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[Science et Genre] #5 Contre les Papillomavirus : vacciner les hommes aussi !

En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, sont disponibles depuis quelques années plusieurs vaccins contre les fameux HPV, ces maladies sexuellement transmissibles de la famille des papillomavirus, dont les lésions sur le col de l’utérus sont à l’origine de l’apparition de cancers. Ces vaccins protègent contre la plupart des papillomavirus cancérigènes, et leur profil bénéfice/risque est excellent. Restent quelques questions actuellement en suspens, comme la durée de la protection (pour l’instant, les études montrent une protection au moins valable pendant 10 ans), mais globalement, on estime qu’ils peuvent éviter 70 % des cancers du col de l’utérus (d’où l’intérêt de pratiquer des frottis cervicaux tout au long de sa vie pour se prémunir des 30 % restant !). Si ces virus sont également montrés du doigt pour d’autres cancers, (gorge, bouche, anus en particulier) ce sont bien les femmes les principales victimes, si bien que ces vaccins ne sont actuellement prescriptible que chez les jeunes femmes, et non les jeunes hommes en France (ils peuvent néanmoins être proposés aux hommes homosexuels de moins de 26 ans, ce qui pose évidemment des questions du « tri » à effectuer en fonction des orientations sexuelles… Hum…). C’était le cas également de la plupart des pays du monde jusqu’en 2013 : l’Australie, suivi par les USA, l’Autriche, la Suisse, l’Italie et le Canada, ont alors mis en place une recommandation vaccinale concernant les deux sexes. Compte tenu de la rareté des autres cancers que de celui du col de l’utérus, il s’agit très clairement pour ces pays de diminuer l’incidence de cette dernière pathologie, chez les femmes donc. Malgré la logique (les hommes pouvant être considérés comme les principaux « vecteurs » du papillomavirus, les vacciner permettrait, logiquement, de diminuer l’incidence de la maladie), l’efficacité de cette vaccination « tous genres confondus » est difficile à évaluer.

Couverture vaccinale et effet grégaire

En imaginant une très large couverture vaccinale (quasiment tout le monde vacciné, il est probable que la vaccination « tous genres confondus » soit réellement efficace :

Quasi tous les hommes sont vaccinés

Le principal vecteur est supprimé

Les femmes, même non vaccinées, sont protégées

Seulement, elle est loin d’être large. Au contraire, en France, elle est actuellement très faible : 17 % seulement des jeunes femmes en 2015 (source). En imaginant une couverture vaccinale masculine identique, il semble peu probable d’obtenir un quelconque effet, puisque le « principal vecteur » reste, à peu de chose près, conservé… Il est vrai qu’en Suède, avec 80 % des jeunes femmes vaccinées, le problème est différent. Il n’empêche : il est nécessaire de quantifier, en fonction de cette couverture, l’intérêt de la vaccination masculine.
Pour résumer : l’objectif recherché, c’est une augmentation générale de la protection, c’est-à-dire une diminution du nombre de personnes infectées, grâce à la vaccination. Et ce malgré l’absence d’une vaccination de TOUTES les jeunes femmes. On est ici dans la problématique d’une recherche d »immunité grégaire« , qui peut être résumée comme sur ce schéma :

Schéma du haut : épidémie sans vaccination
Schéma central : épidémie avec quelques vaccinations : effet grégaire faible : quasiment pas de protection de personnes non vaccinées.
Schéma du bas : large couverture vaccinale : la maladie ne se propage globalement plus, y compris chez les personnes non vaccinées.
Source : NIH (via wikipédia)

 

Même à couverture modérée : les hommes doivent aussi être vaccinés

Une vaste étude a été menée en Finlande AVANT la mise en place d’une quelconque recommandation vaccinale contre les HPV, pour déterminer l’intérêt d’une vaccination exclusivement féminine, ou tous genres confondus. Publiée en ligne en octobre 2017, dans l’International Journal Cancer, il fait clairement apparaître le bénéfice d’une vaccination tous genre confondu dans la protection des femmes contre les cancers du col de l’utérus.

Pour cela, l’équipe de chercheurs menée par Matti Lehtinen, de l’Institut Karolinska (Suède), ont comparé trois groupes de communautés en Finlande, représentant au total 80000 personnes :

  • Dans le Premier (Groupe A), pour chaque communauté, 50 % des jeunes filles ont été vaccinées, ainsi que 30 % des jeunes hommes
  • Dans le Second (Groupe B), seules 50 % des jeunes filles ont été vaccinées, pas les jeunes hommes
  • Dans le troisième (Groupe C), aucune personne n’a été vaccinée (situation aujourd’hui éthiquement impossible dans le contexte de recommandation du vaccin par les autorités médicales)

L’intérêt d’une telle étude réside dans le choix de l’évaluation de couvertures vaccinales relativement faibles, et reflètent davantage les situations réelles que si 90 % des personnes étaient vaccinées. À titre d’exemple, la couverture vaccinale aux USA est de 42 %, 87 % au Portugal, et la France très loin derrière…

Tiré d’une infographie du Centre National de Référence HPV et de l’INCa (pdf)

Pour être concis, l’étude montre une augmentation significative de l’efficacité globale du vaccin entre le groupe A (tous genre confondu) et le groupe B. L’efficacité globale, c’est ce qui correspond au pourcentage des sujets effectivement protégés par le vaccin dans la population, soit directement par le vaccin, soit par l’effet grégaire de la vaccination. Si on regarde les résultats pour l’ensemble des HPV oncogènes (y compris ceux non directement visés par le vaccin), on atteint 47,6 % de protection des femmes dans le groupe B, contre 53,3 % dans le groupe A. Compte tenu de la faible couverture vaccinale proposée dans cette publication, les 5,6 % d’écarts sont significatifs, et correspondent à un véritable bénéfice (Voir la partie : « pour aller plus loin… »).

On peut comprendre que les pouvoirs publics, en France, se focalise sur la vaccination des femmes, puisqu’elles sont les principales victimes des cancers liés aux HPV, compte tenu de la très grande faiblesse de la couverture vaccinale. Cependant, est-il pertinent de se priver de vacciner les principaux vecteurs de la maladie que sont les hommes ? Ces travaux semblent nous annoncer que non. Puisque la vaccination, pour nombre de maladies contagieuses, est un acte citoyen, de protection globale de la population – de soi, mais aussi de son entourage – les hommes doivent participer à cet effort.

