Archives pour la catégorie Science de la vie

Gif de Science #9 Les graines du Pétunia « fleurs poilues » sauvage

Comment disperser ses graines le plus efficacement possible ? Ce pétunia sauvage à fleurs poilues a adopté la stratégie d’éjecter violemment ses graines le plus loin possible !

Ces graines, de forme de disques, sont projetées à 15 m/s, et tournent sur elle-mêmes jusqu’à des fréquences de 1600 Hz selon cette dernière étude. Ce mouvement de rotation permet d’offrir un vol plus long… Jusqu’à 7 mètres !

Observez bien les petits points noirs qui partent de la fleur en bas à droite… Ce sont les graines !

Cooper ES, Mosher MA, Cross CM, Whitaker DL. 2018 Gyroscopic stabilization minimizes drag on Ruellia ciliatiflora seeds. J. R. Soc. Interface 15: 20170901.

Gif de science… #1 Triops

Une petite série d’articles courts, qui viennent illustrer (à moins que ce ne soit le contraire !) une ou deux images animées GIF… ça vous dit ?

Il y a quelques semaines, on a acheté un kit pour élever des triops au petit dernier de la famille… Et contre toute attente, on en a eu un, qui aujourd’hui fait 3-4 cm de long…

L’internet mondial regorgeant d’infos sur les triops, il serait inutile de s’étendre dessus pendant longtemps. Présentés comme des « animaux préhistoriques », ces crustacés présents un peu partout sur Terre, avaient des ancêtres remarquablement proches morphologiquement il y a 200 millions d’années. Mais Wikipédia vous renseignera très efficacement !

Sur ce Gif, deux choses sont sympas à noter :

  • Le triops est sur le ventre, et on voit ainsi toutes ses pattes, qui en bougeant donnent un mouvement global ondulant lui permettant d’avancer, de fouiller dans le sable…
  • Le triops mue, et sa mue est encore accrochée à lui sur le gif : on la voit à gauche de l’image !

Ah, au fait, ces charmantes créatures se trouvent également à l’état sauvage en France, dans des mares temporaires, comme dans cette vidéo du Marais Poitevin !

 

Le cerveau, les hommes et les femmes. Retour au moyen-âge.

Mais, que vois-je, une étude dans le très rigoureux et très sérieux Proceedings of National Academy of Science (PNAS, ou en français : compte rendu de l’académie des sciences des USA) sur les cerveaux des hommes et des femmes. Ça alors, les cerveaux des femmes et ceux des hommes sont différents, et les hommes ont un meilleur sens de l’orientation, là où les femmes développent une plus grande intelligence sociale.

En haut le cerveau des hommes, et en bas celui des femmes, d'après les auteurs de cette publication

En haut le cerveau des hommes, et en bas celui des femmes, d’après les auteurs de cette publication

Comment écrire ici, en quelques mots, ma stupéfaction, mon désarroi, mon exaspération finalement. Je n’ai sans doute pas les talents littéraires pour le faire.

Alors, je vais plutôt commenter cet article pour vous. Une note au lecteur : je n’ai pas de compétence marquée en neuroscience. Et en cela, je ne me permettrais pas de remettre en cause les résultats bruts de cette étude. Il y a déjà tellement à dire de ce qui est écrit autour de ces résultats.

Je ne résiste pas au plaisir de vous donner la première phrase de cet article, publié je le rappelle dans une des plus sérieuses et réputées revues scientifiques :

Sex differences in human behavior show adaptive complementarity: Males have better motor and spatial abilities, whereas females have superior memory and social cognition skills

Ce qui, traduit par mes soins (merci google traduction), donne :

Les différences sexuelles dans le comportement humain montre une complémentarité : les hommes ont de meilleures capacités motrices et spatiales, tandis que les femmes ont une mémoire et une intelligence sociale supérieure

Ou encore (traduction plus personnelle) :

Les hommes ont un bon sens de l’orientation et savent conduire les voitures (eux !), alors que les femmes se souviennent où leurs gars ont perdu leurs clés et la liste des courses, et savent mieux gérer les autres personnes (i.e. les gosses, la (belle)-famille,…) (elles !)

Ce qui est choquant, scandaleux, c’est que cette affirmation, posée là, dès le résumé de l’étude, n’est ni une conclusion de cette étude, ni la conclusion d’aucunes autres, mais un vieux préjugé moyenâgeux, qui n’a rien à faire dans une étude scientifique. Comment faire un travail sérieux, lorsque le parti-pris initial est si clairement posé ? Et je vous rassure, il n’y a pas, dans le reste de l’étude d’éléments montrant que cette idée préconçue est, au minimum, controversée, voire (on pourrait rêver un peu !) invalidée.

Passons le résumé. L’introduction, qui comme dans tout article scientifique resitue le travail dans le contexte de la recherche actuelle sur ce thème présente les différences structurales entre les cerveaux hommes et femmes, qui seraient en lien avec leurs différences de comportement :

« With the advent of neuroimaging, multiple studies have found sex differences in the brain that could underlie the behavioral differences »

Traduction (que vous ne devez pas hésitez à critiquer)

Avec les avancées en imagerie cérébrale, de multiples études ont trouvé des différences sexuelles au niveau du cerveau, qui pourraient sous-tendre les différences de comportement

Ce qui est terrible ici, c’est que ces « multiples études » ne disent pas qu’il y a une différence de comportement en lien avec des différences sexuelles (ou alors, elles ont été invalidées). Et de plus, les différences sexuelles sont beaucoup plus faibles que les différences inter-individuelles. La seconde partie de la phrase n’a donc aucune valeur scientifique. Et n’a pas sa place dans cet article.

Les différences dont parlent les auteurs ici sont des différences de masse, taille, ratio matière blanche/matière grise, etc… Des différences qui encore une fois n’ont aucun lien avec les comportements et capacités intellectuelles. Pour marquer un peu les esprits, souvenez-vous de cet homme, qui avait son cerveau complètement écrasé sur sa boîte cranienne et qui n’occupait plus que 10 % de l’espace prévu, à cause d’une tumeur qui en occupait la quasi-totalité, et qui n’avait aucun problème cognitif. (je vous mets un lien dès que je retrouve trace de cette affaire…).

