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Manifeste pour une science reproductible (II) : les propositions

Cet article fait suite à celui-ci, où je donnais quelques exemples illustrant cette « crise de reproductibilité » qui secoue la recherche scientifique. En janvier, Marcus R. Munafò et ses collègues publiaient « Manifesto for reproducible science » dans la revue Nature Human Behaviour.

Dans ce manifeste, ils dénoncent les pratiques qui nuisent à la reproductibilité scientifique, qui provoquent ce gâchis scientifique, humain, financier.

Toutes les étapes de la construction et de la publication de découvertes scientifiques. En rouge, les obstacles à la reproductibilité des résultats. Le terme HARKing signifie « Hypothesizing After the Results are Known » : Faire des hypothèses post hoc, une pratique très souvent dénoncée en sciences du comportement. (source de l’image)

Mais il ne s’agit pas uniquement d’un pamphlet. Les auteurs proposent plusieurs grandes idées pour limiter cette crise de la reproductibilité. J’ai pris la liberté de les reprendre, en les réorganisant sous quatre pôles distincts.

Pré-enregistrer les études, pré-publier : promouvoir la transparence avant même la publication définitive des résultats

Lorsqu’on parle de pré-publication, on pense très vite à la platerforme arXiv.org, qui consiste à rendre public (et gratuitement) des résultats préliminaires, souvent non publiables en l’état, afin de profiter du regard de la communauté scientifique pour valider mesures expérimentales et méthodologie. Pour apparaître sur arXiv, nul besoin de validation par les pairs. Il y a donc un processus complémentaire, ouvert et collaboratif, avant soumission de la publication sur un autre support… ou abandon. Pas besoin du long et douloureux processus de rétractation, ou de corrigendum des publications pour ne conserver que les plus rigoureuses…

Quelques exemples sont suffisamment célèbres pour être signalés (voir la notice arXiv sur wikipédia):

  • Une démonstration de la conjecture de Thurston a été déposée en 2002 sur arXiv par Grigori Perelman, examinée pendant 4 ans, et finalement validée.
  • Une démonstration de l’existence de solutions générales à l’équation de Navier-Stokes a été déposée par Penny Smith, avant d’être finalement abandonné.
  • Les travaux d’Enders Eklund, remettant en question les méthodologies en IRM fonctionnelle ont d’abord été publiés sur arXiv, avant de finir sur la prestigieuse revue PNAS. (Par ailleurs, il me semble – à titre personnel-  que l’accès à une revue aussi sélective a sans doute été rendue possible grâce à la prépublication)

Cependant, tous les domaines scientifiques ne sont pas ouverts à cette plateforme… Principalement en raison des habitudes des communautés de chercheurs. arXiv s’est principalement développée autour de la physique, information, mathématique… La chimie, -au hasard !- n’est pas concernée…(2)

ArXiv est un outil intéressant et productrice d’une rigueur que le peer-reviewing classique n’atteint pas. Les « Registered Reports » me semblent tout à fait complémentaires, et particulièrement efficaces. Le principe est simple : Le processus de Peer-Review est décomposé en deux :

  • Une première étape d’évaluation par les pairs concerne les hypothèses de départ et les méthodes qui seront mis en oeuvre. Si elles sont retenues, l’équipe de recherche obtient un accord de principe pour publication.
  • La deuxième étape d’évaluation concerne le manuscrit de l’article à publier. Sous réserve de la bonne observance des méthodes déjà validées lors de la première étape, et de rigueur de présentation des résultats, et quelque soit leur importance dans le champ disciplinaire concerné, l’article est publié.

Principe des « Registered Reports » : avoir un accord de publication avant obtention des résultats

Cette première validation donne l’assurance aux chercheurs d’être publiés. La nécessité absolue de résultats positifs, voire particulièrement remarquables s’envole, laissant la possibilité de publier des résultats négatifs ou peu significatifs. D’une part la fraude, les petits arrangements perdent beaucoup d’intérêts avec ce processus, mais de plus l’évaluation des chercheurs par les publications redevient un peu plus saine : les « bons » sont ceux qui ont produits des hypothèses pertinentes, et qui ont su se montrer rigoureux dans la construction de nouveaux savoirs scientifiques. Certaines revues ont mis en place, de façon facultative, ces « Registered Reports ». On trouvera une liste ici (notez l’absence de la chimie…).

Finalement, ces « Registered Reports » (oui, je n’ai pas trouvé de traduction, et j’ai du mal à en proposer une à la fois claire et légère…) rejoignent l’arsenal déjà existant qui permet les pré-enregistrement des recherches. Mais encore une fois, les domaines de recherche sont très inégalement concernés par les pré-enregistrements. Ils sont quasi systématique dans le domaine de la recherche médicale, et hébergés par différents sites institutionnels (comme le site américain ClinicalTrials.gov dont l’origine date de 1988, ou l’européen EudraCT Public website propulsé par la Commission Européenne), mais quasi absents de tous les autres domaines. Il est vrai que la question des essais cliniques est particulièrement sensible, tant les enjeux financiers et surtout humains sont importants…

L’indispensable libre accès aux articles et aux données

Quand Eklund conclut son article sur les défauts de traitements statistiques des données issues des expériences d’IRM fonctionnelle, concernant près de 30 000 articles scientifiques, il n’oublie pas de préciser que pour la plupart d’entre eux, il ne sera pas possible d’utiliser les nouvelles méthodologies plus fiables : les données brutes de ces expériences n’existent plus.

Dans un autre registre, je suis tombé il y a quelques minutes, sur ce tweet :

Sans revenir sur cette controverse scientifique concernant le glyphosate où se mêlent lobbies agro-industriels, zêle journalistique pas toujours bien placé, et santé publique, ce rebondissement (Il semblerait que des données non publiées remettent en question les conclusions de l’IARC classant le glyphosate comme « cancérigène probable ») est symptomatique de l’importance de la publication, ouverte à tous, des données des études. Que cela soit pour vérifier les traitements statistiques, en effectuer de nouveaux, plus pertinents, plus fins, ou procéder des méta-analyses nécessitant de re-traiter les données brutes issues de publications distinctes.

Sans entrer dans trop de détail, il me semble que la publication des données brutes fait aujourd’hui consensus, même si elle n’est pas encore suffisamment entreprise. La publication en accès libre des études scientifiques est également un vecteur fondamental de la diffusion des connaissances et des travaux scientifiques. À ce titre, elle permet d’accroître la communauté qui peut vérifier, comparer, évaluer les résultats et les méthodologies mises en oeuvres.

La littérature promouvant le libre accès aux données et aux études est abondante… Nul besoin que j’en remette une couche. Je ne m’étendrais pas plus ici sur la question, d’autant qu’il me faudrait encore critiquer le domaine de la chimie, mauvais élève de la recherche scientifique concernant l’accès libre aux publications…

Peer-review, collaborations… De la diversité, que diable !

Rien de tel que la diversité au sein des équipes, des collaborations, et des re-lecteurs pour améliorer la qualité des publications, et ainsi leur reproductibilité. Ainsi Munafo et coll. expliquent très justement que les chercheurs ne peuvent pas être à la fois des biologistes / psychologues / physiciens / etc. hors pairs, et des mathématiciens / épidémiologistes / statisticiens / informaticiens / etc. au courant des dernières évolutions sur le traitement des données. Ils proposent ainsi que soient associés aux équipes de recherche des professionnels spécialistes des méthodologies, et non du domaine de recherche concerné, dans le but d’offrir un regard aussi neutre que possible sur le design, le suivi, le traitements des résultats des travaux menés.

