Archives pour la catégorie chimie

[Flash Info Chimie] #44 Liquide poreux, le retour

En avril 2015, je vous présentais les « liquides poreux« , ces liquides qui, tels les solides, présentent des cavités pouvant accueillir d’autres molécules. Pour être précis, on parle ici de micro-porosité permanente :

  • micro-porosité pour indiquer qu’il ne s’agit pas de la porosité liée à l’espace entre les molécules dans le liquide, qui est si faible qu’un atome ne peut même pas s’y glisser.
  • permanente, pour indiquer qu’il ne s’agit pas de cavité qui se forment et disparaissent au gré des mouvements ou des réactions chimiques dans le milieu

Dans un article paru il y a quelques jours dans Nature, un nouveau liquide poreux est présenté. Contrairement à celui que je vous avais présenté précédemment (où il s’agissait de nanosphères de silice), l’équipe nord-irlandaise a mis au point une molécule ressemblant à une cage, entourée de larges molécules (des éther-couronnes, pour les connaisseurs) pour éviter que la cavité, au centre de la cage, soit bouchée par un morceau d’une autre cage.

La molécule cage, qui tire sa rigidité permettant la porosité permanente de sa géométrie : un gros tétraèdre en gris/bleu/blanc, décoré par des éther couronnes en gris/rouge

La molécule cage, qui tire sa rigidité permettant la porosité permanente de sa géométrie : un gros tétraèdre en gris/bleu/blanc, décoré par des éther couronnes en gris/rouge

 

En utilisant un solvant très encombré (en fait, un autre ether-couronne), trop gros pour pouvoir pénétrer dans les cages, ils ont ainsi obtenu un liquide très poreux, dont les cavités sont susceptibles de contenir des gaz comme du CO2, du méthane, du xénon.

Les quantités « stockables » sont mineures comparés aux meilleurs solides poreux, mais l’état liquide a un gros avantage : il est adapté à la plupart des procédés industriels de traitement des gaz, où un liquide va solubiliser le gaz dans une première zone, l’amener via tuyauterie dans un autre compartiment où le gaz pourra être relargué, avant de retourner dans la première zone. Et ça, ce n’est pas gérable avec des solides !

« Liquids with permanent porosity » N. Giri et al. Nature 2015, 527, 216-220

Cinq remèdes homéopathiques QUI MARCHENT !

De nombreuses publications ont montré que l’homéopathie ne fonctionne pas. Mais alors, pas du tout. En fait,TOUTES les publications scientifiques sur le sujet ont montré qu’en dehors de l’effet placebo, l’homéopathie n’avait aucune action sur le corps, à part éventuellement sur les personnes diabétiques, à cause du sucre qui compose les petites granules.

Homeopathic medication with chamomile globules

L’homéopathie… ÇA MARCHE !!!

Et bien pourtant, je vais vous présenter 5 remèdes HOMÉOPATHIQUES QUI MARCHENT, du moins s’ils existaient. Et vous allez voir que le principe de similitude, et autres théories fumeuses maintes fois réfutées n’y sont pour rien.

Avant d’entrer dans le sujet, rappelons que pour réaliser un remède homéopathique, on dilue une « teinture mère », c’est-à-dire un extrait aqueux ou alcoolique d’une plante ou d’un « truc » (foie de canard malade par exemple pour le fameux et très rentable Oscillococcinum). Pour les techniques de dilution, le Pharmachien en parle très bien, et c’est la notation « CH » sur le remède qui nous donne la concentration finale :

  • 1 CH correspond à une dilution par un facteur 100 de la teinture mère (1 mL pour 1 Litre d’eau)
  • 2 CH correspond à une dilution par un facteur 100 x 100 = 10 000 de la teinture mère
  • 3 CH correspond à une dilution par un facteur 100 x 100 x 100 = 1 000 000
  • etc… n CH correspond à une dilution par un facteur 100n

Bref, au bout de 11-12 CH, il est à peu près sur qu’il ne reste AUCUNE trace de la teinture mère dans le remède…

Après ces petites précisions d’usages, passons au TOP 5 DES REMÈDES HOMÉOPATHIQUES QUI MARCHENT !