Pourtant, l’étude ne parle pas de ces différences. De façon plus pertinente, c’est l’ensemble des connexions dans le cerveau, ce qui est appelé le « connectome » qui a été étudié, mesuré, comparé entre les hommes et les femmes. Dans cette étude, les résultats obtenus (sur une cohorte très importante pour ce type de travaux (949 personnes)) montrent des différences statistiquement significatives entre les hommes et le femmes. Point. Des neuro-scientifiques y trouveraient sans doute plein de chose à dire, à redire, à contredire. Je ne me le permettrais pas.

Passons tout de suite à la partie discussion, où comme dans tous les articles, les résultats sont repris, expliqués, et interprétés. Les auteurs y sont très clairs : les différences sont claires, manifestes et soutiennent totalement les hypothèses de départ des auteurs. Les femmes ont plus de connexions inter-hémisphères, les hommes ont plus de connexions intra-hémisphères. DONC, les hommes ont un système nerveux permettant une meilleure coordination des mouvements, et les femmes ont un système nerveux favorisant la mémoire, l’attention, et les interactions sociales. (Je tiens à préciser que je ne réalise ici aucune interprétation. Tout est bien écrit (4e page de l’article, colonne de droite).

Trois éléments principaux m’ont vraiment surpris dans cette partie.

Tout d’abord, le fait que les auteurs parlent des cerveaux gauche et droit comme ayant un rôle différent, l’un étant lié, d’après eux, au traitement analytique et raisonné des informations, l’autre au traitement plus intuitif. Alors même qu’il est connu que c’est faux. (Voir par exemple ce cours (pdf) de l’université de Toulouse, intitulé : Cerveau gauche, Cerveau droit : le mythe))

Ensuite, les différences apparaissent comme réellement significatives seulement après l’âge de 13 ans. Les auteurs vont donc se baser sur ces différences, et se permettre d’affirmer, dans le résumé que

« male brains are structured to facilitate connectivity between perception and coordinated action, whereas female brains are designed to facilitate communication between analytical and intuitive processing mode »

En français :

« le cerveau des hommes est structuré pour faciliter la connectivité entre perception et action coordonnée, alors que le cerveau des femmes est conçu pour faciliter la communication entre les modes de réflexion analytique et intuitif« 

Comment peut-on dire que le cerveau est « conçu » ou « structuré » de façon différente entre les hommes et les femmes, alors même qu’on ne retrouve pas de différence significative avant l’adolescence ?

L’évolution du « connectome » à travers les classes d’âge n’est quasiment pas commenté. On ne trouve donc aucune explication, ou tentative d’explication de ces différences qui apparaissent avec l’âge. Dommage. Que pourrait-on évoquer ? Une différenciation hormonale, qui intervient à l’adolescence ? Cela a été réfuté, compte tenu des variations inter-individuelles en particulier… Alors ?

Alors, dans cette publication, aucune mention à l’influence du milieu n’est faite. La caractéristique la plus notable du cerveau est sa plasticité. Les connexions se font, se défont au gré des apprentissages, du temps. Hors ce qui est TRES différent entre les hommes et les femmes, c’est justement la façon dont ils sont éduqués, considérés. C’est ce qu’on leur apprend pendant leur enfance et adolescence. Ce sont les tâches qu’on leur assigne. En clair, ce que j’ai appelé « le milieu » dans lequel ils vivent. Cette absence de toute référence aux notions d’apprentissage, et de plasticité du cerveau est vraiment surprenante, voire scandaleuse. Je ne suis pas en mesure de préciser quelle devrait être sa part dans les constatations expérimentales de cette publication. Mais il me semble qu’il est clair qu’à partir du moment où il y a une évolution entre l’enfance et l’âge adulte, le caractère « acquis » de cette différenciation apparaît comme une hypothèse à ne pas négliger.

En fait, ces résultats, qui montrent une différenciation entre les cerveaux des hommes et des femmes de plus en plus nette pourraient très bien être interprétés comme la conséquence d’une société sexiste, dans laquelle les rôles des hommes et des femmes sont radicalement différenciés. Ce pourrait être un plaidoyer vers une plus grande égalité. Hélas, c’est au contraire les idées reçues les plus arriérées qui sont mises en avant.

Alors plutôt que de perdre du temps avec de tels propos, regardez plutôt la conférence TEDx de Catherine Vidal, neurobiologiste.

Sur cette publication vous pouvez lire aussi son interview sur « les nouvelles news », ou, en anglais, cet article particulièrement intéressant et pertinent.

Sex differences in the structural connectome of the human brain«  M. Ingalhalikar et al., PNAS 2013, published online.

IT’S ALIVE ! De la vie dans le lac Vostok

Le lac Vostok, c’est cette immense retenue d’eau sous la glace du continent Antarctique (oui, au pôle Sud, parce qu’au Nord, c’est l’Arctique, et c’est pas un continent). Il est situé sous 3,8 km de glace, est le quatrième lac le plus profond, et le 7e le plus volumineux. Mais surtout, il est isolé de tout depuis 15 millions d’années ! Un véritable « continent perdu ».

Aujourd'hui, le lac Vostok, c'est ça : une base scientifique perdu au milieu d'un désert à - 53 °C en moyenne...

