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[Flash Info Chimie] #53 Un vieux médicament contre l’asthme, prometteur contre la maladie de Parkinson

La maladie de Parkinson, comme d’autres maladies neurodégénératives, se manifeste par la formation d’agrégats anormaux de protéines dans les cellules du système nerveux, appelés dans ce cas « Corps de Lowy« .

Allure caractéristique d’une personne atteinte de la maladie de Parkinson (Sir William Richard Gowers, 1886)

Les axes actuels de développement de traitements consistent en l’élimination de α-synucléine, la protéine qui constitue majoritairement ces corps de Lowy, ou en le blocage de sa transformation en composés neuro-toxique.

Dans une publication dans la revue Science, Shuchi Mittal et ses collègues proposent une démarche différente pour l’identification de substances actives contre ces corps de Lowy, et donc, contre la maladie de Parkinson : ils ont cherché à identifier, parmi plus de mille composés déjà connus, ceux qui inhibent l’expression du gène codant pour l’α-synucléine (appelé SNCA).

Leurs résultats a été surprenant : les meilleurs inhibiteurs de l’expression du gène SNCA font partie de la classe bien connue des agonistes de β2-adrenorecepteur (β2-AR). Non seulement ils ont identifié clairement un nouveau rôle des β2-AR, (qui régulent donc l’expression du SNCA)  mais ils ouvrent également la voie à un traitement médicamenteux.

Bon, la « classe bien connue des agonistes de β2-AR », c’est un peu abusif de ma part. Je ne la connaissais pas, cette classe, pas plus que je ne connaissais ces β2-AR… Pourtant, des composés classiques en font partie, dont le salbutamol  (Vous savez, la fameuse « Ventoline® ») ou le clenbuterol, ce stéroïde anabolisant tant utilisé en dopage sportif ! On connaît également des antagonistes de β2-AR, comme le propanolol le premier bêta-bloquant découvert.

Les scientifiques ont donc vérifié, avec succès, sur modèle cellulaire (sur des lignées cellulaires humaines parkinsonienne) puis sur modèle animal (chez des lignées de souris parkinsonienne) que les deux agonistes de β2-AR diminuaient les quantités d’α-synucléine, dans les cellules, mais aussi prolongeaient leur durée de vie.

Et chez l’humain alors ?

S’il est, d’habitude, délicat de mesurer l’effet d’une substance chez l’humain, sans passer par la case « essai clinique », les chercheurs ont pu se baser dans cette étude sur des données de la « Norwegian Prescription Database », qui met à la disposition des scientifiques les données sur les prescriptions médicales de tous les norvégiens depuis 2004. Grâce à cet énorme corpus, ils ont pu comparer la survenue de la maladie de Parkinson chez les patients prenant régulièrement du salbutamol, du propanolol, ou ni l’un ni l’autre.

Les résultats sont parlants: le salbutamol a bel et bien un effet protecteur vis-à-vis de la survenue de la maladie de Parkinson, et le propanolol favorise l’apparition de la maladie.
Le groupe, qui a pris au moins une fois du propanolol a environ deux fois plus de cas de maladie de Parkinson qu’attendu.
Celui qui a pris au moins une fois du salbutamol a 40 % de cas en moins qu’attendu. Dans ce cas, les chercheurs ont séparé ce groupe en trois, en fonction de la quantité prescrite : Pour les plus gros utilisateurs (plus de 180 doses journalières prescrites en 4 ans), la survenue de la maladie de Parkinson a été divisée par deux. Pour les utilisateurs les plus occasionnels (moins de 60 doses en 4 ans), la diminution est anecdotique.

Compte tenu des effets secondaires du salbutamol, ou encore du clenbuterol, leur avantage thérapeutique en action préventive n’est clairement pas démontré. Néanmoins, les premiers essais in vitro indiquent qu’ils pourraient ouvrir la voie vers la mise au point de traitements curatifs chez des patients ayant déjà développé la maladie.

 

[Flash Info Chimie] #52 Faire des origamis en chimie : Marquez le trait, chauffez… C’est plié !

Le Nafion est un polymère per-fluoré (où tous les atomes d’hydrogène ont été remplacés par des atomes de fluor) de la même famille que l’universellement connu Teflon. Mais ce polymère possède des chaînes latérales qui lui confèrent des propriétés acido-basiques intéressantes, exploitées notamment pour réaliser des membranes échangeuses de protons dans des piles à combustibles.

