Ça m’apprendra, tiens, à lancer à la volée un hashtag sur Twitter… #LaScienceEstUneArme. Alors que je voulais faire de Twitter une sorte de brouillon interactif, qui me servirait à affiner mon projet d’évolution de ce blog, je dois dès à présent expliquer pourquoi la médiation scientifique est une arme politique, sociale. (Alors même que je ne suis pas capable de savoir précisément quelles vont être les évolutions de ma présence sur le net. Ben bravo !)
J’ai donc raconté que « La Science est une arme », que « la médiation scientifique est une action militante », et que « la science est politique ». Peu de réponses (heureusement ?), mais Bruce Benraman, ou Cécile Michaud (journaliste scientifique) n’avaient pas l’air d’être très convaincus… Il est temps que j’expose mes arguments.
Déconnecter science et politique ? Mission impossible !
Pour moi, « la science est politique ». Et cela peut s’entendre de façons différentes : parle-t-on du fonctionnement de la recherche ? Du fonctionnement interne de la science ? De ses enjeux, de ses implications sociétales ?
L’exemple du Commissariat à l’Energie Atomique : 70 ans d’orientation politique de la recherche
En commençant ce paragraphe, j’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Il est évident que la politique influence directement la construction des savoirs scientifiques. Le refus quasi idéologique de la génétique mendelienne par l’Union Soviétique jusque dans les années 1950 (et la disgrâce de Lyssenko) est un exemple -un des pires de l’ère moderne, j’ose espérer- de soumission de la pratique de la recherche au champ du politique. L’histoire du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) est un exemple plus heureux.
En 1945, porté à la fois par la tradition française des physiciens de l’atome (les Curie, Perrin et consort), et par l’éblouissement suscités par la puissance des bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, Charles De Gaulle décide de créer le CEA. Il s’agit en effet de développer de vastes programmes scientifiques, devant aboutir in fine à des applications civiles (dans le domaine médical, et, bien sur, dans la production d’électricité) et militaires. Cet organisme de recherche est placé directement sous la tutelle du Président du Conseil (chef de l’état français), alors que sa direction est scientifique (Frédéric Joliot-Curie étant le premier « haut commissaire à l’énergie atomique »). Sans rentrer dans les détails historiques, le CEA a été tiraillé entre la stratégie industrielle, militaire, politique de l’état, et la science. Un seul exemple : Joliot-Curie, pacifiste, a été écarté de la direction en raison de son opposition au programme militaire en 1950. Mais de façon plus générale, la recherche française en physique a été particulièrement soutenue par les pouvoirs publics, via le CEA, en raison de l’attachement politique à l’auto-suffisance énergétique (par le nucléaire) et à la dissuasion nucléaire. Certains sites emblématiques de la recherche française (Le centre de Cadarache avec la construction du réacteur expérimental ITER, le site du LETI à Grenoble, le plateau de Saclay) en sont directement issus.
On pourrait multiplier ce type d’exemples à l’infini, depuis la science de l’espace propulsée par la guerre froide et la compétition URSS / USA, jusqu’aux plans « cancer » gouvernementaux qui favorisent, par leur financement, un travail de recherche acharné dans ce vaste et passionnant domaine.
Financement : le nerf de la science
C’est bien par le financement de la recherche que la politique investit le champ de la science. D’une part en choisissant les domaines à mettre en avant. C’est ce dont on a partiellement parlé quelques lignes plus haut : certains domaines sont plus « rentables » pour un état que d’autres. Ainsi déplore-t-on souvent en France le fait qu’une grande partie du budget de la recherche est engloutie dans les « Très Grandes infrasctructures de Recherche » (ITER, LHC, etc…), au détriment des petits labos, moins visibles pour le grand public. A l’international, ce sont les ONG qui dénoncent l’absence de financements sérieux pour les recherches sur les maladies touchant les pays pauvres. J’imagine que les budgets pour la recherche en biologie de l’évolution des états américains ultra-conservateurs ne doivent pas être bien élevés, comme ceux alloués par l’Iran ou l’Arabie Saoudite sur les problématiques de genre…
Si d’autre part, on souligne souvent les différences internationales dans le mode de financement de la recherche (public, associatif ou via des fondations, privé), on oublie souvent qu’il s’agit aussi d’un levier politique d’influence sur la science. On parle souvent de l’indépendance de la recherche française vis-à-vis de l’industrie. Qu’elle soit réelle ou fictive, passée ou encore vivante, elle correspond à un modèle politique où l’État garantit l’effort de recherche scientifique, en finançant, par l’impôt, les travaux académiques. Grace à ce modèle, la France a eu la réputation de permettre une grande liberté à ses chercheurs, non tenu à des objectifs de production qu’impose un financement privé comme dans le modèle (supposé) des pays anglo-saxons. On retrouve ici l’opposition entre l’interventionnisme de l’état et le libéralisme. Le premier permet d’investir dans des projets fondamentaux, sans retombés immédiates, d’explorer des champs inconnus. Au risque d’une dilution des moyens entre les acteurs, et d’éloigner l’effort financier des préoccupations directes des citoyens, comme la santé. Le second impose aux chercheurs de la rentabilité, des objectifs à court terme, mais permet aussi une plus grande variété dans les sources de financements.