Aujourd’hui, le lac Vostok, c’est ça : une base scientifique perdu au milieu d’un désert à – 53 °C en moyenne…

Pour situer un peu, il y a 15 millions d’année,  les grandes familles d’oiseaux et de mammifères sont toutes apparues. A quelques millions d’année près, la lignée humaine se sépare de celles des grands singes. Et le Megalodon, un requin de 20 m de long et de près de 100 tonnes règne en maître dans les océans, mangeant les baleines…

Il y a 35 millions d’années, le lac était une baie marine, entourée de forêts. Et jusqu’à – 15 millions d’années, il était encore partiellement non recouvert par la glace. Toute une vie a donc pu s’y installer, avant d’être piégée par le froid et la glace. A moins que ce lac ne soit totalement stérile. Depuis les années 90, toute la question est là : le lac Vostok abrite-t-il la vie ? Et si c’est le cas, quels organismes ? En février 2012, le forage a enfin atteint le lac. Hélas, pour l’instant, tous les échantillons d’eau du lac sont stériles. Enfin, pas tout à fait. A plusieurs reprises, les scientifiques ont annoncé la découverte de bactéries… avant de se rétracter. En cause ? Les contaminations diverses, lors de la récupération de l’eau, du transport, du traitement, etc. On pouvait lire ainsi le 8 mars 2013 sur le site maxiscience.com (par exemple), l’annonce de la découverte d’un nouveau micro-organisme, qui a été réfutée … moins d’une semaine après… (Notons que tous les sites n’ont pas forcément parlé de la réfutation, qui est, il faut bien le dire, beaucoup moins « fun » que l’information initiale)

Ce problème de contamination est récurrent dans ce type de travail. Il faut bien comprendre que les « preuves de vie » que l’on cherche sont très très très diluées : Imaginez : une eau est considérée comme stérile lorsqu’elle contient moins d’1 millions de cellules par litre. Ici, on espère détecter la présence de quelques bactéries par litre ! Les conditions de traitement des échantillons doivent ainsi être extrêmement draconiennes, et si des protocoles existent pour essayer de garantir la stérilité des manipulations, on ne pourra jamais que limiter les contaminations, sans jamais les supprimer…

Alors, un lac stérile ? C’est un peu rapide !

Et c’est sans compter l’étude de la « glace d’accrétion » à la surface du lac. La glace d’accrétion correspond à de l’eau du lac Vostok gelée au contact de la calotte glacière. Cette glace est bien formée à partir du lac, contrairement à la « glace météorique », c’est-à-dire la glace de la calotte glacière, qui provient de précipitation. Et son étude donne des informations de premier ordre sur la composition du lac, et en particulier sur la présence, ou non, d’organismes vivants.

Dans les années 2000, plusieurs études ont (potentiellement) montré que les glaces d’accrétion contenait des traces de vies. Matière organique, ADN, ARN ont été isolés. Bien sûr, avec le lot de controverses sur d’éventuelles contaminations. Aujourd’hui, les choses semblent plus définitives, avec l’article paru dans PLOS One : « Subglacial Lake Vostok (Antarctica) Accretion Ice Contains a Diverse Set of Sequences from Aquatic, Marine and Sediment-Inhabiting Bacteria and Eukarya » par Shtarkman YM, Koçer ZA, Edgar R, Veerapaneni RS, D’Elia T, et leurs collègues. 

Dans ce travail, les scientifiques se sont penchés sur deux prélèvements, sur deux types de glace d’accrétion, en deux points différents. En étudiant les contenus génétiques de ces échantillons, ils ont trouvé la trace d’organismes très variés. La plupart sont des bactéries, mais des eucaryotes ont aussi été découvert : des champignons en majorité, mais aussi des bivalves, arthropodes, et rotifères. Même chez les bactéries, on retrouve une grande variété : certaines sont très proches de bactéries de milieu marin, d’autre de milieu aquatique. Enfin d’autres sont des bactéries thermophiles, c’est-à-dire celles que l’on peut trouver à proximité des sources hydrothermales, connues pour être des oasis de vie à très grandes profondeurs. (j’en avais parlé là, pour les questions d’apparition de la vie). Des sources hydrothermales étaient déjà suspectées dans le lac Vostok, expliquant en particulier qu’il ne soit pas complètement gelé…

Plus excitant encore, certaines séquences génétiques correspondent à celles de bactéries qui vivent dans des organismes variés (par relation de commensalisme, mutualisme, ou comme pathogène). La présence de ces bactéries permettent donc de suspecter la présence de poissons, anémones de mer, annélides (des vers), brachiopodes, etc…

En somme, ce sont des preuves qu’un écosystème complexe siège dans le lac de Vostok, sans doute alimenté par des sources hydrothermales. Que du rêve pour les scientifiques !

Pour les questions de fiabilités des résultats, les auteurs semblent, pour moi, convaincant.

La première chose qui saute aux yeux, c’est la diversité des organismes identifiés. Il ne s’agit pas de quelques bactéries assez semblables ici, et il est assez inimaginable que l’échantillon soit contaminé par des organismes aussi différents, aux habitats aussi différents. Les chercheurs, réalistes, n’excluent pas que certains organismes ne proviennent pas de contamination, mais cela n’invalide pas l’ensemble de leur travail.

De plus, les scientifiques n’ont pas travaillé que sur l’ADN. En effet, l’ADN est assez robuste, et on aurait pu imaginer que celui retrouvé appartienne en fait à des organismes morts depuis des millions d’année. Par contre, l’ARN est beaucoup moins stable. En analysant l’ADN et l’ARN des échantillons, on s’assure donc qu’il ne s’agit pas de traces fossiles d’ancien organismes.

Enfin, des échantillons de glace météoriques ont été analysées, et présentent beaucoup beaucoup moins de matière organique, ce qui montrerait que les échantillons de glace d’accrétion n’ont pas été pollués a posteriori. Bien sûr, il est fort probable que cette analyse n’ait pas été menée en « double aveugle », mais bon, on peut sans doute s’en contenter.

Alors comment confirmer tout cela ? En retrouvant ces mêmes organismes directement dans le lac ! Et ça, ce n’est pas gagné, compte tenu des résultats déjà obtenus. Une remarque tout de même : compte tenu des profondeurs où les échantillons ont été prélevés, et du déplacement des glaces d’accrétion, on a pu remonter jusqu’au lieu d’où provient cette eau : à l’opposé du forage ! Or les sources hydrothermales correspondent à des « îlots de vie » au milieu de milieux hostiles, quasiment stériles. Si c’est sous cette forme que se sont constitués les écosystèmes du lac Vostok, alors il est probable que ce soit ailleurs dans le lac que l’on retrouve de la vie.