Cette même proposition est valable pour l’étape d’évaluation par les pairs avant publication.  Les auteurs insistent encore une fois sur l »intérêt de pré-publier les résultats, pour augmenter le nombres d’acteurs susceptibles d’évaluer les études menées, mais également sur la possibilité de post-évaluation des articles, rendue aujourd’hui possible, et même aisée par les outils informatiques et la mise à disposition des études sur le net.

Permettre de larges collaborations est également mis en avant. Là où une équipe isolée ne peut que produire des résultats statistiquement peu robustes, pour des raisons évidentes de moyens financiers et humains mais également pour des raisons de contextualisation qui ammoindrissent nécessairement la portée des travaux, plusieurs équipes mettant en commun hypothèses et protocoles d’études peuvent produire des résultats beaucoup plus fiables et robustes. Il s’agit encore une fois d’éléments de bon sens, mais mis en oeuvre de façon trop ponctuelles. Les auteurs du manifeste citent néanmoins plusieurs initiatives en SHS, comme le projet « The Many Lab« , hébergé sur la plateforme Open Science Framework, qui centralise les projets nécessitant le recrutement d’équipes collaboratrices…
Je vais me permettre de proposer un exemple purement spéculatif pour illustrer l’intérêt de dé-contextualiser des recherches. N’hésitez pas à me dire que je suis hors de propos (en argumentant bien sûr). Il y a environ 4 ans, j’écrivais un billet sur les statines, alors montrées du doigt pour leur prescription au périmètre assez flou et parfois peu étayé. (Je ne me suis pas replongé dans la littérature sur la question, ce n’est pas le sujet ici). En me penchant sur les études considérées comme très fiables (sélectionnées par les collaboration Cochrane pour établir leurs recommandations), on pouvait trouver de larges essais cliniques au Japon, USA, Ecosse. Mais j’avais été surpris, interpellé, par cette carte, partagée par Dominique Dupagne :

Mortalité coronarienne (justement censée diminuer grâce à l’utilisation des statines)

On peut voir une très grande disparité de la mortalité coronarienne, qui est justement une des cibles des traitements par les statines. On passe ainsi d’environ 65 morts / 100 000 habitants en France, à plus de 367 pour toutes les zones en rouge sur la carte, comme l’Ecosse. Les USA ont pour leur part un taux d’environ 120 pour 100000 (voir ici). Le Japon a des chiffres similaires aux USA (voir ici). Ma question est simplement la suivante : compte tenu de ces disparités très importantes, comment peut-on savoir si les statines ont le même intérêt en France (ou Espagne, ou Italie…) qu’en Ecosse, Estonie, ou au Japon ? Avec de telles disparités, comment l’agence Européenne du Médicament prend ses décisions sur l’autorisation et la commercialisation de médicaments ? Il me manque sans doute des éléments de réponse sur ce point précis. Toujours est-il que de larges collaborations sur un même sujet (ici par exemple les statines), permettant une méthodologie commune (sur l’analyse de l’influence des statines sur la mortalité coronarienne) dans des contextes (sanitaires) distincts doit permettre des résultats plus fiables, plus généraux, et adaptés aux diverses situations (ici, aux divers pays, de pyramides d’âge et d’hygiène de vie différentes).

Apprenons à être exigeant envers nous-même, et valorisons ceux qui le sont

Le dernier pôle de proposition concerne l’exigence nécessaire dont les chercheurs doivent faire preuve lorsqu’ils médiatisent, publient leurs travaux. Les auteurs du manifeste parle en particulier de la formation : connaître les outils devrait être un préalable à leur utilisation. cela peut sembler d’une grande trivialité, mais je ne pense pas que beaucoup de biologistes maitrisent les statistiques qu’ils utilisent pourtant pour « valider » leurs expériences. Tout comme les chimistes ne maîtrisent que rarement les algorithmes de simulations des structures 3D des molécules. La formation, initiale et continue des chercheurs ne doit pas s’arrêter à quelques recettes de cuisines magiques de bidouille de quelques chiffres ou quelques boutons de machine, si on souhaite une littérature scientifique solide.

Il est également question de la valorisation, et même de l’obligation de suivi de protocoles contraignants à une approche rigoureuse. Ils s’appellent ARRIVE, TOP, CONSORT, PRISMA,… et tous sont prévus pour servir de standard de reproductibilité et de rigueur. Référencés sur le réseau EQUATOR , ces lignes de conduites doivent, pour Munafo et ses collègues être valorisées, imposées, que ce soit par les éditeurs scientifiques, mais également par les institutions scientifiques publiques, et les financeurs de la recherche.

 

Il est difficile de conclure sur ce manifeste. L’article est en libre accès (lien un peu pllus bas), et est beaucoup plus riche que ce que j’en ai tiré ici. À titre personnel, je ne suis pas pessimiste sur la question de la reproductibilité des études scientifiques, ou, de façon plus large, sur leur qualité. Je crois en la force du partage des connaissances, et en la capacité de la communauté scientifique de faire preuve d’une grande rigueur, ne serait-ce que pour être plus convaincante. Néanmoins, l’existence de conflits d’intérêts permanents, qu’ils trouvent leurs origines dans le registre financier ou ailleurs, est un problème récurrent dans cette quête d’une science rigoureuse : il me semble que le tout premier levier d’action contre cette « crise de la reproductibilité », c’est de donner, totalement, envie aux scientifiques de produire des savoirs fiables. Cela aussi est tellement trivial, qu’on l’oublie trop souvent.

« a Manifesto for Reproducible Science » M.R. Munafo et al. Nature Human Behaviour 1, 0021, 2017

(1) on pourra lire à ce sujet les articles suivant :
– Homo Fabulus : « Le Biais de Confirmation, élémentaire, mon cher Watson »
– Agence Science Presse : « Les biais cognitifs sont humains, les scientifiques aussi, donc… »
(2) à noter la création très récente de ChemRxiv, initiative de l’American Chemical Society, principale éditrice de revues (payantes) en chimie. Néanmoins, sa raison d’être n’est pas forcément si louable que cela

Manifeste pour une science reproductible (I) : le constat

Cet article fait suite à la publication, il y a quelques mois, dans Nature Human Behaviour d’un article intitulé « A Manifesto for Reproducible Science » écrit par M.R. Munafò et ses collègues issus de prestigieuses universités américaines, anglaises et néerlandaise.

La recherche scientifique, telle qu’elle est menée actuellement, est en pleine « crise de la reproductibilité », questionnant totalement les méthodologies des laboratoires, mais également les modes de publications, d’interactions, et d’évaluations de la recherche. Le phénomène a été particulièrement mis en avant depuis les années 2000. Non pas qu’il ne soit pas plus ancien, (je dirais même qu’il est inhérent au prestige que représente la recherche et les découvertes scientifiques), mais il devient beaucoup plus visible aujourd’hui, sans doute grâce à une meilleure circulation des informations et des publications.

Une « crise de la reproductibilité », des réalités différentes

Derrière ce nom, se cache en réalité des pratiques scientifiques différentes, de la fraude pure et simple, à la non publication de résultats négatifs, en passant par les erreurs « de bonne foi », ou liées à des méthodologies contestables. Il serait difficile de tout lister, bien entendu, mais je peux revenir, à titre d’exemple, sur quelques exemples choisis.