REMÈDE N°1 : Norovirus Laxatus 4 CH

Ce remède se prend par voie orale. Il permet aux patients de fluidifier le contenu de leur tractus digestif et intestinal, qui pourra ensuite être évacué par les voies naturelles, haute, et basse. Prévoir néanmoins des toilettes à proximité, une alimentation à base de riz blanc et de carottes/bananes pendant quelques jours.

La teinture mère est constituée d’une suspension d’excréments de personnes atteintes de gastro-entérites aigues, à norovirus (soit la plupart des gastro-entérites en Europe). Chaque gramme de ces excréments contiennent entre 100 millions et 10 milliards de virus (1). Or, une dizaine de norovirus suffit à déclencher une gastro-entérite (2). 4 CH est donc une dilution tout à fait acceptable pour avoir une très bonne probabilité d’action du remède.

REMÈDE N°2 Thiolus Odorantis 4CH

Ce remède est réservé aux personnes trop sociables, et qui ont besoin de se retrouver un peu seule, dans une intimité que nul n’osera violer. Laissez fondre les granules de Thiolus Odorantis dans la bouche . L’effet est immédiat. Meme pour vous. Disons que vous n’accepterez sans doute meme plus votre propre compagnie, et surtout votre propre haleine.

Issus de la dilution de  3-méthylbut-2-ène-1-thiol  la molécule la plus odorante connue pour l’homme, vous exhalterez un parfum à vomir avec cette dilution au cent-millionième, puisqu‘un milliardième de gramme est déjà détecté par notre nez. N’essayez pas Thiolus Odorantis 3 CH ou une autre dilution plus faible si votre sens olfactif n’a pas été totalement détruit avant.

REMÈDE N°3 Toxicus Botulinium 5CH

Vous êtes trop tendu ? Vos muscles sont tous contractés ? Toxicus Botulinium 5CH est fait pour vous ! Une inhalation, et vos muscles se détendront, comme par magie. Utile aussi en cas de strabisme, et de nombreux autres troubles d’hyperactivité musculaire.

Préparée à partir d’un produit naturel non OGM (Clostridium Botulinium), cette solution à inhaler, ou à s’injecter directement dans les muscles hypertendus est d’une efficacité redoutable. Attention néanmoins au surdosage : la prise de 5 à 10 doses de Toxicus Botulinium 4CH, qui contient 10 ng de Toxine Botulique, a pour effet secondaire… La mort.

REMÈDE N°4 Coxiella Burnetiius 6CH

Ce remède… Ne remède pas grand chose. Par contre, il est très efficace contre des ennemis potentiels. A partir d’1 g de la matière première, a été produit plus de doses nécessaires qu’il n’y aura jamais d’humains sur Terre.

En estimant à environ 10-13 g la masse d’une bactérie de l’espèce Coxiella Burnetti (2), chaque dose de ce remède contient au moins une copie du micro-organisme… Ce qui est tout à fait suffisant pour infecter celui qui l’ingère. A administrer, donc à son ex, à sa belle-mère, ou à Kim-Jung Un. La Fièvre Q qui en résulte sera tout à fait spectaculaire.

Chose intéressante : ce « remède » reste efficace dès années après sa préparation, meme s’il est soumis à de fortes chaleurs, ou à des rayonnements UV intenses… Ne jetez pas vos vieux tubes, ils pourront toujours resservir !

REMÈDE N°5 Polonium Radiante 6CH

Vous vous ennuyez dans votre vie, que vous trouvez trop plate, sans émotions ? Prenez une dose de Polonium Radiante 6 CH, et il vous sera permis de vivre dans le doute, dans la peur de mourir dans d’atroces souffrances liées à la survenue de multiples cancers ! Ce remède, certes extremement couteux, est reconnu pour ses vertus cancérigènes… Mais attention, il ne s’agit pas d’une action chimique, mauvaise pour la santé ! C’est d’émissions de particules véloces au sein même de votre organisme dont on parle ici (ce qui n’est pas la même chose…). à partir des 85 g produits annuellement, ce sont 85 000 000 000 000 doses qui peuvent ainsi etre préparées. Le polonium 210, dont quelques picogrammes ingérés suffisent à dépasser les limites tolérables de radioactivité, va avoir une action prolongée, et distiller ses particules alpha pendant des mois au coeur même de vos organes…

Testé avec succès par la star russe Alexandre Litvinenko !

