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Un anticancéreux contre Alzheimer ?

On ne peut pas vraiment échapper à cette information : le Bexarotène, anticancéreux utilisés pour certains type de cancers de la peau, serait très, très efficace contre la maladie d’Alzheimer (Source : Science ou ici, plus court pour le grand public ). Une très bonne nouvelle sans aucun doute, pour les chercheurs qui souhaitent comprendre la maladie. Les malades et leur famille, eux ne doivent pas se réjouir trop vite, hélas.

Alois Alzheimer, « inventeur » de la maladie du même nom

Une chose qu’il ne faut jamais oublier : quelque soit l’anticancéreux, ces médicaments ne sont jamais anodins. Le principe d’action, pour la majeure partie de ces composés, c’est : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Autrement dit : dévastez tout sur votre passage, et les cellules saines ont (un tout petit peu) plus de chance de s’en sortir que les cellules de la tumeur. Par exemple, le cis-platine, qui permet de soigner 90 % des cancers des testicules lorsqu’il est pris à temps, a une toxicité très aigue pour les reins. La doxorubicine, traitement de référence pour les cancers du sein, pose de graves problèmes cardiaques, parfois irréversibles lorsque le traitement est lourd. La liste n’est évidemment pas exhaustive…

Alors, le Bexarotène ? Et bien il ne fait pas exception. 

Bexarotène (Wikipedia)

Commercialisé sous le nom de Targretin, ce médicament a des effets secondaires lourds, et surtout très fréquents. Ainsi, plus de 10% des patients traités par le Bexarotène auront comme effet secondaire :

  • une leucopénie :  (chute du nombre de globules blancs) le patient est plus sensible aux infections (système immunitaire affaibli)
  • une hypothyroidie : la thyroide fonctionne au ralenti, d’où une asthénie, faiblesse musculaire, prise de poids importante, chute de cheveux…
  • un prurit, des éruptions cutanées

Sans parler des effets « fréquents » (1 à 10 % des patients): douleurs musculaires, squelettiques et abdominales, troubles hormonaux, nausées, diarrhées, étourdissements, … Une liste assez exhaustive est accessible ici. Compte tenu de ces effets, l’intérêt même d’un traitement au long court par ce médicament me semble douteux.

Alors, que faire de cette étude, que faut-il en attendre ?

Le bexarotène agit sur une protéine, nommée RXR (pour Retinoid X receptor), qui intervient à la fois dans certains cancers, et dans cette maladie neuro-dégénérative qu’est la maladie d’Alzheimer. Il est à noter que c’est actuellement un composé très efficace sur le RXR, tout en épargnant les protéines de la même famille. Ce qui lui permet d’avoir un « profil toxicologique » beaucoup plus acceptable que ses concurrents. Il reste, en fait, trois possibilités pour le traitement de cette maladie par ce composé:

  • Soit les doses nécessaires pour l’homme pour faire régresser la dégénérescence sont très faibles, et dans ce cas, le Bexarotène peut être utilisé, y compris pour des stades de la maladie peu avancés
  • Soit, et cela tient quasiment du miracle selon moi, un traitement de courte durée par le Bexarotène permet l’arrêt (définitif) de la progression de la maladie
  • Soit, et c’est sans doute la plus forte probabilité, le Bexarotène agit correctement à dose importante, mais son effet ne dure pas dans le temps.

Dans ce dernier cas, qui me semble le plus raisonnable, ce traitement pourra peut-être aider les personnes gravement atteintes, pour qui le rapport bénéfice/inconvénient sera positif, malgré les effets secondaires. Exit donc, le rêve d’une prise en charge précoce de la maladie, sous peine de voir le patient souffrir davantage des effets du médicaments, que de la maladie…

Enfin, cette étude met surtout en lumière qu’on a peut-être trouvé LA protéine à cibler. Et là, le travail reste considérable.  Mais au moins, on sait où chercher. Et cela est un progrès immense dans cette maladie si répandue, si méconnue.