 

Disclaimer : Je n’évoque pas ici la question du ratio coût / bénéfice de la vaccination, qui a été évalué dans plusieurs pays et qui semble être tout à fait positif, malgré la nécessité de poursuivre le dépistage par frottis. Chaque pays, chaque couverture vaccinale est différente, ce qui rend parfois difficile de transposer les résultats des études coût / bénéfice d’une région à une autre. Compte tenu des spécificités françaises (sécurité sociale, dépistage par frottis peu suivi, vaccination encore moins), je ne me permettrai pas d’en parler ici, n’étant ni épidémiologiste spécialiste en vaccination, ni économiste de la santé. 

 

Pour aller plus loin

La lecture de cet article a été un peu ardue, je l’avoue. Si je connais les outils statistiques de base, des notions autour de la vaccination m’ont manqué. Afin d’y voir plus clair, j’ai pu contacter deux des principaux auteurs de la publication (Matti Lehtinen et Vänskä Simopekka) qui m’ont permis de lever les incertitudes (Merci à eux). Voici quelques détails de la méthodologie employée. N’hésitez pas à me demander d’autres précisions en commentaires.

Vous l’aurez compris, l’enjeu de cette étude n’est pas d’établir l’efficacité du vaccin chez les vaccciné-es, mais surtout de mesurer l’effet grégaire de cette vaccination, c’est-à-dire d’évaluer la protection chez les personnes non vaccinées. Les défis que cela impose sont multiples :

  • il faut que les groupes (groupes A, groupe B, groupe témoin C) reste cohérents, qu’il n’y ait pas trop d’échanges avec d’autres groupes non concernés par l’étude. Les chercheurs ont donc travaillé avec des « communautés », et ont vérifié qu’elles restaient stables, ou du moins qu’elles évoluaient de façon similaire dans les trois groupes (11 communautés par groupes).
  • Lorsque l’étude a débuté, la proportion de personnes déjà vaccinées était totalement négligeable parmi les communautés des trois groupes (moins de 1 %). Les jeunes concernés par l’étude ont donc été en contact avec des personnes un peu plus âgées non vaccinés. Leurs éventuels partenaires sexuels n’était ainsi pas constitué de 50 % de femmes protégées (et 20 % d’hommes pour le groupe A), mais d’une proportion plus faible. Les chercheurs ont donc choisi de séparer les groupes A, B, C, en deux sous – groupes : les plus jeunes (nés en 1994-95) et les plus vieux (né en 1992-1993), ces derniers étant plus exposés à des relations sexuelles contaminantes que les autres.

Les résultats que j’ai exposé plus haut sont ceux obtenu pour les plus jeunes (nés en 94-95).

  • Pour ceux nés en 1992-1993, il n’y a pas de différence significative entre les groupes A, B. Il n’y a pas d’effet grégaire significatif, que ce soit dans le groupe A, comme dans le groupe B. Cela signifie que la couverture vaccinale, avec ou sans les 20 % d’hommes n’est pas suffisante pour permettre une apparition d’un effet grégaire, c’est-à-dire une protection pour les non vacciné-es. Cela peut paraître assez normal, puisqu’aucun de leurs partenaires sexuels plus âgés n’était protégé contre le HPV : la couverture vaccinale réelle des personnes pouvant contaminer ou pouvant être contaminées est bien inférieure aux 50 % de femmes (et 20 % d’hommes pour le groupe A)
  • Pour ceux nés en 1994-1995, l’effet grégaire est significatif, non seulement lorsqu’on compare les groupes A et B avec le groupe témoin C, mais également entre les groupes A et B, qui ne diffèrent que par les 20 % d’hommes vaccinés. Ceci s’explique aisément par la couverture vaccinale plus grande des partenaires sexuels de ces individus plus jeunes : ceux qui ont jusqu’à 2 ans de plus qu’eux sont également vaccinés.

Il est donc clair qu’un effet grégaire n’est pas à attendre lors des toutes premières années de vaccination, puisque les personnes non vaccinées ont encore, parmi leurs partenaires sexuels, potentiellement contaminants, de nombreux individus plus âgés, et non vaccinés. Dans ces travaux, on peut néanmoins voir que cet effet protecteur apparaît de façon significative dès que les individus d’un ou deux ans plus âgés, sont également vaccinés. Un rapide retour sur investissement !

Les auteurs de cette publication ont également étudié la protection du vaccin en fonction du génotype du papillomavirus. Les différences entre les HPV 16, 18, 31, 33, 45 sont importantes.

Il faut noter que le vaccin distribué dans cette étude a été réalisé uniquement pour la protection des génotypes HPV 16 et 18. Pourtant, il s’avère qu’il protège également contre les HPV 31, 33, 45, mais avec une efficacité très variable : d’environ 40 % pour les génotypes 31 et 33, et plus de 80 % pour le génotype 45. Les chiffres de protection globale donnés plus haut s’entendent pour l’ensemble de ces cinq génotypes. En analysant plus finement les résultats, les chercheurs ont ainsi pu mettre en avant que :

  • Il n’y avait pas de différence significative entre les groupes A et B pour les génotypes 16 et 45. En fait, pour ces deux HPV, aucun effet grégaire n’a pu être démontré. Pour le HPV 16, ces résultats confirment d’autres études : compte tenu de ses spécificités, seule une très grande couverture vaccinale permet réellement de faire émerger un effet grégaire. Le HPV 45, quant à lui, est trop rare dans les populations pour que son évolution aie pu être significative.
  • Pour les trois autres génotypes, l’effet grégaire est significatif pour les groupes A et B, et, dans les trois cas, supérieur pour le groupe où les hommes ont également été vaccinés.