Ouf, c’est pour de faux !

Bien sûr, ces « remèdes » n’existent pas. Les valeurs données sont un peu approximatives (à un facteur 10 près…) , tout comme les voies d’administration (orale, par injection, par inhalation). Ce qui me semble important ici, c’est de mettre en avant les très faibles quantités des poisons, agents pathogènes, ou molécules odorantes qui suffisent pour induire une réaction de la part de notre corps. Des quantités si faibles, que des « doses homéopathiques » peuvent être responsables des pires effets ! Lorsqu’on dit que les tubes homéopathiques ne contiennent pas une seule molécule active, c’est totalement faux pour les faibles dilutions (jusqu’à 9 – 10 CH). Mais cela ne signifie pas pour autant que « l’homéopathie marche » : Ces remèdes sont les pires qu’on pourrait imaginer, issus des pires micro-organismes et pires poisons. Et en-deçà de 6 CH, ils n’auraient « même pas » les effets escomptés… Alors ne comptez pas sur moi pour promouvoir ces granules de sucre…

 

Bibliographie:

  • (1) Données issues de la thèse de Alison Vimont
  • (2) Estimation maison, sur la base de la masse d’une E. Coli. Coxiella est censée être une « petite bactérie…

Merci à Mme Déjantée pour m’avoir, de retour de vacances, fait exploser de rire en me proposant ce sujet !!

[Flash Info Chimie] #43 Amplification de la chiralité par une surface achirale

La plupart des molécules du vivant pourraient exister sous deux formes appelées énantiomères : images l’une de l’autre dans un miroir, elles sont néanmoins bien distinctes, à la manière de nos mains gauche et droite que l’on ne peut pas superposer. C’est ce qu’on appelle la chiralité (de χείρ, la « main », en grec). Pourtant, dans la plupart des cas, un seul des deux énantiomères existe dans la nature, sans qu’on en sache encore clairement la raison. Des pistes très sérieuses pour résoudre ce problème de l’homochiralité de la nature existent, mais proposent uniquement de très légers excès d’une forme sur l’autre. Reste le sous-problème de l’amplification de la chiralité, que l’on peut présenter schématiquement comme cela : comment passer d’un rapport de 50,0001 /49,9999 entre les deux énantiomères à un rapport 99,9999 /0,00001 ?

Dans un article paru dans Nature Chemistry, des chimistes ont montré que des surfaces achirales (c’est-à-dire qu’elles sont superposables à leur image dans un miroir) peuvent servir d’amplificateur de chiralité. En clair, ils ont exposé une surface de cuivre à un mélange gazeux d’acide L-aspartique et d’acide D-aspartique (les deux énantiomères de … l’acide aspartique). Lorsque le mélange gazeux était de 50 % pour les deux formes, cette proportion ce retrouvait de façon identique adsorbée sur le cuivre. Mais pour un mélange gazeux 2 / 1, ils ont obtenu une proportion de 16 / 1 adsorbée.

Les modélisations réalisées montrent que l’élément déterminant dans cette amplification réside en la formation de clusters homochiraux d’une dizaine de molécule d’acide aspartique à la surface du cuivre (clusters = regroupement de quelques unités de molécules), c’est-à-dire des clusters qui ne contiennent qu’une seule des deux formes énantiomères possible.

« Adsorption-induced auto-amplification of enantiomeric excess on an achiral surface » Yongju Yun and Andrew J. Gellman, Nature Chemistry 2015

[Flash Info Chimie] #42 Détecter la grippe avec un lecteur de glycémie

Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais lors de la pandémie de grippe H1N1, la confirmation des cas était réalisée par des techniques chères et sophistiquées, et prenait du temps. En raison du matériel nécessaire, les méthodes fiables de détection de ces virus ne sont toujours pas accessibles aux médecins de famille et dans les zones peu médicalisées.