Les deux prélèvements V5 et V6 avec les lieux du lac auxquels ils correspondent, et les espèces qui y ont été découvertes. En rouge les espèces pressenties par la présence de bactéries dépendantes. Tout à droite, le lieu de forage, très éloigné des sources hydrothermales supposées, et des zones V5 et V6

Les deux prélèvements V5 et V6 avec les lieux du lac auxquels ils correspondent, et les espèces qui y ont été découvertes. En rouge les espèces pressenties par la présence de bactéries dépendantes. Tout à droite, le lieu de forage, très éloigné des sources hydrothermales supposées, et des zones V5 et V6 (source : voir l’article)

Avec toutes ces questions, et ces débuts de réponses… Que de belles découvertes en perspectives !!

Shtarkman YM, Koçer ZA, Edgar R, Veerapaneni RS, D’Elia T, et al. (2013) Subglacial Lake Vostok (Antarctica) Accretion Ice Contains a Diverse Set of Sequences from Aquatic, Marine and Sediment-Inhabiting Bacteria and Eukarya. PLoS ONE 8(7): e67221. doi:10.1371/journal.pone.0067221

Les télomères et la télomérase (1)

Ah, les télomères, et les télomérases. Rien à voir avec un quelconque lien de parentalité avec qui que ce soit. Par contre, il semblerait que c’est pas mal la mode, du côté des biologistes moléculaires et des chimistes. Va falloir expliquer tout ça maintenant, surtout quand Futura Science publie un petit billet sur les G-Quadruplexes en passant à côté des éléments les plus intéressants ! Alors c’est quoi, les télomères ? Le web scientifique regorge d’information sur ces extrémités des chromosomes, surtout depuis l’obtention du prix Nobel de médecine par Elizabeth H. Blackburn, Carol W. Gleider et Jack W. Szostak en 2009 sur leur étude, ainsi que l’étude de la télomérase.

Pour essayer en quelques lignes et schéma d’être clair, il faut d’abord se souvenir que l’ADN est constitué de 2 très longues molécules, formant les montants d’une échelle immense, où chaque barreau est constitué des fameuses « bases azotés ».

Vue d'artiste d'une portion d'ADN. On voit les deux brins, en bleu, reliés entre eux par les bases azotées.

Vue d’artiste d’une portion d’ADN. On voit les deux brins, en bleu, reliés entre eux par les bases azotées.

Si on prend un groupe de 2 brins d’ADN en entier, on a, grosso modo, ce qu’on appelle un chromosome. Oui, ces fameux X, Y, qui donnent notre sexe, ou chromosome 21 qui vont malheureusement parfois par 3 (et provoque la trisomie 21).

Alors c’est quoi, les télomères ?

Les chromosomes sont tous fait de la même manière : de l'ADN enroulé sur lui même, et condensé, à l'aide de certaines protéines...

Les chromosomes sont tous fait de la même manière : de l’ADN enroulé sur lui même, et condensé, à l’aide de certaines protéines…

Comme on le voit (mal) sur cette image, les extrémités du chromosome, qui sont les extrémités de la longue double hélice de l’ADN, sont appelés les télomères.

 Bon, maintenant, on sait où ils se trouvent. Ce qui est amusant/intéressant/passionnant (barrer les mentions inutiles), c’est que ces extrémités ont une structure toute particulière : la séquence des bases azotées qui composent l’ADN devient répétitive : cela dépend des espèces, mais par exemple, chez l’homo sapiens, un brin a la séquence TTAGGG qui se répète plusieurs centaines de fois [ Rappel inutile pour beaucoup : il existe au sein de l’ADN quatre bases azotés, dont la séquence constitue l’information génétique : A Adénine C Cytosine G Guanine T Thymine ]. L’autre brin a la séquence complémentaire, qui permet de former la fameuse échelle au complet. Enfin, pas tout à fait…

Reprenons un peu de la hauteur : les cellules sont bien faites, et, heureusement, toute une machinerie cellulaire est là pour protéger le patrimoine génétique des intrus, virus et compagnie, et pour réparer l’ADN endommagé. Les extrémités des chromosomes posent évidemment des soucis : Rien ne distingue un morceau d’ADN libre, potentiellement pathogène, de la fin ‘brutale’ du chromosome ! Des enzymes sont là pour dégrader alors cet ADN. Ou encore, d’autres enzymes pourraient « réparer » le chromosome en le greffant à un autre, en croyant reconnaître de l’ADN accidentellement coupé (et donc à ressouder illico) !

Alors comment les télomères protègent l’ADN ?

La plupart des procaryotes ont résolu le problème en ayant un ADN circulaire. Pour les autres organismes, il fallait trouver un moyen d’éviter ce problème. Et, évidemment, c’est là que les télomères interviennent.

Tout d’abord, cette structure est non codante (c’est à dire qu’elle n’est pas un gène, elle ne donne pas lieu à une traduction en ARN messager, puis protéines, etc.) et forme une horloge moléculaire : en effet, à chaque division cellulaires, les extrémités des chromosomes sont amputés d’un petit bout (quelques dizaines de bases) ; et lorsqu’il ne reste presque plus de séquence télomérique ( T-T-A-G-G-G-T-T-A-G-G-etc.), la cellule ne se divise plus (c’est ce qu’on appelle la sénescence). Le patrimoine génétique ne souffre donc pas des divisions successives, jusqu’à ce que la cellule stoppe sa reproduction.

Mais cela ne suffit pas. La structure des télomères permet de « cacher »  les extrémités de la longue double chaîne d’ADN, afin de prévenir de sa dégradation. Pour cela, un des deux brins est plus long que l’autre de 150 à 250 bases. Ce brin, riche en guanine (« G ») va pouvoir s’insérer dans la double hélice, en formant une boucle (appelée T-loop) :

A Le télomère avec le brin G ("G-Rich Strand") B La boucle T-Loop, avec formation locale d'ADN triplex C Ne soyons pas si naïf : cette strucutre T-Loop se forme en présence de protéines qui permettent de modeler la structure globale du télomère

A Le télomère avec le brin G (« G-Rich Strand »)
B La boucle T-Loop, avec formation locale d’ADN triplex
C Ne soyons pas si naïf : cette strucutre T-Loop se forme en présence de protéines (en jaune et vert)qui permettent de modeler la structure globale du télomère ( Source )

En formant cette boucle, l’ADN n’offre plus d’extrémité libre, et est donc protégée. Seulement, l’observation de ces structures est commune in vitro, mais pas si triviale in vivo, pose des problèmes de compréhension du mécanisme d’allongement des télomères (On y reviendra un peu plus tard, promis). Un assez large consensus se dégage néanmoins sur l’existence de ces structures in vivo.