Les clivages politiques traditionnels (social-démocratie / libéralisme) se retrouvent bien ici, s’affrontant… sur le dos de la science.*
* il y aurait bien des choses à ajouter ici, depuis l’ANR, instrument politique de la répartition des moyens de recherche, qui prive de fait les « petits labos » de financement, au Crédit Impôt Recherche, qui permet avant tout de financer la R&D privée, au détriment des recherches fondamentales, tout en permettant d’afficher 3 % du PIB dépensé pour la recherche… la basse politique est là aussi !
La méthode scientifique elle-même est politique !
Mais peut-on aller plus loin dans l’étude des liens entre la science et la politique ? Il me semble que oui.
La méthode de choix pour valider les avancées scientifique reste aujourd’hui l’évaluation par les pairs. Lors de communications orales, écrites, les scientifiques sont appelés à juger de la pertinence et du sérieux des travaux de leurs collègues. On pourrait y opposer une vision des théories scientifiques imposée par un état ou par une religion, ou par une votation citoyenne ! Je ne veux pas débattre de cela ici, mais cette évaluation par les pairs constitue en soi une organisation interne de gestion de la science. Une politique DANS la science. On pourrait la rapporter à un système démocratique – ou technocratique ? – par opposition à un système autoritaire – ou une démocratie directe dans le cas des votations ?
Allons encore plus loin. En 1975 parait « Contre la méthode », de Paul Feyerabend. Dans cet ouvrage, tenant de l’anarchisme épistémologique, l’auteur, épistémologue reconnu, critique le principe même de la « méthode scientifique », au titre qu’il s’agit d’une façon de penser, comme une autre, et qui a ses limites. Se priver des autres est pour lui contre-productif d’un point de vue de l’avancée de la science, ce qu’il montre à travers plusieurs exemples historiques. Sans entrer dans les détails, il prône l’anarchisme épistémologique, par opposition à une méthode scientifique unique. Il me semble, que l’on soit sensible ou non à ces idées, que Feyerabend montre que ce qui fait l’essence même de la science, à savoir la façon dont elle se construit, dont se forge les théories scientifiques, est politique.
Quelque soit l’angle abordé, on arrive à cette évidence : la Science, même avec un grand « S », est une construction, une réflexion humaine sur des faits réels, mais dont l’interprétation est, par la nature même de l’être humain, subjective. On ne pourra pas l’extraire de la politique, c’est-à-dire de l’organisation des sociétés.*
* Je n’ai pas évoqué ici la façon dont la science est au coeur de certains débats politiques, en particulier sur des sujets « sensibles » comme le réchauffement climatique, le « progrès », ou même la bataille évolutionnisme / créationnisme. Cette autre façon de voir comment science et politique sont mêlés se retrouve par exemple dans les initiatives « Je vote pour la science » (au Québec) ou « Votons pour la science » (en France pour les élections 2012), et semble omniprésente dans les débats publiques sur la place de la science dans la société.
La médiation est une arme

(Par Phiip, initialement pour l’événement Lyon Science 2016)
Si la science est politique, sa médiatisation est un acte militant, chargé de signification idéologique. Libre à chacun de décider quel sens il souhaite donner à son action.* Je souhaite ici donner mon point de vue : je ne médiatise pas la science pour la beauté du geste, mais afin de partager des savoirs et des codes culturels et sociaux classiquement réservés aux élites. Dans le but final de permettre à chacun d’avoir les connaissances nécessaires pour se forger sa propre opinion, et ainsi prendre des décisions éclairées pour soi-même et pour la société.
* Il serait passionnant d’évoquer ici le travail de Bernadette Bensaude-Vincent, publié sous le titre « L’Opinion publique et la science. À chacun son ignorance » (Paris, Ed. La Découverte, 2013), où elle détaille en particulier les raisons de médiatiser la science au cours des XIX et XXe siècle.
Détenir du savoir ne devrait pas être un marqueur social
La science (et plus généralement, la culture) est une affaire de classes sociales favorisées. Si on regarde simplement le niveau d’étude en fonction de la catégorie socio-professionnelle des parents, on constate que deux tiers des enfants de cadres ou enseignants ont un diplôme supérieur ou égal à Bac +2 contre moins d’un tiers pour les enfants d’employés ou d’ouvriers qualifiés. Les enfants d’ouvriers non qualifiés ne sont que 20 % à atteindre ce même niveau d’étude. (source : Observatoire des Inégalités). Autre indicateur : les musées et parcs d’attraction scientifiques sont souvent délaissés par les classes populaires, malgré souvent des tarifs faibles, en particulier pour les enfants / étudiants / demandeurs d’emploi. Ils paraissent inaccessibles, et le plus souvent inintéressants. En fait, beaucoup ne savent même pas qu’ils existent (Il s’agit ici de mon point de vue. Enseignant dans un lycée avec un public plutôt défavorisé, c’est ce que je constate auprès de mes élèves).
