sont sous-représentées parmi les meilleurs éléments…
  • L’exigence de travail des filières : y a-y-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’un plus gros volume horaire travail est nécessaire ? ( avec une sous-distinction entre les heures de travail sur place et chez soi)
  • La façon de penser mis en avant dans les filières : est-ce une pensée systématique et rationnelle qui est privilégiée, ou une pensée dirigée vers la compréhension des idées et des émotions ? Y-a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’une pensée rationnelle est primordiale ?
  • L’importance de la douance dans les filières : est-ce que la réussite est subordonnée avant tout par les capacité intrinsèques (innées, j’allais dire) des étudiants ? Y a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré que les capacités individuelles priment sur l’apprentissage ?

A travers ces quatre hypothèses, on voit se dessiner une correspondance entre les stéréotypes liées aux disciplines universitaires (la douance, l’exigence de travail, etc.) et les stéréotypes liées au genre (courbes d’aptitude inégales, pensée systémique/empathique, etc.). Pourtant, le travail statistique des auteur-e-s montrent qu’uniquement la dernière hypothèse est pertinente pour expliquer les inégalités de répartition entre femmes et hommes.

Systématiquement, les trois premières hypothèses n’ont pas montré de corrélations statistiques pertinentes avec les inégalités de répartition. Les femmes pénètrent aussi bien les filières sélectives que les hommes, les volumes horaires que ce soit sur place ou en dehors, ou totaux ne créent pas d’inégalité de genre. Le type de pensée est statistiquement corrélé à la proportion femmes-hommes si on considère l’ensemble des disciplines. Mais si l’on se place dans le sous-groupe « science dure » ou dans le sous-groupe « sciences humaines », il n’y a plus de corrélation.

Quelque soit le sous-groupe de disciplines, ou si on considère l’ensemble des 30 disciplines étudiées dans cet article, plus les capacités innées sont considérées comme primordiales pour réussir dans la discipline, moins les femmes y sont présentes. Ainsi, la philosophie, les mathématiques, la musique, ou encore l’économie et la physique ( sont des disciplines où les femmes sont très peu présentes (moins de 15 % pour la physique, moins de 33 % pour la philosophie) . Et a contrario, La biologie moléculaire, les sciences de l’éducation, la psychologie ou les neurosciences (de 50 % pour les neuroscience, à 71 % pour la psychologie).

Les auteur-e-s ne se sont pas focalisés que sur les inégalités de genre. Les afro-américains souffrant aux USA des mêmes stéréotypes que les femmes, ils ont soumis aux mêmes hypothèses les inégalités de représentation des noirs américains, et le résultat a été le même : les noirs sont sous-représentés avant tout dans les disciplines où la douance est mise en avant. Par contre, les inégales répartitions des américains d’origine asiatique ne sont corrélées à aucune des quatre hypothèses, ceux-ci ne subissant pas les mêmes stéréotypes…

La transposition d’une telle étude à la situation française pose bien sûr des questions. Les stéréotypes, tant sur les genres et sur l’origine des étudiant-e-s, que sur les disciplines universitaires peuvent se trouver différents. Il me semble néanmoins qu’on les retrouve assez largement ne serait-ce qu’en étudiant les répartitions femmes-hommes dans les classes préparatoires aux grandes écoles ou dans les préparations aux concours comme l’agrégation. La lutte contre de tels stéréotypes nécessitent un gros travail sur la représentation des femmes mais aussi sur les disciplines universitaires. L’enseignement supérieur en a-t-il les moyens ? Et surtout, en a-t-il l’envie ?

 

« Expectations of briliance underlie gender distributions across academic disciplines » Sarah-Jane Leslie et al., Science 347, 262 (2015)

Le corail et le gobi…

Les histoires de symbioses entre des animaux et des végétaux sont souvent fascinantes. La plus connue est peut-être celle qui concerne les fourmis et les acacias. Par exemple, les fourmis Pseudomyrmex ferruginea avec l’acacia cornigera. Cet arbre assure en quelque sorte le gîte et le couvert pour les fourmis : Elles peuvent vivre dans les grosses épines creuses à la base des feuilles, et se nourrir de sécrétions produites spécialement pour elles par l’arbre (ce sont les petites excroissances blanches que l’on aperçoit au bout des feuilles sur la photo).