Un autre type de structure de l’ADN a été aussi observé in vitro, et plus récemment in vivo : il s’agit des quadruplexes de guanine, ou « G-quadruplexes ». En fait, cet ADN riche en guanine peut se replier sur lui-même, en formant des « plateaux » formés de l’assemblage de 4 guanines :

On voit ici la formation des G-quadruplexes : ces structures peuvent se former à partir de 4 brins (B), 2 brins (C et D), ou un seul (E). Un ion occupe la partie centrale du "plateau" (source)

On voit ici la formation des G-quadruplexes : ces structures peuvent se former à partir de 4 brins (B), 2 brins (C et D), ou un seul (E). Un ion occupe la partie centrale du « plateau » (source)

 Ces structures semblent aussi se former dans les parties double brin du télomère, ou du reste de l’ADN, dès que la séquence est riche en guanine. Leur rôle n’est pas très clair : il semblerait qu’elles induisent plus rapidement la dégradation de l’ADN, et pourrait bloquer l’action de la télomérase, la fameuse protéine qui permet de rallonger les télomères.

Avant la suite de cet article, il est important de redire l’importance des protéines qui interagissent en permanence avec l’ADN : on le représente toujours « nu », comme une double hélice qui flotte dans le noyau de la cellule, alors qu’il est en permanence tordu, replié, enroulé, déroulé par ces protéines. Et au niveau des télomères particulièrement : le nombre de protéines qui interagit avec ces extrémités est impressionnant, et elles sont indispensables à la formation des différentes structures (T-loop, ADN triplex,…) des télomères.

Et les télomérases, alors ?

Un peu de suspense, ça sera pour la prochaine fois !

Sources :

Wikipédia

Riou et al., Bull. Cancer. 2005, 92(1), 13-22 (http://www.jle.com/fr/revues/medecine/bdc/e-docs/00/04/10/33/article.phtml)

Riou et al. Bull. Cancer 2003, 90(4), 305 (http://www.jle.com/fr/revues/medecine/bdc/e-docs/00/03/F9/49/article.phtml?fichier=images.htm)

http://www.ch.ic.ac.uk/local/projects/burgoine/origins.txt.html

Faut-il avoir peur des sels d’aluminium dans les déodorants ??

En voilà une question qui passionne toute la blogosphère, tout le Web, tout le monde ! Même que si un candidat à la présidentielle s’en empare, et promet d’interdire les déodorants qui contiennent des sels d’aluminium, sûr qui verra sa côte augmenter de quelques pourcents.

Bref, c’est @valerieGC, sur Twitter (Quelle source d’inspiration décidemment ! ) que cela intriguait… En bon représentant de la race masculine, pleine d’orgueil et de sentiment de supériorité, je me suis proposé, en chevalier blanc, pour aller rechercher les infos sur le sujet.

Je me permet de faire tout de suite un avertissement : la suite de ce billet reprends les données et informations des rapports (et de certaines de leurs sources) de l’INVS de novembre 2003 (Aluminium, quel risque pour la santé ? Synthèse des études épidémiologiques) et de l’AFSSAPS d’octobre 2011 (« Évaluation du risque lié à l’utilisation de l’aluminium dans les produits cosmétiques« ), et je serais évidemment très très heureux de débattre d’autres sources complémentaires ou contradictoires. Bien sûr, l’impartialité des auteurs du rapport peut, et doit a priori être mis en doute, mais rappelons tout de même que nous ne sommes pas ici dans un cadre tout à fait identique à celui des médicaments, où les lobbys sont extrêmement représentés chez les médecins, (et donc parmi ceux qui écrivent les rapports d’évaluation…). On peut espérer moins de conflit d’intérêt.

Entrons dans le vif au sujet. Les sels d’aluminium ont des propriétés intéressantes d’un point de vue cosmétologique, puisqu’ils permettent de limiter la transpiration. (Leur mode d’action n’est pas très clair, mais il semblerait qu’ils bouchent les pores par lesquels sont secrétés la sueur (Source), à moins que ce soit leurs propriétés astringentes qui soient en cause… ). La pierre d’alun, qui est un sel d’aluminium naturel, serait déjà utilisée depuis l’antiquité.

Pierre d’alun : on l’humidifie légèrement, et on l’applique comme un déodorant classique. L’eau permet une légère dissolution du sel d’aluminium, qui se dépose sous forme d’un film sur la peau

En plus, ils ne coûtent pas cher, sont faciles à incorporer dans n’importe quelle préparation cosmétique, … L’idéal, quoi !!

Et pourtant, il semblerait qu’il y ait quelques soucis.

On va tous avoir la peau agressée, mise en lambeau par les déodorants à l’aluminium

Les sels d’aluminium utilisés en cosmétiques sont, la plupart du temps des « chlorhydrates d’aluminium », c’est-à-dire des composés d’ions aluminium Al3+, d’ions chlorure Cl, et d’ions hydroxyde OH . Leur pouvoir irritant pourrait provenir de la libération, lente et en faible quantité, d’acide chlorhydrique HCl. Oui, effectivement, ces sels d’aluminium là sont très légèrement irritant. J’ai dit très légèrement ! Entre 2004 et 2009, seules 3 déclarations d’effets indésirables ont été transmises à l’AFSSAPS ! Par ailleurs, seuls deux cas d’allergie aux sels présents dans les déodorants ont été reportés.

Reste à connaître leurs toxicité. D’après nombre de sources (douteuses il est vrai), il y aurait un lien entre cancer du sein, maladie d’Alzheimer et déodorants à l’aluminium.

On va tous mourir d’un cancer à cause des déodorants à l’aluminium ?