Si cette étude montre que les hommes doivent également participer aux campagnes de vaccination contre les HPV, elle fait également état, par la variabilité des effets grégaires, et donc des efficacités globales du vaccin selon les génotypes des papillomavirus, de la nécessité d’étendre la couverture vaccinale contre ces maladies. Nous sommes bien ici dans un contexte de maladie contagieuse, aux conséquences pouvant être désastreuses. La vaccination, pour protéger les femmes principalement (mais également les hommes), semble être une solution particulièrement efficace, à l’unique condition qu’elle soit partagé par un bien plus grand nombre de personnes, femmes ET hommes.

Remarque : D’après l’échange avec les auteurs de l’étude, dans son contexte, en Finlande, avec cette couverture vaccinale, la vaccination des hommes, même à hauteur de 20 % seulement, a un rapport coût/bénéfice en faveur de la vaccination, à condition de considérer également les cancers masculins liés aux HPV. (Résultats non publiés)

Disclaimer 2 : Au cas où cela m’est demandé : oui, les auteurs ont déclaré avoir des liens (financements de l’étude, emploi) avec GSK, le fournisseur du vaccin.

Lehtinen, M. et al. (2017), « Impact of gender-neutral or girls-only vaccination against human papillomavirus—Results of a community-randomized clinical trial (I) » Int. J. Cancer. doi:10.1002/ijc.31119

Manifeste pour une science reproductible (I) : le constat

Cet article fait suite à la publication, il y a quelques mois, dans Nature Human Behaviour d’un article intitulé « A Manifesto for Reproducible Science » écrit par M.R. Munafò et ses collègues issus de prestigieuses universités américaines, anglaises et néerlandaise.

La recherche scientifique, telle qu’elle est menée actuellement, est en pleine « crise de la reproductibilité », questionnant totalement les méthodologies des laboratoires, mais également les modes de publications, d’interactions, et d’évaluations de la recherche. Le phénomène a été particulièrement mis en avant depuis les années 2000. Non pas qu’il ne soit pas plus ancien, (je dirais même qu’il est inhérent au prestige que représente la recherche et les découvertes scientifiques), mais il devient beaucoup plus visible aujourd’hui, sans doute grâce à une meilleure circulation des informations et des publications.

Une « crise de la reproductibilité », des réalités différentes

Derrière ce nom, se cache en réalité des pratiques scientifiques différentes, de la fraude pure et simple, à la non publication de résultats négatifs, en passant par les erreurs « de bonne foi », ou liées à des méthodologies contestables. Il serait difficile de tout lister, bien entendu, mais je peux revenir, à titre d’exemple, sur quelques exemples choisis.

Biais de méthodologie : le cas de l’IRM fonctionnelle

L’Imagerie par Résonance Magnétique a offert aux neurosciences l’opportunité de « visualiser », en temps réel, la réponse de nos cerveaux lorsqu’ils sont stimulés par une réflexion, un sentiment, une sensation. Cette technique, appelée IRM Fonctionnelle permet de mesurer en réalité l’évolution de la quantité de dioxygène dans les différentes zones du cerveau, et ainsi, de voir les zones actives (pauvres en O2, qui a été consommé) et les zones au repos. Le problème, dont j’ai parlé ici sur ce blog (et là pour Pour La Science), concerne la méthodologie de traitement des données pour produire l’image du cerveau. Pour simplifier, un chercheur, Enders Eklund a montré que les méthodes utilisées depuis 20 ans en IRM fonctionnelle donnaient des résultats… Faux la plupart du temps.(1) Quelques 30 000 publications ayant été basées sur l’utilisation de ces méthodes, la question de la reproductibilité de ces travaux scientifiques est critique en neuroscience. Si de nouvelles méthodes de traitement de données beaucoup plus fiables existent aujourd’hui, elles ne pourront pas être utilisées pour évaluer les publications plus anciennes, les données brutes n’ayant jamais été publiées…

Cachez ces résultats négatifs que je ne saurais voir…

Combien de travaux ont été entrepris, sans savoir que d’autres équipes de recherche avaient déjà essayé les mêmes choses, n’avaient rien obtenu et surtout… Rien publié ? Cette non publication occasionne des coûts importants, et une perte de temps considérable. En terme de reproductibilité des résultats, les dégâts sont également importants:
Imaginons que 10 équipes fassent la même expérience, pour établir que « A implique B« . 9 obtiennent un résultat négatif (absence de corrélation) –ne le publient pas– et une, par hasard, trouve une corrélation statistiquement significative (risque d’erreur inférieure à 5 %). Et la publie. C’est cette conclusion qui sera retenue. Alors que les données conjointes des 10 équipes auraient très probablement conduites à une infirmation du lien de causalité entre A et B.
Ce problème a conduit à la multiplication, dans les années 2000, de journaux qui publient les résultats négatifs. D’autres plaident pour des plateformes d’accès libre pour ces résultats, servant de bases de données de ce qui a déjà été tenté, mais qui n’a pas marché…(2)

61 % de rendement… On arrondit à 70 % ?

Enjoliver les résultats… QUE C’EST FACILE !! Prenons un exemple dans un domaine où les conséquences ne sont pas dramatiques (contrairement à la médecine et la pharmaceutique), et que je connais bien, à savoir la chimie organique. Lorsque j’étais en thèse de chimie organique, je travaillais sur la mise au point de réactions conduisant à des molécules de type pyridoacridines.

Certaines de ces réactions donnaient des résultats au rendement très variable. J’obtenais effectivement la bonne molécule à chaque coup (ce qui était en soi un résultat très satisfaisant), mais parfois avec 15 %, parfois avec 50 % de rendement. Il va sans dire que dans mon manuscrit, seul ce « 50 % » figure. Mon premier réflexe est… de ne pas trop m’en vouloir ! Après tout,

  • Quelqu’un au labo est passé derrière, a confirmé ces 50 %, et a amélioré ce résultat de façon assez spectaculaire.
  • Ces réactions ne serviront probablement jamais à rien… Et puis, je l’ai bien obtenu, isolé, mon produit, zut !

Ce type de comportement est extrêmement répandu en chimie fine, d’autant qu’il est très rare que d’autres refassent exactement les même manipulations avec les mêmes substrats. Bref : pas vu, pas pris… Pas (trop) de conséquence. Ce qui est dommageable, c’est être formé -lors d’une thèse par exemple- avec ce type de comportement. Qui fait petit à petit accepter un peu n’importe quoi. Sans fraude manifeste, sans volonté de nuire, on arrive à des résultats non productibles.

