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[Flash Info Chimie] #44 Liquide poreux, le retour

En avril 2015, je vous présentais les « liquides poreux« , ces liquides qui, tels les solides, présentent des cavités pouvant accueillir d’autres molécules. Pour être précis, on parle ici de micro-porosité permanente :

  • micro-porosité pour indiquer qu’il ne s’agit pas de la porosité liée à l’espace entre les molécules dans le liquide, qui est si faible qu’un atome ne peut même pas s’y glisser.
  • permanente, pour indiquer qu’il ne s’agit pas de cavité qui se forment et disparaissent au gré des mouvements ou des réactions chimiques dans le milieu

Dans un article paru il y a quelques jours dans Nature, un nouveau liquide poreux est présenté. Contrairement à celui que je vous avais présenté précédemment (où il s’agissait de nanosphères de silice), l’équipe nord-irlandaise a mis au point une molécule ressemblant à une cage, entourée de larges molécules (des éther-couronnes, pour les connaisseurs) pour éviter que la cavité, au centre de la cage, soit bouchée par un morceau d’une autre cage.

La molécule cage, qui tire sa rigidité permettant la porosité permanente de sa géométrie : un gros tétraèdre en gris/bleu/blanc, décoré par des éther couronnes en gris/rouge

La molécule cage, qui tire sa rigidité permettant la porosité permanente de sa géométrie : un gros tétraèdre en gris/bleu/blanc, décoré par des éther couronnes en gris/rouge

 

En utilisant un solvant très encombré (en fait, un autre ether-couronne), trop gros pour pouvoir pénétrer dans les cages, ils ont ainsi obtenu un liquide très poreux, dont les cavités sont susceptibles de contenir des gaz comme du CO2, du méthane, du xénon.

Les quantités « stockables » sont mineures comparés aux meilleurs solides poreux, mais l’état liquide a un gros avantage : il est adapté à la plupart des procédés industriels de traitement des gaz, où un liquide va solubiliser le gaz dans une première zone, l’amener via tuyauterie dans un autre compartiment où le gaz pourra être relargué, avant de retourner dans la première zone. Et ça, ce n’est pas gérable avec des solides !

« Liquids with permanent porosity » N. Giri et al. Nature 2015, 527, 216-220

[Science Et Genre] #3 Les stéréotypes sur les femmes font mauvais ménage avec ceux sur les disciplines universitaires

Une étude vient de paraître dans le journal scientifique « Science« , et propose une explication à la (très) inégale répartition des femmes dans les disciplines universitaires. Plutôt que de s’appesantir lourdement sur des prétendues différences dans les qualités intrinsèques des genres (du type : les femmes sont sensibles aux émotions des autres, les hommes ont une meilleure vision dans l’espace, etc… beurk), les auteur-e-s sont allé-e-s voir comment les stéréotypes de genre entrent en résonance avec les stéréotypes qui hantent les disciplines universitaires.

Pour cela, S.J. Leslie et les autres auteur-e-s, de Princeton, ont étudié la répartition femmes-hommes chez les étudiants ayant obtenus leur doctorat dans diverses disciplines aux USA en 2011.

Il es bien connu que les femmes sont sous-représentées dans les matières scientifiques « dures », comparées aux sciences humaines. Mais au-delà de cette généralité, les différences entre disciplines restent très importantes : Si les femmes représentent moins de 20 % des doctorats en physique ou en informatique, elles sont majoritaires en neurosciences et en biologie moléculaire. De la même façon, en sciences humaines, elles ont passé plus de 70 % des doctorats en psychologie et histoire de l’art, mais moins de 35 % en économie et philosophie.

Pour tenter d’expliquer ces différences, les auteur-e-s ont passé au crible quatre hypothèses :

  • La sélectivité des filières : y a-t-il moins de femmes dans les filières considérées comme les plus sélectives ? Cette hypothèse part de l’idée, souvent admise mais heureusement controversée, que la répartition dans les courbes d’aptitude est inégale, et que les femmes sont sous-représentées parmi les meilleurs éléments…
  • L’exigence de travail des filières : y a-y-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’un plus gros volume horaire travail est nécessaire ? ( avec une sous-distinction entre les heures de travail sur place et chez soi)
  • La façon de penser mis en avant dans les filières : est-ce une pensée systématique et rationnelle qui est privilégiée, ou une pensée dirigée vers la compréhension des idées et des émotions ? Y-a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré qu’une pensée rationnelle est primordiale ?
  • L’importance de la douance dans les filières : est-ce que la réussite est subordonnée avant tout par les capacité intrinsèques (innées, j’allais dire) des étudiants ? Y a-t-il moins de femmes dans les filières où il est considéré que les capacités individuelles priment sur l’apprentissage ?