Biais de méthodologie : le cas de l’IRM fonctionnelle

L’Imagerie par Résonance Magnétique a offert aux neurosciences l’opportunité de « visualiser », en temps réel, la réponse de nos cerveaux lorsqu’ils sont stimulés par une réflexion, un sentiment, une sensation. Cette technique, appelée IRM Fonctionnelle permet de mesurer en réalité l’évolution de la quantité de dioxygène dans les différentes zones du cerveau, et ainsi, de voir les zones actives (pauvres en O2, qui a été consommé) et les zones au repos. Le problème, dont j’ai parlé ici sur ce blog (et là pour Pour La Science), concerne la méthodologie de traitement des données pour produire l’image du cerveau. Pour simplifier, un chercheur, Enders Eklund a montré que les méthodes utilisées depuis 20 ans en IRM fonctionnelle donnaient des résultats… Faux la plupart du temps.(1) Quelques 30 000 publications ayant été basées sur l’utilisation de ces méthodes, la question de la reproductibilité de ces travaux scientifiques est critique en neuroscience. Si de nouvelles méthodes de traitement de données beaucoup plus fiables existent aujourd’hui, elles ne pourront pas être utilisées pour évaluer les publications plus anciennes, les données brutes n’ayant jamais été publiées…

Cachez ces résultats négatifs que je ne saurais voir…

Combien de travaux ont été entrepris, sans savoir que d’autres équipes de recherche avaient déjà essayé les mêmes choses, n’avaient rien obtenu et surtout… Rien publié ? Cette non publication occasionne des coûts importants, et une perte de temps considérable. En terme de reproductibilité des résultats, les dégâts sont également importants:
Imaginons que 10 équipes fassent la même expérience, pour établir que « A implique B« . 9 obtiennent un résultat négatif (absence de corrélation) –ne le publient pas– et une, par hasard, trouve une corrélation statistiquement significative (risque d’erreur inférieure à 5 %). Et la publie. C’est cette conclusion qui sera retenue. Alors que les données conjointes des 10 équipes auraient très probablement conduites à une infirmation du lien de causalité entre A et B.
Ce problème a conduit à la multiplication, dans les années 2000, de journaux qui publient les résultats négatifs. D’autres plaident pour des plateformes d’accès libre pour ces résultats, servant de bases de données de ce qui a déjà été tenté, mais qui n’a pas marché…(2)

61 % de rendement… On arrondit à 70 % ?

Enjoliver les résultats… QUE C’EST FACILE !! Prenons un exemple dans un domaine où les conséquences ne sont pas dramatiques (contrairement à la médecine et la pharmaceutique), et que je connais bien, à savoir la chimie organique. Lorsque j’étais en thèse de chimie organique, je travaillais sur la mise au point de réactions conduisant à des molécules de type pyridoacridines.

Certaines de ces réactions donnaient des résultats au rendement très variable. J’obtenais effectivement la bonne molécule à chaque coup (ce qui était en soi un résultat très satisfaisant), mais parfois avec 15 %, parfois avec 50 % de rendement. Il va sans dire que dans mon manuscrit, seul ce « 50 % » figure. Mon premier réflexe est… de ne pas trop m’en vouloir ! Après tout,

  • Quelqu’un au labo est passé derrière, a confirmé ces 50 %, et a amélioré ce résultat de façon assez spectaculaire.
  • Ces réactions ne serviront probablement jamais à rien… Et puis, je l’ai bien obtenu, isolé, mon produit, zut !

Ce type de comportement est extrêmement répandu en chimie fine, d’autant qu’il est très rare que d’autres refassent exactement les même manipulations avec les mêmes substrats. Bref : pas vu, pas pris… Pas (trop) de conséquence. Ce qui est dommageable, c’est être formé -lors d’une thèse par exemple- avec ce type de comportement. Qui fait petit à petit accepter un peu n’importe quoi. Sans fraude manifeste, sans volonté de nuire, on arrive à des résultats non productibles.

« Avez vous échoué à reproduire une expérience ? » tiré de cet article paru dans Nature.(3) Et le domaine gagnant est… La chimie !!

Les essais cliniques : quel gâchis !!

Dans un article paru dans Nature en 2012, C. G. Begley et L.M. Ellis tirent la sonnette d’alarme : en oncologie particulièrement, le taux d’échecs des essais cliniques ne peut pas s’expliquer uniquement par la difficulté de transposer à l’humain les recherches pré-cliniques. Il y a un gros problème de fiabilité et de reproductibilité des travaux scientifiques pré-cliniques(4). Ainsi, reportent-ils, une équipe de Bayer a analysé les données publiées concernant 67 projets de l’entreprise (dont 47 en oncologie) : le taux de reproductibilité est d’environ 20 – 25 %. D’autres chercheurs, de l’entreprise AmGen (Californie) n’ont pu confirmer les résultats que de 6 articles sur 53 (11%). A l’heure de l’envolée du coût de développement des médicaments anti-cancéreux, la perte d’argent, et de temps liés à ces travaux non reproductibles représente un gâchis considérable.

 

Ces quelques exemples ne sauraient être représentatifs. Les recherches en psychologie ont particulièrement été montrées du doigt, mais on voit bien que l’ensemble des disciplines universitaires sont concernées. Que ce soit en raison de mauvaises pratiques (non conservation/ non publication des données brutes), de biais cognitifs, de pressions (financière, académique, …), ce sont toutes les étapes de la recherche qui se retrouvent impactées, comme le résume cette figure de l’article de Munafò et coll. (5):

 

À venir : Manifeste pour une science reproductible (II): les propositions

(1) « Cluster Failure : Why fMRI inferences for spatial extent have inflated false-positive rates » E. Eklund et al. PNAS 2016.
(2) « Negative Results Are Published » B. O’Hara Nature 471,448–449 (24 Mars  2011).
(3) « 1500 scientists lift the lid on reproductibility » Monya Beker Nature (25 mai 2016)
(4) « Drug development : Raise standards for preclinical cancer research » C.G. Begley et L.M. Ellis  Nature 483, 531–533(29 March 2012)
(5) « A Manifesto for Reproducible Science » Marcus R. Munafò et al. Nature Human Behaviour 1, 0021 (2017)

[Flash Info Recherche] #1 : Recherche pluridisciplinaire : valorisée, mais moins financée

J’écris des articles issus de l’actualité de la recherche, pour un mensuel bien connu, version française de « Scientific American ». Mais tous les sujets que je vois passer dans les grandes revues scientifiques ne sont pas abordés… Cette nouvelle catégorie, parallèle aux « Flash Info Chimie » sera donc là pour donner un instantané -court- de ces articles de recherche, souvent passionnant, qui se retrouvent néanmoins sous-médiatisés…

Comme partout dans le monde, la pluridisciplinarité est encouragée, valorisée en recherche. Et pourtant, les projets qui mêlent plusieurs disciplines scientifiques restent sous-financées. C’est la conclusion d’une étude parue dans Nature il y a quelques mois : En analysant les demandes et les attributions des financements de l’Australian Research Council, Lindell Bromham, Russell Dinnage et Xia Hua de l’Université Nationale d’Australie (Canberra), ont montré qu’un projet avait d’autant moins de chance d’être financé qu’il convoquait une équipe pluridisciplinaire (indépendamment de la discipline, du nombre de contributeur, de l’institution de rattachement)

 

En Abscisse : proportions des projets acceptés (en fonction de la discipline principale). En ordonnée, influence de la pluridisciplinarité. Si le point est sous la barre des zéros, la pluridisciplinarité affecte négativement les chances de financement.

En Abscisse : proportions des projets acceptés (en fonction de la discipline principale).
En ordonnée, influence de la pluridisciplinarité. Si le point est sous la barre des zéros, la pluridisciplinarité affecte négativement les chances de financement. (source)

La situation est-elle proprement australienne ? Lorsqu’on voit, en France, la difficulté pour les docteurs qui ont fait appel, lors de leurs travaux de thèses, à plusieurs disciplines, d’être qualifié pour le recrutement des Maîtres de Conférences dans une des sections CNU, on peut hélas imaginer que les instances de financement françaises, et probablement européennes, ne font pas mieux que leur homologue australienne.