A la base de la feuille, on voit une « épine » qui peut accueillir en son sein les fourmis. En blanc, au bout des feuilles, les corps beltiens

En échange, elles combattent les prédateurs : réputées très agressives, elles éloignent les autres insectes, parasites, voire même herbivores de l’arbre colonisé. Elles font même le ménage au pied de l’arbre, supprimant les végétaux susceptibles de lui voler de la lumière !

En fait, juste en aparté, c’est la trilogie des « fourmis », par B. Werber, qui m’a fait un peu connaître cette histoire. A la fin du collège et au lycée, j’avais trouvé ces ouvrages formidables, géniaux, savants et généreux. Bon, j’en suis sacrément revenu, mais malgré les imprécisions qui frôlent parfois la malhonnêteté scientifique, je le conseille vivement à tous les jeunes intéressés par les sciences du vivant. Histoire d’apprendre à être curieux ! (Et, en vieillissant, à apprendre que c’est franchement pas rigoureux!)

Revenons à nos moutons… euh, à nos fourmis… euh, à nos gobis… Oui, parce qu’au départ, ce n’est pas de fourmis et d’acacias dont je voulais parler, mais d’une symbiose du même type… au fond des océans. Les récifs coralliens renferment une biodiversité extraordinaire, et c’est donc bien normal que l’on cherche dans ces endroits tout type de symbiose, mutualisme, parasitisme… Vous connaissez tous le joli poisson clown dans son anémone, non ? Protégé de la toxicité des anémones par un mucus, il se protège de ses prédateurs en se cachant au milieu des tentacules venimeuses. L’anémone tirerait elle aussi partie de son symbiote, de façon plus ou moins directe (voir wikipedia pour des premières idées sur le sujet)

Auteur : Nick Hobgood

Mais ce n’est pas non plus de cette relation mutualiste dont je voulais parler. Dans le numéro du 9 novembre 2012 de Science, il est reporté un mutualisme entre certains coraux et des poissons de la famille des gobis.

Dans ces récifs, il existe une lutte continuelle entre les coraux d’une part, et les algues d’autre part. Bien sûr, les coraux, c’est les gentils, qui permettent une très grande diversité de faune et de flore, qui offrent multiples abris contre les prédateurs et contre le courant. Les algues, ce sont les méchantes, beaucoup moins menacées par la surpêche, le réchauffement climatique, etc.

Cet article parle en particulier d’une algue, chlorodemsis fastigiata, et un type de corail parmi les plus courants et les plus beaux, Acropora Nasuta.

chlorodemsis fastigiata (Lovell and Libby Langstroth)

Acropora Nasuta (Gustav Paulay)

 

 

 

 

 

 

 

Cette algue pousse au pied des coraux, et les intoxique chimiquement.

[En fait, des tests ont été réalisés avec cette algue versus une fausse algue en nylon, et cette dernière n’a eu quasiment aucun effet sur l’activité photosynthétique du corail, contrairement à la vraie algue qui l’a inhibé d’environ 80 %. D’où la conclusion qu’il s’agissait bien d’une agression chimique.]

Heureusement, des poissons herbivores habitent ces coraux. Et ils nettoient consciencieusement les abords de leur hôte, qui leur offre, comme l’acacia pour les fourmis, le gîte et le couvert. On peut là encore parler de mutualisme, où chacune des espèces rend service à l’autre. [C’est rapidement dit pour le corail, qui est déjà lui même un « super-organisme », constitué d’une colonie de polype, vivant en symbiose avec du phytoplancton ou des algues photosynthétiques, les zooxanthelles, ainsi qu’avec diverses bactéries,…].

Cependant, les diverses espèces de poisson ne se comportent pas forcément de la même manière, vis-à-vis de l’algue C. Fastigiata. Là où une première espèce de gobi consomme cette algue, (Gobiodon histrio), l’autre testée (Paragobiodon echinocephalus) se contente de s’en débarasser. (D’autres espèces testées préfèrent, elles, abandonner le corail menacé par l’algue ! ). La raison est à peu près simple : Le G. Histrio sécrète un mucus toxique, qui le protège de ses prédateurs, et manger ces algues, toxiques elles-même, augmente leur toxicité ! Le P. Echinocephalus, n’étant pas toxique, la consommation de cette algue ne lui est pas bénéfique, et se contente de l’éliminer de la proximité du corail. Bref, pour le G. Histrio, non seulement se débarasser de l’algue C. Fastigiata lui permet de préserver son lieu d’habitat, mais en plus, cela le rend plus dangereux pour ses prédateurs ! La classe !