A travers ces quatre hypothèses, on voit se dessiner une correspondance entre les stéréotypes liées aux disciplines universitaires (la douance, l’exigence de travail, etc.) et les stéréotypes liées au genre (courbes d’aptitude inégales, pensée systémique/empathique, etc.). Pourtant, le travail statistique des auteur-e-s montrent qu’uniquement la dernière hypothèse est pertinente pour expliquer les inégalités de répartition entre femmes et hommes.

Systématiquement, les trois premières hypothèses n’ont pas montré de corrélations statistiques pertinentes avec les inégalités de répartition. Les femmes pénètrent aussi bien les filières sélectives que les hommes, les volumes horaires que ce soit sur place ou en dehors, ou totaux ne créent pas d’inégalité de genre. Le type de pensée est statistiquement corrélé à la proportion femmes-hommes si on considère l’ensemble des disciplines. Mais si l’on se place dans le sous-groupe « science dure » ou dans le sous-groupe « sciences humaines », il n’y a plus de corrélation.

Quelque soit le sous-groupe de disciplines, ou si on considère l’ensemble des 30 disciplines étudiées dans cet article, plus les capacités innées sont considérées comme primordiales pour réussir dans la discipline, moins les femmes y sont présentes. Ainsi, la philosophie, les mathématiques, la musique, ou encore l’économie et la physique ( sont des disciplines où les femmes sont très peu présentes (moins de 15 % pour la physique, moins de 33 % pour la philosophie) . Et a contrario, La biologie moléculaire, les sciences de l’éducation, la psychologie ou les neurosciences (de 50 % pour les neuroscience, à 71 % pour la psychologie).

Les auteur-e-s ne se sont pas focalisés que sur les inégalités de genre. Les afro-américains souffrant aux USA des mêmes stéréotypes que les femmes, ils ont soumis aux mêmes hypothèses les inégalités de représentation des noirs américains, et le résultat a été le même : les noirs sont sous-représentés avant tout dans les disciplines où la douance est mise en avant. Par contre, les inégales répartitions des américains d’origine asiatique ne sont corrélées à aucune des quatre hypothèses, ceux-ci ne subissant pas les mêmes stéréotypes…

La transposition d’une telle étude à la situation française pose bien sûr des questions. Les stéréotypes, tant sur les genres et sur l’origine des étudiant-e-s, que sur les disciplines universitaires peuvent se trouver différents. Il me semble néanmoins qu’on les retrouve assez largement ne serait-ce qu’en étudiant les répartitions femmes-hommes dans les classes préparatoires aux grandes écoles ou dans les préparations aux concours comme l’agrégation. La lutte contre de tels stéréotypes nécessitent un gros travail sur la représentation des femmes mais aussi sur les disciplines universitaires. L’enseignement supérieur en a-t-il les moyens ? Et surtout, en a-t-il l’envie ?

 

« Expectations of briliance underlie gender distributions across academic disciplines » Sarah-Jane Leslie et al., Science 347, 262 (2015)

[Flash Info Chimie] #15 Utiliser du fluor radioactif pour l’imagerie médicale

Ce qui est intéressant en imagerie médicale, plutôt que d’observer tout le corps, ou tous les organes, c’est de cibler directement les cellules qui nous intéresse. Pour cela, il faut qu’elles soient mises en valeurs, plus que les autres.

Le TEP-Scan est une des techniques classiques pour cela. TEP, ça veut dire « Tomographie par Emission de Positons », c’est-à-dire qu’on va injecter au patient un produit radioactif (de type β+) dont un atome se désintègre en émettant une particule, un positon. Ce positon est en fait l’antiparticule de l’électron, et va donc s’annihiler avec le premier qui passe par là en émettant deux rayons gamma. Un détecteur circulaire se charge d’identifier la direction d’émission, et donc de cartographier la répartition du produit radioactif dans le patient.