Nafion : en haut la chaîne principale, identique au Téflon. en dessous, une chaîne latérale, terminant par une fonction ‘acide sulfonique’, qui confère au polymère ses propriétés acido-basiques

Le Nafion possède également des propriétés physiques (résistance à la chaleur) et chimique (en dehors des réactions acide-base, il fait preuve d’une excellente inertie) qui en font un matériau particulièrement recherché en électrochimie.

Pourtant, à l’Université du Wisconsin, A. Oyefusi et J. Chen ont préféré se servir du Nafion pour faire des… pliages.

Le Nafion a en réalité une propriété supplémentaire : c’est un matériau à mémoire de forme : lorsqu’il est étiré, tordu, il peut retrouver sa forme initiale en étant simplement chauffé. Et c’est là que cela devient vraiment intéressant : la température nécessaire pour revenir à sa forme initiale n’est pas la même que le polymère ait été acidifié (noté en général Nafion-H, car il a gagné des ions H⁺) ou non. Le Nafion-H retrouve sa forme à partir d’environ 100 °C; le Nafion non acide à partir de 260 °C.

Les chercheurs ont donc utilisé une feuille de Nafion étirée, qu’ils ont tout d’abord trempé dans un bain de potasse diluée. Leur feuille a donc une forme stable jusqu’à 260 °C. Puis, ils ont « marqué les traits« , à l’aide d’une solution acide, pour obtenir des lignes de Nafion-H superficielles sur leur feuille. En chauffant entre 100 et 260°C, le Nafion-H s’est contracté, pliant ainsi la feuille entière suivant les traits, comme on peut le voir sur l’image précédente.

Magnifique, n’est-ce-pas ?  L’intérêt ne réside pas uniquement dans la structure 3D du Nafion obtenu : celui ci peut ensuite servir de moule pour d’autres matériaux… Pas mal, l’oiseau en nickel, non ?

Du pliage à l’oiseau en Nickel, obtenue par électrodéposition du métal sur un moule secondaire en PDMS réalisé à l’aide de l’oiseau en Nafion

 » Reprogrammable Chemical 3D Shaping for Origami, Kirigami, and Reconfigurable Molding » A. Oyefusi J.Chen Angewandte Chemie Int. Ed. 2017, Early View

[Flash Info Chimie] #51 : métalloprotéine : un autre métal, pour d’autres applications

Les métalloprotéines sont des protéines qui contiennent un, ou plusieurs ions métalliques. Même si le nom est moins connus que « protéine » toute seule, elles sont très répandues : l’hémoglobine, par exemple, est une métalloprotéine dont la fonction est de transporter l’oxygène dans le sang. Dans ce cas, c’est un ion de Fer qui se trouve au centre de la protéine, et qui se lie à la molécule de dioxygène pour la fixer. La vitamine B12 s’organise autour d’un ion Cobalt, et est indispensable au bon fonctionnement du système nerveux. Les nitrogénases permettent à certaines bactéries de fixer l’azote atmosphérique : le diazote N2 est réduit en ammoniac NH3 grâce à ces métalloprotéines qui contiennent du molybdène et du fer. Dans la nature, le nombre de métaux impliqués est restreint : il n’y a pas grand chose à part le fer, le cuivre, le zinc, le calcium, le magnésium, le cobalt, le molybdène, le tungstène, le vanadium. Pourtant, la plupart de ces métaux ont des propriétés chimiques assez pauvres, comparées aux métaux nobles utilisés en catalyse en laboratoire (iridium, platine, palladium) : c’est l’environnement de l’ion métallique dans les métalloprotéines qui les rend actif.

Des chimistes ont eu l’idée « simple » de synthétiser des métalloprotéines artificielles, contenant, à la place des métaux « pauvres » par des métaux « nobles ». Et cela marche ! En utilisant de l’iridium à la place du fer dans des myoglobines, ils ont pu catalyser des réactions complexes en chimie organique, avec de très bon résultats.

Le DFFZ désigne la métalloprotéine

Le [M]-Myo désigne la métalloprotéine

A noter tout de même qu’un important travail de mise au point de la myoglobine a été nécessaire : la métalloprotéine la plus efficace contient non seulement de l’iridium et non du fer, mais présente également plusieurs mutations pour en augmenter son efficacité.

Pour les amateurs, la meilleure métalloprotéine a permis d’obtenir le composé 2 avec un rendement quasi quantitatif, un excès énantiomérique de 80 %, et un TON supérieur à 100. 