« Avez vous échoué à reproduire une expérience ? » tiré de cet article paru dans Nature.(3) Et le domaine gagnant est… La chimie !!

Les essais cliniques : quel gâchis !!

Dans un article paru dans Nature en 2012, C. G. Begley et L.M. Ellis tirent la sonnette d’alarme : en oncologie particulièrement, le taux d’échecs des essais cliniques ne peut pas s’expliquer uniquement par la difficulté de transposer à l’humain les recherches pré-cliniques. Il y a un gros problème de fiabilité et de reproductibilité des travaux scientifiques pré-cliniques(4). Ainsi, reportent-ils, une équipe de Bayer a analysé les données publiées concernant 67 projets de l’entreprise (dont 47 en oncologie) : le taux de reproductibilité est d’environ 20 – 25 %. D’autres chercheurs, de l’entreprise AmGen (Californie) n’ont pu confirmer les résultats que de 6 articles sur 53 (11%). A l’heure de l’envolée du coût de développement des médicaments anti-cancéreux, la perte d’argent, et de temps liés à ces travaux non reproductibles représente un gâchis considérable.

 

Ces quelques exemples ne sauraient être représentatifs. Les recherches en psychologie ont particulièrement été montrées du doigt, mais on voit bien que l’ensemble des disciplines universitaires sont concernées. Que ce soit en raison de mauvaises pratiques (non conservation/ non publication des données brutes), de biais cognitifs, de pressions (financière, académique, …), ce sont toutes les étapes de la recherche qui se retrouvent impactées, comme le résume cette figure de l’article de Munafò et coll. (5):

 

À venir : Manifeste pour une science reproductible (II): les propositions

(1) « Cluster Failure : Why fMRI inferences for spatial extent have inflated false-positive rates » E. Eklund et al. PNAS 2016.
(2) « Negative Results Are Published » B. O’Hara Nature 471,448–449 (24 Mars  2011).
(3) « 1500 scientists lift the lid on reproductibility » Monya Beker Nature (25 mai 2016)
(4) « Drug development : Raise standards for preclinical cancer research » C.G. Begley et L.M. Ellis  Nature 483, 531–533(29 March 2012)
(5) « A Manifesto for Reproducible Science » Marcus R. Munafò et al. Nature Human Behaviour 1, 0021 (2017)

[Flash Info Recherche] #3 Du nouveau dans les thérapies anti-SIDA

Il est de bon ton de parler aujourd’hui du SIDA comme d’une maladie chronique que l’on contrôle grâce à un cocktail médicamenteux d’anti-rétroviraux (ART) efficaces. Si l’espérance de vie aujourd’hui d’une personne séropositive, en France, semble se rapprocher de celle d’une personne séronégative, avoir le SIDA reste une situation difficile et lourde à porter. Outre les conséquences sociales, cette maladie impose la prise d’ART à vie : ceux-ci rendent certes le HIV indétectable, mais ils ne l’éradiquent pas : quelques semaines après l’arrêt du traitement, le virus ré-apparaît.

N’oublions pas également que la situation française n’est pas la norme à l’échelle de la planète : nombre de patients asiatiques, africains, américains n’auront jamais accès aux ART, faute de moyens.

Une étude parue dans la revue Science il y a quelques mois laisse néanmoins entrevoir l’espoir d’une réelle rémission après la prise d’ART : en travaillant sur le SIV – équivalent simiesque du HIV -, une équipe américaine a découvert qu’en traitant des singes malades avec un anticorps artificiel (spécifique de certaines protéines du système gastro-intestinal) en même temps que les ART, les taux de SIV ne remontaient pas après l’arrêt du traitement (pendant -au moins- 9 mois).(1)

Les chercheurs sont partis du fait que les tissus du système gastro-intestinal jouent un rôle de réservoir permanent de VIH (ou de SIV). Les lymphocytes T4, globules blancs cibles du virus, adhèrent à ces tissus grâce à une protéine de surface de la famille des intégrines : l’intégrine α4β7. Si on empêche ces globules blancs d’adhérer, peut-on empêcher la prolifération du virus ? La réponse semble bien positive :
Des singes SIV-positif ont été traités aux ART accompagné d’anticorps monoclonaux spécifiques de α4β7 simiesque. Après arrêt total des ART et de ces anticorps, le taux de SIV n’est pas remonté, et reste indétectable. Le mécanisme précis est mal connu, mais la prise de ces anticorps ont pour conséquence la diminution de la circulation des lymphocytes T4 riches en α4β7 dans les tissus gastro-intestinaux. Chez le singe, cela semble suffire pour limiter la contamination de ces globules blancs, et donc pour permettre au système immunitaire de lutter efficacement contre le virus.
Chez l’homme, des anticorps monoclonaux spécifiques à l’intégrine α4β7 sont déjà commercialisés pour d’autres indications. Les études humaines devraient probablement en être accélérés… En espérant que leurs résultats soient aussi spectaculaires !

(1) « Sustained virologic control in SIV+ macaques after antiretroviral and α4β7 antibody therapy » Siddappa N. Byrareddy, James Arthos, Claudia Cicala, et al. Science 14 Oct 2016 Vol. 354, Issue 6309, pp. 197-202

Vaccin contre la dengue (Sanofi-Pasteur)… Oui, mais avec modération !

Compte tenu du titre, il me semble qu’il faille tout de suite mettre les choses au point : Je me positionne tout à fait pour l’utilisation de la plupart des vaccins (en particulier tous ceux obligatoires ou recommandés en France), et ce, à la lumière des publications scientifiques qui en montrent l’effet positif pour la santé à l’échelle individuelle, ainsi qu’à l’échelle sociétale. (Pour plus de détails, voir à la fin du texte).