Schéma d'une expérience de TEP-scan. (source : wikipédia)

Schéma d’une expérience de TEP-scan. (source : wikipédia)

L’élément privilégié pour réaliser de la TEP est le 18F, isotope radioactif du fluor. On peut aussi utiliser du 11C, du 15O, ou encore du 13N. Le choix dépend de la cible que l’on veut atteindre, mais surtout du temps de demi-vie de l’élément. le 18F a l’avantage d’une demi-vie assez longue, 112 minutes (la moitiée du 18F s’est désintégrée en 112 min.). On a donc à la fois une activité importante, et une demi-vie suffisamment longue pour préparer le composé à injecter. Par comparaison, le 150 a une demi-vie de 2 minutes. Il faut le fabriquer (à l’aide d’un synchrotron dans l’hôpital) et l’utiliser immédiatement.

Dans l’article publiée par A. Hoehne et ses collègues (de l’équipe de Jonathan Du Bois à Stanford), le 18F radioactif a été greffé à un composé d’une famille plutôt spéciale, les saxitoxines :

saxitoxine[Ce qui est assez spécial, c’est la présence de deux résidus « guanidiniums » dans la molécule. Vous les voyez, j’en suis sûr ! (les NH2+ reliés par une double liaison à un carbone, lui même relié à 2 autres N (azote)).]

Ces toxines sont produites par une algue microscopique, elle-même consommée par les huîtres et les autres coquillages, qui deviennent alors impropres à la consommation… Leur toxicité est liée à l’inhibition des canaux sodiques voltage dépendant. Pour faire court, ils vont bloquer la transmission de l’influx nerveux dans les prolongements des neurones (les axones), et ainsi paralyser la victime.

En greffant ainsi un atome de 18F sur cette molécule, les chercheurs ont réussi cibler ces canaux ioniques particuliers. L’intérêt réside en l’observation des zones qui sont particulièrement riches en ces canaux : les lésions nerveuses. Là où les autres méthodes d’imagerie non invasive sont incapables de visualiser ces zones, ce composé nommé [18F]STX a permis de les localiser précisement durant les TEP-scan.

18Fsaxitoxine

Le 18F est fixé avec un bras espaceur qui permet de maintenir l’activité inhibitrice des canaux sodiques en une seule étape.

Les résultats obtenus sur des souris sont très encourageants. A moyen terme, le but est de réaliser des expériences sur les humains, afin de suivre plus efficacement l’action des traitements contre certaines douleurs chroniques, par exemple.

« A 18F‐Labeled Saxitoxin Derivative for in Vivo PET-MR Imaging of Voltage-Gated Sodium Channel Expression Following Nerve Injury » A. Hoehne et al., J. Am. Chem. Soc. 2013, ASAP.

 

[Flash Info Chimie] #12 Synthèse totale de l’ingénol, un anticancéreux

Comme je m’en suis souvent plaint, les grandes revues pluridisciplinaires de recherche, les Nature, Science, PNAS, PLOS One en tête, ne parlent pas beaucoup de chimie. Et encore moins de chimie organique. Alors, quand Science publie une synthèse totale, je ne peux pas passer à côté. Surtout quand il s’agit d’un article de l’équipe de Phil Baran. Que vous connaissez tous, bien entendu ! Vous savez, le petit génie devenu grand, qui a fait ses armes chez le mégalomane K.C. Nicolaou, avant de monter son équipe au Scripps Institut en Californie ?

Bon, je reprends depuis le début… Une synthèse totale, c’est l’obtention en un nombre très variable d’étapes, d’un composé souvent très complexe, à partir d’autres composés, plus simples, déjà connus, pas trop cher (quand on a de la chance). Il y a trois raisons pour la recherche en chimie, de faire des synthèses totales :

  • Produire en quantité suffisante un composé trop rare dans la nature pour l’étudier convenablement
  • Elaborer des voies de synthèse permettant de le produire à grande échelle, et surtout permettant d’avoir accès à plein d’autres molécules très voisines, qui pourraient s’avérer plus efficaces (contre une maladie par exemple)
  • Et surtout, pour la beauté du geste. (Et oui, vous ne saviez pas, mais les chimistes organiciens sont un peu les poètes de la recherche ! Hum…)

Les grands noms de la synthèse totale en chimie organique ont été souvent auréolés de prix Nobel de Chimie :