Gobiodon Histrio (J.E. Randall)

Paragobiodon Echinocephalus (J.T. Williams)

 

Une dernière chose : ce qui est un peu surprenant, c’est que les auteurs de cette étude on vérifié que la toxine de l’algue n’était tout simplement pas la même que celle du poisson, et que le poisson pouvait être toxique, sans la consommation de l’algue… Ce qui indique un mécanisme de production du poison sans doute plus complexe que si le gobi se contentait de réutiliser celui de l’algue…

Source :

Corals Chemically Cue Mutualistic Fishes to Remove Competing Seaweeds Danielle L. Dixson and Mark E. Hay, Science 2012, 338, 804

 

 

Un anticancéreux contre Alzheimer ?

On ne peut pas vraiment échapper à cette information : le Bexarotène, anticancéreux utilisés pour certains type de cancers de la peau, serait très, très efficace contre la maladie d’Alzheimer (Source : Science ou ici, plus court pour le grand public ). Une très bonne nouvelle sans aucun doute, pour les chercheurs qui souhaitent comprendre la maladie. Les malades et leur famille, eux ne doivent pas se réjouir trop vite, hélas.

Alois Alzheimer, « inventeur » de la maladie du même nom

Une chose qu’il ne faut jamais oublier : quelque soit l’anticancéreux, ces médicaments ne sont jamais anodins. Le principe d’action, pour la majeure partie de ces composés, c’est : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Autrement dit : dévastez tout sur votre passage, et les cellules saines ont (un tout petit peu) plus de chance de s’en sortir que les cellules de la tumeur. Par exemple, le cis-platine, qui permet de soigner 90 % des cancers des testicules lorsqu’il est pris à temps, a une toxicité très aigue pour les reins. La doxorubicine, traitement de référence pour les cancers du sein, pose de graves problèmes cardiaques, parfois irréversibles lorsque le traitement est lourd. La liste n’est évidemment pas exhaustive…

Alors, le Bexarotène ? Et bien il ne fait pas exception. 

Bexarotène (Wikipedia)

Commercialisé sous le nom de Targretin, ce médicament a des effets secondaires lourds, et surtout très fréquents. Ainsi, plus de 10% des patients traités par le Bexarotène auront comme effet secondaire :

  • une leucopénie :  (chute du nombre de globules blancs) le patient est plus sensible aux infections (système immunitaire affaibli)
  • une hypothyroidie : la thyroide fonctionne au ralenti, d’où une asthénie, faiblesse musculaire, prise de poids importante, chute de cheveux…
  • un prurit, des éruptions cutanées

Sans parler des effets « fréquents » (1 à 10 % des patients): douleurs musculaires, squelettiques et abdominales, troubles hormonaux, nausées, diarrhées, étourdissements, … Une liste assez exhaustive est accessible ici. Compte tenu de ces effets, l’intérêt même d’un traitement au long court par ce médicament me semble douteux.

Alors, que faire de cette étude, que faut-il en attendre ?

Le bexarotène agit sur une protéine, nommée RXR (pour Retinoid X receptor), qui intervient à la fois dans certains cancers, et dans cette maladie neuro-dégénérative qu’est la maladie d’Alzheimer. Il est à noter que c’est actuellement un composé très efficace sur le RXR, tout en épargnant les protéines de la même famille. Ce qui lui permet d’avoir un « profil toxicologique » beaucoup plus acceptable que ses concurrents. Il reste, en fait, trois possibilités pour le traitement de cette maladie par ce composé:

  • Soit les doses nécessaires pour l’homme pour faire régresser la dégénérescence sont très faibles, et dans ce cas, le Bexarotène peut être utilisé, y compris pour des stades de la maladie peu avancés
  • Soit, et cela tient quasiment du miracle selon moi, un traitement de courte durée par le Bexarotène permet l’arrêt (définitif) de la progression de la maladie
  • Soit, et c’est sans doute la plus forte probabilité, le Bexarotène agit correctement à dose importante, mais son effet ne dure pas dans le temps.