Voilà,on va pouvoir, en toute sérénité, mettre en question la vaccination contre la dengue à l’aide du Dengvaxia, développé par Sanofi-Pasteur, actuellement fabriqué à Neuville-Sur-Saône.

dengvaxia

La dengue : un fléau aux quatre visages*

La dengue est une maladie virale humaine transmise via les moustiques du genre Aedes (dont fait partie le fameux moustique tigre). 40 % de la population mondiale est exposée à ce virus : on estime qu’il y a chaque année plusieurs centaines de millions de contamination, dont 36 millions de personnes qui développent les symptômes classiques de la dengue, mais aussi 2,5 millions de formes graves, et 21 000 décès. Il n’existe aucun antiviral efficace contre cette maladie, la prise en charge consiste donc en le traitement de la douleur et de la fièvre… Dans les cas grave, l’hospitalisation est indispensable.

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Allons un tout petit peu plus loin dans la description de cette maladie, afin de comprendre son originalité (sa perversité, j’allais dire) : il existe quatre sérotypes, appelés DENV-1 à DENV-4, qui donnent des symptômes similaires. Lorsqu’une personne est infectée par un des sérotypes, elle se trouve immunisée (définitivement) contre lui. Mais pas contre les quatre autres: Pire, le risque qu’elle développe une forme grave de Dengue est multiplié par 10 lors d’une nouvelle infection par un autre sérotype. 

La lutte contre cette maladie consiste actuellement essentiellement en la destruction de l’habitat des moustiques (eaux stagnantes), et l’utilisation de répulsifs. D’autres pistes sérieuses sont explorées, comme l’introduction massive d’insectes mâles génétiquement modifiés pour que leur descendance ne parvienne pas à l’âge adulte (une diminution de 90 % de la population de moustique est attendue en 6 mois), ou encore l‘introduction de la bactérie Wolbachia qui affecte les moustiques, se transmet de génération en génération, et empêche le virus de la dengue de se répliquer dans cet hôte. Et puis, bien sûr, la vaccination. L’humain étant à la fois un vecteur, et le seul réservoir de ces virus, une vaccination efficace pourrait, idéalement, éradiquer définitivement la maladie.

Le Dengvaxia, un vaccin « faute de mieux » ?

Il y a plusieurs vaccins en cours d’homologation, mais seul le Dengvaxia, développé par Sanofi-Pasteur est actuellement sur le marché. 11 pays l’ont actuellement homologué (Depuis le Mexique à Singapour, en passant par la Thaïlande, le Brésil, etc.). Ce vaccin a une efficacité toute relative, comprise entre 43 % pour DENV-2 et 77% pour DENV-4 (1).** Les autres candidats vaccins ne semblent pas faire mieux que le Dengvaxia…

Venons-en, enfin, au cœur du problème. Le principe du vaccin (de tous les vaccins, en réalité) consiste en la sensibilisation du système immunitaire en l’exposant à des fragments / particules / virus attténués, afin qu’il développe des anticorps « comme si » le corps avait déjà été en contact avec la maladie. Le Dengvaxia est ainsi un vaccin tétravalent, c’est-à-dire qu’il sensibilise le système immunitaire aux quatre sérotypes connus lors de sa mise au point. Mais souvenez-vous : le risque de formes graves augmente considérablement après une première exposition : le vaccin risque donc d’accroître ce risque ! Cela n’aurait aucune incidence si le vaccin était efficace à 100 % sur tous les sérotypes : il n’y aurait, dans ce cas, pas de nouvelle contamination. Mais avec son efficacité qui n’est pas totale, un problème inédit (à ma connaissance) dans l’histoire de la vaccination apparaît : un individu vacciné pourrait présenter un risque accru de dengue sévère comparé à un autre jamais en contact avec cette maladie.

Les résultats de la phase III de l’essai clinique du vaccin, celle qui est effectuée sur de grandes populations, n’a pas permis de lever cette interrogation :

  • Des différences nettes entre l’efficacité du Dengvaxia chez les patients séropositifs (qui avaient déjà eu une dengue avant vaccination) et chez les patients séronégatifs ont été observés: En réalité, Aucune efficacité statistiquement significative n’a été mesurée chez les personnes séronégatives (2).
  • L’efficacité chez les enfants (plus souvent séronégatifs du fait de leur âge), est nettement plus faible que chez les groupes de sujets plus âgés (2).
  • Il a été observé également une augmentation du risque d’hospitalisation pour dengue sévère au cours de la troisième année après administration du vaccin, principalement chez les jeunes enfants, qui ont été de fait exclu de la cible du vaccin (proposé à partir de 9 ans) (1). Ce risque a été mesuré à + 7,5 %, mais du fait de l’échantillon très restreint sur lequel a été fait l’étude, il est en réalité compris entre 1,2 et … 314 %. De travaux de plus larges ampleurs doivent être entrepris pour affiner tout cela !

De quoi renvoyer le Dengvaxia dans les oubliettes de l’histoire des ratés de l’industrie pharmaceutique ? Tout de même pas !

Vaccin contre la dengue : à utiliser avec modération !

À la lumière de ces résultats ni catastrophiques, ni rassurants, des scientifiques ont cherché à établir avec plus de précision quelles étaient les situations sanitaires et épidémiologiques pour lesquelles le vaccin serait bénéfique. Une équipe d’épidémiologistes de l’Université de Stanford a ainsi modélisé mathématiquement l’impact de la vaccination chez des populations dans des zones différemment exposées à la dengue, en prenant en compte les résultats -mitigés- dont nous venons de parler. Ils ont étudié l’impact du vaccin sur des périodes allant de deux ans à trente ans. D’après leurs travaux, il est important d‘adapter la vaccination aux zones géographiques en fonction de l’endémicité de la maladie, et, si possible, en fonction du statut immunitaire de chaque individu.(2)

La logique qui transparaît de cette modélisation est assez simple :

À l’échelle collective :

  • En cas de forte endémicité, le risque d’être contaminé plusieurs fois par les différents sérotypes de la dengue est très grand. La vaccination n’induit globalement pas de risques supplémentaires en rajoutant une exposition. De toute façon, cette exposition avait de très grande chance de se produire… Le bénéfice est donc réel. Les auteurs montrent d’ailleurs que dans ces zones, on pourrait abaisser l’âge minimal de vaccination en dessous de 9 ans (les enfants plus jeunes étant déjà confronté au risque d’être contaminé plusieurs fois…)
  • En cas de faible ou de moyenne endémicité, le risque d’être contaminé une fois existe, mais celui d’être contaminé plusieurs fois est relativement faible. La vaccination, qui rajoute une exposition, peut devenir contre-productive, et causer des symptômes graves lors du contact avec un des sérotypes de la dengue. Une vaccination globale dans ces zones est donc à proscrire.
  • Pour les voyageurs provenant de zone où la dengue est absente, le risque d’attraper la dengue plusieurs fois est quasi nul, aucune vaccination ne doit être entreprise pour la même raison.