  • Woodward (un dieu, il faut dire les choses telles qu’elles sont), prix Nobel en 1965, est le premier grand. On lui doit les synthèses totales de la quinine, du cholestérol, de la vitamine B12, et tant d’autres !
  • Corey (un demi-dieu, encore vivant) est toujours en activité. On lui doit la synthèse totale de nombreux prostaglandine, un réactif qui porte son nom, et 5 réactions « classiques ».
  • K.C. Nicolaou. Alors lui, on dit K.C., parce que personne ne connaît vraiment ses prénoms. Wikipédia nous dit que c’est : « Kyriacos Costa »… Voilà. On lui doit des molécules extrêmement complexes, comme la vancomycine, la brevetoxine, la calicheamicine, etc… Son gros problème, c’est qu’il n’a pas eu de prix Nobel. Et ça, ça lui reste en travers de la gorge…

Et maintenant, il y a un petit nouveau. Ancien doctorant chez K.C. Nicolaou, il est, pour moi, en train de surpasser, et de loin, son maître. Phil Baran (oui, lui, on lui donne encore son prénom) fait de la synthèse totale, mais bio-inspirée : au lieu de penser avant tout à puiser son inspiration dans le vaste catalogue de réactions chimiques qui existe en chimie organique, il prend un malin plaisir à décortiquer comment les organismes fabriquent ces molécules. Et propose ainsi des synthèses qui s’en inspirent : certains produits ont ainsi été obtenus en un nombre très faible d’étapes, en grande quantité, et avec une « élégance » hors du commun. Bref, il a passé son doctorat en 2001, il a la gueule d’un ado attardé, mais c’est un petit génie. Revenons à nos moutons. Il s’agit ici d’une synthèse totale, et le produit cible, c’est le (+)-ingénol. Le produit de départ choisi par l’équipe de Baran est le (+)-3-carène, qui, même s’il semble compliqué, ne coûte que quelques dollars les 10 g (ce qui est vraiment pas cher…si si ! )

le (+)-ingénol. Une structure complexe, surtout avec la partie droite de la molécule, où 4 cycles (dont deux à 7 carbones) sont imbriqués

le (+)-ingénol. Une structure complexe, surtout avec la partie droite de la molécule, où 4 cycles (dont deux à 7 carbones) sont imbriqués

(+)-3-Carene. On note le cycle à trois carbones (triangle) accolé à un plus grand, comme dans l'ingénol

(+)-3-Carene. On note le cycle à trois carbones (triangle) accolé à un plus grand, comme dans l’ingénol

Les chercheurs ont donc décortiqué la voie de synthèse de l’ingénol dans l’organisme qui le fabrique (Euphorbia peplus), et en ont déduit deux phases distinctes, qu’ils ont ensuite reproduits… Et cela donne une synthèse en 14 étapes, ce qui est extraordinairement peu pour une molécule de cette complexité.

Une étape est en particulier, pour moi, assez représentative du beau travail d’analyse de la synthèse biologique, et je vais essayer de la rendre compréhensible… Dans E. Peplus, la molécule appelée phorbol subit une transformation chimique assez complexe, un réarrangement / oxydation, pour donner l’ingénol. Durant cette étape, un cycle est agrandi et passe à 7 carbones, et la fonction cétone ( le  » C=O  » vertical) est créée : phorbolingenolL’équipe de Baran a donc proposé une voie de synthèse comportant ce réarrangement, ce qui donne :

les R et TBS sont des 'groupements protecteurs'

les R et TBS sont des ‘groupements protecteurs’

Les structures ne sont pas identiques bien sûr, mais on voit bien la même réaction, avec l’agrandissement du cycle, et l’obtention de la cétone. Cette idée de coller au plus près de la voie de synthèse biologique de ces composés très complexes fonctionne réellement. L’idée qui est derrière cela, c’est que dame Nature ne fait pas des réactions au hasard, mais des réactions qui marchent « facilement », même si elles ne sont pas simples a priori pour le chimiste.

Allez, je suis sûr que d’ici quelques mois, j’aurais d’autres synthèses totales à vous présenter !!