« Abiological catalysis by artificial haem proteins containing noble metals in place of iron » Hanna M. Key, Paweł Dydio, Douglas S. Clark & John F. Hartwig Nature 534,534–537(23 June 2016)

[Flash Info Chimie] #50 Production solaire bio-inspirée d’ammoniac

La synthèse de l’ammoniac à partir du diazote atmosphérique, c’est un peu la star de l’industrie chimique. Des tonnages formidable (136.5 millions de tonne en 2012), qui alimentent l’industrie des engrais, des polymères, des explosifs… Pourtant, c’est toujours le même procédé Haber-Bosch, mis au point au début du XXe siècle, qui est utilisé. Très gourmand en énergie, il utilise 1 à 2 % de l’énergie électrique, et 3 à 5 % du gaz naturel mondial : 500°C, 200 bars de pression sont nécessaires pour que la réaction ait lieu correctement, et il faut compter l’énergie dépensée pour la synthèse du dihydrogène, l’autre réactif !

N_{2}+3H_{2} \longrightarrow 2NH_{3}

D’un autre côté, il y a des organismes qui synthétisent de l’ammoniac (ou des produits dérivés) à partir du diazote, dans des conditions moins drastiques. Il s’agit de procaryotes, qui, souvent, vivent en symbiose avec des végétaux, qui leur apporte l’énergie nécessaire en échange de ce fertilisant. Dans ces organismes, c’est le complexe protéinique « nitrogénase » qui permet la fixation de l’azote, à température, et à pression ambiante.

A quelques jours près, deux équipes ont présenté des systèmes, inspirés par les nitrogénases, permettant de réaliser la synthèse de l’ammoniac, à température et pression ambiante. Dont l’énergie provient simplement de la lumière visible.

La première, parue dans PNAS, consiste en un « chalcogel » à base de clusters de sulfure de fer (avec présence éventuelle de Molybdène).

Un chalcogel, c’est un aérogel, c’est-à-dire un matériau de densité extrêmement faible, qui contient des éléments chimiques de la famille des chalcogènes (Oxygène, Soufre, Sélénium, etc…).

Exemple d’aérogel (de silice ici. Source : wikipédia)

L’avantage de ces chalcogels, c’est qu’ils présentent une immense surface active, permettant une adsorption du diazote très efficace. En irradiant avec de la lumière ainsi des chalcogels contenant des clusters de sulfure de fer-molybdène, et/ou simplement sulfure de fer, en présence de diazote, à pression et température ambiante, les chercheurs ont pu synthétiser de l’ammoniac. Vous me direz, on est loin des nitrogénases… Pas tant que ça, en réalité : ce type de cluster Fer-Molybdène-Soufre est inspiré directement de ceux qui se trouvent au cœur de ces protéines :

Cluster Fe-Mo-S de la nitrogénase By Smokefoot - Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=37239342

Cluster Mo-Fe de la nitrogénase (Smokefoot – Own work, CC BY-SA 4.0)

 

 

Pourquoi « s’inspirer » des nitrogénases lorsqu’on peut directement les utiliser telles quelles ? C’est la base de la seconde publication, dans Science : Cette fois, les chimistes ont simplement fixé la sous-unité qui contient le cluster Fe-Mo directement sur des nanostructures de sulfure de Cadmium. Ces nanostructures captent l’énergie lumineuse, la transfère efficacement à la sous-unité de la nitrogénase, qui réalise la transformation du diazote en ammoniac.

En haut, le fonctionnement "normal" de la nitrogénase, avec une première sous-unité 'Fe Protein' qui capte et transfère l'énergie, et la seconde 'MoFe Protein' qui transforme le diazote. En bas, la première unité est remplacée par une nanostructure de CdS (source)

En haut, le fonctionnement « normal » de la nitrogénase, avec une première sous-unité ‘Fe Protein’ qui capte (sous forme d’ATP) et transfère l’énergie, et la seconde ‘MoFe Protein’ qui transforme le diazote. En bas, la première unité est remplacée par une nanostructure de CdS qui capte… de la lumière (source)

 

Bon, je n’ai pas parlé de rendements ici. Parce qu’évidemment, ils sont faibles, voire à peine mentionnés dans les publications. Mais les deux démarches sont intéressantes et le fait même d’avoir obtenu de l’ammoniac à température et pression normale, contournant les obstacles énergétiques, représente une belle avancée dans les deux cas.