Des chercheurs d’Atlanta ont donc inventé un système biochimique simple permettant d’utiliser un lecteur de glycémie (vous savez, ce sont les machines d’une soixantaine d’euros, utilisés par les personnes diabétiques pour contrôler leur taux de sucre dans le sang) pour détecter la présence de grippe dans un échantillon de sécrétion nasale.

Grippe

Il s’agit simplement d’une molécule de type sucre complexe, appelé SG1 qui va être coupé en deux par les neuraminidases (vous savez, le fameux « N » dans H1N1 ou H1N3…) des virus de la grippe. Et se faisant, SG1 va relarguer du glucose, dont la quantité pourra être mesuré par le lecteur de glycémie.

Grippe2

Cette méthodologie, testée sur 19 souches différentes, permet d’obtenir un diagnostic fiable en moins d’une heure, pour un coût dérisoire. De quoi révolutionner le suivi des épidémies et pandémies de grippe.

« Electrochemical Assay to Detect Influenza Viruses and Measure Drug Susceptibility«  X. Zhang et al. Angew. Chem. Int. Ed. 2015, 54, 5929–5932.

 

[Flash Info Chimie] #41 chimie prébiotique : une origine commune à tous les composés du vivant ?

Il ne se passe pas un mois sans des nouvelles du côté de la chimie prébiotique… A croire que la mission Rosetta, dont un des objectifs est l’analyse chimique de la comète 67-P qui pourrait receler des composés prébiotiques, agit comme un catalyseur puissant dans ce domaine de recherche.

En particulier, une question revient de façon récurrente : de quoi étaient composés les premiers êtres vivants, ou, du moins, les premiers systèmes chimiques complexes capable de se répliquer ? L’idée qui est assez admise, consiste à penser que l’ARN a toutes les qualités pour remplir le rôle de support du code génétique (à la place de l’ADN actuel), de catalyseur et de machinerie chimique (à la place des protéines actuelles), ainsi, même, que de composé de base pour les membranes cellulaires ou intracellulaires (à la place des lipides actuels). Cependant, la fragilité des nucléotides à ARN est pointée du doigt comme étant une sérieuse épine dans le pied des partisans -très nombreux- d’un monde à ARN…(1)

Pour John D. Sutherland et son équipe, de l’Université de Cambridge, il est tout à fait plausible/possible/probable que dès la constitution des premières briques du vivant -cette fameuse « soupe primordiale »-, l’ensemble des molécules du vivant tel que nous le connaissons soit apparu. Cela permettrait de lever les objections récurrentes au monde à ARN (comme du monde à protéine, autre hypothèse souvent évoquée) Dans leur article, paru dans Nature Chemistry, ils montrent comment, à partir simplement de l’acide cyanhydrique (HCN), il est possible d’obtenir de nombreux acides aminés, des nucléotides, des lipides, en utilisant seulement de l’eau, du sulfure d’hydrogène, des ions phosphates, et des ions cuivres et de l’acétylène.

A partir du composé 11, l'acide cyanhydrique, on obtient... Tout le reste (source : ref (2))

A partir du composé 11, l’acide cyanhydrique, on obtient… Tout le reste (source : ref (2))

On pourrait considérer que l’hypothèse de départ (présence d’acide cyanhydrique, de sulfure d’hydrogène, de cuivre, de phosphate, d’acétylène) est un peu tirée par les cheveux. Ce serait le cas, si on imaginait que tout se produisait en même temps, au même endroit. Il faut plutôt considérer, d’après les auteurs, de multiples zones de synthèse, chacune avec leurs spécificités (présence d’acétylène, ou de phosphate, ou de sulfure d’hydrogène, etc…), qui conduiraient à la production de la grande diversité de composés, nécessaire à l’émergence d’une forme de vie qui utiliserait déjà l’ensemble des grandes familles de composés biochimiques…

(1) Hypothèse du monde à ARN : en anglais sur Wikipédia (ou en français)

(2) « Common origins of RNA, protein and lipid precursors in a cyanosulfidic protometabolism » B.H. Patel et al., Nature Chemistry 2015, 7, 301-307

Des liquides micro-poreux : L’état solide n’a plus le monopole de la porosité !