[Je n’ai pas parlé ici des souris « modèles » sur lesquelles ont été testés ce médicament. Très très rapidement: ce sont des souris à qui on a modifié le patrimoine génétique afin d’avoir les symptômes de la maladie d’Alzheimer, et le même type de dégénerescence physiologique. Ce modèle reste néanmoins imparfait, car ces souris n’ont pas réellement la maladie d’Alzheimer qui ne semble pas être d’origine génétique]

Sources :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_d’Alzheimer

http://en.wikipedia.org/wiki/Bexarotene

ApoE-Directed Therapeutics Rapidly Clear β-Amyloid and Reverse Deficits in AD Mouse Models P.E. Cramer et al., Science, 2012, Publié en ligne le 9 février 2012

Quand les grands du nucléaire soignent les cancers…

A traîner sur Twitter, j’en apprends de bonnes. Voilà Elifsu qui se met à parler d' »Areva Med »… La chose semblait entendue : Areva inventait des villages de vacances au pied des centrales nucléaires, pour profiter de la chaleur résiduelle des réacteurs… La classe ! Bon, en fait, pas du tout. Mais vraiment RIEN A VOIR…

Non, en fait, à l’origine, il y a une opération de com’ vers les blogueurs « influents » (dont je ne fais pas partie) de la part d’une filiale d’AREVA, AREVA MED, spécialisée dans le développement de traitements contre les cancers.

MED = médical et non méditérranée… Dommage… Mais l’occasion de me renseigner, et de vous faire part de cette chimiothérapie qui commence à faire ces preuves, la radio-immunothérapie. Je laisse le soin à Elifsu d’écrire sur son blog ce qu’elle pense de cette filiale d’Areva, qui pour moi fait tous les efforts du monde pour s’acheter une jolie image auprès du grand public…

Alors voilà. Pour traiter un cancer, on a trois voies :

  •  La chirurgie : arme redoutable contre les tumeurs bien délimitées, et accessibles aux bistouris. C’est souvent le cas, surtout quand on hésite pas à retirer tout l’organe qui va avec. Mais forcément, ça devient non utilisable pour des tumeurs mal placées (cérébrales par exemple), ou mal délimitées,..
  • La radiothérapie : ça marche plutôt bien aussi : On irradie à l’aide de faisceaux de photons (dans le domaine des Rayons X en général), ou d’électrons, (ou plus rarement protons, neutrons,…). Le seul petit hic : ça crame tout sur son passage ! Donc parfois inopérant pour des tumeurs profondes. Et dans le cas de cancers disséminés dans d’autres organes, ça ne sert plus beaucoup…
  • La chimiothérapie : En tant que chimiste, je trouve que c’est la plus -scientifiquement parlant- intéressante. En réalité, ça marche parfois, (le Cis-platine soigne 90 % des cancers des testicules pris à temps…, le Glivec a révolutionné les traitements de certaines leucémies, etc…), et puis parfois, les effets secondaires sont invivables, pour un bénéfice faible… L’avantage par rapport aux autres techniques, c’est que le composé anticancéreux va partout, y compris dans les endroits inaccessibles pour la chirurgie et la radiothérapie. L’inconvénient, c’est que le composé va partout, y compris dans les cellules saines, ravageant un peu tout sur son passage.

Est apparue depuis les années 1980 l’immunothérapie : En fait, on commence à savoir comment bien mieux cibler les cellules cancéreuses ; en particulier, on arrive à produire des anticorps (oui oui, les mêmes anticorps spécifiques de telle ou telle maladie virale ou bactérienne) agissant contre les cellules cancéreuses, ou plus précisément contre certains marqueurs spécifiques des cellules cancéreuses. Le plus connu, c’est l’Herceptine,  pour le traitement de certains cancers du sein, assez efficace, avec très peu d’effets secondaires. [SOURCE]. Mais il y en a beaucoup d’autres, commercialisés ou en tests cliniques. [SOURCES]

Il n’empêche, parfois cela manque encore d’efficacité. Par exemple, pour peu que les cellules cancéreuses soient résistantes aux attaques du système immunitaire, ou que celui-ci ne soit pas au top, ça ne marche pas bien ( les anticorps, une fois fixés sur les cellules malignes, sont censés activer la suite du processus immunitaire qui permet la destruction de la cible. Si il est défaillant, ben, c’est raté).

Alors, il reste une solution : doter les anticorps d’une arme de destruction massive (comme ça, plus besoin du système immunitaire !). Et pas une arme chimique, non, une véritable BOMBE NUCLEAIRE !! Si si !!!

C’est très simple, sur les anticorps, on greffe des atomes radioactifs, émetteur de particules β (en fait simplement des électrons) et/ ou de rayons γ, qui vont agir directement sur la cellule cancéreuse ciblée(et celles qui se trouvent à proximité). Bref, une radiothérapie ciblée, localisée au niveau des cellules cancéreuses. Cette technologie existe maintenant depuis une vingtaine d’année, et sert par exemple à traiter des leucémies, à l’aide de l’yttrium 90 (nom de code du médoc : Zevalin ). On se sert aussi de l’iode 131, en particulier pour traiter les cancers de la thyroïde (pas besoin d’anticorps, dans ce cas), et tout plein d’essais sont en cours.