Dans ce dernier cas, qui me semble le plus raisonnable, ce traitement pourra peut-être aider les personnes gravement atteintes, pour qui le rapport bénéfice/inconvénient sera positif, malgré les effets secondaires. Exit donc, le rêve d’une prise en charge précoce de la maladie, sous peine de voir le patient souffrir davantage des effets du médicaments, que de la maladie…

Enfin, cette étude met surtout en lumière qu’on a peut-être trouvé LA protéine à cibler. Et là, le travail reste considérable.  Mais au moins, on sait où chercher. Et cela est un progrès immense dans cette maladie si répandue, si méconnue.

[Je n’ai pas parlé ici des souris « modèles » sur lesquelles ont été testés ce médicament. Très très rapidement: ce sont des souris à qui on a modifié le patrimoine génétique afin d’avoir les symptômes de la maladie d’Alzheimer, et le même type de dégénerescence physiologique. Ce modèle reste néanmoins imparfait, car ces souris n’ont pas réellement la maladie d’Alzheimer qui ne semble pas être d’origine génétique]

Sources :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_d’Alzheimer

http://en.wikipedia.org/wiki/Bexarotene

ApoE-Directed Therapeutics Rapidly Clear β-Amyloid and Reverse Deficits in AD Mouse Models P.E. Cramer et al., Science, 2012, Publié en ligne le 9 février 2012

>Et @vous, c’est quand que vous êtes de bonne #humeur ?

>On se réveille de mauvais poil ? On pète la forme à midi ? un coup de blues à l’heure du goûter, et le moral dans les chaussettes avant de se coucher ?
Je ne sais pas exactement pourquoi, mais ça passionne certains sociologues, de savoir quand, dans la journée, on est de meilleure ou de plus mauvaise humeur. Faut dire que cela pourrait intéresser les publicitaires : on ne va pas faire de la pub pour des antidépresseurs au moment où l’on voit la vie en rose ! Ni pour une voiture hors de prix symbolisant la joie de vivre au moment où l’on déprime…
Bref, un certain nombre de papiers sont sortis ces dernières années, pour explorer nos humeurs quotidiennes. Et ils se contredisent tous. Basés sur les déclarations d’un panel de volontaire, ou de questionnaires, les pics de bonnes ou mauvaises humeurs arrivent, globalement, soit le matin, soit l’après midi, soit le soir selon les études. On est bien avancé…
Il semble qu’un des problèmes principaux, est d’origine méthodologique. Les données récoltées ne sont pas assez nombreuses, biaisées par le chercheur, le cobaye, etc. Et c’est là que des sociologues ont eu l’idée de recourir à une base de donnée immense, gratuite, internationale, … Twitter ! Du coup, l’étude qui est parue dans Science au mois de septembre est basée sur un panel de 2,4 millions de personnes, et de 509 millions de messages postés. De quoi donner le vertige aux PC chargés d’analyser le lexique de ces messages et de les catégoriser en « positive affect » (PA) ou « negative affect » (NA). Ce n’est pas la première fois qu’une étude sociologique prend pour « terrain » les réseaux sociaux publics, mais il faut avouer que le corpus de départ est époustouflant. Toutes les régions du monde sont représentées, et les données sont recueillies 24h sur 24 ! Les résultats ont le mérite d’être très cohérent, quelque soit le continent. Les gens se réveillent plutôt de bonne humeur, et celle-ci décroît tout au long de leur journée de travail, puis remonte le soir. Le week-end, le moral est meilleur, et le pic de « PA » du matin apparaît 2 heures plus tard que pendant la semaine, signe de grass’ mat’ généralisée ! Et puis, pour les variations annuelles : plus le jour est long, meilleure est l’humeur !

Ce qui est dommage dans ce travail, c’est le biais, hélàs inévitable, que créé la base de donnée. Ne participe pas à Twitter un échantillon représentatif de la population ! Les habitants des bidonvilles du Caire, ou de Bombay ne sont pas vraiment représentés. Ni les personnes âgées, les plus jeunes, les illettrés. Et puis, puisque les tweets traités ont aussi été postés pendant la journée, il s’agit de personnes ayant un smartphone, ou travaillant sur un ordinateur !! De quoi réduire considérablement la portée de l’étude…
Pour lire les résultats, il faut donc placer « Utilisateurs de Twitter » à la place de « personnes ». Mais la conclusion générale semble universelle :

Pour être plus heureux : Dormons plus, Travaillons moins !!

 

Source : Diurnal and Seasonal Mood Vary with Work, Sleep, and Daylength Across Diverse Cultures, Golder S.A., Science 2011, 333, 1878-1881

>Mieux vaut être blanc (et riche) que noir (et pauvre)… Aussi dans la recherche !