14-Step Synthesis of (+)-Ingenol from (+)-3-Carene, L. Jørgensen et al. Science2013, 341, 878;

[Flash Info Chimie] #11 Séquestrer le CO2 grâce à des composés organiques

Le CO_{2} , c’est l’ennemi public numéro 1 en ce moment. Grand responsable de l’effet de serre qui provoque le réchauffement climatique actuel, il est, avec justesse, le symbole de la sur-consommation des énergies fossiles…

Mais alors, que peut-on bien faire ? Evidemment, il y a deux solutions, complémentaires :

  • Moins consommer. Ça paraît évident et c’est aujourd’hui totalement possible en maintenant le même niveau de vie. Des adaptations en terme d’isolation thermique, de transport, et d’industrie.
  • Se débarrasser du CO_{2} . Soit en le ré-utilisant, soit en le « séquestrant ». Ré-utiliser, c’est l’utiliser comme matière première. C’est ce que fait chaque organisme photosynthétique, qui le transforme en sucres, puis en divers composés organiques. « Séquestrer », c’est le stocker sous une forme non atmosphérique. On peut par exemple utiliser certaines poches étanches souterraines pour l’y enfermer. (Il y a un exemple connu et efficace en Allemagne, dont j’ai oublié le nom). Ou alors on peut le transformer en une autre espèce chimique, qu’on pourra stocker aisément.

C’est de ce dernier type de « séquestration » dont parle l’article de paru dans le Journal of American Chemical Society.

[Attention, je vais être un peu technique… Vous pouvez aussi sauter ce paragraphe, hein !] L’équipe de X.-B. Lu a exploré la réactivité du CO_{2} avec des composés un peu particulier, mais assez faciles à obtenir, des « NHO », ou « oléfines hétérocycliques azotées » (on va garder NHO pour la suite, hein !). En quelques heures, et à température ambiante, les NHO réagissent avec du gaz carbonique pour donner des produits NHO-CO_{2} avec des bons rendements. Ce qui est intéressant, c’est que ces NHO-CO_{2}  peuvent à leur tour servir de catalyseur pour une réaction qui consomme du CO_{2} , qui forme, avec des alcools propargyliques, des composés potentiellement intéressants de type carbonates cycliques.

 

Composé 1 : c'est le NHO .  le 2, c'est l'adduit NHO-CO2

Composé 1 : c’est le NHO . Composé 2 : c’est l’adduit NHO-CO2

 

Composés 4 : alcools propargyliques (c'est-à-dire une fonction alcool -OH à côté d'une triple liaison). A l'aide de l'adduit 2, en quantité catalytique (5 %), on obtient des carbonates cycliques 5

Composés 4 : alcools propargyliques (c’est-à-dire une fonction alcool -OH à côté d’une triple liaison). A l’aide de l’adduit 2, en quantité catalytique (5 %), on obtient des carbonates cycliques 5

C’est une jolie chimie… A l’aide d’alcools propargyliques et d’un réactif présent partout (le CO2), on obtient des composés très intéressants comme intermédiaires de synthèses… Maintenant, c’est agaçant de voir dans ce titre le terme « séquestration ». On n’a pas ici un exemple de technique pour stocker le CO2. Tout juste une technique qui utilise du CO2 pour fonctionnaliser une molécule. Les réactions sont évidemment trop lentes, demandent du chauffage (certes, modéré) et surtout des composés (les alcools propargyliques) qui sont formés par des transformations déjà complexes, donc gourmandes en énergie. Les produits sont intéressants, mais pas suffisamment pour en produire des tonnes ! Utiliser le CO2 pour faire de la chimie organique, ça existe depuis des dizaines d’années [Par exemple avec la réaction entre un organomagnésien et le CO2, qui permet d’obtenir des acides carboxyliques]. Par contre, trouver une réaction chimique qui permet, de façon énergétiquement rentable, de transformer le CO2 en autres espèces chimiques stockables et/ou utilisables, on n’y est pas encore. La séquestration chimique ne ressemblera jamais à ce qui est proposer dans cette publication.

Ce n’est pas nouveau, mais c’est toujours dommage de voir que le sensationnalisme (mal placé) est présent jusque dans les titres des articles de recherche.

 

Fast CO2 Sequestration, Activation, and Catalytic Transformation Using N‐Heterocyclic Olefins, Yan-Bo Wang, Yi-Ming Wang, Wen-Zhen Zhang, and Xiao-Bing Lu, J. Am. Chem. Soc. 2013, ASAP.

[Flash Info Chimie] #7 La découverte d’un nouvel antibiotique, ça se fête !

Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre un nouveau composé antibiotique. Surtout quand il est VRAIMENT nouveau. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il existe un nombre relativement restreint de « classes » d’antibiotiques, et que trouver un nouvel antibiotique appartenant à des classes déjà connues, n’est pas forcément très intéressant : en général, les bactéries qui développeront des résistances face à un composé d’une classe ont de bonnes chances de développer des résistances face à d’autres composés de la même classe.