« Nitrogenase-mimic iron-containing chalcogels for photochemical reduction of dinitrogen to ammonia » Jian Liu et al. PNAS 2016, 113, 55305535

« Light-driven dinitrogen reduction catalyzed by a CdS:nitrogenase MoFe protein biohybrid » Katherine A. Brown et al. Science 2016352 pp. 448-450

[Flash Info Chimie] #48 Une application Android pour tester la fraîcheur de sa bière

La bière, ça se boit frais. Mal conservée, elle devient amère, voire totalement imbuvable… La faute en partie au fameux « Skunky Thiol » (le « thiol puant ») dont j’ai déjà parlé ici (dont la formation est liée à des réactions photochimiques) mais aussi à tout un tas de réactions d’oxydation, dégradant petit à petit les chers arômes (pour plus de détail, on pourra voir cette publication). Mais les chimistes ont la solution : voici l’application Android « Furfural Detector », développée par une équipe de l’Université de Madrid !

Le furfural, c’est un peu le composé témoin du vieillissement de la bière, sans être réellement impliqué dans la dégradation de son goût. Sa concentration dans une bière fraîche est aux alentours de 10 à 30 µg par litre. Et elle augmente rapidement, atteignant 500 µg/L en 6 mois pour une blonde mal conservée à 25°C.

Bref, il est INDISPENSABLE de connaître sa concentration avant de goûter au « demi » en terrasse cet été. Ou surtout lorsqu’on veut monter sa propre micro-brasserie ou faire sa bière soi-même (on trouve tout le matériel en ligne, ici par exemple): lors du brassage, des quantités de dioxygène plus ou moins importantes suivant les pratiques peuvent être dissoutes dans la bière, ce qui accroît le risque de mauvaise conservation. On peut aussi y ajouter des fameux « conservateurs », qui sont là pour s’oxyder à la place des molécules qui donnent le goût, et ainsi les préserver… Bref, il est nécessaire de pouvoir vérifier si la bière « maison » que l’on souhaite boire/conserver/commercialiser se conserve correctement, et la concentration en furfural en est un très bon indicateur.

Une équipe madrilène a donc pris le problème à bras-le-corps. En fait, le furfural peut facilement réagir avec des « amines aromatiques » (comme l’aniline) en milieu acide pour donner des composés colorés.

A gauche, le furfural, réagissant avec deux amines aromatiques ( Ar-NH2), donnant les composés colorés à droite

A gauche, le furfural, réagissant avec deux amines aromatiques (« Ar-NH2 »), donnant le composé coloré à droite

En immobilisant des amines de ce type dans un polymère, ils ont ainsi obtenu un matériau qui change de couleur en fonction de la concentration de furfural. En immergeant des pastilles (de quelques mm de diamètre) de ce polymère dans la bière, et en réalisant une lecture optique à l’aide de l’appareil photo d’un smartphone équipé de l’application « Furfural Detector », téléchargeable à cette adresse, ils ont ainsi pu mesurer directement la quantité de furfural, et donc la qualité de la bière… Ils ne sont pas trop forts, ces chimistes !!

Couleur de la pastille de polymère en fonction de la concentration en furfural dans l'échantillon

Couleur de la pastille de polymère en fonction de la concentration en furfural dans l’échantillon

« Furfural Determination with Disposable Polymer Films and Smartphone-Based Colorimetry for Beer Freshness Assessment » Alberto Rico-Yuste et al. Anal. Chem. 2016, Article ASAP

[Flash Info Chimie] #47 Les chaperones pharmacologiques : un nouvel outil thérapeutique pour maladie incurable

Certaines maladies sont liées à l’accumulation anormale de biomolécules (comme les protéines ou les lipides), qui s’agrègent dans les tissus, les empêchant de remplir leur fonction normale. C’est par exemple le cas de la maladie de Gaucher, où un sphingolipide, le glucocérébroside, s’accumule dans les tissus nerveux. C’est aussi le cas pour la cataracte, maladie qui touche 70 % des personnes de plus de 70 ans, qui se manifeste par l’opacification du cristallin, conduisant à la cécité. Cette opacification est liée à l’agrégation anormale des protéines qui constituent le cristallin. D’autres accumulations et agrégations de protéines (tout particulièrement de la protéine tau) sont aussi impliquées dans des maladies neurodégénératives…

Oeil humain touché par la cataracte. Le cristallin devient progressivement opaque, par agrégation des protéines -α-crystalline.

