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>Nanotechnologie (3) : Les molécules auto-assembleuses… des tous petits pas vers les origines de la vie ?

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Durant mes études en chimie, j’ai souvent entendu l’association de « chimiste » avec « fumiste ». C’est très éxagéré. Mais enfin, quand même, si les molécules pouvaient s’assembler d’elles-mêmes, plutôt qu’on développe des trésors de complexité pour le faire nous (les chimistes), ça serait pas si mal… Et puis, si on simplifie à l’extrême le fonctionnement des cellules vivantes, ne sont-elles pas elles-mêmes des usines qui s’auto-assemblent et s’auto-répliquent en permanence ??

Les chimistes n’en sont pas là.
Revenons aux bases. Ces auto-assemblages, c’est quoi ? cela consiste simplement en l’organisation spontanée d’un nombre plus ou moins important de molécules.
Et un exemple simple est le fonctionnement des tensio-actifs (savon et autres): mis en solution, et pour peu que la concentration soit suffisante, on obtient des micelles, des feuillets, …


 Pourquoi ? le jeu des attractions et répulsions des différentes parties des molécules en sont directement la cause… Allez ici pour en avoir une meilleure idée.
Quelques remarques :

  • Ces objets sont typiquement des nano-objets, comme la plupart des autres assemblages « supra-moléculaires ».
  • On peut interpréter cet assemblement, par une minimisation de l’énergie d’interaction entre les molécules : la superposition des parties hydrophobes entre elles, et hydrophiles entre elles, est moins coûteuse en énergie que le joyeux mélange aléatoire…
  • L’air de rien, l’observation de l’auto-organisation des tensioactifs montre comment se sont formés les parois des premiers êtres vivants : prenez une micelle, et doublez sa couche de tensioactifs : vous obtenez une bicouche, base des membranes cellulaires (en ultra simplifié)
Bon, c’est très bien, mais allons plus loin… 
Tout d’abord, repensons aux début de la vie : celle-ci ne s’est pas « inventée » avec la complexité qu’on lui connaît aujourd’hui. Il faut imaginer des procédés plus simples, permettant la réplication cellulaire. Une large communauté de chercheurs (dont le prix Nobel 1989,  Thomas Cech) pensent qu’il faut imaginer une vie entièrement basée sur l’ARN, et non sur l’ADN qui serait traduit, par l’intermédiaire d’ARN en protéines. Cela fait trop de molécules complexes d’un seul coup… Et cela pose inévitablement la question de l’auto-organisation des molécules d’ARN… Bref, sans trop m’étendre, beaucoup d’équipes de chimistes étudient actuellement la question, et par exemple lorsqu’on dépose de l’ARN peptidique sur une plaque de verre, on a pu observer la formation de vésicules, de bicouches, et même de semblant de « pores », ce qui montre que ces molécules modèles peuvent non seulement s’auto-assembler, mais aussi reproduire des structures nécessaires à des organismes vivants primitifs… [1]
Maintenant, voyons ce que produit l’homme, dans son laboratoire… Tout d’abord, il y a la fascination des molécules qui s’auto-assemblent… et leurs mises au point :
Voici ce que réalisait l’équipe de J.M. Lehn, il y a une vingtaine d’année ([2], [3]):

Ce qui est assez formidable, ici, c’est qu’il y a une véritable « reconnaissance » des ions par les molécules organiques, avec une formation de double hélice autour des ions cuivres, et d’une triple hélice autour des ions nickels. Et pas de mélange entre les deux structures…

Et beaucoup plus récemment, ce qu’on a pu voir dans Science ([4]):

Là, ce qui est très amusant, c’est que des variations quasi infimes dans la partie « organique » de l’assemblage conduit à la formation de composés sphériques de tailles différentes. Un mélange des deux composés (1 et 3) conduit à des sphères de tailles intermédiaires…