Première constatation épidémiologique : chez les travailleurs de l’aluminium, qui manipulent sels et solutions diverses d’ions aluminium toute la journée, aucune augmentation du taux de cancer ne peut être imputé à ce métal. On parle ici d’une exposition énorme comparée aux quelques microlitres de déodorants déposés sous les aisselles.

Deuxième constatation : L’aluminium n’est pas cancérigène par voie orale. Point. Démontré sur nombre d’animaux.

Troisième constatation: Toutes les études parues jusqu’en 2008 sur un lien cancer du sein – sels d’aluminium ont été relues, ré-expertisées, et montrent… qu’elles ne montrent rien. Apparemment, aucun lien n’a pu être établi entre l’exposition cutanée et la survenue de cancer. Mais les problèmes méthodologiques nécessiteraient des investigations supplémentaires. Et l’AFSSAPS de dire : « aucun élément pertinent ne permet non plus de considérer l’exposition par voie cutanée à l’aluminium comme présentant un risque cancérogène« 

Dernier point :

Peu de temps après la sortie du rapport de l’AFSSAPS, est paru un article très intéressant sur le lien entre sels d’aluminium et cancer du sein : Ce papier très sérieux est une évaluation de l’action de différents sels d’alu sur des cellules mammaires in vitro. A des concentrations a priori faibles, la présence de ces composés provoquent des altérations dans ce type de cellule (et pas dans d’autres types de cellules humaines), qui sont similaires à des lésions pré-cancéreuses (voir ici pour un article grand public). Ces déclarations fracassantes paniquent beaucoup. Mais il faut garder ses pieds sur terre. Si, d’un point de vue épidémiologique, on n’observe pas de problème liés aux déodorants; si dans les modèles animaux, aucun risque de tumeur n’apparaît, je crois qu’on peut dire que l’utilisation de ces déodorants est sûre. Il y a une énorme différence entre les études théoriques, et leur transposition dans la population. Cet article montre que l’aluminium a un effet sur les cellules mammaire in vitro. Par contre, d’un point de vue de la population, les sels d’aluminium n’ont pas d’effet sur la survenue de cancer. et c’est ce second point de vue qu’il faut retenir en terme de politique de santé et de prévention.

C’est d’après moi symptomatique de la quête du grand mal de l’occident : il y a de plus en plus de cancer, donc on cherche LE coupable. Pour certains, c’est l’aspartame, pour d’autres, les sels d’aluminium. C’est très clairement dit dans l’article précédemment cité :

«Mais ces facteurs [Vieillissement, Hausse du dépistage, Précocité du diagnostic] n’expliquent pas tout, on soupçonne aussi des facteurs environnementaux. Alors on cherche et l’on avance un petit peu dans l’identification d’un coupable potentiel.» »

Pour moi, cette recherche d’un coupable est un leurre, et n’aboutit qu’à paniquer la population des pays occidentaux, coupable de n’avoir pas la « simplicité » de la vie des pays en développement… On pourrait en débattre des heures, et j’attends avec impatience vos contributions sur le sujet.

On va tous déclarer des troubles neuro-dégénératifs à cause des déodorants à l’aluminium ?

Oui, les sels d’aluminium sont directement mis en cause dans certains troubles. Il a par contre été montré que les sels d’aluminium n’avaient rien à voir avec la maladie d’Alzheimer . Ces troubles, on les appelle la « démence des dialysés » ou « encephalopathies des dialysés ». Pourquoi « des dialysés« , d’ailleurs ? Parce que ce sont les insuffisants rénaux qui sont soumis à une exposition chronique aux sels d’aluminium, via les eaux de dialyse qui en contiennent. Et parce que ce sont chez eux (et a priori pas dans la population générale, [aucune trace tout au moins dans les publications de l’AFSSAPS et INVS]) qu’on a pu observer ces troubles.

Alors, de quoi va-t-on souffrir avec les déodorants à l’alu ?

D’après les études sur les dialysés, et les travaux sur les modèles animaux (en pariculier les chiens), les sels d’aluminium engendrent lorsqu’ils sont présents en quantités « suffisantes », des troubles osseux et neurologiques. Ces quantités basées sur les études les plus fiables dont on dispose actuellement ( et elles ne sont pas nombreuses), ont permis de fixer une limite journalière de 22 µg par kg et par jour. La question est, maintenant, de savoir quelle quantité d’aluminium passe dans l’organisme par voie cutanée. Et là, le soucis, c’est qu’on n’en sait vraiment pas grand chose. La seule étude à peu près sérieuse, et donc la seule à avoir été prise en considération, est une étude in vitro, avec de la peau humaine, sur laquelle a été appliquée différentes préparations correspondantes aux produits cosmétiques.  Sur la peau normale, 0,5 % de l’aluminium appliqué était absorbé. Sur la peau lésée (correspondant à une peau irritée, suite à un rasage par exemple), 18 % des sels d’aluminium appliqués étaient absorbés.

Se basant sur les doses limites journalières acceptables, et le pourcentage d’aluminium absorbé, l’AFSSAPS a donc proposé une limitation en terme de quantité de sels d’aluminium dans les anti-transpirants (de 0,6 % en masse). Cette valeur permet à coup sûr d’être en deçà des quantités limites journalières pour une peau saine, mais ne le permet pas du tout en cas de peau lésée. En clair : Se raser ou ne pas transpirer, il faut choisir ! 

 Il y a quand même quelque chose d’important à dire, lorsqu’on lit précisémment le rapport de l’AFSSAPS. Ces taux d’absorption de l’aluminium (0,5 %  et 18 %), correspondent aux quantités qui pénètre dans la peau. Cela ne signifie pas que cet aluminium pénètre réellement dans l’organisme. En effet, dans l’unique étude qui a étudié cela, (in vitro je rappelle), le liquide ‘recepteur’ (correspondant à ce qu’il y a sous la peau), n’avait absorbé que 0,01 % de la dose appliquée (pour la peau saine [pas d »évaluation pour la peau lésée]). Soit 50 fois moins que la valeur retenue ! (Cela va dans le même sens qu’une autre étude publiée, mais non retenue, car ne respectant pas les « bonnes partiques de laboratoire », et qui in vivo a mesuré un taux de passage dans l’organisme chez l’humain de 0,04 %.)