« Interdisciplinary research has consistently lower funding success » Lindell Bromham, Russell Dinnage & Xia Hua Nature 534,684–687(30 June 2016) doi:10.1038/nature18315

Les prix des médicaments

Les prix des médicaments qui sortent sur le marché sont si élevés qu’ils sont inaccessibles sans assurance santé. Dans certains pays, dont la France, le système de sécurité sociale publique permet leur diffusion auprès de tous les malades. Dans d’autres, c’est-à-dire la plupart des pays dans le monde, il faut être riche, très riche, pour se soigner efficacement. J’en avais déjà parlé dans ce billet coup de gueule*.

C’est l’entreprise qui a déposé le brevet du médicament qui en fixe le prix, souvent pays par pays, en négociant avec les états concernés, et en l’adaptant à la demande. Par exemple, le traitement par le sofosbuvir (contre l’hépatite C) coûte environ 3000 € en Egypte, 41 000 € en France.*

Members of the association Act Up hold signs in front of a stand of US pharmaceutical giant Gilead Sciences to denounce the high price of a new drug, Sofosbuvir, to treat Hepatitis C, on April 29, 2014 in Montpellier, southern France. In the United States, Gilead priced 730 euros per Sofosbuvir pill for a treatment which can last from 12 to 24 weeks. The World Health Organization estimates there are 184 million people infected with hepatitis C worldwide through sources such as transfusions, with the disease causing half a million deaths annually. Signs read ''Nepal, annual income 340 USD, price of Sofosbuvir 900-1 000 USD''.  AFP PHOTO / SYLVAIN THOMAS / AFP / SYLVAIN THOMAS

Action d’Act Up à Montpellier, le 29 avril 2014
AFP PHOTO / SYLVAIN THOMAS / AFP / SYLVAIN THOMAS

Il faut bien voir une chose : l’entreprise pharmaceutique n’a pas le même intérêt que les états et les sociétés civiles : D’un coté, le médicament est un moyen de gagner de l’argent, de l’autre, il est un moyen d’assurer une santé correcte à la population. C’est cette dualité qui se retrouve dans les aspects juridiques qui encadrent la commercialisation et la protection intellectuelle des médicaments. Et ce, depuis les premiers questionnement sur la place des médicaments parmi les inventions susceptibles d’être brevetées, jusqu’à aujourd’hui, dans la lutte pour l’accès des différents remèdes, par les états les plus démunis comme par les pays occidentaux. ça vous dit, un petit panorama de la question ? Un peu d’histoire tout d’abord… Continue la lecture

Réchauffement climatique : les enseignants américains encore loin du compte

À peine la moitié des états-uniens croit que le réchauffement climatique est lié aux activités humaines. C’est dire l’importance de la médiation et de l’enseignement scientifique sur cette question, très politique au demeurant (ça, c’était pour faire le lien avec mon billet précédent). Publié dans la section Insights de la revue Science, un article fait le point sur le positionnement des enseignants des sciences aux USA sur ce domaine.(1) Parmi ceux qui l’évoquent en cours, ils ne sont que 54 % à souligner le rôle principal de l’activité humaine dans le réchauffement climatique.

WoodleyWonderWorks/Creative Commons

( Crédit : WoodleyWonderWorks/Creative Commons )

En travaillant sur une cohorte statistiquement représentative de 6500 enseignants, Eric Plutzer (Université de l’Etat de Pennsylvanie) et ses collègues ont cherché à savoir quelles étaient les opinions et les pratiques pédagogiques de la profession sur le réchauffement climatique.

La première de leurs constatations est l’insuffisance du temps de cours passé sur le sujet. Chaque enseignant propose, en moyenne, 1 à 2 heures annuelles sur le sujet. Pourtant, l ‘Académie des Sciences américaines, qui a publié en 2012 ce que devrait être le programme en science enseigné jusqu’en terminale, fait du réchauffement climatique une thème à part entière à enseigner. (2)

Par ailleurs, les enseignants sont très mal informés du consensus scientifique sur les causes du réchauffement climatique. A la question : « quel pourcentage de scientifiques soutiennent l’idée que le réchauffement climatique est lié aux activités humaines ? » Ils ne sont que 30 % au collège, 45 % au lycée* seulement à donner la bonne réponse  : « plus de 80 % » (la réponse étant, bien sûr, plus de 95 %). Ceci explique probablement la raison pour laquelle 31 % des enseignants parlent de causes humaines ET environnementales à leurs élèves, afin de ménager ce qu’ils pensent être l’absence de consensus général sur la question…

Enfin, les enseignants de science aux USA semblent manquer cruellement de connaissances sur le sujet. Les modèles climatiques, les preuves concrètes du réchauffement climatique et de sa concomitance avec l’élévation du CO2 atmosphérique ne semblent pas être maîtrisées. Cela se traduit évidement par la difficulté d’enseigner ce qu’ils ont du mal à appréhender, voire qu’ils ont du mal à croire. Cela se traduit également par la mise en avant, par environ 50 % des enseignants, d’éléments hors-sujets comme les pesticides ou le trou dans la couche d’ozone lors de l’évocation de l’évolution du climat…

À l’heure des primaires américaines où Donald Trump, climato-sceptique pur et dur triomphe chez les républicains, dans le pays qui émet le plus de CO2, constater que les enseignants de science ne sont pas des alliés fiables des scientifiques pour parler des causes réelles du réchauffement climatique, est sacrément inquiétant.

 

*correspondance approximative pour « middle-school » et « high-school »

(1) « Climate Confusion Among U.S. Teachers » E. Plutzer et al. Science 2016, 351 (6274), 664-665.

(2) National Research Council A Framework for K-12 Science Education : Practices, Crosscutting Concepts, and Core Ideas (Board on Science Education, National Academic Press, Washington D.C. 2012)

 

La science est politique. La médiatiser est un acte militant.

Ça m’apprendra, tiens, à lancer à la volée un hashtag sur Twitter… #LaScienceEstUneArme. Alors que je voulais faire de Twitter une sorte de brouillon interactif, qui me servirait à affiner mon projet d’évolution de ce blog, je dois dès à présent expliquer pourquoi la médiation scientifique est une arme politique, sociale. (Alors même que je ne suis pas capable de savoir précisément quelles vont être les évolutions de ma présence sur le net. Ben bravo !)

J’ai donc raconté que « La Science est une arme », que « la médiation scientifique est une action militante », et que « la science est politique ». Peu de réponses (heureusement ?), mais Bruce Benraman, ou Cécile Michaud (journaliste scientifique) n’avaient pas l’air d’être très convaincus… Il est temps que j’expose mes arguments.

Déconnecter science et politique ? Mission impossible !

Pour moi, « la science est politique ». Et cela peut s’entendre de façons différentes : parle-t-on du fonctionnement de la recherche ? Du fonctionnement interne de la science ? De ses enjeux, de ses implications sociétales ?

L’exemple du Commissariat à l’Energie Atomique : 70 ans d’orientation politique de la recherche

En commençant ce paragraphe, j’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Il est évident que la politique influence directement la construction des savoirs scientifiques. Le refus quasi idéologique de la génétique mendelienne par l’Union Soviétique jusque dans les années 1950 (et la disgrâce de Lyssenko) est un exemple -un des pires de l’ère moderne, j’ose espérer- de soumission de la pratique de la recherche au champ du politique. L’histoire du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) est un exemple plus heureux.