Depuis l’invention des premiers antibiotiques, l’humanité est en course contre les microbes : inventer toujours plus de nouveaux agents chimiques pour contrer toujours plus de mutations et de résistances. Mais la situation devient de plus en plus périlleuse. Cela fait longtemps que plus aucune classe d’antibiotique n’est sortie sur le marché, et pire, les chercheurs n’en ont pas en réserve. Les bactéries, du bacille de Koch (tuberculose) jusqu’au staphylocoque doré (qui peut aboutir à des septicémies), elles, progressent, et sont de plus en plus multi-résistantes…

Alors oui, ça se fête, de découvrir un nouveau composé antibiotique, dont on observe des propriétés antibiotiques remarquables, même sur des lignées résistantes à d’autres composés. L’anthracimycine a été isolé d’un micro-organisme de type Streptomyces [ qui sont connus pour leurs composés antibiotiques, anticancéreux, etc… ]. Sa structure est assez originale, avec 3 cycles, dont un « macrocycle » (cycle à 14 carbones) de type lactone (ester cyclique), avec une forme céto-énolique. Un autre composé naturel avec le même squelette avait été décrit, mais sans que ses propriétés biologiques ne soient étudiées.

Anthracimycine

Ce composé a une très bonne activité contre la bactérie Bacillus Anthracis (Gram-positive) qui donne l’anthrax. Et reste très intéressant pour un certain nombre d’autres pathogènes Gram-positifs. Par contre, il est inefficace contre les Gram-négatifs. Son analogue chloré montre lui une inhibition prometteuse des bactéries Gram-négatives.

On peut imaginer la suite : une course à la compréhension du mode d’action, à l’amélioration du produit, en espérant qu’il ne soit pas définitivement trop toxique, et, qui sait, des nouveaux antibiotiques pour sauver le monde d’épidémies dévastatrices ???

« Anthracimycin, a Potent Anthrax Antibiotic from a Marine-Derived Actinomycete » Kyoung Hwa Jang et al. Angewandte Chem. Int. Ed. 2013, 52,1-4 .

[Flash Info Chimie] #5 Séparer le bon grain de l’ivraie en pétrochimie

Il n’y a pas beaucoup d’articles de chimie publiés par les magasines Science, ou Nature. Alors quand c’est le cas, ça mérite d’être souligné. Surtout quand c’est de la belle chimie.

Oui parce que mine de rien, il y a la « Belle chimie », et la moins belle. La belle est originale, bien pensée et bien mise en oeuvre, et si possible facilement explicable au grand public.

Donc ici, on a de la belle chimie, au service de la chimie lourde, la chimie des hydrocarbures. Lorsqu’on extrait du pétrole, qui est un énorme mélange de centaines de composés différents, contenant tous quasi-exclusivement des carbones et des hydrogènes ( des  »hydrocarbures », quoi !), on sépare ses constituants par distillation, afin d’obtenir des mélanges moins complexes. On peut ainsi obtenir un mélange d’alcanes contenant 6 atomes de carbones :

isomeres6CarbonesCes composés sont des « isomères » de l’hexane, c’est-à-dire qu’ils sont composés du même nombre de carbone, et d’hydrogène. Ce qui les différencie, c’est le nombre de ramification : l’hexane n’est pas ramifié, les deux pentanes (2-méthyl et 3-méthylpentane) ont une ramification, et les deux butanes en ont deux.

Mais si leurs propriétés voisines font qu’ils sont assez difficiles à séparer, d’un point de vue de leur valeur ajoutée industrielle, ça n’a rien à voir.

Ces composés sont, en premier lieu, utilisés comme combustibles. De l’essence, quoi. Le paramètre qui mesure leur intérêt est donc leur « Indice d’Octane« , et grosso modo, plus il est élevé, plus la valeur ajoutée est grande. Et plus le composé est ramifié, plus son indice est élevé. Ce sont donc les butanes qui sont les plus recherchés.