Oeil humain touché par la cataracte. Le cristallin devient progressivement opaque, par agrégation des protéines alpha -crystalline.(source : wikipédia)

Les chaperones pharmacologiques sont des molécules qui vont permettre d’agir sur ces biomolécules, pour restaurer leur solubilité dans les tissus. C’est-à-dire qu’au lieu de s’agréger, et former des résidus solides pathologiques, elles vont pouvoir rester sous forme dissoutes dans les fluides présents. Le principe de fonctionnement réside simplement en la liaison entre ces chaperones et la biomolécule, créant ainsi une nouvelle entité qui ne peut plus s’agréger aussi facilement…

Dans un article récent paru dans le journal Science, L. N. Makley de l’Université du Michigan et son équipe, font état d’une nouvelle méthodologie pour identifier des chaperones pharmacologiques permettant de re-solubiliser les biomolécules agrégées.

En effet, ils ont étudié les points de fusion « apparents »* des agrégats de la protéine α-crystalline, (responsables de l’apparition de la cataracte), avec, ou sans chaperone. Parmi les 2446 molécules candidates, 32 permettaient d’abaisser le point de fusion de 72 °C à moins de 70 °C. Une chaperone finale a été retenue, et testés sur des cristallins de souris touchés par la cataracte, et qui ont vu leur transparence partiellement restaurée.

la molécule chaperone ("compound 29") au coeur d'un modèle de la protéine ciblée. Cet assemblage a un point de fusion plus faible que la protéine seule.

la molécule chaperone (« compound 29 ») au coeur d’un modèle de la protéine ciblée. Cet assemblage a un point de fusion apparent plus faible que la protéine seule. (source)

Au delà des progrès médicaux que cela inaugure pour le traitement non chirurgical de la cataracte, cet article, qui traite davantage de la méthodologie de recherche de chaperone pharmacologique que de cette maladie particulière, apporte la preuve qu’il est possible de chercher rationnellement des composés pouvant agir directement sur les agrégats de biomolécules, et ainsi restaurer les fonctions des tissus des organes touchés.

* Il s’agit en réalité de la température de re-solubilisation des agrégats dans la solution étudiée.

« Pharmacological chaperone for α-crystallin partially restores transparency in cataract models » L.N. Makley et al. Science 2015, 350 (6261), 674-677.

[Flash Info Chimie] #46 Les dispersants chimiques censés lutter contre les marées noires sont contreproductifs

Lors de la marée noire provoquée par la plateforme Deepwater Horizon, des millions de litres de « dispersants chimiques » ont été déversés au niveau des nappes de pétroles qui dérivaient dans l’océan Atlantique. Ces dispersants, composés d’un mélange d’émulsifiants et de solvants ont pour action de fractionner les nappes en micro-gouttelettes. Ces micro-gouttelettes peuvent se disperser plus aisément, se répartissent dans tout le volume d’eau au lieu de rester exclusivement en surface. Elles présentent également une plus grande surface de contact avec leur environnement, ce qui est censé accélérer le processus de biodégradation du pétrole.

Épandage du dispersant chimique "Corexit" (Wikipédia)

Épandage du dispersant chimique « Corexit » (Wikipédia)

En décembre 2015, une équipe de recherche a publié un article alarmant sur les conséquences de l’utilisation de dispersants dans le Golfe du Mexique suite à la marée noire de Deepwater Horizon.(1) D’après les recherches de Sara Kleinstienst, de l’université de Georgie et ses collègues, les dispersants utilisés sont même contre-productifs. En effet, ils ont constaté que la dégradation du pétrole par les micro-organismes, qui se traduit par l’oxydation des hydrocarbures qui le compose est considérablement ralentie par l’ajout des dispersants.

Comparant les populations des micro-organismes qui dégradent ces hydrocarbures, les scientifiques se sont rendus compte qu’elles augmentaient en présence de pétrole brut, mais au contraire diminuait lorsqu’on y ajoutait des dispersants chimiques. En fait, la présence de ces dispersants favorise les micro-organismes qui les dégradent EUX, au détriment des micro-organismes qui dégradent les hydrocarbures…

Ce n’est pas la première fois que les dispersants chimiques sont pointés du doigt. De nombreuses études ont mis en avant les doutes qui existent quant à son innocuité vis-à-vis des travailleurs qui les manipulent, vis-à-vis des organismes marins, etc… D’autre part, leur efficacité n’a pas toujours été à la hauteur des attentes des autorités, et des entreprises pétrolières. (2)*

Un certain nombres de pays européens, exposés au risque de marée noire, a fait des réserves stratégiques du même type de dispersants que celui utilisé pour Deepwater… En cas de catastrophe, ne faudra-t-il pas les laisser au hangar ?