Bon, alors, qu’est-ce qu’on doit faire ?

Les recommandations de l’AFSSAPS sont simples :

  • Pas de déo contenant plus de 0,6 % de sels d’aluminium
  • Pas d’application sur peau lésée.

Et mes remarques :

  • Ces sels d’alu ne sont en aucun cas responsables de cancer, ni d’une épidémie d’Alzheimer
  • D’un point de vue épidémiologique, aucune constatation d’intoxication n’a jamais eu lieu. L’utilisation des sels d’aluminium semble être sure.
  •  Comme le dit l’AFSSAPS, il manque beaucoup de données scientifiques, et je pense que les valeurs retenues pour les doses maximales admises sont très très basses, et qu’avec un peu de chance, de vrais études fiables vont le confirmer, et permettre un peu de souffler sur le front de la psychose.
  • Il vient de paraître sur « 60 millions de consommateurs » une étude montrant qu’un tiers des déodorants dépassaient la norme imposée de 0,6 % en aluminium par l’AFSSAPS. (La pierre d’alun « naturelle » permet une application cutanée de concentration de 0,3 %, donc dans les normes). Bon, ben c’est pas ça non plus qui va nous faire crever…
  • La seule mesure, qui peut à peu près sembler raisonnable (même si elle est sans doute inutile), c’est d’éviter de mettre du déo juste après un rasage. Ce qui doit maintenant être écrit sur tous les emballages.

Un anticancéreux contre Alzheimer ?

On ne peut pas vraiment échapper à cette information : le Bexarotène, anticancéreux utilisés pour certains type de cancers de la peau, serait très, très efficace contre la maladie d’Alzheimer (Source : Science ou ici, plus court pour le grand public ). Une très bonne nouvelle sans aucun doute, pour les chercheurs qui souhaitent comprendre la maladie. Les malades et leur famille, eux ne doivent pas se réjouir trop vite, hélas.

Alois Alzheimer, « inventeur » de la maladie du même nom

Une chose qu’il ne faut jamais oublier : quelque soit l’anticancéreux, ces médicaments ne sont jamais anodins. Le principe d’action, pour la majeure partie de ces composés, c’est : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Autrement dit : dévastez tout sur votre passage, et les cellules saines ont (un tout petit peu) plus de chance de s’en sortir que les cellules de la tumeur. Par exemple, le cis-platine, qui permet de soigner 90 % des cancers des testicules lorsqu’il est pris à temps, a une toxicité très aigue pour les reins. La doxorubicine, traitement de référence pour les cancers du sein, pose de graves problèmes cardiaques, parfois irréversibles lorsque le traitement est lourd. La liste n’est évidemment pas exhaustive…

Alors, le Bexarotène ? Et bien il ne fait pas exception. 

Bexarotène (Wikipedia)

Commercialisé sous le nom de Targretin, ce médicament a des effets secondaires lourds, et surtout très fréquents. Ainsi, plus de 10% des patients traités par le Bexarotène auront comme effet secondaire :

  • une leucopénie :  (chute du nombre de globules blancs) le patient est plus sensible aux infections (système immunitaire affaibli)
  • une hypothyroidie : la thyroide fonctionne au ralenti, d’où une asthénie, faiblesse musculaire, prise de poids importante, chute de cheveux…
  • un prurit, des éruptions cutanées

Sans parler des effets « fréquents » (1 à 10 % des patients): douleurs musculaires, squelettiques et abdominales, troubles hormonaux, nausées, diarrhées, étourdissements, … Une liste assez exhaustive est accessible ici. Compte tenu de ces effets, l’intérêt même d’un traitement au long court par ce médicament me semble douteux.

Alors, que faire de cette étude, que faut-il en attendre ?

Le bexarotène agit sur une protéine, nommée RXR (pour Retinoid X receptor), qui intervient à la fois dans certains cancers, et dans cette maladie neuro-dégénérative qu’est la maladie d’Alzheimer. Il est à noter que c’est actuellement un composé très efficace sur le RXR, tout en épargnant les protéines de la même famille. Ce qui lui permet d’avoir un « profil toxicologique » beaucoup plus acceptable que ses concurrents. Il reste, en fait, trois possibilités pour le traitement de cette maladie par ce composé:

  • Soit les doses nécessaires pour l’homme pour faire régresser la dégénérescence sont très faibles, et dans ce cas, le Bexarotène peut être utilisé, y compris pour des stades de la maladie peu avancés
  • Soit, et cela tient quasiment du miracle selon moi, un traitement de courte durée par le Bexarotène permet l’arrêt (définitif) de la progression de la maladie
  • Soit, et c’est sans doute la plus forte probabilité, le Bexarotène agit correctement à dose importante, mais son effet ne dure pas dans le temps.

Dans ce dernier cas, qui me semble le plus raisonnable, ce traitement pourra peut-être aider les personnes gravement atteintes, pour qui le rapport bénéfice/inconvénient sera positif, malgré les effets secondaires. Exit donc, le rêve d’une prise en charge précoce de la maladie, sous peine de voir le patient souffrir davantage des effets du médicaments, que de la maladie…

Enfin, cette étude met surtout en lumière qu’on a peut-être trouvé LA protéine à cibler. Et là, le travail reste considérable.  Mais au moins, on sait où chercher. Et cela est un progrès immense dans cette maladie si répandue, si méconnue.

[Je n’ai pas parlé ici des souris « modèles » sur lesquelles ont été testés ce médicament. Très très rapidement: ce sont des souris à qui on a modifié le patrimoine génétique afin d’avoir les symptômes de la maladie d’Alzheimer, et le même type de dégénerescence physiologique. Ce modèle reste néanmoins imparfait, car ces souris n’ont pas réellement la maladie d’Alzheimer qui ne semble pas être d’origine génétique]

Sources :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_d’Alzheimer

http://en.wikipedia.org/wiki/Bexarotene

ApoE-Directed Therapeutics Rapidly Clear β-Amyloid and Reverse Deficits in AD Mouse Models P.E. Cramer et al., Science, 2012, Publié en ligne le 9 février 2012

Retour sur la chimie prébiotique, S.Miller et les autres… (2)

Alors comme ça, l’expérience de S. Miller, qui a le mérite de tester une hypothèse intéressante de constitution de la « soupe primitive » grâce à l’atmosphère terrestre, ne correspond sans doute pas à la réalité de la Terre de l’époque (voir la première partie). Il faut chercher plus loin. Ou plus profondément. Si ce n’est pas dans le ciel, reste la terre ferme et l’eau. La terre, on oublie : il faut que les molécules puissent se déplacer au grès de leur formation, s’accumuler par endroit, diffuser ailleurs, ce qui va être impossible sur un support solide.