À l’échelle individuelle :

  • Une personne séronégative n’a aucun intérêt à se faire vacciner : cela crée une situation de première exposition, et augmente les risques de développer des symptômes graves.
  • Une personne séropositive à un des dengues a tout intérêt à se faire vacciner, puisque le risque de développer des formes graves a déjà été accru par une première infection. Les épidémiologistes ont estimé que ce n’était cependant pas particulièrement intéressant dans les zones de faible endémicité, mais efficace en zone de forte endémicité.

La conclusion globale de cette étude sonne comme une mise en garde : la vaccination par le dengvaxia est intéressante, mais pas n’importe où, pas chez n’importe qui. L’idéal est de pouvoir effectuer un test rapide (et pas cher !) pour connaître le statut sérologique de chaque individu qui se fait vacciner. Si cela n’est pas le cas, il ne faut agir qu’en zone de forte endémicité, où, en vaccinant tout le monde, y compris les séronégatifs, on aura tout de même un bénéfice global en matière de santé publique.

J’aimerais ajouter une remarque plus générale : ce type d’étude montre une chose importante : LA Vaccination n’existe pas (pas plus que L’Antibiotique, ou LE Anticancéreux !) : il existe DES vaccins dont l’évaluation doit être réalisée au cas par cas, de façon minutieuse et précise. Espérons qu’à la lumière de cette étude, ce vaccin soit utilisé de façon réellement utile et efficace, de façon modérée et éclairée dans les pays qui l’ont validé.

 

* Il a été annoncé un cinquième sérotype pour la dengue lors d’une conférence internationale en 2013. Mais cela n’a jamais été confirmé par un article dans une revue. Une discussion à lire sur researchgate montrer qu’il ne s’agirait en fait que d’un variant de DENV-4 (ouf…)

**Il faut bien comprendre qu’en dépit d’une efficacité relativement faible à l’échelle humaine, un vaccin peut permettre l’éradication d’une maladie à l’échelle collective : une diminution de 50 % des malades signifie également un risque de contamination nettement plus faible qu’en l’absence de vaccin. Avec le risque de contamination plus faible ET la probabilité plus grande d’être efficacement immunisé, on arrive à des diminutions réelles et rapides de la prévalence des maladies.

Suite de la mise au point initiale sur les vaccins :

  • Les vaccins sont des produits pharmaceutiques soumis aux mêmes contrôles que les médicaments. Ceux qui sont aujourd’hui obligatoires ou qui sont recommandés en France ont fait leurs preuves, tant pour leur innocuité que pour leur efficacité. De plus, tout comme les médicaments, dire « les vaccins c’est le mal » est aussi idiot que dire « les antibiotiques c’est le mal », ou « les anti-douleurs, c’est le mal », alors qu’il en existe dix mille différents…
  • Des maladies ont disparues (La variole), d’autres pourront disparaître (la polio actuellement en voie d’éradication) grâce à la vaccination.
  • Il existe des effets secondaires aux vaccins, et ils sont pris en compte lors de leur évaluation.
  • L’aluminium présent dans les vaccins n’est responsable ni de cancers, ni de maladies neurodégénératives, ni de maladies auto-immune. Il a été montré qu’il était totalement sûr d’un point de vue de la santé (On pourra lire, entre autre les conclusions de cette revue de la littérature par des membres de la Collaboration Cochrane, qui font référence en terme de sérieux ET d’indépendance en recommandation médicale).
  • Néanmoins, on peut effectivement, d’un point de vue éthique, questionner la question de l’obligation vaccinale en vigueur en France, d’autant qu’elle n’est pas efficace, et qu’elle génère un scepticisme face aux vaccins. (J’ai déjà parlé de ce point dans cet article : « Vaccins : marche-t-on sur la tête ?« )

(1) Site de l’OMS : « Questions-Réponses sur les vaccins contre la Dengue »
(2) « Benefits and risks of the Sanofi-Pasteur dengue vaccine: Modeling optimal deployment » N.M. Ferguson et al.Science 02 Sep 2016: Vol. 353, Issue 6303, pp. 1033-1036
(3) « Surprising new dengue virus throws a spanner in disease control efforts » Science  25 Oct 2013, 342 (6157), pp. 415

[Flash Info Chimie] #47 Les chaperones pharmacologiques : un nouvel outil thérapeutique pour maladie incurable

Certaines maladies sont liées à l’accumulation anormale de biomolécules (comme les protéines ou les lipides), qui s’agrègent dans les tissus, les empêchant de remplir leur fonction normale. C’est par exemple le cas de la maladie de Gaucher, où un sphingolipide, le glucocérébroside, s’accumule dans les tissus nerveux. C’est aussi le cas pour la cataracte, maladie qui touche 70 % des personnes de plus de 70 ans, qui se manifeste par l’opacification du cristallin, conduisant à la cécité. Cette opacification est liée à l’agrégation anormale des protéines qui constituent le cristallin. D’autres accumulations et agrégations de protéines (tout particulièrement de la protéine tau) sont aussi impliquées dans des maladies neurodégénératives…

Oeil humain touché par la cataracte. Le cristallin devient progressivement opaque, par agrégation des protéines -α-crystalline.