La porosité est, à première vue, une propriété intrinsèque de l’état solide, et lui est totalement réservé.

  • Parler de la porosité des gaz est absurde puisque dans cet état, les atomes/molécules sont très éloignés les uns des autres. Parler de « vides » ou de « pores » entre un réseau d’atomes/molécules n’a aucun sens ici.
  • Parler de la porosité d’un liquide n’est pas, a priori, inepte : les molécules/ atomes qui le constitue ne se « touchent » pas, et on peut donc imaginer calculer les distances entre molécules, et donc, la taille des pores. des travaux théoriques ont été réalisés sur le sujet, et l’espace inter-moléculaire dans un certain nombre de liquide a été évalué. Les distances caractéristiques obtenues sont inférieure à 1 Angström (10-10 mètre), c’est-à-dire la taille d’un atome (1). Bref, cette porosité « extrinsèque » (à « l’extérieur » des molécules qui constituent le liquide) existe, mais on ne voit pas trop à quoi elle pourrait bien servir, vu la faible taille des pores…

Et pourtant, dans un article de 2007, une équipe de recherche de Belfast a proposé le concept novateur de liquide microporeux (2), possédant des cavités de tailles acceptables pour accueillir des petites molécules.

 

Des liquides poreux… Pour quoi faire ? 

Avant d’aller plus loin, et d’explorer la question de la faisabilité et de l’existence de tels liquides, on peut se poser la question de l’utilité de ce type de matériau… En fait, si on considère le très large spectre d’utilisation des matériaux solides, l’intérêt d’un liquide poreux est immense. Citons néanmoins quelques exemples emblématiques :

  • Stockage de gaz
  • Filtration, purification (A quand des colonnes « liquides » rechargeables de GC, d’HPLC, etc…)
  • Dépollution (par capture sélective d’ions par exemples)
  • Catalyse chimique homogène
  • Stabilisation de matériaux explosifs

La liste n’est pas, loin s’en faut, exhaustive…

 

A quoi peut ressembler ces liquides poreux ?

Sur le modèle des solides poreux, l’idée des auteurs est de proposer des liquides dont les composants montrent cette fois une porosité intrinsèque, c’est-à-dire des cavités vides, pouvant être éventuellement remplies par des constituants plus petits, gazeux par exemple. Les auteurs proposent trois types de liquides poreux :

porousliquid

Cette image, directement tirée de la publication, mérite une explication. D’après les auteurs, il pourrait y avoir trois types de liquides poreux :

  • Type 1 : Un liquide constitué d’une seule espèce chimique ayant une porosité intrinsèque (en haut à gauche)
  • Type 2 : Un liquide constitué de deux espèces, un non poreux (en bleu), un présentant une porosité intrinsèque (en bas à droite)
  • Type 3 : Un liquide dans lequel serait dissout des éléments poreux présentant de multiples pores (en bas à gauche)

 

Du schéma simpliste… à la réalité ?

Sur le papier, cela fait de jolis schémas fort simples, où l’on voit très bien de quoi il s’agit… Mais en réalité, ce n’est pas du tout trivial, si bien qu’en 2007, les auteurs n’avaient pratiquement aucun exemple de liquide poreux à proposer…

En premier lieu, il faut des composés qui possèdent une cavité.