Et puis, il y a l’utilisation de ce principe d’auto-organisation, pour fabriquer de nouveaux composés, de manière intelligente ([5]). (je crois que dire des molécules qu’elles sont intelligentes est complètement idiot. Disons que c’est le chimiste qui, dans ce cas, fait preuve d’intelligence remarquable, ce qui est rare, mais qui peut arriver). Et c’est  à nouveau notre prix Nobel J.M. Lehn qui a commencé : l’idée, c’est de travailler avec plein de petites molécules, qui vont être autant de briques élémentaires, de forme et de taille variées, qui peuvent s’allier entre elles de façon parfaitement réversibles.
Donc on les met toutes ensembles (par exemple, une dizaine, ce qui fait déjà un nombre gigantesque de combinaisons possibles) et surtout, on ne s’arrête pas là. On rajoute… une cible. En recherche pharmaceutique, on a des cibles biologiques, comme des « serrures »  (protéines par exemple) et on cherche des composants qui vont pouvoir agir dessus, des « clés » correspondantes. Ce qui va se passer ? les molécules vont se lier et se délier de toutes les manières possibles, y compris de la « bonne » manière : la bonne « clé » va se former, être sélectionnée par la « serrure ». On aura trouvé la bonne molécule pour la cible en question… Un petit schéma (légendé en anglais) pour mieux voir…

Figure 1 C’est plus clair, non ?
Bon, bref, l’idée est géniale (oui, je suis fan de JM Lehn) , on appelle cela la constitution de librairie « dynamique » de composés (auto-assemblés, on pourrait ajouter)…

Bon, une fois que j’ai donné ces quelques exemples de molécules qui s’auto-organisent, pensons à l’étape d’après : à quand des systèmes chimiques auto-réplicants ? autre formulation, moyennant quelques raccourcis épistémologiques, à quand une vie réellement artificielle ?

Sources :
[1] : Voir par exemple . Lazar A.N., Coleman A.W., Terenzi S,.Strazewski P.. Chem.Com. 2006, 1, 63-65. et puis de nombreux articles wikipedia et autre sur la chimie prébiotique.
[2] : Kramer, R.; Lehn, J. -M.; Marquis-Rigault, A. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 199390, 5394.
[3] : Voir aussi (et surtout !) la revue de Lehn (en accès libre): Machado V.G., Baxter P.N.W., Lehn J.M. J. Braz. Chem. Soc. 200112,431-462.
[4] Sun et al. Science 2010, 328, 1144-1147.
[5] Huc I., Lehn J.M. A. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 199794, 2106-2110.

A lire aussi, évidemment le document écrit (« Nobel Lecture« ) par Lehn pour son prix, en 1987.

>Une contribution au débat sur les nano-objets (2) : Les moteurs moléculaires dans la nature

>Les nanomachines font peur. On imagine une armée de robots hyper miniaturisés parcourant notre corps, pénétrant nos cellules et notre intimité, pour nous soigner au mieux, nous contrôler au pire, nous tuer le reste du temps. Je ne me permettrais pas de prédir l’avancée de cette science dans les 100-200 prochaines années. Mais voilà un peu où nous en sommes en ce début de siècle.

Revenons aux premières nanomachines, celles conçues, et utilisées par la « nature ».
Une des plus importantes, et des mieux connues malgré sa complexité est l’ATPsynthase, une protéine de surface des mitochondries qui permet la fabrication de l’ATP (la source d’énergie chimique dans les organismes).

Pour expliquer brièvement : cette protéine est constituée de plusieurs parties : en vert et orange, la partie fixe (le « stator »). en bleue, la partie mobile qui va tourner sur elle même (le « rotor »). Lorsque la concentration en ions H+ (symbolisé en bille orange içi) est plus importante en dessous de la membrane qu’au dessus, ceux-ci vont actionner cette machine, qui en tournant va permettre de rééquilibrer les concentrations, tout en fabricant de l’ATP.
Voici une des vidéos « prouvant » le mouvement rotatif de cette machine (une bille de 40 nm a été fixée sur le rotor pour rendre visible la rotation…) :

D’autres nanomachines sont fondamentales dans les êtres vivants. Celles qui ont des conséquences les plus visibles sont sans doutes les myosines, qui font se déplacer les filaments d’actine… Cela ne vous dit rien ? Et bien c’est ce qui se passe à chaque fois qu’un muscle se contracte ! en voilà une vidéo pour comprendre le fonctionnement. On y voit un seul « pas ». A noter à la fin de la  vidéo le mouvement in vitro de myosine…

Voici ce qui se passe lorsque des myosines sont fixées à une plaque de verre, et que l’on y ajoute des filaments d’actine, (et de l’ATP) :

On pourrait parler aussi des transports de vésicules  le long des microtubules :

Ces nanomachines représentent actuellement le graal des chimistes essayant de les copier… Mais ça, c’est pour une prochaine fois !