Depuis environ trente ans, on se pose ainsi la question de la formation de molécules organiques prébiotiques dans l’eau. Plus précisément, ce sont les sources hydrothermales qui suscitent le plus d’intérêt.

Alors il faut bien imaginer l’enfer que représente ces sources, appelées aussi fumeurs noirs : de l’eau de mer s’est infiltrée jusqu’à plusieurs centaines de mètre sous la roche, se réchauffant à proximité du magma terrestre, et remonte à des températures supérieures à 350 °C, des pressions de plusieurs centaines de bars, en ayant au passage dissout diverses substances minérales. En voilà un joli schéma (voir aussi le site de l’IFREMER)

En fait, ces conditions extrêmes ne sont pas réellement un obstacle à la vie . En témoigne les vidéos, photos prélèvement qui ont été effectués depuis les premières observations en 1977 (voir la photo suivante, et les colonies d’anémone blanche au pied de la source hydrothermale). Crevettes, vers géants côtoient étoiles de mer et poissons… Tout ce petit monde fonctionne grâce à la chimiosynthèse (basée sur  l’exploitation de l’énergie chimique des composés issus des fumeurs), par opposition à la photosynthèse (basée sur l’énergie lumineuse). Alors, pourquoi ne pas chercher là-bas les traces des premières molécules organiques ?

Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps. Pour beaucoup de scientifiques, cela ne fait pas de doute: la vie est née à proximité de ces sources hydrothermales, dans l’obscurité, à une profondeur comprise entre 500 et 5000 m.

Et les arguments ne manquent pas : les conditions d’expériences de S. Miller, ces mêmes qui ont conduits aux acides aminés, se retrouvent dans les émanations de ces sources chaudes. En effet, on a bien du méthane, du dihydrogène, de l’eau, peu de CO2. Pas de lumière UV, ou de décharges électriques, mais de l’énergie thermique autant qu’on veut.

[Le problème de cette énergie thermique, c’est qu’à ces températures là (300°C) , les acides aminés et autres briques élémentaires de la vie sont très vites dégradés. Mais il ne faut pas oublier que l’eau tout autour des fumeurs est à 2°C, et que des échanges existent évidemment, ce qui, pour moi, permet de lever cette objection].

Tout comme l’expérience de Miller alors ? Non, encore mieux. Non seulement la variété des éléments chimiques disponible est beaucoup plus grande que dans l’atmosphère imaginée à l’époque (avec en particulier des apports en souffre, indispensables pour certains acides aminés comme la cystéine), mais en plus, on a plein de métaux et de minéraux variés présents. Ceux-ci peuvent servir alors de catalyseurs de réactions chimiques plus avancées, permettant, à partir de quelques molécules organiques simples, obtenir des assemblages complexes nécessaires.

[En particulier, compte tenu des propriétés catalytiques de la pyrite,  G. Wächterhauser et son équipe a imaginé des premiers êtres vivants qui ne seraient pas cellulaires, mais utiliseraient directement leur support, la pyrite, pour réaliser les réactions nécessaires à l’auto-réplication.]

Les scientifiques ont eu déjà la joie de découvrir des composés organiques  dans les fumeurs, et de plus de démontrer leur production abiotique (produite sans intervention d’espèces vivantes) (Source). Bien sûr, dans ce domaine, rien n’est parfaitement sûr, et en particulier les chemins détournés empruntés par la vie pour émerger ne sont pas connus. Les expériences in vitro sont compliquées, tant les conditions au niveau des sources hydrothermales sont dures. Quant aux observations directes, elles sont délicates à – 2000 m !

Il y a un point encore non évoqué ici qui est en faveur des sources hydrothermales : Dans les documents évoquant la chimie prébiotique et l’expérience de S. Miller, on se focalise sur les acides aminés, briques des protéines. On oublie complètement une idée très importante : les protéines ne peuvent pas, ou de façon très (trop) complexe, contenir un code génétique lisible. Cela, c’est  l’apanage de l’ADN, ou de l’ARN. Et un consensus de plus en plus large plaide vers une apparition de la vie basée sur l’ARN, qui pourrait à la fois contenir le « code », et être capable de le lire, traduire, répliquer (Voir ici pour les propriétés catalytiques de l’ARN). Les expériences dans différentes atmosphères ont complètement échoué dans la formation des briques élémentaires de ces longues macromolécules, sauf en faisant intervenir des situations complexes où des minéraux terrestres rentrent en jeu par le biais de précipitation et évaporation de l’eau de pluie (voir à ce sujet le joli billet d’exobiologie.info )… Et il me semble qu’il est plus simple d’imaginer la synthèse de ces précurseurs à un endroit où, en permanence, se trouve les catalyseurs et les matériaux inorganiques nécessaires pour leur formation.

Bien sûr, les questions restent innombrables, et en particulier celle de la chiralité des espèces chimiques du monde vivant, mais l’essentiel semble être là. Tout est réuni pour que la vie naisse là, au coeur des océans.

Bon et après la constitution de cette soupe ? La suite, c’est l’auto-organisation, (déjà évoquée ici sur ce blog) puis…. le premier être vivant ?

PS : les amateurs d’exobiologie apprécieront particulièrement cette origine de la vie : en effet, pour ne citer que le plus connu, le satellite Europe de Saturne possède un immense océan, (sous 20 à 200 km de glace), qui pourrait abriter des sources hydrothermales. A quand une tentative de dialogue « homme de la Terre » -« crevette de Europe » ?

Sources :