En second lieu, il faut que les composés à porosité intrinsèque soient suffisamment rigides pour ne pas « s’effondrer » sur la cavité dès que celle-ci est vide. On n’est pas à l’échelle macroscopique ici ! Les liaisons chimiques sont flexibles, les atomes peuvent tourner sur eux-même, et la molécule changer sa conformation pour minimiser l’espace… Certains composés connus pour accueillir en leur sein d’autres espèces chimiques, comme les calixarènes ne conservent pas du tout leur cavité centrale si elle n’est pas occupée…

un exemple de calixarène. Un ion, une petite molécule peut se loger au centre de la molécule en forme de... calixe

un exemple de calixarène. Un ion, une petite molécule peut se loger au centre de la molécule en forme de… calice

Enfin, même si les molécules sont suffisamment rigides, une autre difficulté apparaît : les molécules voisines ne doivent pas remplir la cavité. Cela parait évident pour les liquides poreux de type 2, si l’autre composé a une taille moindre, ou une plus grande flexibilité. Mais même chez les meilleurs candidats pour le type 1, il semble assez systématique qu’un morceau du composé se retrouve dans la molécule voisine… C’est ce qu’on observe par exemple chez les cyclodextrines :

schémas généraux des cyclodextrines, sorte de couronnes composés d'unités glucose reliées entre elles...

Schémas généraux des cyclodextrines, sorte de couronnes composés d’unités glucose reliées entre elles… La cavité se trouve au centre de l’édifice.

 

Alors, ça existe, des liquides poreux ?

En 2007, les exemples n’étaient pas nombreux, loin s’en faut… En fait, il semble qu’au moment de la publication de cet article, il y en avait trois qui tenaient la route, même si aucune preuve directe de l’obtention d’un réel liquide poreux n’avait été établie.

Un candidat très sérieux a été proposé en 1994 : il s’agit d’une molécule de type « hemicarcerand » (3):

Hémicarcérand, proposé par Cram en 1994.

Hémicarcérand 

T.A Robbins et son équipe ont en effet synthétisé une telle molécule, où la cavité se trouve au centre. Dans la synthèse, une petite molécule de solvant se trouve emprisonné. Mais en dissolvant ce composé dans un solvant très encombré (du diphényléther), trop gros pour pénétrer dedans, et en chauffant plusieurs jours à près de 200 °C, ils ont pu mettre en évidence que le pore central « semblait » libre…

En 2003, c’est un « metallocube » qui est mis en avant : il s’agit d’une structure cubique organométallique compacte, ou chaque coin est occupé par un atome de Cobalt ou de Ruthénium (4). Grâce à des liaisons chimiques courtes et rigides, cette molécule ne se déforme pas lorsque sa (petite) cavité est vide. Elle peut être dissoute dans divers solvants, ce qui permettrait l’obtention d’un liquide poreux de type 2.

Le Metallocube de T.B. Rauchfuss. les ligands Cp et Cp* ne sont pas représentés dans la structure du bas, par soucis de clarté.

Le Metallocube de S.C.N. Hsu et coll. Les ligands Cp et Cp* ne sont pas représentés dans la structure du bas, par soucis de clarté.

Enfin, les auteurs de cet article citent deux autres études dans lesquelles des structures solides ont pu être dispersées dans divers solvants, donnant donc des liquides poreux de type 3.

Il faut noter que cet ensemble d’exemples n’a jamais été étudié en tant que matière poreuse à l’état liquide…

 Et puis, en 2015, un liquide poreux de type I…

Entre 2007 et 2015, il y a eu l’essor formidable de la nanochimie. Dans le domaine qui nous intéresse, cela s’est traduit par l’invention du premier liquide poreux de type 1, et de son étude (5). Les auteurs de cette étude ont travaillé avec des nanosphères de silices creuses, d’une dizaine de nanomètres de diamètre. Celles-ci présentent bien une porosité intrinsèque, leur permettant d’accueillir gaz et petites molécules organiques. Pour obtenir un liquide (les nanosphères de silice sont sous forme solide usuellement), ils ont décorées ces sphères avec des brins de polyéthylèneglycol (PEG). A partir de 6°C, cet assemblage apparaît sous la forme d’un liquide relativement visqueux.

Des nanosphères creuses ("Hollow Spheres") solides au liquide poreux...