>Aux USA, la question de l’accessibilité aux grandes universités, et aux programmes de recherche pour les « minorités raciales » a été soulevée depuis de nombreuses années, et plusieurs outils sont en place depuis les années 60-70. Quotas à l’entrée dans le supérieur, « Minority programs » (en place au National Institute of Health (NIH), à la NASA, à l’Université de Californie (UCI),…). Bref, tout est beau dans le meilleur des mondes grâce à la discrimination positive !
Et voilà que des chercheurs mettent le nez là-dedans, et que cette belle image se trouve quelque peu ternie… Dans un papier de Science, on apprend que les chercheurs américains noirs ont moins de chances que les hispaniques, blancs, ou asiatiques d’obtenir des subventions. 10 % de moins. Et ce, après s’être assuré que les biais concernant le parcours universitaire, la qualité des publications antérieures, la nationalité sont bien levés !

Probabilité d’obtention d’une subvention de la part du NIH en fonction de la « race » du demandeur (« Toute chose étant égale par ailleurs »)

Soyons honnête, je ne suis pas au courant de la situation en France. Dans mon domaine, en chimie organique, je n’ai jamais rencontré qu’un seul chercheur (devenu depuis professeur d’université) qui soit noir (et encore, antillais…)… Ce n’est certainement pas le seul, mais bon…difficile de faire des statistiques.
Et surtout, n’oublions pas la place faite aux femmes dans la recherche française, bloquées au rang de Maître de conférences ou chargées de recherche au CNRS (38,5 % des MdC sont des femmes), et trop rarement Professeure et Directrice de recherche (16 % des profs de fac…). (Un blog entier ne serait pas suffisant pour relater tout ce que j’ai entendu en seulement 4 ans sur les femmes dans la recherche en chimie)

Camarades, encore un effort …

Sources :
« Race, Ethnicity and NIH Research Award  » Ginther et al., Science, 2011, 333, 1015-1019

>Le stress du dominant… chez les babouins

>Le stress n’est pas uniquement une notion humaine : les animaux ont souvent leur dose. Prédations, maladies, luttes pour la dominance du groupe, manque de nourriture, surpopulation, ces facteurs influencent l’état des animaux. Chez les animaux destinés à l’alimentation, le stress doit être bien géré, puisqu’il influe directement sur la qualité de la viande [1]!

Même si le « stress » est difficile à définir, on peut le mesurer aux taux de certaines hormones, comme par exemple le cortisol, ou encore la noradrénaline. Dans l’étude qui nous intéresse, c’est chez les babouins qu’on a cherché à évaluer le « stress » vécu par les différents individus, suivant leur statut social, mâles dominants alpha (les plus hauts placés), beta (ceux qui arrivent juste en dessous) et les autres (les « omega ») [2]. 
Les études réalisées chez des primates ont jusqu’alors présenté des résultats différents : parfois les dominants étaient plus stressés, parfois… non. En particulier, des études menés par R.M. Sapolsky (un des pionniers dans ce domaine), tendait à prouver que les dominants étaient moins stressés que les autres en période de stabilité hiéarchique, mais que la situation s’inversait lors de périodes instables.

Pour ces travaux, les chercheurs ont étudiés les taux de cortisol dans les matières fécales d’une grande population de babouins pendant 9 ans. Première constatation, chez ces babouins, le stress augmente en période d’instabilité. Chez tous les babouins, des chefs aux sous-fifres ! Bref, pas d’inversion entre les différentes catégories. Seconde constatation, et beaucoup plus surprenante : alors que les sous-chefs (les « beta ») ne sont pas trop stressés, voilà que les « alpha » se retrouvent au même niveau (élevé) de stress que les « omega » ! D’après les auteurs, être le grand manitou, c’est dépenser plus d’énergie, car on passe plus de temps à se battre, et à …batifoler. Même si les sous-chefs se battent et batifolent aussi, c’est moins souvent, et ça prend moins de temps. Quant aux omegas, s’ils sont stressés, c’est qu’ils mangent moins ! 

Vous l’aurez compris, chez les babouins, être sous-chef, ça a du bon ! Bien sûr, ces travaux n’ont rien de transposable aux humains, dont les relations sociales sont beaucoup plus complexes. A quand, des études sur les matières fécales humaines dans des grandes entreprises, ou au gouvernement ?