Oeil humain touché par la cataracte. Le cristallin devient progressivement opaque, par agrégation des protéines alpha -crystalline.(source : wikipédia)

Les chaperones pharmacologiques sont des molécules qui vont permettre d’agir sur ces biomolécules, pour restaurer leur solubilité dans les tissus. C’est-à-dire qu’au lieu de s’agréger, et former des résidus solides pathologiques, elles vont pouvoir rester sous forme dissoutes dans les fluides présents. Le principe de fonctionnement réside simplement en la liaison entre ces chaperones et la biomolécule, créant ainsi une nouvelle entité qui ne peut plus s’agréger aussi facilement…

Dans un article récent paru dans le journal Science, L. N. Makley de l’Université du Michigan et son équipe, font état d’une nouvelle méthodologie pour identifier des chaperones pharmacologiques permettant de re-solubiliser les biomolécules agrégées.

En effet, ils ont étudié les points de fusion « apparents »* des agrégats de la protéine α-crystalline, (responsables de l’apparition de la cataracte), avec, ou sans chaperone. Parmi les 2446 molécules candidates, 32 permettaient d’abaisser le point de fusion de 72 °C à moins de 70 °C. Une chaperone finale a été retenue, et testés sur des cristallins de souris touchés par la cataracte, et qui ont vu leur transparence partiellement restaurée.

la molécule chaperone ("compound 29") au coeur d'un modèle de la protéine ciblée. Cet assemblage a un point de fusion plus faible que la protéine seule.

la molécule chaperone (« compound 29 ») au coeur d’un modèle de la protéine ciblée. Cet assemblage a un point de fusion apparent plus faible que la protéine seule. (source)

Au delà des progrès médicaux que cela inaugure pour le traitement non chirurgical de la cataracte, cet article, qui traite davantage de la méthodologie de recherche de chaperone pharmacologique que de cette maladie particulière, apporte la preuve qu’il est possible de chercher rationnellement des composés pouvant agir directement sur les agrégats de biomolécules, et ainsi restaurer les fonctions des tissus des organes touchés.

* Il s’agit en réalité de la température de re-solubilisation des agrégats dans la solution étudiée.

« Pharmacological chaperone for α-crystallin partially restores transparency in cataract models » L.N. Makley et al. Science 2015, 350 (6261), 674-677.

[Flash Info Chimie] #46 Les dispersants chimiques censés lutter contre les marées noires sont contreproductifs

Lors de la marée noire provoquée par la plateforme Deepwater Horizon, des millions de litres de « dispersants chimiques » ont été déversés au niveau des nappes de pétroles qui dérivaient dans l’océan Atlantique. Ces dispersants, composés d’un mélange d’émulsifiants et de solvants ont pour action de fractionner les nappes en micro-gouttelettes. Ces micro-gouttelettes peuvent se disperser plus aisément, se répartissent dans tout le volume d’eau au lieu de rester exclusivement en surface. Elles présentent également une plus grande surface de contact avec leur environnement, ce qui est censé accélérer le processus de biodégradation du pétrole.

Épandage du dispersant chimique "Corexit" (Wikipédia)

Épandage du dispersant chimique « Corexit » (Wikipédia)

En décembre 2015, une équipe de recherche a publié un article alarmant sur les conséquences de l’utilisation de dispersants dans le Golfe du Mexique suite à la marée noire de Deepwater Horizon.(1) D’après les recherches de Sara Kleinstienst, de l’université de Georgie et ses collègues, les dispersants utilisés sont même contre-productifs. En effet, ils ont constaté que la dégradation du pétrole par les micro-organismes, qui se traduit par l’oxydation des hydrocarbures qui le compose est considérablement ralentie par l’ajout des dispersants.

Comparant les populations des micro-organismes qui dégradent ces hydrocarbures, les scientifiques se sont rendus compte qu’elles augmentaient en présence de pétrole brut, mais au contraire diminuait lorsqu’on y ajoutait des dispersants chimiques. En fait, la présence de ces dispersants favorise les micro-organismes qui les dégradent EUX, au détriment des micro-organismes qui dégradent les hydrocarbures…

Ce n’est pas la première fois que les dispersants chimiques sont pointés du doigt. De nombreuses études ont mis en avant les doutes qui existent quant à son innocuité vis-à-vis des travailleurs qui les manipulent, vis-à-vis des organismes marins, etc… D’autre part, leur efficacité n’a pas toujours été à la hauteur des attentes des autorités, et des entreprises pétrolières. (2)*

Un certain nombres de pays européens, exposés au risque de marée noire, a fait des réserves stratégiques du même type de dispersants que celui utilisé pour Deepwater… En cas de catastrophe, ne faudra-t-il pas les laisser au hangar ?

*Il faudrait faire une étude exhaustive sur le sujet. Dans la notice Wikipédia, on peut lire qu’en 2010, une méta-analyse du fabriquant du dispersant montrait une relative faible toxicité. Mais en 2012, une nouvelle étude montrait elle une augmentation nette de la toxicité du pétrole lorsqu’il était en présence de dispersants, et en 2013, une autre étude montrait une élévation du taux de cancers chez les travailleurs qui manipulent ces produits. Encore en 2013, un article dans PLOS One décrivait les effets toxiques de dispersant chez les coraux…

(1) « Chemical dispersants can suppress the activity of natural oil-degrading microorganisms » S. Kleindienst et al. PNAS 2015, 112(48), 14900-14905

(2) Wikipédia : « Corexit » (nom du dispersant chimique utilisé) et « Oil Dispersant »

 

[Flash Info Chimie] #45 Abracadabra, un peu de lumière, et d’un triangle, je fais un petit rhombicuboctahèdre !

Parfois, il suffit de peu de choses pour transformer drastiquement des composés en d’autres, de formes, de tailles complètement différentes. Les composés à l’honneur dans cet article en sont un exemple parfait.

Il s’agit ici de complexes de palladium, c’est-à-dire des assemblages moléculaires constitués d’un ion palladium Pd2+, entouré de molécules organiques plus ou moins complexes, appelés ligands. Les complexes de palladium sont très utilisés en chimie fine, comme catalyseurs d’une grande variété de réaction chimique. Ici, les ligands sont un peu particuliers : non seulement ils peuvent se lier à deux ions Pd2+ simultanément, mais en plus, ils sont sensibles à la lumière : sous certaines irradiations, ils vont se transformer, légèrement, mais suffisamment pour engendrer de grandes modifications de l’architecture de l’assemblage moléculaire.