Des nanosphères creuses (« Hollow Spheres ») solides au liquide poreux…

Outre l’intérêt théorique de ce liquide poreux, les chimistes ont montré dans cette publication qu’il pouvait être utilisé pour séparer des gaz. En y faisant circuler un mélange de diazote N2 et de dioxyde de carbone CO2, ils ont pu montré que le CO2 diffusait beaucoup plus vite à travers ce liquide que le diazote. L’interprétation est très simple, en réalité : en raison d’interactions favorables, le CO2 passe par l’intérieur des cavités, alors que le N2 diffuse entre les nanosphères…

porousliquid2

 

Si cette séparation n’est pas plus efficace, pour l’instant, que les filtrations classiques par les solides, elle fait néanmoins office de « preuve de concept » remarquable.

On n’a pas fini d’entendre parler de ces nouveaux liquides…

 

(1) A. Pohorille et al.J. Am. Chem. Soc. 1990, 112, 5066

(2) N. O’Reilly, N. Giri, S.T. James, Chem. Eur. J. 2007, 13, 3020

(3) T.A. Robbins et al. J. Am. Chem. Soc. 1994, 116, 111.

(4) S.C.N. Hsu et al. Angew. Chem. Int. Ed. 2003, 42, 2663.

(5) J. Zhang et al. Angew. Chem. Int. Ed.  2015, 127, 946.

[Flash Info Chimie] #39 cristallisation : forcer le destin !

Les chimistes vous le diront : obtenir des composés organiques sous forme cristalline relève plus de l’art que de la technique. Oh, il existe des méthodes, nombreuses, toutes les plus ingénieuses les unes que les autres… Mais à savoir celle qui va marcher…

En général, à la fin d’une purification, les produits, censés être solides, se retrouvent sous forme d’une sorte d’huile. En attendant un peu, beaucoup (à la folie parfois !), ou en grattant le récipient à l’aide d’une spatule en métal, ou d’une baguette en verre (ce n’est pas pareil !), ou en ajoutant des solvants dans lesquels les produits sont plus ou moins solubles, on espère créer les conditions favorables à la transformation de ce liquide visqueux en solide. Un jour, je parlerais de toutes ces techniques, et des nombreuses prières que j’ai adressé aux dieux des cristaux pendant mes années en laboratoire…

Le mysticisme qui entoure la cristallisation de ces huiles est telle qu’un chercheur m’a un jour déclaré :

C’est dingue : on galère comme des malades pour cristalliser les nouveaux produits. Par contre, un produit qui a été synthétisé dans ce labo, même si c’était 10 ans en arrière, il cristallise immédiatement.

Bon, bref. Revenons à la publication.

En pharmacie, l’obtention des composés sous forme cristalline est une étape critique. Et si on sait créer et utiliser des inhibiteurs, on manque cruellement de promoteurs de cristallisation. Des chimistes de l’Université du Michigan (USA) présente dans cet article une nouvelle approche pour inventer des promoteurs :

Pour inhiber la cristallisation d’un produit présent dans un solvant dans lequel il est insoluble, il faut augmenter sa solubilité. Pour cela, on peut, par exemple ajouter une autre espèce chimique, elle parfaitement soluble, qui va se lier au produit, et ainsi le maintenir en solution. C’est ni plus ni moins le rôle du savon qui permet de solubiliser la graisse dans l’eau de la douche ou de la vaisselle !

Ici, les chercheurs se sont inspirés de ces inhibiteurs, mais au lieu de les laisser en solution, ils les ont fait polymériser, et fixés sur un support solide. Cette fois, les liaisons inter-moléculaires ne sont pas facteurs de solubilisation, mais au contraire, pré-organise les molécules, et favorise la nucléation, c’est-à-dire des premiers germes cristallins.

A gauche : les molécules d'intérêt (en bleu) sont liés aux inhibiteurs de cristallisation, et restent en solution (de façon désorganisée) A droite : les "inhibiteurs" sont réunis sous forme d'un seul polymère permettent l'organisation du composé d'intérêt

A gauche : les molécules d’intérêt (en bleu) sont liés (liaisons pointillées rouge) aux inhibiteurs de cristallisation (gris), et restent en solution (de façon désorganisée)
A droite : les « inhibiteurs » sont réunis sous forme d’un seul polymère permettent l’organisation du composé d’intérêt

En utilisant comme le paracétamol et l’acide méfénamique (le « Ponstyl ») comme composés modèles, les chercheurs ont ainsi montré que la vitesse de cristallisation était considérablement augmentée (jusqu’à 100 fois plus grande) en présence du polymère correspondant.