Sources :
[2]L.R.Gesquiere et al., Science 2011333357

>Photosynthèse vs photovoltaïque : le match du renouvelable !

>Qu’est-ce qui est le plus efficace ? la technologie humaine, le photovoltaïque, ou une des grand-oeuvres de dame nature, la photosynthèse ?
Il faut bien comprendre l’enjeu de ce type de question : le soleil envoie sur terre environ 120000 Tera-Watts ( soit  Watts !!), là où les besoins de l’humanité entière sont estimés à 15 Tera-Watts… Bref, l’énergie renouvelable viendra du soleil ou ne viendra pas.

La photosynthèse, pour résumer simplement, consiste en la transformation photochimique du dioxyde de carbone atmosphérique et de l’eau en glucose et dioxygène (pour les chimistes, il ne s’agit de rien d’autre que d’une réaction d’oxydoréduction entre l’eau, le réducteur, et le dioxyde de carbone, l’oxydant) :

Avantages : 
  • Approuvée par mère nature depuis plus de 3 milliards d’année
  • Produit directement de l’énergie stockable facilement
Inconvénients :
  • Nécessite de l’eau
  • rendement maximal obtenu : 3 % dans des bioréacteurs optimisés (par l’homme)
Il faut bien voir que le processus de photosynthèse est limité par deux points principaux : Le premier, c’est que les pigments qui permettent d’initier le processus, la chlorophylle, ne récolte qu’une faible partie du rayonnement solaire (qu’environ 1/3 du spectre de la lumière visible, pas d’infrarouge ni d’ultraviolet). Alors forcément, ça limite beaucoup l’efficacité. L’autre soucis, et non des moindres, c’est que la photosynthèse n’est pas la raison d’être d’un organisme. le but d’un végétal chlorophyllien n’est pas de produire avant tout du glucose et de croître. Il se développe selon d’autres paramètres (son environnement, son patrimoine génétique, sa reproduction) qui impose une dépense d’énergie. Bref, on ne peut pas récupérer toute l’énergie produite, la plante se sert avant !
L’avenir :
  • Les OGM bien sûr. En utilisant de la chlorophylle issue de certaines cyanobactéries (dont le spectre d’absorption est bien plus large), et en optimisant les processus naturels, on pourrait imaginer obtenir des rendements meilleurs… mais forcément limités (environ 30 % de l’énergie produite par photosynthèse est utilisée pour les fonctions vitales de l’organisme)
Le photovoltaïque, consiste en l’exploitation de l’effet photoélectrique : un photon peut, s’il a la bonne énergie, éjecter un électron d’un matériau. Il s’agit ensuite de choisir les bons matériaux, et de se débrouiller pour que l’électron éjecté soit récupéré dans le circuit électrique que l’on souhaite alimenter…  Bref, ça fonctionne avec des semi-conduteurs et des jonctions P-N, mais on ne va pas entrer dans les détails.

Cependant, pour pouvoir le comparer avec la photosynthèse, il faut coupler les cellules photovoltaïques avec un électrolyseur, qui va synthétiser du dihydrogène et du dioxygène à partir de l’eau. (autrement dit, on va stocker l’énergie sous forme d’énergie chimique, comme dans le cas de la photosynthèse.

Avantages :
  • Le rendement : même en comptabilisant les pertes liées aux rendements de l’électrolyse de l’eau, on arrive à plus de 20 % pour des cellules simples, et jusqu’à 66 % avec des cellules multijonctions !
  • Ne nécessite pas d’eau
  • La production énergétique est immédiate (pas besoin d’attendre que la plante veuille bien pousser…)
Inconvénients :
  • Technologie coûteuse en argent et en énergie : on estime à 2 / 3 ans le temps de fonctionnement nécessaire à une cellule photovoltaïque pour produire autant d’énergie qu’on en a dépensé pour la fabriquer…
  • Technologie fragile ; et lorsqu’une cellule est cassée, on ne la répare pas, on la change.
  • Certains dopants, comme l’indium, nécessaire pour la fabrication des cellules, se raréfient sur Terre : les prix montent, et il apparaît la nécessité de développer d’autres technologies. 

On le voit, le photovoltaïque remporte le concours du rendement haut la main. Cependant, les coûts, la difficulté de fabrication, et la fragilité du capteur posent de réels soucis.