En 1945, porté à la fois par la tradition française des physiciens de l’atome (les Curie, Perrin et consort), et par l’éblouissement suscités par la puissance des bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, Charles De Gaulle décide de créer le CEA. Il s’agit en effet de développer de vastes programmes scientifiques, devant aboutir in fine à des applications civiles (dans le domaine médical, et, bien sur, dans la production d’électricité) et militaires. Cet organisme de recherche est placé directement sous la tutelle du Président du Conseil (chef de l’état français), alors que sa direction est scientifique (Frédéric Joliot-Curie étant le premier « haut commissaire à l’énergie atomique »). Sans rentrer dans les détails historiques, le CEA a été tiraillé entre la stratégie industrielle, militaire, politique de l’état, et la science. Un seul exemple : Joliot-Curie, pacifiste, a été écarté de la direction en raison de son opposition au programme militaire en 1950. Mais de façon plus générale, la recherche française en physique a été particulièrement soutenue par les pouvoirs publics, via le CEA, en raison de l’attachement politique à l’auto-suffisance énergétique (par le nucléaire) et à la dissuasion nucléaire. Certains sites emblématiques de la recherche française (Le centre de Cadarache avec la construction du réacteur expérimental ITER, le site du LETI à Grenoble, le plateau de Saclay) en sont directement issus.

On pourrait multiplier ce type d’exemples à l’infini, depuis la science de l’espace propulsée par la guerre froide et la compétition URSS / USA, jusqu’aux plans « cancer » gouvernementaux qui favorisent, par leur financement, un travail de recherche acharné dans ce vaste et passionnant domaine.

Financement : le nerf de la science

C’est bien par le financement de la recherche que la politique investit le champ de la science. D’une part en choisissant les domaines à mettre en avant. C’est ce dont on a partiellement parlé quelques lignes plus haut : certains domaines sont plus « rentables » pour un état que d’autres. Ainsi déplore-t-on souvent en France le fait qu’une grande partie du budget de la recherche est engloutie dans les « Très Grandes infrasctructures de Recherche » (ITER, LHC, etc…), au détriment des petits labos, moins visibles pour le grand public. A l’international, ce sont les ONG qui dénoncent l’absence de financements sérieux pour les recherches sur les maladies touchant les pays pauvres. J’imagine que les budgets pour la recherche en biologie de l’évolution des états américains ultra-conservateurs ne doivent pas être bien élevés, comme ceux alloués par l’Iran ou l’Arabie Saoudite sur les problématiques de genre…

Si d’autre part, on souligne souvent les différences internationales dans le mode de financement de la recherche (public, associatif ou via des fondations, privé), on oublie souvent qu’il s’agit aussi d’un levier politique d’influence sur la science. On parle souvent de l’indépendance de la recherche française vis-à-vis de l’industrie. Qu’elle soit réelle ou fictive, passée ou encore vivante, elle correspond à un modèle politique où l’État garantit l’effort de recherche scientifique, en finançant, par l’impôt, les travaux académiques. Grace à ce modèle, la France a eu la réputation de permettre une grande liberté à ses chercheurs, non tenu à des objectifs de production qu’impose un financement privé comme dans le modèle (supposé) des pays anglo-saxons. On retrouve ici l’opposition entre l’interventionnisme de l’état et le libéralisme. Le premier permet d’investir dans des projets fondamentaux, sans retombés immédiates, d’explorer des champs inconnus. Au risque d’une dilution des moyens entre les acteurs, et d’éloigner l’effort financier des préoccupations directes des citoyens, comme la santé. Le second impose aux chercheurs de la rentabilité, des objectifs à court terme, mais permet aussi une plus grande variété dans les sources de financements.

Les clivages politiques traditionnels (social-démocratie / libéralisme) se retrouvent bien ici, s’affrontant… sur le dos de la science.*

* il y aurait bien des choses à ajouter ici, depuis l’ANR, instrument politique de la répartition des moyens de recherche, qui prive de fait les « petits labos » de financement, au Crédit Impôt Recherche, qui permet avant tout de financer la R&D privée, au détriment des recherches fondamentales, tout en permettant d’afficher 3 % du PIB dépensé pour la recherche… la basse politique est là aussi !

La méthode scientifique elle-même est politique !

Mais peut-on aller plus loin dans l’étude des liens entre la science et la politique ? Il me semble que oui.

La méthode de choix pour valider les avancées scientifique reste aujourd’hui l’évaluation par les pairs. Lors de communications orales, écrites, les scientifiques sont appelés à juger de la pertinence et du sérieux des travaux de leurs collègues. On pourrait y opposer une vision des théories scientifiques imposée par un état ou par une religion, ou par une votation citoyenne ! Je ne veux pas débattre de cela ici, mais cette évaluation par les pairs constitue en soi une organisation interne de gestion de la science. Une politique DANS la science. On pourrait la rapporter à un système démocratique – ou technocratique ? – par opposition à un système autoritaire – ou une démocratie directe dans le cas des votations ?

Allons encore plus loin. En 1975 parait « Contre la méthode », de Paul Feyerabend. Dans cet ouvrage, tenant de l’anarchisme épistémologique, l’auteur, épistémologue reconnu, critique le principe même de la « méthode scientifique », au titre qu’il s’agit d’une façon de penser, comme une autre, et qui a ses limites. Se priver des autres est pour lui contre-productif d’un point de vue de l’avancée de la science, ce qu’il montre à travers plusieurs exemples historiques. Sans entrer dans les détails, il prône l’anarchisme épistémologique, par opposition à une méthode scientifique unique. Il me semble, que l’on soit sensible ou non à ces idées, que Feyerabend montre que ce qui fait l’essence même de la science, à savoir la façon dont elle se construit, dont se forge les théories scientifiques, est politique.

Quelque soit l’angle abordé, on arrive à cette évidence : la Science, même avec un grand « S », est une construction, une réflexion humaine sur des faits réels, mais dont l’interprétation est, par la nature même de l’être humain, subjective. On ne pourra pas l’extraire de la politique, c’est-à-dire de l’organisation des sociétés.*

* Je n’ai pas évoqué ici la façon dont la science est au coeur de certains débats politiques, en particulier sur des sujets « sensibles » comme le réchauffement climatique, le « progrès », ou même la bataille évolutionnisme / créationnisme. Cette autre façon de voir comment science et politique sont mêlés se retrouve par exemple dans les initiatives « Je vote pour la science » (au Québec) ou « Votons pour la science » (en France pour les élections 2012), et semble omniprésente dans les débats publiques sur la place de la science dans la société.

La médiation est une arme

(Par Phiip, initialement pour l’événement Lyon Science)

(Par Phiip, initialement pour l’événement Lyon Science 2016)

Si la science est politique, sa médiatisation est un acte militant, chargé de signification idéologique. Libre à chacun de décider quel sens il souhaite donner à son action.* Je souhaite ici donner mon point de vue : je ne médiatise pas la science pour la beauté du geste, mais afin de partager des savoirs et des codes culturels et sociaux classiquement réservés aux élites. Dans le but final de permettre à chacun d’avoir les connaissances nécessaires pour se forger sa propre opinion, et ainsi prendre des décisions éclairées pour soi-même et pour la société.

* Il serait passionnant d’évoquer ici le travail de Bernadette Bensaude-Vincent, publié sous le titre « L’Opinion publique et la science. À chacun son ignorance » (Paris, Ed. La Découverte, 2013), où elle détaille en particulier les raisons de médiatiser la science au cours des XIX et XXe siècle.

Détenir du savoir ne devrait pas être un marqueur social

La science (et plus généralement, la culture)  est une affaire de classes sociales favorisées. Si on regarde simplement le niveau d’étude en fonction de la catégorie socio-professionnelle des parents, on constate que deux tiers des enfants de cadres ou enseignants ont un diplôme supérieur ou égal à Bac +2 contre moins d’un tiers pour les enfants d’employés ou d’ouvriers qualifiés. Les enfants d’ouvriers non qualifiés ne sont que 20 % à atteindre ce même niveau d’étude. (source : Observatoire des Inégalités). Autre indicateur : les musées et parcs d’attraction scientifiques sont souvent délaissés par les classes populaires, malgré souvent des tarifs faibles, en particulier pour les enfants / étudiants / demandeurs d’emploi. Ils paraissent inaccessibles, et le plus souvent inintéressants. En fait, beaucoup ne savent même pas qu’ils existent (Il s’agit ici de mon point de vue. Enseignant dans un lycée avec un public plutôt défavorisé, c’est ce que je constate auprès de mes élèves).