*Il faudrait faire une étude exhaustive sur le sujet. Dans la notice Wikipédia, on peut lire qu’en 2010, une méta-analyse du fabriquant du dispersant montrait une relative faible toxicité. Mais en 2012, une nouvelle étude montrait elle une augmentation nette de la toxicité du pétrole lorsqu’il était en présence de dispersants, et en 2013, une autre étude montrait une élévation du taux de cancers chez les travailleurs qui manipulent ces produits. Encore en 2013, un article dans PLOS One décrivait les effets toxiques de dispersant chez les coraux…

(1) « Chemical dispersants can suppress the activity of natural oil-degrading microorganisms » S. Kleindienst et al. PNAS 2015, 112(48), 14900-14905

(2) Wikipédia : « Corexit » (nom du dispersant chimique utilisé) et « Oil Dispersant »

 

[Flash Info Chimie] #45 Abracadabra, un peu de lumière, et d’un triangle, je fais un petit rhombicuboctahèdre !

Parfois, il suffit de peu de choses pour transformer drastiquement des composés en d’autres, de formes, de tailles complètement différentes. Les composés à l’honneur dans cet article en sont un exemple parfait.

Il s’agit ici de complexes de palladium, c’est-à-dire des assemblages moléculaires constitués d’un ion palladium Pd2+, entouré de molécules organiques plus ou moins complexes, appelés ligands. Les complexes de palladium sont très utilisés en chimie fine, comme catalyseurs d’une grande variété de réaction chimique. Ici, les ligands sont un peu particuliers : non seulement ils peuvent se lier à deux ions Pd2+ simultanément, mais en plus, ils sont sensibles à la lumière : sous certaines irradiations, ils vont se transformer, légèrement, mais suffisamment pour engendrer de grandes modifications de l’architecture de l’assemblage moléculaire.

Ces composés, dits photochromiques, vont changer de structure sous une irradiation à 313 nm, ce qui va écarter légèrement les atomes (d’azote ici, N) sur lesquels se fixent les ions palladium. En les irradiants à nouveau, à 617 nm, on peut obtenir à nouveau le composé de départ.

La différence entre ces deux formes consiste en la liaison supplémentaire qui est formée entre les deux cycles contenant chacun un atome de souffre. On remarque que les deux atomes d'azote (N sur les schéma) s'éloignent de façon nette lors de cette transformation.

La différence entre ces deux formes consiste en la liaison supplémentaire qui est formée entre les deux cycles contenant chacun un atome de souffre. On remarque que les deux atomes d’azote (N sur les schéma) s’éloignent de façon nette lors de cette transformation (source).

 

Spontanément, les ions Pd2+ et leurs ligands forment des sortes de trimères, des jolis triangles parfaitement stable. Mais sous l’effet de la lumière à 313 nm (UV proches), les ligands se transforment, ce qui conduit à la formation d’un petit rhombicuboctaèdre (je dis « petit », parce que d’après Wikipédia, il faut bien le distinguer d’un « grand rhombicuboctaèdre », qui n’a pas du tout la même structure (voyons !)). Et de la même manière, sous irradiation à 617 nm, on retrouve le petit triangle initial.

 

structure

Les boules grises symbolisent les ions palladium. En jaune, les atomes de souffre, en vert les atome de fluor, en violet les atomes d’azote (source)

Il s’agit ici d’un article qui n’a pas prétention à proposer des applications. Néanmoins, passé l’émerveillement pour la beauté des structures obtenues, il apparaît que ces complexes photochromiques, qui changent totalement de forme et de structure sous irradiation pourrait avoir, dans un avenir certes assez lointain, des applications en médecine (relargage contrôlé par de la lumière d’un médicament contenu dans la « cage » que forme le rhombicuboctaèdre), catalyse, ou encore en électronique moléculaire.

 

« Light-Controlled Interconversion between a Self-Assembled Triangle and a Rhombicuboctahedral Sphere » M. Han et al. Angew. Chem. Int. Ed. 2015, 54, Early Edition