Ces composés, dits photochromiques, vont changer de structure sous une irradiation à 313 nm, ce qui va écarter légèrement les atomes (d’azote ici, N) sur lesquels se fixent les ions palladium. En les irradiants à nouveau, à 617 nm, on peut obtenir à nouveau le composé de départ.

La différence entre ces deux formes consiste en la liaison supplémentaire qui est formée entre les deux cycles contenant chacun un atome de souffre. On remarque que les deux atomes d'azote (N sur les schéma) s'éloignent de façon nette lors de cette transformation.

La différence entre ces deux formes consiste en la liaison supplémentaire qui est formée entre les deux cycles contenant chacun un atome de souffre. On remarque que les deux atomes d’azote (N sur les schéma) s’éloignent de façon nette lors de cette transformation (source).

 

Spontanément, les ions Pd2+ et leurs ligands forment des sortes de trimères, des jolis triangles parfaitement stable. Mais sous l’effet de la lumière à 313 nm (UV proches), les ligands se transforment, ce qui conduit à la formation d’un petit rhombicuboctaèdre (je dis « petit », parce que d’après Wikipédia, il faut bien le distinguer d’un « grand rhombicuboctaèdre », qui n’a pas du tout la même structure (voyons !)). Et de la même manière, sous irradiation à 617 nm, on retrouve le petit triangle initial.

 

structure

Les boules grises symbolisent les ions palladium. En jaune, les atomes de souffre, en vert les atome de fluor, en violet les atomes d’azote (source)

Il s’agit ici d’un article qui n’a pas prétention à proposer des applications. Néanmoins, passé l’émerveillement pour la beauté des structures obtenues, il apparaît que ces complexes photochromiques, qui changent totalement de forme et de structure sous irradiation pourrait avoir, dans un avenir certes assez lointain, des applications en médecine (relargage contrôlé par de la lumière d’un médicament contenu dans la « cage » que forme le rhombicuboctaèdre), catalyse, ou encore en électronique moléculaire.

 

« Light-Controlled Interconversion between a Self-Assembled Triangle and a Rhombicuboctahedral Sphere » M. Han et al. Angew. Chem. Int. Ed. 2015, 54, Early Edition

Réchauffement climatique et rififi dans les couples pollinisateurs/fleurs

A cause du réchauffement climatique, des changements physiologiques importants peuvent se produire dans les espèces animales, et tout particulièrement chez les insectes. Changements permettant de mieux survivre aux évolutions environnementales…

Une équipe américaine a travaillé sur deux espèces de bourdons (Bombus balteatus et Bombus sylvicola) en milieu alpin. Ces insectes pollinisateurs ont, ou plutôt avaient, la particularité d’avoir une trompe longue, ce qui constitue un avantage évolutif pour collecter efficacement le nectar des fleurs présentant une corolle longue, en tube. Les scientifiques se sont aperçus qu’en 40 ans, la trompe de ces espèces s’était raccourcie de 26 % en moyenne, passant, globalement, de 8 à 6 mm chez B. balteatus et de 6 à 4 mm chez B. sylvicola.

Bombus Balteatus (crédit : D. Sikes)

Bombus Balteatus (crédit : D. Sikes)

Différences hypothèses ont été évaluées, comme par exemple un changement dans la proportion fleurs au tube court versus tube long, un changement morphologique global de ces insectes (leur taille qui diminuerait), ou une concurrence accrue avec de nouveaux pollinisateurs.

Pour les auteurs de cet article, il faut plutôt chercher du côté de la raréfaction globale des fleurs dans les alpages, qui favorise des insectes plus polyvalents (c’est-à-dire, ici, des insectes à la trompe plus courte).* En effet, en raison du réchauffement climatique, particulièrement sensible en haute altitude, les étés sont devenus plus chauds et plus secs, ce qui a provoqué une diminution spectaculaire du nombre de fleurs. A titre d’exemple, sur un des sites étudiés, « Pennsylvania Montain » dans les Rocheuses, entre 3600 et 3900 m d’altitude, la quantité de fleurs a diminué de 60 % en 40 ans.

Ce sont les insectes aux trompes courtes qui sont les plus polyvalents (contrairement, d’ailleurs, à ce que je pouvais imaginer). Le raccourcissement des trompes de ces deux Bombus leur a permis d’atteindre une plus grande diversité de fleurs, compensant ainsi, en partie, la disparition de leur stock de nourriture.

Les résultats de cet articles sont à la fois encourageants et inquiétants :

  • d’une part, ces espèces ont évoluées très rapidement afin de s’adapter aux modifications liées au réchauffement climatique, ce qui permet d’espérer que les pollinisateurs arrivent à « encaisser le coup » de la modification drastique et rapide du climat.
  • Mais d’autre part, la contrepartie de cette évolution, c’est la « déconnection » (traduction libre et personnelle du « mismatch » de la publication) des espèces entre elles : les bourdons et les fleurs d’alpages sont liées par une interaction de type « mutualisme », c’est-à-dire qu’elles tirent partie, chacune, de l’action de l’autre : le bourdon se nourrit, la fleur se reproduit. Une modification de l’une des espèces peut donc mettre en danger l’autre ! Ici, les bourdons pourraient polliniser de façon moins efficace les fleurs à long tube, en étant moins spécifiques de ces fleurs… Et ainsi conduire à la fragilisation de ces espèces.

Pour l’instant, il n’a pas été observé de modifications dans les proportions entre les espèces florales à tube plus ou moins long. Mais il me semble qu’il serait peu étonnant que des évolutions brutales survenant sur une espèce puissent laisser sur le carreau certaines de celles qui en dépendent.

 

(*) Evidemment, ils ont invalidé les hypothèses précédentes : pas de modification de la proportion fleurs à tube long/ fleurs à tube court ; Pas de modification de la taille de l’insecte ; Pas de nouvelle concurrence avec les nouveaux pollinisateurs.

« Functionnal Mismatch In A Bumble Bee Pollination Mutualism Under Climate Change » N. E. Miller-Struttmann et al. Science 2015, 349 (6255), 1541-1544.