J’ai souvent entendu chez des collègues enseignants que certains élèves « ne sont pas curieux », « sont réfractaires à toute forme de culture », etc… Pour moi, la curiosité, le désir de se cultiver sont des choses qui s’apprennent, par des mises en contact fréquentes avec les savoirs. Ce n’est pas simple, mais la médiation, l’enseignement est censé être là pour ça. (Et c’est ce à coté de quoi passe souvent l’école primaire, en privilégiant de plus en plus l’orthographe, la numération et les calculs au détriment des « découvertes » (sciences, histoire, géographie, etc.) autrement plus passionnantes, et qui incluent les savoir ‘fondamentaux’ cités juste avant). Médiatiser la science, dès le plus jeune age, c’est aller à la rencontre des questionnements d’enfants, leur montrer comment rechercher des réponses, qui amèneront encore plus de questions ! Cette démarche, fondamentale pour l’épanouissement des jeunes, est aussi utile pour réussir à l’école, acquérir les codes sociaux des classes supérieures et s’ouvrir les portes des milieux privilégiés. Cette médiation des sciences est une arme contre la reproduction sociale. Je parle des jeunes enfants, parce que la discrimination sociale est précoce. Mais la médiation scientifique et culturelle doit jouer ce rôle durant toute l’enfance et adolescence, pour la même raison : la curiosité, ça s’apprend (jeune), et ça s’entretient toute la vie.

L’utilisation de médias qui sont investis par l’ensemble des couches de la population est ici assez formidable. Par exemple, l’utilisation des vidéos de type Youtube pour médiatiser des connaissances scientifiques permet toucher un public infiniment plus large que celui du Palais de la Découverte ! D’autres acteurs ont décidés d’amener les outils de la médiation scientifique directement auprès du public populaire. Les initiatives impliquant par exemple le Planétarium de Vaulx-En-Velin, le Club d’Astronomie de Lyon-Ampère, l’association Planète Science (« Ciel des quartiers« ) , ou encore les associations « Les Petits Débrouillards » (voir ce blog par ex.), qui apportent les instruments d’observations astronomiques dans les quartiers défavorisés sont aussi des actions formidables pour la diffusion de la culture scientifique…

La culture, le raisonnement scientifique : pour choisir sa vie, librement

Au-delà de la question sociale, la diffusion des connaissances scientifiques doit permettre à chacun d’appréhender notre monde avec le plus de justesse possible. Un choix n’est libre que s’il est éclairé. Et ça tombe bien, c’est le boulot de la science. Comment savoir quelles sont les actions qui permettent de lutter contre le réchauffement climatique ? Et au fait, existe-t-il vraiment (parce que cet hiver, ça caille !) ? Et ce dépistage organisé pour le cancer du sein, qui coute cher à la sécu, il vaut vraiment le cout ? Et que faut-il mieux pour mon enfant, lait maternel, préparation lactée ? Et l’impact du nucléaire, bien, ou pas bien ? La médiation scientifique permet de répondre de deux façons conjointes à ces multiples questions, auxquelles nous sommes confrontés tous les jours:

  • En nous offrant des connaissances, opérationnalisables immédiatement. C’est ce qu’il m’arrive de faire ici sur ce blog, lorsque je parle du dépistage du diabète gestationnel, ou des pseudo-remèdes contre les cancer
  • En nous familiarisant à la démarche de questionnement scientifique : les sujets du monde entier ne sont pas tout le temps vulgarisés dans des médias bien visibles, et parfois, la recherche d’information est ardue. le rôle de la médiation scientifique doit aussi être de nous donner des éléments pour étudier rationnellement les questions qui nous sont posés : confronter son opinion première aux faits relevés, évoluer, tester ses nouvelles hypothèses, porter un regard critique permanent sur les informations qu’on reçoit, etc.

Ces propos ne sont absolument pas nouveaux. Il est simplement important pour moi de ré-affirmer le rôle de la médiation scientifique dans la lutte contre les manipulations. Si l’Eglise a été durant de nombreuses décennies l’ennemie du savoir scientifique (et l’est encore en partie), elle a de nombreux concurrents : les politiques utilisent largement des raccourcis ou des manipulations scientifiques afin d’asseoir leur popularité, les grandes entreprises s’arrangent avec les données pour prétendre à la supériorité de leurs produits, etc. La médiation scientifique, en diffusant connaissances et méthodes est donc une arme contre cet obscurantisme.

Et le plaisir dans tout ça ?

Le plaisir d’apprendre… Oui, il fallait bien que je finisse là-dessus. Simplement parce que l’essentiel de la médiation scientifique se fixe cet objectif. Il ne s’agit plus là d’une arme, soyons clair. Mais je sais qu’une fois le ventre bien rempli, les pieds bien sur Terre, la conscience tranquille parce qu’on a fait ses choix de façon éclairée, c’est si bon, d’apprendre encore et encore. N’oublions juste pas que nous ne sommes pas nombreux à pouvoir réellement en profiter.

AUX ARMES, MÉDIATEURS !

[Science Et Genre] #4 : Des quotas dans le recrutement des universitaires

La Fondation Robert Bosch et l’European Molecular Biology Organization (EMBO) viennent de publier un rapport commun sur la pertinence de la mise en place de quotas de genre dans le milieu universitaire. Il ne s’agit pas, ici, de quotas lors de l’inscription dans des filières sélectives comme les écoles d’ingénieurs, ni de quotas pour l’obtention de bourses d’étude d’excellence. Il est question en réalité de quotas qui concernent les universitaires.

Face à des inégalités criantes, des mesures tièdes

L'ensemble des président-e-s des universités françaises. Ils ont essayé de rendre les femmes plus visibles, au premier rang... Belle initiative !!

L’ensemble des président-e-s des universités françaises. Ils ont essayé de rendre les femmes plus visibles, au premier rang… Belle initiative !!

Actuellement, en France, s’il y a une part quasi égale entre les étudiant-e-s en doctorat (48 % de femmes contre 52 % d’hommes), 57,9 % des maîtres de conférences sont des hommes. Plus on progresse dans la hiérarchie, plus l’inégalité est criante : les femmes ne représentent plus que 15 % des président-e-s d’université.

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Répartitions femme (orange)/homme (bleu) des effectifs à l’université en France (2011). Source : Ministère de l’Enseignement Supérieur.

Très régulièrement, on entend à quel point cela est scandaleux. A de nombreuses reprises, lors de ma très très courte carrière universitaire, j’ai pu entendre des témoignages, des remarques cinglantes et scandaleuses:

  • Cette Chargée de Recherche du CNRS, bloquée dans son avancement par son ex-directeur de labo au bras long, qui s’est senti « trahi » (sic) lorsqu’elle a eu un enfant.
  • C’est ce propos tenu, sans gêne, sur la nomination de cette professeure de l’Université : « On voulait que son mari vienne, alors on lui a proposé un poste à elle aussi »
  • C’est cette étudiante post-doctorante, à qui un poste de maître de conférence était quasiment destiné, qui se l’est vu refusé parce qu’elle avait fait part de son désir d’avoir rapidement un enfant

Si la question de la maternité revient souvent, ne soyons pas dupe. Il s’agit ni plus ni moins de sexisme et de discrimination à l’embauche. Les hommes aussi ont le droit au congé parental. le « risque » encouru par un laboratoire, par une équipe enseignante n’est pas censé être plus grand dans un cas que dans l’autre.