 

« Controlling Phramaceutical Crystallization with Designed Polymers Heteronuclei » L. Y. Pfund et al. J. Am. Chem. Soc. 2015, 137 (2), 871-875

[Flash Info Chimie] #38 Synthèse totale de composés marins à l’aide « d’activations C-H »

Dans mon ex-labo de thèse, on fait de la belle chimie. Bon, il s’agit de méthodologie de synthèse, alors c’est pas très sexy, pas très vendeur… Pourtant, l’équipe de Olivier Baudoin proposent des innovations en synthèse qui méritent vraiment le détour.

Il y a quelques jours, ils ont publié une synthèse totale qui fait appel à deux réactions de type « activation C(sp3)-H ». Pas mal, non ??

Bon explication de texte… Lorsqu’on construit des molécules en chimie organique, on souhaite, la plupart du temps, créer de nouvelles liaisons entre un carbone et un autre carbone, ou un oxygène, ou encore un azote. Une des méthodes les plus utilisées consiste à réaliser un couplage entre deux molécules :

R_{1}-X\: \: +\: \: R_{2}-Y \: \: \longrightarrow R_{1}-R_{2} \:\:+\:\:X-Y

R_{1} et R_{2} sont les groupements d’atomes que l’on veut lier entre eux, alors que X et Y sont ce qu’on appelle des « groupes partants« , atomes ou groupes d’atomes éliminés lors de la réaction. En général, X et/ou Y sont des atomes de chlore, brome, iode, ou des groupes d’atomes assez imposants. Enfin, ces réactions de couplages sont la plupart du temps catalysées par des métaux comme le cuivre, le palladium, le rhodium, etc…

Le principe des réactions avec « activation C-H », c’est de s’affranchir des groupes partants : on va réaliser des réactions de couplages qui ressembleront plutôt à ça :

R_{1}-H\: \: +\: \: R_{2}-H \: \: \longrightarrow R_{1}-R_{2} \:\:+\:\:"H-H"

(J’ai mis entre guillemets le « H-H », car les hydrogènes vont être la plupart du temps captés par des adjuvants à la réaction. De plus, il reste souvent un des deux groupes X ou Y…).

Catalysées aussi des métaux, principalement le palladium, ces activations C-H permettent d’éviter l’introduction des groupes partants. Mais elles ne sont pas aisées : les liaisons entre les carbones et hydrogènes sont d’une part difficiles à casser, d’autre part elles sont très nombreuses, et les réactions habituelles pour les modifier sont très peu spécifiques, et vont taper un peu n’importe où dans la molécule… Pourtant, beaucoup d’équipes de recherche explorent cette voie, pouvant permettre des simplifications conséquentes dans la synthèse de produits complexes à haute valeur ajoutée.

Dans cette publication, D. Dailler et ses collègues, de Lyon, ont réalisé la synthèse de plusieurs produits naturels marins de la famille des aeruginosines, anti-viraux potentiels. Ce qui est plutôt sympa, c’est que leur travail présente successivement deux réactions d’activations C-H, et permet l’obtention des produits finaux en 17 étapes, et surtout en quantité beaucoup plus importantes que les synthèses précédentes : près de 1 g d’aeruginosine 298A ! (Oui, on est en chimie fine, où 10 mg, c’est sympa, 100 mg, c’est déjà beaucoup beaucoup, et 1g, une quantité  quasi-industrielle ! )

Aeruginosin_298A

« A General and Scalable Synthesis of Aeruginosin Marine Natural Products Based on Two Strategic C(sp3)[BOND]H Activation Reaction » D.Dailler, G. Danoun, O. Baudoin, Angew. Chem. Int. Ed. 2015, Early View