Il existe des réactions « d’isomérisation », qui permettent d’obtenir un mélange à peu près équitable, à partir d’un mélange qui contient majoritairement de l’hexane. Le schéma industriel ressemble à cela :

Schéma du procédé industriel : à partir d'un mélange peu ramifié,

Schéma du procédé industriel : à partir d’un mélange initial contenant les différents isomères (« feed »), on provoque une isomérisation, donc un mélange plus uniforme. On les sépare « MOF », en récupérant ceux qui ont un indice d’octane (RON) supérieur à 92, et on réinjecte les autres dans le réacteur à isomérisation. Les nombres à côté des molécules sont justement leur indice d’octane. (source)

L’étape la plus délicate est aujourd’hui la purification. Et c’est là (enfin) qu’intervient cette publication dans le prestigieux journal « Science ». L’idée des équipes de R. Krishna et J.R. Long, est de séparer ces constituants en fonction de leur capacité à se déplacer dans un environnement topographiquement contraint.

L’environnement qui a été testé / mis au point est constitué de tunnels de forme triangulaire : l’hexane, linéaire, se coince facilement dans les coins, là où les espèces avec une ramification vont plus vite, et où les espèces à 2 ramifications, plus compactes progressent plus rapidement encore

Progressions des différents isomères dans les "tunnels" trianguaires. L'hexane, en haut, comme une anguille dans l'eau !

Progressions des différents isomères dans les « tunnels » trianguaires.

Cette topographie particulière a pu être réalisée à partir de complexes du fer (II) avec des ligands de type benzyl-dipirazole, qui permettent de créer une sorte de polymère organométallique, de la structure souhaitée :

A : structure finale de ce polymère organo-métallique. En gris : carbone, en bleu : azote, en jaune : fer. On voit bien la géométrie triangulaire. B : le ligand utilisé. C : une vision monodimensionnelle du ligand.
A : le ligand benzyl-dipirazole. B: structure finale de ce polymère organo-métallique. En gris : carbone, en bleu : azote, en jaune : fer. On voit bien la géométrie triangulaire.  C : une vision linéaire du polymère.

Les auteurs ont donc bien pu séparer les différents constituants d’un mélange équimolaire des différents isomères. L’intérêt industriel et économique est simplement énorme dans le domaine, et des brevets ont donc été déposés parallèlement à cette publication.

Cette possibilité de conférer des topographies particulières de façon rationnelle aux polymères organométalliques montrent leur intérêt (et leur supériorité par rapport aux zéolithes par exemple) dans de nombreux domaines, que cela soit dans la séparation et la purification, mais aussi dans la séquestration de divers composés, et (bien sûr) dans le domaine de la catalyse.

« Separation of Hexane Isomers in a Metal-Organic Framework with Triangular Channels » Z.R. Herm et al., Science 2013, 340, 960-64

>Mieux vaut être blanc (et riche) que noir (et pauvre)… Aussi dans la recherche !

>Aux USA, la question de l’accessibilité aux grandes universités, et aux programmes de recherche pour les « minorités raciales » a été soulevée depuis de nombreuses années, et plusieurs outils sont en place depuis les années 60-70. Quotas à l’entrée dans le supérieur, « Minority programs » (en place au National Institute of Health (NIH), à la NASA, à l’Université de Californie (UCI),…). Bref, tout est beau dans le meilleur des mondes grâce à la discrimination positive !
Et voilà que des chercheurs mettent le nez là-dedans, et que cette belle image se trouve quelque peu ternie… Dans un papier de Science, on apprend que les chercheurs américains noirs ont moins de chances que les hispaniques, blancs, ou asiatiques d’obtenir des subventions. 10 % de moins. Et ce, après s’être assuré que les biais concernant le parcours universitaire, la qualité des publications antérieures, la nationalité sont bien levés !

Probabilité d’obtention d’une subvention de la part du NIH en fonction de la « race » du demandeur (« Toute chose étant égale par ailleurs »)

Soyons honnête, je ne suis pas au courant de la situation en France. Dans mon domaine, en chimie organique, je n’ai jamais rencontré qu’un seul chercheur (devenu depuis professeur d’université) qui soit noir (et encore, antillais…)… Ce n’est certainement pas le seul, mais bon…difficile de faire des statistiques.
Et surtout, n’oublions pas la place faite aux femmes dans la recherche française, bloquées au rang de Maître de conférences ou chargées de recherche au CNRS (38,5 % des MdC sont des femmes), et trop rarement Professeure et Directrice de recherche (16 % des profs de fac…). (Un blog entier ne serait pas suffisant pour relater tout ce que j’ai entendu en seulement 4 ans sur les femmes dans la recherche en chimie)

Camarades, encore un effort …

Sources :
« Race, Ethnicity and NIH Research Award  » Ginther et al., Science, 2011, 333, 1015-1019