Certes, ces discriminations existent aussi dans le privé : mais n’utilisons pas l’argument biaisé du « c’est pire ailleurs » pour justifier l’injustifiable.

Ces inégalités sexistes à l’Université, le ministère de l’Enseignement Supérieur en a conscience. En 2013, sous l’impulsion de feu-le Ministère des Droits des Femmes, et après publication des chiffres-clés de la parité femme-homme dont sont issus le graphique précédent), un plan d’action a été publié. Celui-ci prévoit beaucoup… De concertation. Beaucoup… de formation à l’égalité Femmes-Hommes. Beaucoup… de… bonnes intentions. La nomination d’un-e chargé-e d’égalité Femmes-Hommes. Bref, essentiellement une démarche de volontariat. Seule mesure contraignante : l’application de l’article 56 de la loi du 10 mars 2012, qui impose un quota de 40 % de chaque sexes dans la nomination des haut-fonctionnaires (y compris dans les domaines de l’enseignement et de la recherche) par le conseil d’état. Du coté des établissements d’enseignement supérieurs, cela ne se voit pas beaucoup, puisque même les présidents des universités ne sont pas concernés par ces quotas…

Le peu d’aspects contraignant de ce plan d’action n’a pas empêché le ministère de l’enseignement supérieur de communiquer sur « La France, pionnière de l’égalité à l’Université« . Tout en se gardant bien de se comparer à ses voisins…

Dans ce contexte d’actions tièdes, le rapport de EMBO et de la fondation R. Bosch sur la mise en place de quotas de genre permet de se projeter dans des actions réellement offensives pour l’égalité des sexes dans les universités françaises et européennes.

Au fait, POURQUOI vouloir l’égalité des sexes à l’Université ?

Cette question n’est peut-être pas si anodine qu’elle en a l’air. Du moins, les auteur-e-s du rapport, qui comparent les actions en faveur de la parité en politique, dans les entreprises, et dans les université,s prennent le temps d’y répondre. En politique (dans un système démocratique), la parité a tout son sens : les conseils, les parlements se doivent de représenter tous les citoyens. Les femmes représentant un peu plus de 50 % de la population, il est nécessaire qu’elles y soient représentées, à hauteur de leur proportion !

Maintenant, soyons provocateur : quelle est l’UTILITÉ de l’égalité des sexes dans le monde économique, et dans le monde universitaire ?

Dans les entreprises, le but est de gagner de l’argent. Est-ce que la présence de femmes dans les instances dirigeantes permettent à augmenter les gains ? D’après les études citées dans ce rapport… Pas vraiment ! Si on note que dans les entreprises les plus rentables, il y a effectivement plus de femmes que la moyenne dans les conseils d’administration, il a été enregistré une diminution des profits à court terme dans les entreprises ayant féminisé leurs instances dirigeantes. Je me rappelle en revanche du discours d’un chargé de mission à la région Rhône-Alpes, qui expliquait, pour justifier l’intérêt de l’égalité femme-homme en entreprise, que « un consommateur sur deux était une femme. Afin de concevoir des produits qui pourraient leur être destinés, il valait mieux que des femmes soient bien placées parmi les équipes de direction !

Dans les universités, le but est différent. Il s’agit de produire des savoirs, et de former. La parité femmes-hommes permettrait-elle d’augmenter la productivité ? La qualité des enseignements ? Rien, à l’heure actuelle, ne permet de l’affirmer.

Ces remarques précédentes, sur le monde économique et sur le monde académique sont l’expression d’un sexisme odieux. Elles signifient que l’égalité femme-homme passe après les intérêts économiques et universitaires. Elles signifient qu’il s’agit d’une variable à ajuster afin de trouver un optimum de compétitivité, d’efficacité. Dans le rapport sur les quotas dont il est question ici, les auteur-es expliquent que certains trouvent normal de promouvoir, voire d’imposer la parité à l’université PARCE QU’elle est financée par des fonds publics, et qu’À SE TITRE, il est normal que l’état financeur souhaite qu’on retrouve la même proportion de femmes dans l’enseignement supérieur que dans la population. Heureusement, d’autres, finalement, pensent que l’égalité femme-homme est une valeur en soi. Qu’elle ne devrait pas être soumise à condition de rentabilité. Qu’elle est juste une expression parmi les plus basiques de la démocratie, au même titre que l’égalité entre personnes d’origines sociales différentes, de cultures différentes, de couleurs de peau différentes. La parité, tout particulièrement dans les emplois académiques qui représentent un summum culturel, social et intellectuel est l’indicateur fondamental de cette égalité.

Des quotas… Mais où ?

Ce rapport examine l’instauration des quotas à trois niveaux distincts : dans le recrutement, dans l’attribution de bourses et de financements, dans la nomination des membres des comités de recrutement et d’évaluations des institutions et universités. Afin de procéder à cette analyse, les auteur-es sont allés regardés du coté de la vie politique, des directions d’entreprise, qui, dans de nombreux pays européens, doivent déjà respecter certains quotas. Ils se sont également penchés sur le cas de quelques organisations et pays européens, qui ont d’ors-et-déjà mis en place certains quotas (en particulier l’Allemagne et la Suède)

Quotas dans les recrutements : le volontarisme ne suffit  pas

Que ce soit en politique, en entreprise, ou dans les institutions d’enseignement supérieur et de recherche, si les quotas de genre ne sont pas imposés contre sanctions, ils n’ont aucun effet. Pire, les auteur-es pointent du doigt la situation politique française, où « les sanctions financières sont si faibles que les partis préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter la loi » (Cocorico couac !).

Dans les expériences allemandes et suédoise, même si il est trop tôt pour avoir une idée définitive, les effets des quotas volontaires sont faibles, voire nuls, et la proportion de professeure d’université reste similaire à la moyenne des pays de l’Union Européenne.

Pourtant, dans le monde politique et le monde des affaires, les quotas imposés contre sanction ont permis de faire évoluer positivement la situation. Par exemple, en France, le nombre de femmes dans les comités de direction des entreprises publiques a ainsi augmenté de 17,4 % entre octobre 2010 et octobre 2013, grâce à la mise en place de quotas (la loi prévoit 40 % de femmes dans ces comités pour 2017). En Belgique, le nombre de femmes au parlement est passé de 12 % à 36,7 % avec des lois sur les quotas.

Prenant compte de ces expériences, les auteurs du rapport tirent quelques conclusions :

  • Les quotas dans les recrutements des universitaires doivent s’imposer contre sanctions. Le volontarisme n’est pas suffisant.
  • Ces quotas doivent concerner l’ensemble des positions hiérarchiques, du maître de conférence jusqu’à la direction de l’université. Si seul un échelon est visé, cela n’empêchera pas un déséquilibre aux autres échelons !
  • Afin de limiter la mauvaise image qu’ont les quotas, qui pourraient « nuire à la méritocratie » selon certains universitaires interrogés lors de la rédaction du rapport, chaque établissement doit pouvoir mettre en place ces quotas selon ses propres modalités.

Quotas dans les comités de recrutement et d’évaluation des établissements : une efficacité limitée

Partant de l’idée qu’un comité principalement masculin pourrait produire des résultats biaisés par leur genre, plusieurs évaluations ont été entreprises en Europe. Mais, heureusement, il n’a pas été établi de corrélation entre la proportion femmes-hommes dans de tels comités, et les résultats dans les évaluations et recrutements. Si la parité dans ces comités semble être un but à atteindre en soi, cela ne semble pas avoir de réelles conséquences sur la façon de fonctionner de ces comités.

Quotas dans l’attribution de financements : circulez, il n’y a rien à voir ?

il n’y a pas de consensus sur l’existence d’un biais dans l’attribution de financements et de bourses, selon que cela soit un homme, ou une de femme qui fait la demande. Certaines études en trouve un, léger, mais réel, d’autres aucun. Il semble que cela dépende grandement du pays, et de l’institution qui attribue le financement. Les quotas pourraient néanmoins être appliqués pour promouvoir les recherches menées par des chercheuses.