 Un exemple (hélàs en anglais. Pour info : « antibody = anticorps ;  cd20 : marqueurs de surface reconnu par les anticorps, nus (« naked ») ou accompagnés de l’élément radioactif (« radio-labelled »))

Il s’avère qu’une des améliorations majeures attendues de la radio-immunothérapie, outre la fabrication d’anticorps dirigés vers d’autres cibles cancéreuses, consiste en l’utilisation d’autres éléments radioactifs, mais émetteurs α cette fois. L’intérêt est très simple : les rayons γ ou  les particules β peuvent se propager sur une assez grande distance avant d’interagir avec la matière : la zone irradiée est de l’ordre du milimètre. Les α, eux, sont beaucoup plus gros, et donc vont se propager dans une zone plus faible (environ 50 µm, 200 fois plus précis donc !).

Et c’est là qu’Areva intervient. J’imagine un brain storming… :

– Bon, les gars, on a deux soucis sur le dos : 1. on ne nous aime pas. (murmure de désapprobation dans la salle) 2. On a plein de Thorium à Cadarache, radioactif il va de soi, et il se désintègre lentement sans qu’on en fasse grand’chose. (soupirs nombreux…). Faut changer tout ça ! Une idée ?? Personne ? Ah Jean-Paul, t’es encore bourré du pot de départ de hier soir, mais y a personne d’autre…

(Avec une voie pâteuse et mal assurée) On a qu’à utiliser les produits de désintégration du Thorium pour soigner des gens de cancers, comme ça, on libère de la place à Cadarache, et on devient des bienfaiteurs de la médecine !!

– [Le reste de l’assemblée, morte de rire] Mais qu’il est con, ce Jean Paul ! Allez, va cuver ton vin !

-[Et puis un ptit bonhomme] Oui, il est con. Mais si il avait raison ??

Chaîne de désintégration du Thorium 232

Et voilà qu’un des descendants du Thorium, le Bismuth 212 a exactement les bonnes propriétés. Ou plutôt son père, juste suffisamment stable pour avoir le temps de préparer le médoc, le Plomb 212, émetteur α, et greffable sur un anticorps (j’ai très envie d’en parler, [c’est la partie « chimie »], mais ça sera pour une autre fois). Et Areva Med est née. Pour l’instant, tout se passe bien, le 212Pb-TCMC-Trastuzumab (En fait l’équivalent de l’herceptine, mais avec le Plomb 212 en plus de l’anticorps) est en phase I des tests cliniques depuis quelques mois, et l’usine de production de cet élément radioactif en cours de construction dans le Limousin. Et v’là qu’Areva rachète même une boîte de chimie organique, « Macrocyclics », leader dans la production de « molécules-cages » (dans le cas précédent le « TCMC » ) permettant de greffer le métal émetteur α à l’anticorps. Apparemment, ils y croient à mort !

Un commentaire général sur cette nouvelle activité d’AREVA : La mise au point d’un médicament coûte vraiment très cher, et sa rentabilité soumise à un grand nombre d’aléas, et en particulier l’acceptation des autorités sanitaires (FDA américaine, AFSSAPS française, EMA européenne) à la mise sur le marché. Sans compter qu’on n’est jamais sûr que cela va apporter un bénéfice réel aux patients par rapport aux autres chimiothérapies… Mais bon, Areva peut sans doute se le permettre, et ainsi renverser complètement l’image qu’a le nucléaire : au lieu de provoquer des cancers, rendre stériles pendant des siècles des km² autour des centrales accidentées, l’atome soigne et guérit les pires maladies… Il y a une chose supplémentaire à ne pas oublier : pour faire de la médecine nucléaire, aujourd’hui indispensable pour la santé publique, il faut des entreprises capables d’extraire des éléments radioactifs, les manipuler, les transformer. Qu’Areva s’engage dans cette démarche (et même si c’est uniquement dictée par le service com’ de la boîte, et même si ça me fait mal au coeur de dire du bien d’une telle boîte) est une très bonne chose pour la médecine.

Source :

>Une petite contribution au débat sur les nano-objets…. (1)

>Je ne comprends pas vraiment le débat sur les « nano-objets ». Alors, plutôt que de critiquer à la fois les critiques et ceux qui ne les prennent pas au sérieux, je m’en vais vous présenter certains de ces « objets » (nom absurde, ouvrant la voie à tellement de fantasme !!) que j’ai pu côtoyer de près durant ma (courte) carrière de chimiste.