J’ai souvent entendu chez des collègues enseignants que certains élèves « ne sont pas curieux », « sont réfractaires à toute forme de culture », etc… Pour moi, la curiosité, le désir de se cultiver sont des choses qui s’apprennent, par des mises en contact fréquentes avec les savoirs. Ce n’est pas simple, mais la médiation, l’enseignement est censé être là pour ça. (Et c’est ce à coté de quoi passe souvent l’école primaire, en privilégiant de plus en plus l’orthographe, la numération et les calculs au détriment des « découvertes » (sciences, histoire, géographie, etc.) autrement plus passionnantes, et qui incluent les savoir ‘fondamentaux’ cités juste avant). Médiatiser la science, dès le plus jeune age, c’est aller à la rencontre des questionnements d’enfants, leur montrer comment rechercher des réponses, qui amèneront encore plus de questions ! Cette démarche, fondamentale pour l’épanouissement des jeunes, est aussi utile pour réussir à l’école, acquérir les codes sociaux des classes supérieures et s’ouvrir les portes des milieux privilégiés. Cette médiation des sciences est une arme contre la reproduction sociale. Je parle des jeunes enfants, parce que la discrimination sociale est précoce. Mais la médiation scientifique et culturelle doit jouer ce rôle durant toute l’enfance et adolescence, pour la même raison : la curiosité, ça s’apprend (jeune), et ça s’entretient toute la vie.
L’utilisation de médias qui sont investis par l’ensemble des couches de la population est ici assez formidable. Par exemple, l’utilisation des vidéos de type Youtube pour médiatiser des connaissances scientifiques permet toucher un public infiniment plus large que celui du Palais de la Découverte ! D’autres acteurs ont décidés d’amener les outils de la médiation scientifique directement auprès du public populaire. Les initiatives impliquant par exemple le Planétarium de Vaulx-En-Velin, le Club d’Astronomie de Lyon-Ampère, l’association Planète Science (« Ciel des quartiers« ) , ou encore les associations « Les Petits Débrouillards » (voir ce blog par ex.), qui apportent les instruments d’observations astronomiques dans les quartiers défavorisés sont aussi des actions formidables pour la diffusion de la culture scientifique…
La culture, le raisonnement scientifique : pour choisir sa vie, librement
Au-delà de la question sociale, la diffusion des connaissances scientifiques doit permettre à chacun d’appréhender notre monde avec le plus de justesse possible. Un choix n’est libre que s’il est éclairé. Et ça tombe bien, c’est le boulot de la science. Comment savoir quelles sont les actions qui permettent de lutter contre le réchauffement climatique ? Et au fait, existe-t-il vraiment (parce que cet hiver, ça caille !) ? Et ce dépistage organisé pour le cancer du sein, qui coute cher à la sécu, il vaut vraiment le cout ? Et que faut-il mieux pour mon enfant, lait maternel, préparation lactée ? Et l’impact du nucléaire, bien, ou pas bien ? La médiation scientifique permet de répondre de deux façons conjointes à ces multiples questions, auxquelles nous sommes confrontés tous les jours:
- En nous offrant des connaissances, opérationnalisables immédiatement. C’est ce qu’il m’arrive de faire ici sur ce blog, lorsque je parle du dépistage du diabète gestationnel, ou des pseudo-remèdes contre les cancer
- En nous familiarisant à la démarche de questionnement scientifique : les sujets du monde entier ne sont pas tout le temps vulgarisés dans des médias bien visibles, et parfois, la recherche d’information est ardue. le rôle de la médiation scientifique doit aussi être de nous donner des éléments pour étudier rationnellement les questions qui nous sont posés : confronter son opinion première aux faits relevés, évoluer, tester ses nouvelles hypothèses, porter un regard critique permanent sur les informations qu’on reçoit, etc.
Ces propos ne sont absolument pas nouveaux. Il est simplement important pour moi de ré-affirmer le rôle de la médiation scientifique dans la lutte contre les manipulations. Si l’Eglise a été durant de nombreuses décennies l’ennemie du savoir scientifique (et l’est encore en partie), elle a de nombreux concurrents : les politiques utilisent largement des raccourcis ou des manipulations scientifiques afin d’asseoir leur popularité, les grandes entreprises s’arrangent avec les données pour prétendre à la supériorité de leurs produits, etc. La médiation scientifique, en diffusant connaissances et méthodes est donc une arme contre cet obscurantisme.
Et le plaisir dans tout ça ?
Le plaisir d’apprendre… Oui, il fallait bien que je finisse là-dessus. Simplement parce que l’essentiel de la médiation scientifique se fixe cet objectif. Il ne s’agit plus là d’une arme, soyons clair. Mais je sais qu’une fois le ventre bien rempli, les pieds bien sur Terre, la conscience tranquille parce qu’on a fait ses choix de façon éclairée, c’est si bon, d’apprendre encore et encore. N’oublions juste pas que nous ne sommes pas nombreux à pouvoir réellement en profiter.
AUX ARMES, MÉDIATEURS !