[ A titre personnel, je me questionne sur la pertinence d’attribuer une bourse à une personne. La recherche est finalement un acte collectif. Pourquoi ne pas instaurer un quota de genre sur les équipes qui portent les projets susceptibles d’être financé ? C’est-à-dire que ces équipes devront comporter un nombre à peu près égal de femmes et d’hommes pour prétendre à une bourse de recherche. ]

Agir, ou laisser le temps faire son oeuvre ?

Un des principaux arguments contre le fait d’imposer les quotas, réside dans le « choc » que cela pourrait représenter. Un « choc », dans la mesure où, pour l’instant, peu de femmes ont accès aux postes hiérarchiquement élevés. Demander d’atteindre en quelques années une parité, ou un début de parité signifierait de privilégier les candidates, alors même qu’elles sont moins nombreuses que les candidats. Ceux qui défendent cet argument expliquent que c’est aller contre la « méritocratie », base du fonctionnement de l’Université. Ils seraient « obligés » d’embaucher, de financer des chercheuses parfois « moins méritantes » que des chercheurs.

Pour moi, ce « choc » est une construction réactionnaire sans fondement. Le « vivier » de femmes scientifiques n’est pas famélique en Europe. Même en minorité, elles sont nombreuses à chaque échelon. Suffisamment du moins pour présenter des candidatures de qualité égale à celles des hommes. N’oublions pas non plus que les critères de « mérite » à l’Université sont eux aussi biaisés, et favorisent les carrières typiquement masculines (je vous renvoie aux articles cités page 6 dans le rapport pour cette question).*

Laisser le temps faire son oeuvre pourra marcher. Toute politique égale par ailleurs, on voit se féminiser AUSSI les métiers de l’enseignement-recherche. Néanmoins, combien d’années, de dizaines d’années devra-t-on encore attendre ? Le temps de renouveler les enseignant-e-s-chercheurs-ses, de voir, à chaque génération, augmenter la proportion de femmes, le réchauffement climatique nous aura toutes et tous croqué tout cuit !

A l’heure où 67 % des européen-nes estiment encore que « les femmes n’ont pas les capacités requises pour accéder à des postes scientifiques de haut niveau », l’urgence de la parité exige des mesures fortes. L’instauration de quotas à l’embauche, pour moi, doit être l’élément central d’une véritable politique égalitariste à l’Université.

 

*Mon beauf me rappelle qu’il existe, hélas, de fortes disparités entre les disciplines. En philosophie, mathématique, informatique par exemple, il y a très peu de femmes universitaires, mais aussi un faible nombre d’étudiantes. Faut-il adapter les objectifs en fonction des disciplines, au risque de conserver les stéréotypes de genre sur la douance des étudiant-e-s, et de repousser encore le moment où il y aura une vraie parité ?

 

Où trouver des informations fiables sur l’éducation ? (2)

Suite (et fin ) des exemples que l’on peut trouver dans ces formidables rapports de l’OCDE sur l’éducation. (pour voir la première partie, c’est ici).
Je ne vais pas refaire toute l’introduction précédente, sur l’OCDE. Et cette fois, je vais essayer de montrer pourquoi ces comparaisons internationales qui excitent les partis et les syndicats souffrent de limites très importantes.

Budget par an, par élèves ou étudiants.

J’utiliserais, en plus du rapport « Regards sur l’éducation 2011« , les statistiques par l’INSEE, qui en dépit de nombreuses attaques politiques, est un organisme qui reste très indépendant du pouvoir en place.

Voilà ce qu’on trouve : en 2008, les dépenses par an et par élèves du primaires jusqu’au supérieur sont légèrement au dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. En dessous pour le primaire, au dessus pour le secondaire, et dans la moyenne pour les étudiants du supérieurs.

Ce qui est plus inquiétant pour l’éducation française, c’est qu’entre 2000 et 2008, à prix constant, l’augmentation du budget par élève en France est la plus faible de toute l’OCDE, suivi de près, il faut le dire, par l’Italie et l’Allemagne.

Venons-en aux limites de ces comparaisons. Tout d’abord, il faut avoir en tête que tous les systèmes d’éducation n’ont pas le même modèle. En France, nous avons les classes prépas, les écoles d’ingénieurs, dont les budgets par an et par étudiants sont très importants, par rapport à l’université, qui est le parent pauvre de l’éducation nationale. Mais ces différences sont gommées au niveau international, de la même manière que sont gommées les disparités entre les différentes écoles du secondaire en Allemagne, etc… Bref, déjà un point qui rend toute comparaison difficile.

Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’on regarde l’évolution de ces dernières années, en jetant un coup d’oeil sur les rapports de l’OCDE des années précédentes, on se rend compte que la France était en 2005 nettement en dessous de la moyenne. Que s’est-il passé ? Je ne me souviens pas ces 5-6 dernières années d’investissements massifs dans l’éducation… La réponse apparaît sur la page de l’INSEE : On observe en 2006 un gros décrochage : alors que jusque là, les dépenses stagnaient globalement, d’un coup, on voit une hausse de 6 % dans le supérieur, 7 % dans le primaire, et un très léger tassement dans le secondaire. Ce qui correspond à plus de 3 % de hausse globale . C’est pas grand chose, mais en un an, c’est loin d’être négligeable. Et ça fait passer au dessus de la moyenne, surtout pour l’enseignement supérieur. Ouf. L’honneur est sauf. Le problème, c’est la petite ligne sous le tableau : « [La rupture] de 2006 est due à la modification des règles budgétaires et comptables de l’État (LOLF)« . Pas de hausse !! Un changement du mode de calcul !!

Pour autant, peut-on blâmer l’état français ? En aucun cas. C’est le jeu international. Et nul doute que tous les états de l’OCDE font de même, dès que l’occasion d’améliorer les chiffres se présentent. Mais toute comparaison devient très difficile.

Je souhaitais ici donner un autre exemple de ce type de biais. Voilà ce qu’on peut voir, du côté des créations d’entreprises : En 2009, le nombre de création d’entreprise en France a augmenté de … 75 % ! Si si, au plus fort de la crise, la France a crée grosso modo autant d’entreprises que l’Allemagne et l’Espagne réunies en 2007, avant la crise !!

Création d’entreprise en France (source : APCE : Création d’entreprise en France 2009)

En France, on sait que c’est uniquement lié à la création du statut d’auto-entrepreneur. Et on sait que plus de la moitié de ces entreprises n’ont pas réellement d’activité, quand d’autres servent à masquer des travailleurs précaires (dans le bâtiment par exemple, où grâce à ce statut, l’embauche à la journée est redevenue possible légalement). Mais quel est le regard depuis l’étranger ? Une société ultra-dynamique, optimiste sur l’issue de la crise économique, créatrice de richesse ?

Globalement, commenter ces comparaisons internationales est toujours un exercice agréable, et je m’y suis prêté avec plaisir. Mais il me semble qu’à moins d’être un spécialiste des politiques éducatives européennes, et de très bien connaître les différents pays, les commentaires qu’on peut en tirer seront toujours très creux. Cela ne les empêchera pas d’être nombreux…

Une chose, finalement, est peut-être vraiment significative : la comparaison , et surtout l’évolution de la part de la richesse d’un pays dépensée dans l’éducation. Si la France est au-dessus de la moyenne avec 6 % du PIB dans l’éducation (5,9 % en moyenne) , c’est aussi le pays de l’OCDE, avec Israël, où les dépenses éducatives ont le plus reculé entre 2000 et 2008 (6 % de moins, à euros constant).

No comment (pour une fois).