Pour revenir à la base de la base, l’ordre de grandeur d’une liaison entre 2 atomes au sein d’une molécule, est d’environ 0,15 nanomètre. La définition d’un objet nanométrique nous permet donc d’affirmer que toutes molécules d’une dizaine d’atomes fait partie de cette terrible famille. Prenons le glucose, de formule C6H12O6. Typiquement, c’est un nano-objet !
Trêve de plaisanterie. Les nano-objets tants contreversés ont pour ordre de grandeur en général quelques dizaines, voire quelques centaines de nanomètre. On voit quand même là que la frontière entre les différents « objets » est tenue….
En chimie organique, (c’est-à-dire en chimie des molécules contenant principalement des carbones, hydrogènes, oxygènes, azotes plus deux trois exceptions), certains nano-objets ont la côte. Je vais parler içi de l’un d’entre eux, qu’on appelle « dendrimère ».

Tout le monde connaît les polymères. les plastiques. Ceux-ci sont constitués de longues, très longues molécules où un, ou deux motifs servent de briques élémentaires, et se répètent de milliers de fois. Suivant les propriétés souhaités, ces molécules sont bien régulières, ou au contraire s’enchevêtrent, sont liées entre elles… Voilà un petit schéma pour visualiser le tout :

Les briques élémentaires, c’est le nom après le « poly » : polycarbonate, c’est un polymère dont la brique élémentaire (monomère) est un carbonate. A vous de deviner ensuite avec polyester, polyméthacrylate de méthyle, polyamide, polystyrène, etc…
La nature n’est pas en reste… L’amidon, du « polyglucose », L’ADN ? une sorte de polymère à 4 briques de bases (les puristes me diront que c’est très très simplifiés, et ils auront raison), les protéines ? des polymères à 22 briques de base !
Passons maintenant aux dendrimères. Le principe est assez similaire : une grosse molécule, dont un motif est répété. C’est l’organisation qui est radicalement différente. Alors qu’on a une structure linéaire avec les polymères, les dendrimères s’organisent autour d’un noyau central, sur lequel « poussent » des branches, qui se ramifient. En voilà quelques représentations.

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1 et 3 : dendrimères de 2 ou 3 générations; 2 dendron; 4-5 : exemple de dendrimère; 6-9 : autres structures dendritiques.

De très nombreuses propriétés sont étudiées pour ces structures.
Voici quelques applications concrètes.
En biologie, ou en toxicologie par exemple, on a besoin de détecteurs très sensibles. Ceux-là sont constitués d’une partie qui reconnaît la molécule/l’antigène, liée à une autre partie, fluorescente. La fluorescence étant activé lorsque la reconnaissance a lieu.
Imaginons maintenant un dendrimère dont le coeur correspond à la partie « reconnaissante », et les extrémités à la partie « fluorescente ». Pour une molécule/antigène qui se lie, il n’y a pas un mais plusieurs fluorophore activé. D’où une sensibilité décuplée !
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Voici le schéma de base de ce que je viens de dire : en haut, un capteur classique. En bas, 8 fluorophores sont activés pour 1 seul substrat.
Le monde de la médecine aussi est intéressé par ces structures.
Par exemple, ils peuvent servir en chimiothérapie : les cellules cancéreuses sont très gourmandes en nutriments et en oxygène. Les tumeurs sont donc très vascularisées, et les pores qui permettent les échanges entre les cellules et les vaisseaux sont de tailles beaucoup plus importantes que pour les cellules normales. Les médicaments classiques contre le cancer sont en général de petites molécules capables de pénétrer toutes les cellules. D’où l’idée de « décorer » des dendrimères biologiquelement inertes, avec des molécules antitumorales. Le résultat pour l’une d’entre elle est stupéfiant : la doxorubicine est utilisé un particulier pour le traitement du cancer du sein, mais c’est un composé très toxique, et les doses administrées sont donc plutôt faible. De plus, le médicament est rapidement métabolisé, d’où une faible bio-disponibilité. En décorant des dendrimères de doxorubicine, deux effets bénéfiques sont apparus. L’agent anticancéreux restait plus longtemps dans la circulation sanguine, d’où une efficacité accrue pour la même dose, et de plus, la toxicité a chuté drastiquement, sans que l’efficacité diminue. (En fait, les chercheurs se sont plantés et ont donné une dose largement au delà des limites létales, et les souris étaient en pleine forme !).
On pourrait encore parler des essais menés pour faire des dendrimères de véritables enzymes artificielles, qui auraient la capacité de catalyser des réactions chimiques complexes, tout en selectionnant le substrat, des recherches sur la photosynthèse synthétique à partir de dendrimères photosensibles…Bref, ces « nano-objets » n’ont pas fini de faire parler d’eux !
Sources :
D. Astruc et al. Chem. Rev. 2010, 110, 1857-1959
C.C. Lee et al. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 2004, 103, 16649-16654