L’avenir :

  • Les études vont dans le sens de la minimisation des coûts de fabrication de ces cellules, déjà très performantes
  • D’autres matériaux sont envisagés, et en particulier des composés organiques, mais le spectre d’absorption de ces matériaux est pour l’instant trop étroit et ils sont trop sensibles à l’oxydation par le dioxygène.

Pour conclure, je me demande si l’avenir de la production énergétique réside bien dans une de ces deux technologies… Et si c’étaient les centrales solaires « thermodynamiques » ? Le principe est simple (pour une fois !) un fluide est chauffé par des miroirs concentrant la lumière, et ce fluide vient chauffer de l’eau, qui va entraîner des turbines, tout comme dans une bonne vieille centrale thermique, ou nucléaire… Des projets gigantesques sont en cours d’évaluation, comme le projet Desertec, qui pourrait fournir à l’Europe un quart de ses besoins en électricité à l’horizon 2050… Je vous laisse le soin de naviguer sur internet pour les détails, c’est déjà traité abondamment…

Sources :

  • « Comparing Photosynthetic and Photovoltaic Efficiencies and Recognizing the Potential for Improvement » R. Blankenship et al. Science 2011, 6031, 805-809
  • Wikipedia bien sûr !

>Le patrimoine génétique des cancers

>Les cancers sont liés, de manière (quasi) certaine, à des mutations dans le code génétique. A force de se diviser encore et encore, à force de vieillir, l’ADN des cellules s’altère, et des erreurs, par ci et par là, apparaissent. A vrai dire, à chaque division cellulaire, plusieurs mutations apparaissent. Heureusement, plusieurs raisons font que ces mutations n’entraînent pas de formation de tumeur :

  • La plus grande partie de l’ADN est « non-codante » : elle ne contient pas d’information génétique : une modification de l’ADN non codant n’a donc aucune conséquence
  • Certains modifications de l’ADN codant sont insignifiantes, et n’occasionne aucun changement dans le fonctionnement des cellules
  • Certaines modifications de l’ADN sont tellement significative, que la cellule meurt
  • Certaines modifications sont significatives, mais tout un tas de protéines régulatrices « réparent » les erreurs, et tout continue correctement.
On pourrait bien sûr détailler durant des heures, des vies entières chacun de ces points, parler du rôle du système immunitaire, parler de sénescence de certaines cellules, d’apoptose… Mais je voulais en venir ailleurs.
Les chercheurs s’interrogent souvent sur le nombre minimal de mutation nécessaire pour qu’une cellule évolue en cancer. Il semblerait que le nombre soit assez restreint. Un article récent paru dans Science parle d’un nombre moyen de 11 mutations pour les medulloblastomes (cancer du cerveau chez les enfants), soit 5 à 10 fois moins que dans la plupart des cancers d’adultes. Même si c’est relativement peu, il faut bien imaginer que cela correspond à des mutations bien précises dans des gènes bien précis, et donc que la plupart d’entre nous serons concernés par des cancers qu’en toute fin de vie.
Cette quête aux mutations nécessaires et suffisantes pour obtenir un bon cancer est un travail formidable, qui aura forcément comme conséquence la mise au point de chimiothérapies efficaces, et ciblées contre ces quelques gènes défaillant.
Mais je me suis souvenu d’une image que l’on m’avait présenté à la fac. Un caryotype d’une cellule cancéreuse.
Alors voilà, côte à côte, un caryotype de cellule saine, et celui d’une cellule cancéreuse :

             
Vous reconnaissez sans doute le caryoptype normal à gauche, avec ces 22 paires de chromosomes (plus les X et Y). Et celui de droite, d’une cellule de tumeur du sein : jusqu’à 7 chromosomes identiques au lieu d’une paire, certains tronqués, d’autres au contraire très longs… Ce qu’il s’est passé ? une absence totale de régulation lors de la réplication de l’ADN dans la cellule cancéreuse. A partir de quelques mutations, bien mal tombées, on finit par obtenir un patrimoine génétique délirant. Et à chaque division cellulaire, cet « anarchisme » génétique évolue encore, avec de nouvelles mutations… 
D’où la difficulté de les combattre… Imaginer que les cellules cancéreuses sont comme des cellules saines, mais ayant acquises juste quelques caractéristiques supplémentaires les ayant rendues agressives semble négliger cette pagaille génétique, et ces mutations permanentes… Mais quelle autre approche pour la recherche médicale ?
Sources :